I. UNE AUGMENTATION DU BUDGET EN TROMPE L'oeIL ?
Dans le projet de loi de finances pour 2018 déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, les crédits de paiement de la mission « Justice » augmentaient, à périmètre constant 12 ( * ) , de 3,9 % (+ 329,45 millions d'euros) par rapport à la loi de finances initiale pour 2017, après avoir augmenté de 4,27 % (+ 349,8 millions d'euros) l'an passé.
Les crédits de paiement des quatre programmes étudiés dans le présent avis progressaient en moyenne de 5,4 %, soit davantage que ceux de la mission « Justice » et une hausse globale de 222,66 millions d'euros, après une progression de 4,4 % et de 174,4 millions d'euros entre 2016 et 2017. Les autorisations d'engagement progressaient quant à elles de 11,3 % et de 473,55 millions d'euros, pour s'établir à 4,665 milliards d'euros.
Leur part dans le montant total des sommes allouées à la mission « Justice » progressait ainsi pour s'établir à 49,5 % s'agissant des crédits de paiement, contre 48,8 % en 2017, et à 51,7 % s'agissant des autorisations d'engagement, contre 39,3 % en 2017.
En première lecture, l'Assemblée nationale a réduit de 1,7 million d'euros le montant total des autorisations d'engagement et des crédits de paiement de la mission « Justice » 13 ( * ) .
Les crédits initialement prévus ont été amputés de 23,5 millions d'euros en conséquence du report d'une année de l'entrée en vigueur de mesures catégorielles au bénéfice des agents du ministère de la justice (protocole « Parcours professionnels, carrière et rémunérations » 14 ( * ) ). Ce report permet de financer une partie de la compensation de la hausse de la cotisation sociale généralisée pour ces agents (coût total de 31,6 millions d'euros), le surcoût lié à la compensation de la CSG (7,6 millions d'euros) étant financé par des économies complémentaires.
Au total, les crédits de paiement et autorisations d'engagement de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse baissent respectivement de 1,4 et 3,1 millions d'euros, tandis que ceux de la justice judiciaire augmentent de 3,3 millions d'euros 15 ( * ) . Les crédits des autres programmes diminuent de façon plus minime.
Les développements qui suivent sont réalisés à partir du projet de loi de finances initial pour 2018.
Votre rapporteur pour avis alerte d'ores et déjà sur les écarts entre les annonces et les faits, eu égard à la pratique systématique des gels, surgels et autres annulations de crédits, qui conduisent en partie à ce que les crédits réellement consommés par le ministère de la justice soient en moyenne près de 100 millions d'euros inférieurs aux crédits votés (159,5 millions d'euros en 2016).
Pour l'année 2017, près de 284,2 millions d'euros du budget voté de la mission, dont 90 millions d'euros au titre de l'autorité judiciaire 16 ( * ) , ont ainsi été gelés en début de gestion, soit 81 % de l'augmentation budgétaire allouée. Par la suite, le décret n° 2017-1182 du 20 juillet 2017 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance a annulé 159,8 millions d'euros de crédits de paiement sur le budget de la mission « Justice », ce à quoi il faut ajouter les 78 millions d'euros de crédits qui seront prochainement annulés, comme l'annonce le rapport annexé au second projet de loi de finances rectificative pour 2017 17 ( * ) .
Pour 2018, le Gouvernement s'est engagé à revenir à une pratique plus conforme au principe de l'autorisation parlementaire et a indiqué que le taux des crédits gelés s'élèverait à 3 % (hors dépenses de personnel), alors que ce taux avait pu atteindre jusqu'à 8 % les années précédentes. Le Sénat, à l'initiative de notre collègue Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances, a d'ailleurs intégré au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 une disposition encadrant le taux de mise en réserve entre 3 % et 6 % des crédits ouverts 18 ( * ) .
Même avec cet encadrement, le gel des crédits s'élèverait à près de 44,8 millions d'euros pour l'autorité judiciaire, ce que votre rapporteur pour avis ne juge pas pertinent eu égard au redressement des moyens dont la justice a besoin.
