D. DÉCHETS ET ÉCONOMIE CIRCULAIRE

1. Les enjeux

Le traitement des déchets est un enjeu sanitaire et environnemental outre-mer , sur des territoires à forte croissance démographique et dont les ratios de production de déchets se rapprochent de la moyenne nationale. Si des progrès importants ont été réalisés depuis une vingtaine d'années, avec la fermeture de nombreuses installations non autorisées, les décharges seront saturées d'ici deux ou trois ans. Rappelons d'ailleurs qu'aucun territoire, hormis la Martinique, n'est doté d'une installation d'incinération ou de méthanisation des déchets, technologie pourtant parfaitement adaptée à l'outre-mer. Si la collecte sélective et le recyclage des déchets montent en puissance, ceux-ci ne sont pas transformés sur place mais sont exportés vers la métropole ou l'étranger, ce qui pose la question du transfert transfrontalier de déchets.

Une note établie en avril 2015 par l'Inspection générale des finances, l'Inspection générale de l'administration, le Conseil général de l'environnement et du développement durable et le Conseil général de l'économie constatait qu'en matière de gestion des déchets outre-mer, il était difficile d'apprécier finement la situation en raison d'un manque de données. Toutefois, la note établissait que la collecte pouvait être fortement optimisée, celle-ci n'ayant pas encore atteint un « régime de croisière ». Ainsi, « si le tonnage total collecté par habitant est aujourd'hui proche en moyenne de celui de la métropole (582,38 kg/hab/an contre 590,19 kg/hab/an), il cache des disparités importantes (La Réunion : 512 kg/hab/an hors déchèteries, Guyane : 374 kg/hab/an) » . De même, le taux de couverture de la population par des déchèteries est de 75,2 % contre 96,6 % en France métropolitaine . Enfin, les installations de traitement ne sont pas suffisamment développées , d'autant plus que le mode de traitement largement majoritaire est le stockage et que la plupart des unités de stockage , à l'exception de celle de Mayotte, sont proches d'atteindre leurs limites de capacité. Ainsi, selon Eco-emballages, le taux de recyclage des déchets d'emballage dans les collectivités ultramarines était de 21 % en 2014 (contre 66 % en moyenne française).

Parallèlement, notre collègue député Serge Letchimy a été chargé par la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, le 4 décembre 2014, d'une mission sur le développement de l'économie circulaire dans les outre-mer . L'objectif, affiché notamment lors de la COP 21, est bien de faire des outre-mer des fers de lance de la transition énergétique. Ce travail a abouti à deux rapports : le premier consacré à la question des véhicules hors d'usage (VHU) ; le second traitant plus généralement des autres déchets, par exemple des bateaux de plaisance hors d'usage (BPHU), des déchets d'emballage, des déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE) et des déchets de textile .

Le premier rapport a souligné les défis économiques, environnementaux ou encore sanitaires que posent les vieux véhicules (outre la pollution, les VHU sont des lieux privilégiés de reproduction de moustiques porteurs du Chikungunya et de la dengue), mais aussi le défi en termes de développement économique. À titre d'exemple, l'absence de débouchés pour ces territoires de petite taille ou à la démographie faible obère toute chance d'implanter des installations lourdes rentables comme des cimenteries ou des aciéries.

Le second rapport, remis au Gouvernement en février 2016, a souligné une sous-exploitation du potentiel de développement des filières de recyclage outre-mer. Concernant ainsi la collecte des déchets d'équipements électriques et électroniques (D3E), les taux faibles de collecte s'expliquent de plusieurs manières : la pratique de livraison à domicile de l'appareil électro-ménager neuf avec reprise de l'ancien n'est ainsi pas habituelle outre-mer, tandis qu'une proportion non négligeable de distributeurs ne proposeraient pas de dispositifs de collecte et que les déchetteries, on l'a vu, sont peu nombreuses, notamment à Mayotte et en Guyane. Des problèmes similaires existent dans les filières meubles et textiles, peu structurées.

2. Les dispositions du projet de loi

Le projet de loi comporte deux articles relatifs à la gestion des déchets.

