TRAVAUX EN COMMISSION
Réunie le mercredi 15 novembre 2017, la commission a examiné le rapport pour avis sur la première partie de la loi de finances pour 2018.
M. Hervé Maurey , président . - C'est la première fois que notre commission se saisit pour avis sur la première partie du projet de loi de finances. Cela nous a paru nécessaire car la fiscalité dite « verte », c'est-à-dire en faveur de la transition énergétique et climatique, prend de plus en plus de place dans notre système fiscal.
Lors du déplacement que nous avons effectué, avec plusieurs collègues, à Bonn à l'occasion de la COP 23, nous avons pu nous rendre compte de la difficulté qui existe à passer des engagements aux actes. Je vous invite à ce propos à lire la tribune publiée à la une du journal Le Monde hier, qui est signée par plus de 15 000 scientifiques, et qui alerte sur l'urgence qu'il y a à agir.
Pour faire évoluer les comportements, la fiscalité « verte » est un instrument important. La première partie de la loi de finances comporte un certain nombre d'articles qui ont trait à cette question, qu'il s'agisse de la taxe carbone, du crédit d'impôt pour la transition énergétique ou encore du bonus-malus automobile. Je cède la parole à Jean-Claude Luche pour qu'il puisse nous en faire la présentation.
M. Jean-Claude Luche . - La fiscalité énergétique et environnementale est une fiscalité dynamique, qui représente chaque année une part croissante des recettes de l'État. Cette fiscalité regroupe un certain nombre de taxes et de redevances portant sur la consommation d'énergie, le transport ou encore la pollution des milieux comme l'air et l'eau.
Comme les années précédentes, le projet de loi de finances pour 2018 comporte un certain nombre de mesures fiscales relatives à l'énergie et à l'environnement, qu'il nous paraissait important de présenter devant la commission en raison de l'importance des masses financières qu'elles représentent. C'est pourquoi la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable s'est saisie pour avis de la première partie du projet de loi de finances. Et je salue ici l'initiative de notre président de commission.
Cette saisine porte sur quatre articles du projet de loi de finances initial : l'article 8 relatif à la réforme crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) ; l'article 9, qui fixe une nouvelle trajectoire de hausse de la taxe carbone jusqu'en 2022, et qui poursuit le rapprochement de la fiscalité de l'essence et du diesel ; l'article 23 relatif aux recettes du compte d'affectation spéciale « Transition énergétique », qui finance notamment le soutien aux énergies renouvelables ; l'article 24, qui durcit le « malus » automobile afin de financer le renforcement des aides à l'achat de véhicules propres.
Par ailleurs, les députés ont adopté plusieurs articles additionnels en matière d'énergie et d'environnement, sur lesquels je reviendrai à la fin de mon propos.
Je commence donc par la réforme du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE). Ce crédit d'impôt, je vous le rappelle, permet aux contribuables de bénéficier d'une réduction de leur montant d'impôt sur le revenu ou d'un remboursement à hauteur de 30 % des dépenses de rénovation énergétique de leurs logements qu'ils engagent.
Le code général des impôts précise la liste des équipements et des travaux qui sont éligibles au CITE. Parmi ces dépenses, figurent aujourd'hui le remplacement des portes, fenêtres et des volets isolants ainsi que l'acquisition de chaudières au fioul présentant une haute performance énergétique.
Le CITE a fait l'objet de nombreuses réformes au cours des années passées, qui ont concerné tant son périmètre que son taux. Ceci a généré une forte volatilité du coût de ce dispositif. En 2016, le CITE a représenté une dépense fiscale de près de 1,7 milliard d'euros, contre 900 millions d'euros en 2015. Il devrait atteindre un montant équivalent en 2017.
Un tel montant d'aide pose la question de l'efficience de ce dispositif : il s'agit de savoir si l'argent investi permet de réaliser des économies d'énergie au moindre coût. Plusieurs évaluations du CITE menées ces dernières années ont émis des doutes quant à l'efficience de ce dispositif, et souligné l'existence d'effets d'aubaine. Récemment, un rapport de l'Inspection générale des finances et du Conseil général de l'environnement et du développement durable a mis en avant l'inefficience du CITE s'agissant des fenêtres, des portes et des volets isolants, qui ne génèrent que très peu d'économies d'énergie.
Or, ces équipements ont représenté 56 % des travaux réalisés éligibles au CITE en 2016 et un coût de 900 millions d'euros, soit plus de la moitié de la dépense fiscale.
