IV. L'AGENCE FRANCE-PRESSE : BOMBE À RETARDEMENT OU CHAMPION FRANÇAIS ?
A. DE LA DIFFICULTÉ À TENIR SON RANG
1. Des aides publiques limitées par le droit européen
a) Un statut désormais conforme aux exigences européennes
L'organisation de l'Agence France-Presse (AFP) est définie par la loi n° 57-32 du 10 janvier 1957 portant statut de l'Agence, récemment modifiée par la loi n° 2015-433 du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse, adoptée à l'unanimité par le Parlement. Cette évolution visait notamment à mettre en conformité le statut de l'AFP avec le droit européen , conformément à la lettre de mesures utiles adressée par la Commission européenne à la France le 27 mars 2014 et acceptée par les autorités françaises.
La loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 avait partiellement anticipé cette réforme en modifiant l'article 13 de la loi du 10 janvier 1957 précitée, qui dispose depuis que : « les ressources de l'Agence France-Presse sont constituées par le produit de la vente des documents et services d'information à ses clients, par la compensation financière par l'État des coûts nets générés par l'accomplissement de ses missions d'intérêt général, telles que définies aux articles 1 er et 2 de la présente loi et par le revenu de ses biens ».
L' inscription de la mission d'intérêt général de l'Agence dans son statut a ouvert la voie de la résolution de la plainte pour aide d'État déposée par une agence de presse allemande auprès de la Commission européenne. Sur ce fondement, la dotation de l'État à l'Agence est, à compter de l'année 2015, composée de deux lignes distinctes : l'abonnement commercial, d'une part, la compensation financière du coût net des missions d'intérêt général, d'autre part. Ainsi, alors que, depuis 1957, l'État était considéré uniquement comme un « service public usager », il dispose depuis 2012 d'une base législative pour verser une subvention compensant le coût net généré par les missions d'intérêt général dévolues à l'Agence.
La loi susmentionnée du 17 avril 2015 apporte trois nouvelles modifications justifiées par la demande de la Commission européenne :
- la mise en oeuvre de modalités de contrôle garantissant que l'État ne surcompense pas financièrement le coût des missions d'intérêt général , sous le contrôle de la commission financière de l'AFP ;
- la fixation, dans la convention d'abonnement entre l'État et l'Agence France-Presse, du nombre, du taux et des conditions de révision des abonnements souscrits par l'État ;
- l'ajout de précisions relatives aux modalités procédurales liées à une éventuelle cessation des paiements de l'AFP , afin d'éviter toute garantie implicite de l'État vis-à-vis des créanciers de l'Agence.
Conformément à la distinction désormais opérée entre compensation des missions d'intérêt général de l'Agence, d'une part, et abonnements de l'État, d'autre part, un contrat d'objectifs et de moyens et une convention d'abonnements sont entrés en vigueur en 2015 et en fournissent le support juridique respectif.
Le contrat d'objectifs et de moyens de l'Agence pour la période 2014-2018 Le 15 juin 2015, l'État et l'AFP ont signé un contrat d'objectifs et de moyens portant sur les années 2014 à 2018. Ce contrat s'inscrit dans un processus de transformation de l'Agence, marqué par la présentation du plan de développement 2014-2018 , qui définit les axes stratégiques pour l'Agence : l'image et en particulier la vidéo, le sport, l'international, la fiabilité numérique et le service aux clients. Le contrat d'objectifs et de moyens, conformément aux exigences européennes, détaille les missions d'intérêt général de l'AFP : l'indépendance et l'exigence de qualité, le maillage international, le caractère permanent de la collecte et du traitement de l'information à destination d'usagers français et étrangers. Les missions ainsi définies recouvrent l'ensemble de la production de l'AFP, tous supports, langues ou zones géographiques confondus. La clarification des relations entre l'État et l'AFP était nécessaire pour sécuriser le financement public de l'Agence, indispensable pour qu'elle puisse exercer ses missions de manière indépendante à l'échelle mondiale. Le contrat d'objectifs et de moyens fixe en outre la trajectoire de soutien de l'État à l'AFP, confirmée chaque année par une convention entre les parties, conformément à la règle de l'annualité budgétaire. Comme pour 2017, le contrat d'objectifs et de moyens prévoit, pour 2018, une dotation de 106,2 millions d'euros en compensation des missions d'intérêt général. La trajectoire ainsi fixée traduit le plan de développement de l'Agence, puisqu'à travers elles l'État et l'AFP s'accordent sur les projets stratégiques de l'Agence : industrialiser les couvertures vidéo en direct, constituer une offre d'infographies interactives, développer des