L'article 22 , inséré en commission à l'initiative du député Philippe Naillet (La Réunion, SER), vise à assurer les conditions qui permettent aux collectivités et départements d'outre-mer d'atteindre les objectifs nationaux d'orienter 75 % des déchets d'emballages ménagers et des papiers vers les filières de recyclage. Cet article n'emporte pas de réel effet, puisqu'il inscrit en réalité dans la loi le principe d'actions et de soutiens spécifiques dans les outre-mer pour améliorer l'efficacité des filières de recyclage dites REP. Il complète l'article 46 du Grenelle I qui fixait des objectifs en la matière, mais ce qu'il prévoit a d'ores et déjà été pris en compte par les nouveaux cahiers des charges des éco-organismes des filières papier et emballages prévus par les arrêtés du 21 octobre et du 2 novembre 2016. Ces cahiers des charges prévoient bien des actions spécifiques pour le traitement de ces déchets et l'efficacité des filières REP outre-mer.

L'article 24 bis , inséré en séance publique à l'initiative du Gouvernement, prévoit que « dans les collectivités et départements d'outre-mer, le plan (régional de prévention des déchets) inclut un plan de développement de la valorisation énergétique des déchets, au regard des contraintes énergétiques qui sont propres à ces territoires et dans le respect de la hiérarchie des modes de traitement des déchets. »

Il est ainsi précisé :

- que la planification du développement de la valorisation énergétique des déchets proposée doit s'inscrire dans le cadre de la directive cadre européenne sur les déchets, pour garantir la légalité de la mesure ;

- et que cette réflexion doit s'inscrire, pour assurer la cohérence et minimiser le travail administratif, dans le cadre de l'élaboration du plan régional de prévention et de gestion des déchets.

3. Quelques exemples d'initiatives sur les territoires

En premier lieu, votre rapporteur pour avis souligne la remise par l'Ademe, le 21 juillet dernier, des conclusions de la mission d'accompagnement du déploiement des filières dites à responsabilité élargie des producteurs (REP) dans les territoires d'outre-mer et de la promotion d'une économie circulaire de proximité. Confirmant que le déploiement des filières REP en outre-mer est confronté à de multiples freins structurels et entravé par le caractère faible et dispersé des gisements, le rapport propose d'intensifier la concertation filières-territoires, de mettre en oeuvre des solutions de proximité, de mutualiser les moyens, de trouver des synergies inter-filières REP ou/et inter-territoires ultra-marins.

En deuxième lieu, il convient d'encourager les initiatives locales, comme celle du couplage de l'incinération des déchets et du dessalement à Saint-Barthélemy, dont les membres du groupe de travail de votre commission sur les outre-mer face au changement climatique avaient présenté les caractéristiques lors de leur retour de mission en juillet 2015. Ainsi, l'unité de dessalement thermique, appelé Multi Effect Distillation (MED), est couplée à l'usine d'incinération d'ordures ménagères, qui lui assure sa source d'énergie principale, c'est à dire la production de vapeur. Cette technique, particulièrement innovante, est très économe en utilisation d'énergie fossile et permet simultanément une valorisation du traitement des déchets. Saint Barthélemy a été la première île à utiliser ce procédé novateur et respectueux de l'environnement. Un accroissement de la valorisation énergétique des déchets, en augmentant le recours aux combustibles solides de récupération (CSR) permettrait ainsi de conforter l'économie circulaire outre-mer.

Enfin, en troisième lieu, la coopération régionale en matière de gestion des déchets afin d'homogénéiser les pratiques entre territoires voisins.

En conclusion, votre rapporteur pour avis propose à votre commission d'émettre un avis favorable à l'adoption du projet de loi . Il n'en demeure pas moins dubitatif sur l'efficacité d'un tel empilement de mesures peu normatives, souvent illisibles, n'emportant pas d'effet juridique et surtout, consacrant une trop faible part aux enjeux de développement durable et d'aménagement du territoire. Il y a près de 35 ans, s'exprimant dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à la commémoration de l'abolition de l'esclavage, le 17 novembre 1982, Aimé Césaire appelait chacun à « se rappeler que le combat, le séculaire combat pour la liberté, l'égalité et la fraternité, n'est jamais entièrement gagné, et que c'est tous les jours qu'il vaut la peine d'être livré » . Telle doit être notre ambition partagée. Et cette dernière ne saurait se contenter de mots et concepts creux, qui masquent une absence de volonté de changement.

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