Tirant les conséquences de cette évaluation, l'article 8 du projet de loi de finances procède à plusieurs modifications. D'une part, il prolonge le crédit d'impôt d'une année, c'est-à-dire jusqu'au 31 décembre 2018.
D'autre part, il exclut du CITE les chaudières au fioul du CITE, en cohérence avec le « plan climat » qui prévoit de sortir progressivement des énergies carbonées.
Enfin, il prévoit d'exclure progressivement du CITE les portes, fenêtres et volets isolants en abaissant le taux de prise en charge de ces équipements à 15 % pendant six mois, puis en supprimant leur éligibilité.
Initialement, il était prévu de diminuer le taux du CITE sur ces équipements à 15 % et d'exclure les chaudières au fioul du CITE dès le 27 septembre 2017, ce qui correspond au jour de la présentation du projet de loi de finances en conseil des ministres. Ceci aurait représenté une économie de 115 millions d'euros en 2018 et de 913 millions d'euros en année pleine.
Suite aux nombreuses critiques exprimées par les professionnels du bâtiment quant à la portée rétroactive de cette mesure, le Gouvernement a décidé de reporter l'application de cette réforme à 2018. En conséquence, un amendement de suppression de l'article 8 a été voté à l'Assemblée nationale, et un nouveau dispositif sera proposé par le Gouvernement lors de l'examen de la seconde partie du projet de loi de finances.
Je salue la décision du report cette réforme, dont l'application brutale, sans concertation, était un mauvais signal envoyé à la filière de la rénovation énergétique. La faible efficience des portes, fenêtres et volets isolants justifie de revoir leur éligibilité au CITE. Cependant, il est important de souligner que le changement des menuiseries extérieures constitue souvent le point d'entrée des ménages dans la rénovation énergétique, et la réalisation par la suite de travaux plus ambitieux.
Surtout, certains remplacements de menuiseries peuvent présenter une efficacité énergétique intéressante, par exemple lorsqu'il s'agit de remplacer des fenêtres simple vitrage par du double vitrage. Je propose donc de maintenir le crédit d'impôt à 30 % pour ces travaux-là. En fonction du dispositif que proposera le Gouvernement en deuxième partie, je proposerai un amendement en ce sens.
Par ailleurs, de nombreux acteurs dénoncent le caractère instable du CITE, dont le périmètre change tous les ans, ce qui rend ce dispositif illisible pour les ménages. Une telle instabilité pénalise notamment les travaux dans les copropriétés, au sein desquelles les décisions de réalisation des travaux de rénovation prennent du temps. Je considère donc que le CITE devrait être prolongé et sanctuarisé pour une période d'au moins trois ans, pour donner de la visibilité aux acteurs économiques.
Ce constat est important alors que se pose la question de la transformation, en 2019, du CITE en prime immédiatement perceptible par les ménages au moment des travaux, et non l'année suivante comme avec le crédit d'impôt. Deux missions d'inspection ont été lancées sur cette question et devraient rendre leurs conclusions d'ici janvier 2018.
J'en viens maintenant au deuxième sujet : la hausse de la taxe carbone et le rapprochement de la fiscalité de l'essence et du diesel.
La contribution climat-énergie ou « taxe carbone », mise en place par la loi de finances pour 2014, est une contribution intégrée aux taux des taxes intérieures de consommation sur les énergies fossiles, et qui est proportionnée au contenu en CO 2 des produits taxés. Elle vient augmenter les tarifs des taxes intérieures de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) sur le gaz naturel (TICGN) et sur le charbon (TICC).
La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 a fixé une trajectoire d'augmentation de la valeur de la tonne de CO 2 de 7 euros par tonne en 2014 à 56 euros par tonne en 2020 et 100 euros par tonne en 2030.
Par ailleurs, à la suite du « dieselgate », le Gouvernement a décidé de supprimer progressivement l'avantage fiscal favorable au diesel, qui a encouragé la diésélisation du parc automobile français. En 2016 et 2017, les tarifs de la TICPE ont donc été modifiés pour permettre un rapprochement de la fiscalité du diesel et de l'essence. En 2017, cela s'est traduit par l'augmentation de 1 centime d'euro de la TICPE sur le diesel et la baisse de 1 centime d'euro de cette taxe sur l'essence.
La montée en charge de la taxe carbone et la convergence diesel/essence ont eu pour conséquence une forte augmentation du tarif de TICPE applicable au diesel, qui a augmenté de plus de 10 centimes d'euro par litre entre 2014 et 2017, lorsque le tarif de l'essence a augmenté de 4,4 centimes d'euros par litre. S'agissant du gaz naturel et du charbon, la hausse s'est élevée respectivement à 4,4 et 7,7 centimes d'euro par mégawattheure. Ces mesures ont conduit à une augmentation substantielle des recettes de fiscalité énergétique, de 5,5 milliards d'euros sur trois ans.