applications sportives innovantes, accroître le rayonnement mondial de l'Agence, renforcer la qualité de service au bénéfice des clients de l'Agence, etc. Le contrat d'objectifs et de moyens précise enfin les engagements de l'AFP en termes de gestion , qui consistent à maintenir un effort permanent d'adaptation et de modernisation de son cadre de gestion (accord d'entreprise, organisation interne, gouvernance des projets, etc.), afin de retrouver une équation économique soutenable. En particulier, l'AFP s'engage sur une hausse des charges d'1 % en moyenne annuelle sur 2014-2018. En 2016, 37 indicateurs ont été atteints sur un total de 48 , contre 33 en 2015, avec cependant de grandes disparités. En particulier, les résultats apparaissent décevants s'agissant du développement de l'offre sportive, de l'amélioration de la situation économique et sur l'enrichissement de la production en image en conséquence des retards pris sur le déploiement du logiciel Iris. Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication |
En réalité, dès 2016, la trajectoire de compensation des missions d'intérêt général s'est éloignée de celle prévue au contrat d'objectifs et de moyens, avec une dotation supplémentaire de 1,6 million d'euros en raison des difficultés rencontrées par l'Agence pour équilibrer son budget dans le contexte de la crise des médias. L' effort accru de l'État s'est poursuivi en 2017 pour accompagner l'Agence dans une période critique de son développement, avec une compensation de 110,8 millions d'euros, à comparer avec les 106,2 millions d'euros prévus. Pour 2018, la dotation s'élève à 109,8 millions d'euros , en baisse d'1 million d'euros mais toujours supérieure de 3,6 millions d'euros au montant prévu au contrat d'objectifs et de moyens.
Parallèlement à l'établissement d'un contrat d'objectifs et de moyens, l'État et l'AFP ont travaillé en 2013 à la refonte des prestations d'abonnement des services publics . L'État a ainsi défini ses besoins de fils d'information, à l'aune des changements survenus dans son organisation et son fonctionnement depuis la mise en place de la convention d'abonnements de 1958. Ces besoins ont été identifiés, administration par administration ; ils correspondent aux fournitures strictement nécessaires au bon fonctionnement de l'État, tant en administration centrale que dans les services déconcentrés.
Au total, plus de 1 100 services de l'État (administrations centrales, services déconcentrés, réseau international) reçoivent les informations de l'AFP. L'abonnement de l'État est valorisé selon les grilles tarifaires de l'Agence, qui y inclut une remise de quantité de 20 %, tenant compte de la masse agrégée de l'ensemble des abonnements de l'État. La valeur annuelle du contrat, intégrant le rabais de quantité, représente 21,6 millions d'euros pour la période 2015-2018 . Ce montant est confirmé par convention annuelle avec l'Agence.
En conséquence, au titre du présent projet de loi de finances, l'AFP recevra une subvention de 131,5 millions d'euros en 2018.
b) Une gouvernance renforcée
La réforme du statut portée par la loi du 17 avril 2015 a également modifié la composition des organes de gouvernance de l'AFP . Le décret n° 2015-721 du 23 juin 2015 en a précisé les modalités d'application.
Aux termes de l'article 4 du statut de l'AFP, le conseil supérieur est composé :
- d'un membre du Conseil d'État en activité, élu par l'assemblée générale du Conseil d'État, président, avec voix prépondérante ;
- d'un magistrat en activité de la Cour de cassation, élu par l'assemblée générale de ladite cour ;
- de deux représentants des directeurs d'entreprises de publications de journaux quotidiens désignés par les organisations professionnelles les plus représentatives ;
- d'un journaliste professionnel désigné par les organisations professionnelles les plus représentatives ;
- d'un représentant des sociétés de l'audiovisuel public ;
- de deux parlementaires désignés, respectivement, par les commissions permanentes chargées des affaires culturelles de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Les mandats des membres du conseil supérieur prendront fin le 9 avril 2018.
Aux termes de l'article 12 du statut de l'AFP, la commission financière comprend trois membres de la Cour des comptes en activité désignés par le premier président, dont l'un préside la commission.
La compensation des missions d'intérêt général ne pouvant en aucune manière dépasser leur « coût net évité » de ces missions, la commission financière établit et calcule un « scénario contrefactuel » dans lequel l'Agence ne serait pas investie desdites missions et n'en supporterait donc ni les charges, ni les produits additionnels. La différence entre le coût dans ce scénario et la réalité établit un « coût net évité », qui détermine le plafond de la compensation.
