B. LA NÉCESSITÉ D'UNE RÉFLEXION À LONG TERME EN VUE D'UN FINANCEMENT STRUCTUREL
1. Les nombreuses pistes déjà étudiées
Depuis plusieurs années déjà, le constat est clair et unanime : le dispositif d'aide juridictionnelle nécessite l'engagement d'une réforme d'ampleur. Diverses propositions ont été formulées, notamment par nos collègues Sophie Joissains et Jacques Mézard, dans leur rapport d'information intitulé « Aide juridictionnelle : le temps de la décision » 102 ( * ) .
En 2016, Mme Christiane Taubira, alors garde des sceaux, avait dû renoncer, devant la protestation des barreaux, à créer une nouvelle recette affectée au Conseil national des barreaux (CNB). Celle-ci aurait été constituée d'une partie des produits financiers perçus par les avocats sur les fonds de leurs clients déposés sur les comptes qu'ils détiennent, à cet effet, auprès des caisses des règlements pécuniaires entre avocats (CARPA) constituées, en principe, auprès de chaque barreau. La ressource escomptée devait être de 5 millions d'euros en 2016 et de 10 millions d'euros en 2017, c'est-à-dire relativement modeste et peu dynamique compte tenu du taux de rémunération de ces fonds 103 ( * ) .
Tous les barreaux se sont vivement opposés à ce dernier prélèvement, qu'ils ont assimilé à une taxe sur leur profession. En effet, même si les « fonds CARPA » n'appartiennent pas aux avocats, puisqu'il s'agit des fonds de leurs clients, les produits financiers perçus sur ces fonds sont actuellement affectés au financement des barreaux, qu'il s'agisse des dépenses liées à la gestion de l'aide juridictionnelle, ou de celles liées à la formation initiale des avocats ou à l'action sociale entre avocats.
La voie d'une participation financière des avocats est ainsi pour l'instant abandonnée, en vertu de l'idée selon laquelle une profession ne doit pas être taxée pour financer la prestation qu'elle accomplit. Pour la même raison, l'idée d'une taxation du chiffre d'affaires des cabinets d'avocats rencontrerait la même opposition.
Le financement par les justiciables, via la contribution pour l'aide juridique (CPAJ) de 35 euros, a également été supprimé au 1 er janvier 2014. Cette contribution avait rapporté 51 et 54 millions en 2012 et 2013. Plusieurs rapports ont également suggéré une piste proche, qui pourrait être à nouveau explorée, celle d'une contribution pour la seule partie perdante par exemple.
Enfin, sur le fonctionnement de l'aide juridictionnelle, se pose également la question du renforcement par les bureaux d'aide juridictionnelle de l'examen du bien-fondé des recours et du contrôle effectif des ressources du demandeur et, plus largement, de l'amélioration de la gestion du dispositif à droit inchangé.
Lors de son audition par votre commission sur le projet de loi de finances pour 2017, le garde des sceaux , M. Jean-Jacques Urvoas , a indiqué à votre rapporteur pour avis qu' « il ne relancerait pas la réforme de l'aide juridictionnelle », « difficile » en raison « de la pluralité d'interlocuteurs » représentant les avocats. Il a précisé que l'hypothèse d'une nouvelle taxe affectée n'avait pas été retenue mais « qu'une évolution du système [était] toutefois nécessaire ».
2. Vers une contribution de l'ensemble des professionnels du droit au financement de l'aide juridictionnelle ?
Lors de leur audition par votre rapporteur pour avis, les représentants des huissiers de justice ont souhaité rappeler leur contribution actuelle au bon fonctionnement de l'aide juridictionnelle, notamment grâce à la taxe forfaitaire sur les actes d'huissiers, qui fait l'objet d'une nouvelle augmentation en 2017, prévue par la loi de finances pour 2016 104 ( * ) . Toutefois, cette taxe, auparavant affecté au CNB pour le financement de l'aide juridictionnelle 105 ( * ) , ne l'est plus depuis le 1 er janvier 2016.
Les notaires ont également indiqué leur souhait d'être associés à une réflexion sur l'aide juridique au sens large, au-delà du dispositif de l'aide juridictionnelle, mettant en avant leur rôle de maillon de l'accès au droit sur le territoire.
