AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Réunie le mercredi 16 mai 2018, la commission des affaires sociales du Sénat a décidé de se saisir des articles 5, 14, 15 et 16 de la proposition de loi visant à moderniser la transmission d'entreprises et a reçu délégation de la commission des finances pour les examiner au fond.
Ce texte, déposé par nos collègues Claude Nougein et Michel Vaspart et plusieurs membres du groupe Les Républicains, est la traduction législative d'une partie des propositions formulées dans le rapport d'information sur la transmission d'entreprise de la délégation sénatoriale aux entreprises 1 ( * ) .
Cosigné par nos deux collègues, ce rapport est le premier à aborder dans toutes ses dimensions la question de la transmission d'entreprise en France, quels que soient les secteurs d'activité, les tailles d'entreprise ou les freins identifiés en matière de fiscalité ou de droit du travail.
Les transmissions d'entreprises sont un enjeu économique majeur pour le dynamisme et l'attractivité des territoires mais aussi pour la préservation de l'emploi et des savoir-faire dans notre pays. Ce constat vaut particulièrement pour les petites et moyennes entreprises, pour lesquelles le vieillissement de la moyenne d'âge des dirigeants et les difficultés à trouver des repreneurs menaceraient actuellement entre 100 000 et 200 000 emplois par an 2 ( * ) .
Bien qu'elle n'ait été nommée que sur les articles relatifs aux aspects sociaux du texte, votre rapporteur salue l'ampleur de ce rapport, dont la qualité lui a été vantée par les personnes qu'elle a pu auditionner dans le délai contraint qui lui était imparti 3 ( * ) .
Le rapport formule 27 propositions dont une partie est reprise dans les 18 articles qui composent ce texte et qui visent principalement à simplifier et rendre incitatif le cadre fiscal des transmissions d'entreprises notamment par la réforme du « pacte Dutreil » (article 8).
La saisine de la commission des affaires sociales porte essentiellement sur les propositions destinées à favoriser les reprises internes des entreprises (articles 14, 15 et 16).
Face aux difficultés des PME à trouver des repreneurs, le précédent Gouvernement avait instauré un droit d'information préalable des salariés en cas de cession de leur entreprise ayant pour conséquence de suspendre, pendant deux mois, tout projet de cession afin de laisser le temps aux salariés de déposer une offre de reprise.
Issu de la loi du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire, dite loi « Hamon » 4 ( * ) , ce dispositif prévoyait une sanction de nullité relative de la cession en cas de défaut d'information.
Malgré sa réforme substantielle par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques 5 ( * ) , la loi « Macron », qui a notamment substitué la sanction de nullité par une amende civile, cette obligation d'information demeure contre-productive.
Elle n'a pas permis de favoriser les reprises internes, voire les à freinées dans un premier temps et continue d'être une source d'inquiétude pour les chefs d'entreprises. Si les salariés sont tenus à une obligation de discrétion, il est en réalité impossible de maîtriser la divulgation du projet de cession à des tiers et le caractère systématique de l'obligation d'information, y compris lorsqu'un repreneur est pressenti, peut perturber les négociations engagées.
La délégation aux entreprises, reprenant une position constante du Sénat depuis 2014, critique donc sévèrement ce droit à l'information préalable des salariés et en propose l'abrogation, dont le principe est repris à l'article 14 .
Votre rapporteur, soucieuse de simplifier au maximum la vie des entreprise dans le respect des droits des salariés, a considéré que ce dispositif inefficace pouvait effectivement être supprimé.
C'est avec le même état d'esprit qu'elle a considéré avec plus de réserve les articles 15 et 16 qui lui paraissent contradictoires avec la volonté affichée de simplifier la vie des entreprises. L'article 15 crée, à l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire d'une entreprise, une obligation d'information des salariés sur les possibilités et les aides pour la reprise interne de l'entreprise, incombant aux administrateurs ou mandataires judiciaires.
Une obligation similaire est ajoutée, par l'article 16, à la charge de l'employeur qui envisage la fermeture pour cessation d'activité d'un établissement appartenant à une entreprise de plus de 1 000 salariés.
Votre rapporteur propose la suppression de ces deux dispositions au motif que l'obligation d'information des salariés sur les possibilités de reprise interne existe déjà dans les deux cas visés. De plus, le risque de contentieux soulevé par l'obligation d'information sur les aides à la reprise est tel qu'il placerait les cessions concernées dans une situation d'insécurité juridique.
A l'inverse, elle considère que la seconde disposition contenue dans l'article 16 , visant à soustraire de l'obligation de rechercher un repreneur tous les employeurs qui envisageraient le déménagement d'un établissement appartenant à une entreprise de plus de 1 000 salariés, est insuffisamment protectrice des salariés.
Si elle est favorable à cette simplification pour les transferts d'établissements dans un même bassin d'emploi, elle considère que l'obligation de rechercher un repreneur peut être un moyen pour augmenter les chances de conserver l'activité et l'emploi sur un même territoire.
Enfin, l'article 5 s'appuie sur le constat, formulé par la délégation aux entreprises, qu'en matière de formation initiale et continue des futurs dirigeants d'entreprise, les structures d'enseignement valorisent plus la création d'entreprise au détriment de la reprise.
Il modifie un article du code du travail et un article du code de l'éducation pour reconnaitre la spécificité des formations pour la création et la reprise d'entreprise dans le contenu d'une part, du droit à l'orientation professionnelle tout au long de la vie et d'autre part, du droit de tout jeune à bénéficier d'une formation professionnelle.
Votre rapporteur partage l'intention des auteurs de la proposition de loi de promouvoir les formations à l'entrepreneuriat mais considère que le programme de formation des différents cursus ne relève pas du domaine de la loi et que la modification proposée de ces deux articles à portée très générale ouvre la voie à une future inflation législative.
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Simplifier la vie des entreprises tout en protégeant le plus efficacement possible les salariés afin de préserver l'activité et l'emploi sur nos territoires : telle est la philosophie générale de cette proposition de loi à laquelle souscrivent pleinement votre rapporteur et la commission des affaires sociales du Sénat.
* 1 Rapport n° 440 (2016-2017) fait au nom de la délégation aux entreprises relatif aux moyens de favoriser la transmission d'entreprise au bénéfice de l'emploi dans les territoires, février 2017, Claude Nougein et Michel Vaspart, sénateurs.
* 2 Selon les chiffres présentés dans l'étude d'impact sur les articles 11 et 12 de la loi du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire.
* 3 L'inscription de cette proposition de loi à l'ordre du jour de la séance publique du Sénat du 7 juin 2018 a en effet été décidée lors de la Conférence des Présidents du mardi 15 mai 2018.
* 4 Loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire.
* 5 Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.