L'article 9 du projet de loi de finances pour 2018 prévoit une nouvelle hausse de la taxe carbone, sur la base d'une trajectoire plus ambitieuse que celle de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, puisque la valeur de la tonne de CO 2 atteindrait 44,6 euros en 2018 au lieu de 29 euros et 86,2 euros en 2022. À ce rythme-là, la tonne de carbone dépasserait la valeur de 100 euros dès 2024, soit six ans plus tôt que ce qui est prévu par le cadre actuel.
Par ailleurs, cet article procède à un nouveau rapprochement de la fiscalité applicable à l'essence et au diesel. Contrairement à l'année précédente, le PLF prévoit d'augmenter chaque année, jusqu'en 2021, la fiscalité sur le gazole de 2,60 centimes d'euro par litre - en plus de la hausse de la taxe carbone - sans baisse de celle sur l'essence à due concurrence.
Le rehaussement de la trajectoire carbone cumulée au rapprochement accéléré du diesel et de l'essence aura pour conséquence une hausse de la fiscalité sur l'essence de 12,7 centimes d'euro par litre et de 25,16 centimes d'euro par litre pour le gazole d'ici 2022. Le rendement supplémentaire de la TICPE s'élèverait à 3,3 milliards d'euros et celles de la TICGN à 600 millions d'euros en 2018.
Au total, la fiscalité sur les énergies fossiles augmenterait donc de près de 4 milliards d'euros en 2018 et de 15,4 milliards d'euros en 2022, ce qui est une hausse sans précédent.
D'après les informations transmises par le ministère de la transition écologique et solidaire, cela représenterait un coût annuel moyen pour les ménages de 79 euros en 2018 et de 313 euros en 2022. Ce coût varie en fonction du mode de chauffage et de motorisation des ménages. Il représenterait jusqu'à 538 euros pour les ménages se chauffant au fioul et roulant avec un véhicule diesel.
Si cette augmentation est pour l'instant relativement indolore en raison de prix de l'énergie bas, cette situation pourrait s'inverser en cas de remontée rapide du cours du pétrole et du gaz. Une telle remontée est d'ailleurs à l'oeuvre depuis le début de l'année 2016 s'agissant du pétrole, date à laquelle il avait atteint un prix très bas d'environ 28 euros par baril. En septembre 2017, le prix du pétrole brut s'élevait à 46 euros en moyenne par baril.
Troisième sujet : les recettes du compte d'affectation spéciale « Transition énergétique ». Créé en 2015, le compte d'affectation spéciale « Transition énergétique » retrace à titre principal les dépenses relatives au financement des énergies renouvelables, c'est-à-dire la compensation aux fournisseurs d'électricité du coût résultant de leur obligation d'achat de l'électricité produite par des installations renouvelables.
Le soutien aux énergies renouvelables électriques représentera un montant de 5,4 milliards d'euros en 2018, dont 2,9 milliards d'euros pour le photovoltaïque et 1,6 milliard d'euros pour l'éolien, en hausse de 626 millions d'euros par rapport aux charges réévaluées de 2017.
Le deuxième volet important de dépenses concerne le remboursement à EDF du déficit de compensation des charges de service public des années passées, à hauteur de 1,6 milliard d'euros en 2018, conformément à l'échéancier de remboursement fixé par arrêté.
Afin de financer ces dépenses supplémentaires, l'article 23 du projet de loi de finances prévoit d'affecter 184 millions d'euros supplémentaires de TICPE au compte d'affectation spéciale. Ceci ne représente qu'environ 5,5 % du montant de la hausse de la TICPE en 2018 qui, je le rappelle, sera de 3,3 milliards d'euros.
Ainsi, la quasi-totalité des recettes de la taxe carbone ne financeront pas les mesures de transition énergétique, mais iront dans le budget général afin de financer d'autres politiques.
Par ailleurs, j'attire votre attention sur le fait que le développement des énergies renouvelables engendre un coût croissant pour les finances publiques. En incluant les dépenses de soutien à la cogénération, ce coût atteindrait près de 8 milliards d'euros en 2022 d'après la Commission de régulation de l'énergie.