Cette contribution des autres professions du droit au financement de l'aide juridictionnelle pose cependant la question de la participation des avocats qui ne pratiquent pas l'aide juridictionnelle, à ce même financement. En effet, moins de la moitié des avocats (41 %) accomplit effectivement des prestations d'aide juridictionnelle et seulement 16 % accomplissent 84 % de l'ensemble des missions. Il n'existe pas, pour les avocats, d'obligation d'aide juridictionnelle, comme il existe, pour les médecins exerçant à titre libéral, une obligation de garde 106 ( * ) .
Une autre piste possible est celle d'une taxe perçue sur certains actes juridiques. Cette piste, proposée par le CNB, a été reprise par nos collègues Sophie Joissains et Jacques Mézard. Il s'agirait de faire payer les clients des professionnels du droit. La question a été débattue entre ces professions qui s'interrogeaient sur l'assiette à retenir.
Une réflexion sur le renforcement du principe de subsidiarité 107 ( * ) entre les contrats de protection juridique et l'aide juridictionnelle peut également constituer, pour les acteurs du droit et les pouvoirs publics, un axe de réflexion. Toutefois, le public des bénéficiaires potentiels de l'aide juridictionnelle et celui des détenteurs d'un tel contrat ne se recoupent, selon votre rapporteur pour avis, sans doute qu'assez partiellement. Dans les faits, la subsidiarité est rarement mise en oeuvre. D'où l'idée d'une plus grande mise à contribution des assureurs, au titre des taxes existantes.
Enfin, le fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice (FIADJ), créé par la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques 108 ( * ) , qui avait vocation à compléter le financement de l'aide juridictionnelle, ne constitue, pour l'instant, qu'une réponse théorique. À ce jour, le FIADJ a reçu compétence par décret pour octroyer des aides à l'installation ou au maintien des professionnels du droit 109 ( * ) , mais aucune disposition ne concerne pour l'instant l'aide juridictionnelle.
Votre rapporteur pour avis constate que la réforme attendue de l'aide juridictionnelle n'a toujours pas eu lieu, et qu'une nouvelle fois, un gouvernement propose une solution transitoire qui n'assure pas la pérennité financière d'un dispositif pourtant absolument nécessaire dans le cadre de l'État de droit.
La réflexion à conduire sur l'aide juridictionnelle dépasse bien évidemment le cadre d'un avis budgétaire et la mission d'information sur le redressement de la justice créée au sein de votre commission en juillet 2016, devrait, notamment sur ce sujet, formuler des propositions au premier trimestre 2017.
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Au bénéfice de l'ensemble de ces observations et de ces réserves, la commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice », ainsi qu'à l'article 57 du projet de loi de finances qui lui est rattaché.
* 102 Les deux plus récents sont ceux du groupe de travail de votre commission des lois, présentés par nos collègues Sophie Joissains et Jacques Mézard (« Aide juridictionnelle : le temps de la décision », rapport d'information n° 680 (2013-2014), fait au nom de la commission des lois déposé le 2 juillet 2014. Ce rapport est disponible à l'adresse suivante : www.senat.fr/notice-rapport/2013/r13-680-notice.html) et celui commandé par la garde des sceaux, Mme Christiane Taubira, à notre collègue député, Jean-Yves Le Bouillonnec, « Financement et gouvernance de l'aide juridictionnelle. À la croisée des fondamentaux. Analyse et propositions d'aboutissement », septembre 2014.
* 103 La recette tirée de ces fonds représenterait entre 30 et 40 millions d'euros selon les années, correspondant à un rendement de 1 %.
* 104 Article 302 bis Y du code général des impôts : « Les actes des huissiers de justice sont soumis à une taxe forfaitaire de 13,04 euros pour les actes accomplis à compter du 1 er janvier 2016 et 14,89 euros pour les actes accomplis à compter du 1 er janvier 2017. »
* 105 Cf. supra.
* 106 Cette obligation de garde est fondée sur l'article 77 du code de déontologie médicale (R. 4127-77 du code de la santé publique) qui dispose qu'« il est du devoir du médecin de participer à la permanence des soins dans le cadre des lois et des règlements qui l'organisent ».
* 107 Le principe de la loi de n° 91-647 du 10 juillet 1991 précitée énonce à son article 5 que « L'aide juridictionnelle n'est pas accordée lorsque les frais couverts par cette aide sont pris en charge au titre d'un contrat d'assurance de protection juridique ou d'un système de protection. »
* 108 Article 50 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques .
* 109 Décret n° 2016-230 du 26 février 2016 relatif aux tarifs de certains professionnels du droit et au fonds interprofessionnel d'accès au droit et à la justice (FIADJ).