A. A. UN PROJET DE LOI DE PROGRAMMATION QUINQUENNALE QUI NE SEMBLE PAS À LA HAUTEUR D'UN VÉRITABLE REDRESSEMENT DE LA JUSTICE
Le projet de loi de finances pour 2018 n'est que la première étape du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 19 ( * ) proposé par le Gouvernement, qui prévoit en tendance une hausse des moyens affectés à la justice.
Le Gouvernement a en effet choisi de ne présenter son projet de loi quinquennale de programmation de la justice qu'au premier semestre 2018, bien après le vote de la programmation pluriannuelle des finances publiques. Il est peu probable que les plafonds de crédits par mission ainsi votés soient remis en cause.
Dans cette logique, nos collègues députés ont d'ailleurs adopté, à l'initiative du rapporteur général de la commission des finances, un amendement prévoyant, à l'occasion du dépôt au Parlement d'un projet de loi de programmation sectorielle, la remise d'un rapport permettant de « s'assurer de la cohérence du projet de loi avec la trajectoire de finances publiques figurant dans la loi de programmation des finances publiques en vigueur » 20 ( * ) .
Fort heureusement, un large débat a déjà pu se tenir au Sénat au cours de l'année 2017, puisque notre assemblée a adopté, le 24 octobre dernier, sur le rapport de nos collègues Jacques Bigot et François-Noël Buffet, deux propositions de loi organique 21 ( * ) et ordinaire 22 ( * ) présentées par le président de votre commission des lois, notre collègue Philippe Bas. Celles-ci visent tant à augmenter les moyens de la justice, qu'à réformer profondément l'organisation, le fonctionnement et la gestion des juridictions.
Ces textes sont issus des travaux de la mission d'information sur le redressement de la justice, dont le rapport a été présenté devant votre commission le 4 avril dernier 23 ( * ) .
Votre rapporteur présente dans le tableau ci-après la comparaison entre les trajectoires respectives prévues par le Gouvernement dans son projet de loi de programmation des finances publiques, et par la proposition de loi d'orientation et de programmation pour le redressement de la justice.
Le plafond des crédits de la mission « Justice » prévu par la proposition de loi d'orientation et de programmation pour le redressement de la justice a été retraité afin d'être présenté dans le même format que celui du projet de loi de programmation du Gouvernement, hors contribution directe de l'État aux pensions des fonctionnaires civils et militaires 24 ( * ) .
En outre, les augmentations de crédits sont présentées en valeur pour les deux trajectoires comparées, c'est-à-dire sans tenir compte de l'inflation (crédits non déflatées).
Si les objectifs chiffrés du Gouvernement ne sont formellement présentés que jusqu'en 2020, votre rapporteur pour avis a toutefois relevé que le dossier de présentation du projet de loi de finances pour 2018 faisait état d'une hausse des crédits de la justice de 19 % au cours de la période 2018-2022, soit plus d'un milliard d'euros 25 ( * ) . Cet objectif a été confirmé par le secrétariat général du ministère de la justice, entendu en audition. Les crédits 2021 et 2022 du ministère de la justice ont donc été reconstitués à cet aune.
À la lumière de ces différents éléments, votre rapporteur constate que les deux trajectoires sont convergentes entre 2018 et 2020, avec une augmentation respective des crédits de 9,2 % pour la proposition de loi d'orientation et de programmation adoptée par le Sénat et de 9,6 % pour le projet de loi de programmation des finances publiques du Gouvernement.
Toutefois, l'effort prévu par la proposition de loi est bien plus ambitieux sur l'ensemble du quinquennat, en permettant une augmentation des moyens de près de 28,9 % sur la période 2018-2022 26 ( * ) , presque de dix points supérieure à celle de 19 % projetée par le Gouvernement.
Par ailleurs, comme l'a justement relevé notre collègue Albéric de Montgolfier dans son rapport sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 27 ( * ) , seuls les plafonds 2018 et 2019 constituent un engagement ferme du Gouvernement. Les plafonds de l'année 2020 seront actualisés pour intégrer « les économies complémentaires issues du processus Action publique 2022 nécessaires au respect de la trajectoire globale ». Les économies de dépenses attendues de ce processus sont chiffrées à 4,5 milliards d'euros pour l'année 2020 28 ( * ) . Comme l'affirme notre collègue, « il est donc quasiment certain que les hausses de crédits seront pour certaines missions, moindres (...) ».