Des mécanismes de remboursement en cas de surcompensation constatée par la commission financière de l'AFP une fois les comptes de l'année clos et audités sont prévus par le contrat d'objectifs et de moyens, conformément aux engagements pris par l'État envers la Commission européenne. En 2016, la commission financière a constaté l'absence de surcompensation pour l'année 2015, comme en 2017 pour l'exercice 2016.
Enfin, aux termes de l'article 7 des statuts de l'AFP, le conseil d'administration , renouvelé en 2017, comprend en plus du président :
- cinq représentants des directeurs d'entreprises françaises de publication de journaux quotidiens désignés par les organisations professionnelles les plus représentatives ;
- deux représentants de l'audiovisuel public ;
- trois représentants des services publics usagers désignés par le ministre des affaires étrangères, le ministre chargé de la communication et le ministre chargé de l'économie ;
- trois représentants du personnel de l'agence, soit deux journalistes professionnels et un agent appartenant aux autres catégories de personnel ;
- cinq personnalités nommées par le conseil supérieur en raison de leur connaissance des médias et des technologies numériques et de leurs compétences économiques et de gestion, trois d'entre elles au moins possédant une expérience significative au niveau européen ou international.
2. Une concurrence exacerbée dans un marché en crise
a) L'AFP, petit poucet des agences de presse
Lors de son audition, Emmanuel Hoog, président de l'AFP, rappelait à votre rapporteur pour avis combien l'Agence exerçait son activité dans un marché des agences de presse hautement concurrentiel , sans bénéficier, malgré un effort louable de l'État, d'une assise financière aussi solide que ses concurrentes.
L'américaine Associated Press (AP) et la britannique Reuters représentent les concurrents traditionnels de l'AFP. Si Reuters News dispose d'un budget d'environ 300 millions d'euros proche de celui de l'AFP, son appartenance au groupe Thomson Reuters, capitalisé en bourse à une douzaine de milliards d'euros, constitue un solide rempart face aux difficultés financières qui pourraient advenir. Quant à AP, dotée d'un budget annuel de près de 480 millions d'euros, son statut de coopérative tenue par l'ensemble des médias américains lui permet de diluer entre tous ses pertes financières. Toutes deux peuvent en outre bénéficier de crédits privés d'investissements lorsque leur stratégie de développement le nécessite . La situation est quelque peu différente avec les agences de presse russe et chinoise, dont le niveau de financement public est aussi inconnu qu' a priori élevé, ce qui leur permet d'être extrêmement offensives commercialement .
L'AFP pour sa part, compte tenu de son statut juridique sui generis , sans capitaux ni actionnaire , ne peut se financer sur les marchés, tandis que le droit européen lui interdit tout recours aux crédits publics qui n'entrerait pas dans la définition des abonnements commerciaux ou de la compensation des missions d'intérêt général.
L'Agence doit en conséquence développement des trésors d'inventivité pour se maintenir et se développer, dans un contexte où la crise de la presse française atrophie chaque année un peu plus son marché historique . Emmanuel Hoog indiquait ainsi que les contrats français faisaient l'objet, depuis plusieurs années, de renégociations à la baisse tout en s'enrichissant de nouveaux contenus, évaluant sur dix ans le transfert de valeur au profit des éditeurs de presse au gré des remises tarifaires successivement accordées à 10 millions d'euros par an. Désormais, l'Agence met l'accent sur le développement international , qui représente 60 % de ses revenus commerciaux, et sur le corporate. En France, tous les nouveaux clients de l'Agence sont d'ailleurs des entreprises.
b) Des résultats inquiétants
L'AFP continue de subir l' effet de ciseaux diagnostiqué en 2014 par Michel Françaix dans son rapport sur l'avenir de l'AFP, soit :
- une progression modérée mais continue de ses charges , de l'ordre de 1 % par an ;
- une dégradation des ressources liées à ses activités historiques (texte et photo), trop lentement compensée par ses nouvelles recettes (vidéo, sport, web et mobile, nouveaux marchés géographiques), dans un contexte de crise des médias.
De fait, les effets récessifs du marché, qui a continué à se dégrader en 2016, ont des conséquences fort négatives sur le chiffre d'affaires de l'Agence. Les produits d'exploitation bruts, dont la dotation de l'État, s'établissent à 300,5 millions d'euros, en légère croissance de 0,7 % par rapport à 2015, grâce à l'effort réalisé par l'État par rapport à la trajectoire du contrat d'objectifs et de moyens, qui a permis de compenser les moindres performances commerciales. De fait, alors même que 2016 était une année à événements spéciaux, notamment sportifs, les produits commerciaux ont enregistré, à 172,6 millions d'euros, un recul de 300 000 euros.