J'en viens à la révision du barème du « malus automobile ». Notre collègue Jean-Pierre Corbisez a déjà présenté, la semaine dernière, la réforme prévue par le projet de loi de finances pour 2018. Je vous rappelle, en quelques mots, que l'article 24 de ce projet de loi durcit le barème du malus et prévoit son application dès 120 grammes d'émission de CO 2 par kilomètre, au lieu de 127 aujourd'hui. Cela doit permettre de dégager 40 millions d'euros de recettes supplémentaires pour financer l'élargissement de la prime à la conversion.
Pour répondre à une des questions qui avait été posées lors de l'examen du rapport de notre collègue Corbisez, les voitures qui bénéficient de la prime à la conversion doivent être mises à la casse et ne peuvent pas être exportées vers d'autres pays.
Les constructeurs automobiles français que j'ai auditionnés ne sont pas opposés au durcissement du malus, qui touche davantage les gros véhicules émetteurs. Cependant, ils insistent sur la nécessité d'accompagner cette mesure, de même que la hausse de la fiscalité sur les carburants, par des actions ambitieuses de soutien au développement du véhicule électrique et des infrastructures de recharge.
Pour terminer, je souhaiterais vous présenter brièvement les principaux ajouts de l'Assemblée nationale lors de l'examen de ce texte.
Premièrement, les députés ont étendu la taxe carbone au gaz de pétrole liquéfié (GPL) utilisé comme combustible par les entreprises, avec une trajectoire progressive en cinq ans - tout en prévoyant un remboursement quasi-intégral de cette taxe pour le secteur agricole. Le GPL est actuellement la seule énergie de chauffage exonérée de TICPE, ce qui constitue une différence de traitement non justifiée par rapport aux autres énergies.
Ensuite, ils ont gelé le tarif de la TICPE sur le gaz naturel pour véhicules (GNV), afin que ce carburant ne subisse pas la hausse de la taxe carbone. Ceci doit permettre de maintenir l'avantage fiscal du GNV par rapport au gazole pour les transporteurs routiers, puisque ceux-ci peuvent bénéficient d'un remboursement partiel de leur TICPE sur ce carburant et non sur le GNV.
Les députés ont également prolongé de deux ans le dispositif de suramortissement pour l'acquisition de véhicules roulant au GNV, au biométhane carburant ou au carburant ED 95 qui devait prendre fin au 31 décembre 2017. Cela doit inciter les transporteurs routiers à acquérir des poids-lourds roulant avec ces carburants.
Enfin, à l'initiative du Gouvernement, les députés ont supprimé la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) sur les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), qui est due lors de de la délivrance d'une autorisation d'exploitation et au cours de l'exploitation. Cette taxe ne poursuit pas de finalité écologique, puisqu'elle n'est pas calculée en fonction du niveau des pollutions émises mais est appliquée de manière forfaitaire. Elle ne concerne qu'un faible nombre d'installations et présente un coût de gestion important.
Voilà, mes chers collègues, ce que prévoit le projet de loi de finances en matière de fiscalité énergétique et environnementale. Vous l'aurez compris, il est prévu d'augmenter massivement la fiscalité sur les énergies fossiles sur la durée du quinquennat, ce qui pose une double question.
Premièrement, celle de la compensation de ces mesures pour les ménages précaires. En effet, la consommation de carburant reste obligatoire pour certains ménages modestes notamment en zones rurales. Le véhicule personnel demeure le seul moyen de mobilité. Cette hausse de taxation des carburants se répercute alors sur tous les membres du foyer alors que les ménages aisés des centres villes peuvent choisir un autre mode de transport. En outre, les ménages précaires ont des difficultés financières à remplacer leurs véhicules diesel vieillissants qui consomment davantage que les nouveaux modèles.
Deuxièmement, la question de l'utilisation des milliards de recettes supplémentaires, qui devraient davantage accompagner la transition énergétique dans les territoires et aider les différentes entreprises qui se verront contraintes de réorienter leurs différentes productions. Et je pense par exemple à la production d'injecteurs pour les moteurs diesel au sein de l'usine Bosch qui se situe dans mon département.
M. Hervé Maurey , président . - Merci beaucoup, Monsieur le rapporteur, pour cet exposé très intéressant. Il confirme que nous avons bien fait de proposer cet avis sur la première partie du projet de loi de finances. Les mesures qu'elle contient sont essentielles pour faire évoluer les comportements de nos concitoyens. Elles posent cependant des difficultés de mise en oeuvre.
Je vous rappelle que nous entendrons demain M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Je vous invite à l'interroger sur la question de la baisse du crédit d'impôt pour la transition énergétique relatif aux fenêtres et aux portes.