L'effort du Gouvernement aura donc tendance à diminuer à compter de 2020. Sans cet effort, il semble tout simplement impossible de concilier le double objectif de redressement des moyens des juridictions judiciaires et de l'administration pénitentiaire, en particulier compte tenu du projet du Président de la République de construction de 15 000 nouvelles places d'emprisonnement.
* 12 En 2018, la mission « Justice » est concernée par une importante mesure de périmètre, puisque les dépenses de santé des personnes détenues (cotisations sociales, ticket modérateur et forfait journalier), jusqu'alors prises en charge par la mission « Justice », sont transférées à la sécurité sociale. Cette mesure concerne uniquement le programme 107 « Administration pénitentiaire ». Les quatre programmes suivis dans le présent avis ne font l'objet que de mesures de périmètre de faible importance.
* 13 L'Assemblée nationale avait diminué de 42 millions d'euros les crédits de paiement et autorisations d'engagement alloués à la mission « Justice » lors de l'examen en première lecture du projet de loi de finances pour 2017.
* 14 Ce report vaut par ailleurs pour tous les agents publics puisque le protocole PPCR est un accord qui concerne les trois fonctions publiques et porte réforme de l'architecture statutaire, des grilles de rémunération et de la gestion des fonctionnaires.
* 15 Afin de financer la compensation de la hausse de la cotisation sociale généralisée (CSG) pour les agents publics, dont le coût pour le programme 166 est évalué à 12,7 millions d'euros, le Gouvernement a annulé les 5,7 millions d'euros de crédits dédiés au « Parcours professionnels, carrières, et rémunérations » (PPCR), ainsi que 3,3 autres millions d'euros de dépenses de fonctionnement, d'investissement ou d'intervention du programme. Au final, suite à cette seconde délibération, la hausse des crédits du programme s'élève à 3,3 millions d'euros, dont 6,946 millions d'euros pour les dépenses de personnel - titre 2.
* 16 L'autorité judiciaire comprend les crédits alloués aux programmes « Justice judiciaire » et « Conseil supérieur de la magistrature ».
* 17 Projet de loi de finances rectificative pour 2017, rapport sur l'évolution de la situation économique et budgétaire et exposé général des motifs, p. 10. Ce document est consultable à l'adresse suivante : https://www.performance-publique.budget.gouv.fr/sites/performance_publique/files/farandole/ressources/2017/lfi/pdf/PLFR2_2017.pdf
* 18 Article 19 bis du Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. Le dossier législatif est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl17-040.html
* 19 Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. Le dossier législatif est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl17-040.html
* 20 Article 18 bis du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. Le dossier législatif est consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl17-040.html
* 21 Le texte de la proposition de loi organique pour le redressement de la justice adopté par le Sénat est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl16-640.html
* 22 Le texte de la proposition de loi d'orientation et de programmation pour le redressement de la justice adopté par le Sénat est consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl16-641.html
* 23 Rapport précité.
* 24 À cette fin, les montants des crédits du compte d'affectation spéciale « Pensions » pour 2017 à 2020 sont ceux transmis par le Gouvernement à votre rapporteur pour avis dans le cadre du triennal. Le taux d'évolution de ces crédits pour 2021 et 2022 est estimé à partir de la moyenne arithmétique des taux d'évolution 2018 à 2020.
* 25 PLF Les moyens de l'action 2018, Dossier de presse de présentation du projet de loi de finances pour 2018, fiches missions du PLF 2018, Justice, p. 120. Ce document est consultable à l'adresse suivante : https://www.performance-publique.budget.gouv.fr/sites/performance_publique/files/files/images/actualite/PLF2018/DP_PLF2018_WEB.pdf
* 26 L'analyse des évolutions est faite ici à partir du tableau exposé qui ne comprend pas les crédits affectés au compte d'affectation spéciale « Pensions ». Les taux d'évolution sont donc nécessairement différents de ceux réalisés à partir des tableaux de chiffres de la proposition de loi d'orientation et de programmation pour le redressement de la justice.
* 27 Rapport n° 56 (2017-2018) de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances, sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, déposé le 31 octobre 2017, p. 154. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/rap/l17-056/l17-056.html
* 28 Ibid, p. 43.