Recettes commerciales (Hors Etat / Hors ES / Hors AFP-Blue)
en millions d'euros
* 2009-2014 : recettes commerciales corrigées des contrats additionnels Etat.
Source :AFP
Le niveau des recettes et leur évolution varient grandement en fonction des productions et des zones géographiques de commercialisation.
Comptes consolidés au 31 décembre 2016
Comptes consolidés au 31 décembre 2016
Source : AFP
Les charges d'exploitation nettes s'élèvent, pour leur part, à 283,7 millions d'euros , en hausse de 1,6 % en raison de frais engagés pour la couverture des événements spéciaux susmentionnés (missions éditoriales et télécommunication), ainsi que de la croissance tendancielle des frais de personnel.
Charges d'exploitation entre le réalisé 2015 et le réalisé 2016
Source : Réponse au questionnaire budgétaire - PLF 2018
La marge d'exploitation s'établit à 12,5 millions d'euros, en retrait de 14,8 % par rapport à 2015 (2,2 millions d'euros) et de 6,3 millions d'euros par rapport à l'objectif budgétaire à taux de changes comparable, en raison des tensions qui pèsent sur la performance commerciale. Plus inquiétant encore, la baisse de la marge s'accentue par rapport aux années précédentes.
Le constat n'est guère plus réjouissant s'agissant du résultat net , qui s'établit - 5,5 millions d'euros pour un excédent budgété de 1,5 million d'euros. En 2015, il était déjà négatif de 5,1 millions d'euros. Du fait des objectifs commerciaux non atteints - la progression du chiffre d'affaires de la vidéo de 13,3 % n'a pu compenser la perte de plusieurs contrats dont celui de l'agence de presse australienne AAP et la renégociation à la baisse du contrat de Yahoo monde -, de charges exceptionnelles non prévisibles et malgré des efforts en gestion , le résultat net du groupe à fin 2016 est donc encore une fois négatif et s'éloigne un peu plus des prévisions optimistes du contrat d'objectifs et de moyens.
Trajectoire par rapport aux prévisions du contrat d'objectifs et de moyens
Source : AFP
Résultats du groupe AFP en 2016 (en K€)
Recettes commerciales |
172 559,7 |
Abonnements État |
20 540,4 |
Missions d'intérêt général |
107 420,9 |
Produits d'exploitation |
300 520,9 |
Rétrocessions partenaires |
-4 316,3 |
Produits d'exploitation nets |
296 204,6 |
Personnel |
217 020,3 |
Missions éditoriales |
14 219,3 |
Télécommunications |
9 037,7 |
Honoraires & serv. ext. |
7 203,4 |
Achats de services |
7 667,0 |
Frais de fonctionnement |
12 945,9 |
Charges d'exploitation nettes |
283 755,3 |
Marge d'exploitation |
12 449,4 |
Dotations / Reprises |
-13 599,1 |
Résultat financier |
-1 977,5 |
Résultat exceptionnel |
-2 104,1 |
Autres charges et produits h. exploitation |
-251,6 |
Résultat net |
-5 482,9 |
Source : AFP
Le budget de l'Agence en 2017 est, comme elle y est contrainte par son statut, présenté à l'équilibre avec un résultat net de 3 100 euros. Outre les 132,5 millions d'euros de dotation de l'État, les objectifs commerciaux ont été fixés à 172,2 millions d'euros , soit un niveau inférieur que celui de 2016. Pour autant, le début d'année est encourageant, avec un chiffre d'affaires en février supérieur de 2,5 % à celui de la même époque en 2016.
Les charges d'exploitation nettes sont budgétées à 284,8 millions d'euros, contre 283,7 millions d'euros en 2016. Il convient de noter que les charges d'exploitation brutes progressent de près de 1 % par an depuis 2015, conformément au contrat d'objectifs et de moyens, correspondant à une croissance de 1,9 % par an des dépenses de personnels et à un recul de 1,8 % de l'ensemble des autres dépenses d'exploitation.
Le résultat financier est attendu à - 2,3 millions d'euros du fait des charges liées aux emprunts souscrits par l'AFP et AFP Blue : prêt Iris (687 000 euros), prêts AFP Blue (891 000 euros), crédit-bail et avenants (383 000 euros).