M. Claude Bérit-Débat . - Je remercie le rapporteur qui a su balayer les problématiques et les questions que l'on peut se poser. La plupart des mesures prises incitent à abandonner les énergies fossiles. La question est de savoir comment atténuer leurs effets pour les ménages ayant le moins de ressources, qui seront davantage pénalisés.
Sans entrer dans le détail, les modifications du crédit d'impôt pour la transition énergétique me semblent aller dans le bon sens. En effet, le remplacement des fenêtres et des portes représente plus de la moitié de la dépense fiscale, sans pour autant démontrer une grande efficacité. Il faudrait s'interroger sur la possibilité de mettre en place cette réforme en douceur, en l'étalant sur une période de trois années par exemple.
Compte tenu des objectifs que nous nous sommes fixés depuis plusieurs années, nous ne pouvons pas nous opposer à une augmentation de la taxe carbone, mais nous devons réfléchir à la façon d'atténuer son impact pour les publics les plus en difficulté.
M. Charles Revet . - J'adresse mes compliments au rapporteur pour son exposé clair, précis et chiffré.
La presse s'est fait l'écho de possibles importations massives de biocarburants, et sur les conséquences qu'elles auraient sur la production française. Avez-vous des éléments sur le sujet ?
Par ailleurs, je rappelle que certaines analyses ont démontré que le diesel pouvait être moins polluant que l'essence, dès lors que les équipements adéquats étaient installés dans les voitures. Ce qui a été engagé jusque-là n'est pas sans conséquence, d'une part, sur l'environnement, compte tenu du fait qu'une même quantité de pétrole permet de produire davantage de diesel que d'essence et, d'autre part, sur le coût de nos importations, puisque nous devrons importer davantage de carburants.
Mme Michèle Vullien . - J'adhère à l'idée de sanctuariser les aides à la rénovation énergétique sur une durée d'au moins sur trois ans.
Il convient de permettre aux gens d'avoir le choix de leur mode de locomotion, et d'avoir accès aux transports publics. Je serais favorable à ce qu'une taxe sur la publicité des voitures individuelles contribue à financer les transports publics ou le covoiturage, notamment dans les zones les plus reculées.
Il y a également lieu de réfléchir à nos pratiques. Dans l'agglomération lyonnaise, l'agence locale de l'énergie et la métropole du Grand Lyon attribuent des aides à la rénovation énergétique. Or, ces aides font parfois doublon avec les aides d'autres organismes, et il est souvent difficile d'y voir clair.
S'agissant des carburants, je considère que le prix du baril de pétrole est descendu beaucoup trop bas, ce qui incite les gens à circuler n'importe comment. J'estime également qu'il est nécessaire d'abandonner l'idée du recours aux biocarburants, qui conduit à réduire les espaces agricoles utiles.
Je suis attentive au fait que nous n'aidions pas à outrance des équipements et des travaux peu efficients, comme le remplacement des portes et fenêtres ou les chaudières à condensation, dont on s'est rendu compte qu'elles ne permettaient pas de réaliser des économies d'énergie, faute d'être installées correctement. Je m'interroge également sur l'efficacité d'autres aides, comme celles relatives aux vélos et aux vélos électriques.
M. Hervé Maurey , président . - Puisque nous évoquons le sujet des combustibles, je vous informe qu'au cours des derniers jours, la délégation de la commission qui s'est rendue à Bonn pour la COP 23 a pu voir des réalisations très intéressantes en matière d'hydrogène, ce dont nous reparlerons certainement.
Mme Nadia Sollogoub . - S'agissant du crédit d'impôt relatif au remplacement des portes et fenêtres, je ne comprends pas que nous nous rendions compte aussi tard de l'inutilité du dispositif. On incite toujours les citoyens à aller consulter des points « info énergie » en vue de remplacer leurs portes et fenêtres, moyennant quoi les coeurs de village sont enlaidis, notamment à cause de l'installation d'équipements en PVC.
S'agissant de la taxe relative aux installations classées pour la protection de l'environnement, moi qui habite à proximité d'une centrale nucléaire, j'ai peine à croire qu'elle ne représente qu'un faible montant et qu'elle ne permette pas de couvrir les frais de gestion.
Concernant les voitures électriques, il me semble qu'il y a une contradiction : d'un côté, la France s'engage dans la sortie du nucléaire et, d'un autre côté, les besoins en production d'énergie électrique vont être de plus en plus importants dans les années à venir en raison de la mise en circulation d'un nombre croissant de véhicules électriques.
Je me réjouis que nous ayons évoqué la question de la mobilité en milieu rural. Nous avons parlé des émissions de gaz à effet de serre par les véhicules terrestres, mais je rappelle que les transports maritimes émettent beaucoup plus de CO 2 que le transport terrestre.
M. Gérard Cornu . - À mon tour, je félicite le rapporteur. Je suis très favorable aux propositions avancées, qui vont dans le bon sens. Ce qui me préoccupe le plus, c'est l'équilibre qui doit être trouvé entre les enjeux de transition énergétique et d'aménagement du territoire. L'augmentation du prix des carburants touche davantage les populations rurales que les populations urbaines. Or, il est difficile d'avoir accès aux transports en commun en milieu rural.
Tout le monde peut constater que le remplacement des portes et fenêtres est un facteur d'économie d'énergie, même s'il peut être très coûteux.
M. Guillaume Gontard . - J'aimerais revenir sur la réforme du crédit d'impôt pour la transition énergétique. Je suis favorable à ce que la fin de l'éligibilité des portes et des fenêtres à ce dispositif s'opère progressivement. Le remplacement de ces équipements ne constitue pas une source d'économies d'énergie importante dans une habitation, par rapport aux travaux de rénovation de la toiture et des combles.
Je regrette par ailleurs que nous abordions cette question par petites touches, alors qu'il faudrait plutôt pousser les habitants à engager une réflexion globale sur la rénovation de leur logement.
S'agissant du prix du carbone, j'ai noté que nous devrions arriver à une valeur de cent euros par tonne d'ici 2030. Or, d'après le plan climat du Gouvernement, cela n'est pas suffisant si l'on veut faire en sorte que la hausse de la température ne dépasse pas deux degrés Celsius. Il convient également de réfléchir aux moyens de compenser les effets de cette hausse pour les familles les plus défavorisées, afin qu'elles ne subissent pas de plein fouet ces augmentations.
M. Jean-Marc Boyer . - Je voudrais remercier le rapporteur pour la clarté de son exposé.
Je regrette que l'on évoque les sujets de manière séparée. Lors des débats en séance publique, la semaine dernière, sur les hydrocarbures, nous avons regretté que le projet de loi qui prévoit de mettre progressivement fin à la production nationale d'hydrocarbures d'ici 2040 ne contienne aucune mesure concrète visant à réduire la consommation des énergies fossiles.
Le coût pour les contribuables qui, in fine , seront directement impactés par l'ensemble de ces mesures, est important, notamment pour les gens qui habitent en zone rurale, qui souvent contraints d'avoir deux voitures par foyer, et qui sont parfois privés de transports en commun et de desserte de train.
Mme Françoise Cartron . - Je souhaiterais revenir sur l'article du journal Le Monde , que vous avez cité en introduction. Cet article nous a tous interpelés et nous met face à nos responsabilités en nous montrant qu'il y a urgence. Les solutions proposées peuvent être douloureuses selon le point de vue duquel on se place. Devons-nous prendre la responsabilité de bâtir une société plus vivable en mettant en oeuvre des solutions douloureuses ?
Deux critères doivent nous guider chaque fois qu'on examine les solutions proposées : l'efficacité et la justice sociale. Il faut privilégier les solutions les plus efficaces et les plus pertinentes, en s'appuyant sur l'analyse des experts. Si le remplacement des portes et des fenêtres est efficace en matière d'isolation phonique, il l'est beaucoup moins en ce qui concerne la réduction des déperditions de chaleur.
Du point de vue de la justice sociale, une prime serait plus juste qu'une réduction d'impôt, car tous les ménages ne paient pas d'impôt sur le revenu.
Enfin, il est vrai que nous devrons être très vigilants sur l'affectation des milliards de recettes supplémentaires dégagés par la taxe carbone, afin qu'ils aillent à l'objectif poursuivi. Nous interrogerons le ministre sur le sujet.
M. Jean-Pierre Corbisez . - Je reviens sur la question que notre collègue Ronan Dantec, qui s'interrogeait, lors de notre dernière réunion, sur l'opportunité de donner une prime à la conversion d'un véhicule polluant, si celui-ci est exporté vers d'autres pays et continue de polluer la planète. Je me permets de lui apporter la réponse du ministère que j'ai interrogé sur ce point : « pour obtenir une prime à la conversion, le véhicule ancien doit être remis pour destruction, dans les six mois suivant la date de facturation du véhicule acquis ou loué, à un centre de traitement des véhicules hors d'usage (VHU) ou à un broyeur agréé, qui délivrera à son propriétaire un certificat de destruction du véhicule ».
L'enveloppe totale dédiée aux primes à la conversion va passer de 27 à 127 millions d'euros. Dans le même temps, les constructeurs augmentent le prix des véhicules propres... En trois ans, la Renault Zoé est passée de 23 000 à 29 000 euros ! L'augmentation du volume financier dédié aux bonus et aux primes à la conversion permettra-t-elle de favoriser l'essor de véhicules propres si les constructeurs continuent d'augmenter les prix ?
M. Jordi Ginesta . - Merci à notre rapporteur pour cet excellent exposé très complet. Je pense qu'il serait intéressant d'entendre, dans le cadre d'une audition, les ingénieurs d'EDF. En effet, ils expliquent tous que l'on ne peut pas injecter plus de 30 % d'électricité provenant d'énergies renouvelables dans les réseaux. Au-delà, il y a trop de variations de tensions. C'est pourquoi, ceux qui font le choix de cette stratégie, comme l'Allemagne, remettent en fonction des centrales thermiques ou en construisent. Ce constat a d'ailleurs récemment incité Nicolas Hulot à reporter l'échéance de réduction de la part du nucléaire dans la production nationale d'électricité.
M. Olivier Jacquin . - Merci pour ce rapport, notamment pour sa conclusion qui souligne la nécessité de prendre en compte les ménages modestes.
J'ai été frappé par le montant de l'impact, en 2018, de l'augmentation de la taxe carbone sur le budget des ménages. Lorsque l'on habite une grande ville bien équipée en transports en commun, on est plutôt insensible à ces questions. Je fais le parallèle avec le débat sur la taxe d'habitation : la suppression de cette taxe constituera un énorme cadeau aux habitants des grandes villes riches en services publics, où la taxe est élevée. Par contre, là où il y a peu des services publics et peu de taxes, le cadeau sera beaucoup moins important.
Dans le domaine de l'habitat, le dispositif « Habiter mieux » a permis de financer les ménages les plus modestes et les plus précaires. Ce dispositif est extrêmement intéressant. Le même principe pourrait être appliqué aux questions de mobilité.
Sur le débat essence/diesel, je rappelle que la France est l'un des pays qui utilise le plus le diesel. Beaucoup d'informations circulent pour contrer l'idée que le diesel polluerait moins que l'essence, ou pour maintenir une confusion sur le sujet. Pourtant, si l'on regarde les devis pour des véhicules d'entrée de gamme de la marque Renault, on constate que le modèle de 130 chevaux essence supporte un malus de 300 euros, alors que son équivalent diesel n'est pas malussé.
Enfin, la fédération nationale du bois a indiqué récemment en audition que nous utilisons aujourd'hui 1,5 million de tonnes de granulés de bois, contre seulement 50 000 tonnes il y a dix ans. L'augmentation est considérable, et le crédit d'impôt semble avoir joué un rôle déterminant. C'est en effet un dispositif simple et efficace, mais encore faut-il payer des impôts... le système de la prime me semble en cela beaucoup plus juste. Et pour que ces dispositifs fiscaux ne profitent pas qu'aux plus fortunés, il faut absolument en assurer la stabilité et la visibilité auprès de tous les ménages.
M. Jean-Claude Luche , rapporteur . - Tout d'abord, je remarque que ma génération a vraiment intégré la problématique de la transition énergétique. De gros efforts ont été faits, culturellement, sans doute aidés par le contexte de la COP 21 et de l'accord de Paris.
S'agissant des portes et fenêtres, la question essentielle est de savoir quelles sont les économies d'énergie que suscitent les travaux réalisés. Or, en rencontrant les professionnels du bâtiment, cela ne paraît pas si évident. Le retour sur investissement du changement des portes et fenêtres est relativement long. C'est pourquoi, c'est souvent plus l'avantage fiscal que les perspectives d'économies d'énergie qui incitent les ménages à réaliser de tels travaux.
Les immeubles collectifs sont les plus concernés par les déperditions d'énergie. Or, dans le cas d'une copropriété, les décisions relatives aux travaux peuvent être longues. Les copropriétaires se prononcent souvent contre les travaux, faute de savoir s'ils pourront bénéficier de l'avantage fiscal au-delà d'un an. C'est pourquoi l'idée de sanctuariser le crédit d'impôt sur trois années me paraît nécessaire.
Ceux qui habitent, comme moi, dans des départements ruraux, subissent une double peine : non seulement nous n'avons pas transports publics mais, en plus, nous devons participer à la solidarité nationale en payant des taxes sur les carburants.
S'agissant du débat relatif à l'essence et au diesel, je précise que le diesel, certes, rejette moins de CO 2 que l'essence, mais qu'il émet en revanche beaucoup plus de particules, ainsi que du dioxyde d'azote.
Dans mon département, l'Aveyron, la société Bosch possède une usine qui conçoit des injecteurs diesel et qui emploie 1 600 salariés. Cette entreprise va devoir peu à peu se séparer de ses intérimaires pour réduire ses effectifs. Nous devons donc nous interroger sur la manière d'aider de telles entreprises à développer leur recherche et à investir pour s'adapter à ces changements.
Sur la question du vélo électrique, je suis plus sceptique. Je ne suis pas sûr que les aides de l'État ou des collectivités territoriales incitent les gens à s'équiper pour se rendre sur leur lieu de travail. Certaines en profitent pour acquérir des vélos électriques pour leurs activités de loisir.
Concernant l'hydroélectricité, mon département est le premier ou le deuxième producteur en France. Nous rencontrons actuellement des difficultés avec le renouvellement de concessions des barrages hydroélectriques. Alors que certains concessionnaires seraient prêts à investir et à faire en sorte que ces centrales soient beaucoup plus productives, ils ne le font pas, n'étant pas sûrs de rester les titulaires de leur concession à moyen ou long terme. Nous espérons trouver une solution le plus rapidement possible.
Sur la question des biocarburants, il faudrait s'interroger sur notre capacité à en produire à moindre coût par rapport aux autres pays. Si nous n'en sommes pas capables, nous risquons, à terme, de payer ces biocarburants beaucoup plus chers.
S'agissant des hydrocarbures, je regrette également que nous n'ayons pas eu un débat plus large, qui aille au-delà de la question de l'arrêt de la recherche et de l'exploitation des hydrocarbures d'ici 2040.
S'agissant des milliards d'euros de recettes supplémentaires liées à la taxe carbone, nous devons réfléchir sur les possibilités d'une compensation pour les ménages les plus modestes. Alors que la diminution de cinq euros des APL a été contestée, les médias n'ont pas évoqué l'augmentation de la taxe carbone et du prix des carburants qui touche notamment les familles les moins aisées.
Je suis d'accord avec la proposition de notre collègue Françoise Cartron d'attribuer des primes plutôt que des réductions d'impôts en faveur de la rénovation énergétique. J'y fais d'ailleurs allusion dans mon rapport. Une réflexion a été lancée sur le sujet, en vue de procéder à une réforme en 2019.
Monsieur le Président, je vous remercie d'avoir, avec le bureau de la commission, permis que nous ayons ce débat sur la première partie du projet de loi de finances. Malgré le grand nombre de chiffres que je vous ai présentés, nous avons pu aborder des questions concrètes.
M. Hervé Maurey , président . - Merci, Monsieur le rapporteur, pour cet avis très intéressant. Je rappelle qu'à ce stade vous ne proposez pas d'amendements. Vous en présenterez peut-être sur la deuxième partie, en fonction du vote de l'Assemblée nationale sur le CITE.
Mes chers collègues, je voudrais à nouveau attirer votre attention sur la tribune du journal Le Monde intitulée « Bientôt il sera trop tard ». Je crois que notre commission a vraiment un rôle à jouer pour sensibiliser nos collègues sénateurs ainsi que nos concitoyens dans les territoires.
On dit souvent que les territoires sont exemplaires en matière de développement durable, même s'ils ne le sont pas encore tous. Nous devons donc « faire oeuvre » en la matière. Au sein même de notre assemblée, certains propos tenus la semaine dernière, à l'occasion du débat sur le projet de loi relatif aux hydrocarbures, montrent qu'il y a encore du travail à faire. J'ai entendu à nouveau des propos quasiment climato-sceptiques, alors même qu'il y a deux ans, au moment de la COP 21, il y avait eu unanimité sur la proposition de résolution de notre collègue Jérôme Bignon. Lors du déplacement d'une délégation de la commission à Bonn pour la COP 23, nous avons pu mesurer que le retrait des États-Unis de l'Accord de Paris a eu un impact psychologique négatif sur les autres pays.
Je ne méconnais pas du tout les difficultés que la fiscalité « verte » peut avoir d'un point de vue social dans les territoires. Tout ce que vous avez dit sur le sujet est très juste et il faut trouver des solutions.
Mme Nicole Bonnefoy . - Je partage tout à fait ce que vous venez de dire et cela me fait penser qu'il serait peut-être temps que notre commission n'ait pas uniquement des textes pour avis, mais qu'elle s'en saisisse au fond...
La commission a autorisé la publication du rapport pour avis.