INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Comme les années précédentes, le présent rapport pour avis n'est consacré qu'à une partie des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ». Il ne porte en effet que sur trois des quatre actions que comporte le programme 303 « Immigration et asile », à savoir « Circulation des étrangers et politique des visas », « Lutte contre l'immigration irrégulière » et « Soutien ». Il s'attache en revanche à l'intégralité du programme 104 « Intégration et accès à la nationalité ». Les crédits dédiés à la garantie du droit d'asile font, quant à eux, l'objet d'un rapport spécifique de notre collègue Esther Benbassa.

Pour la deuxième année consécutive, le projet de loi de finances pour 2017 fait apparaître une hausse des crédits consacrés à la politique d'immigration et d'intégration . Se confirme ainsi la rupture d'avec les années antérieures qui voyaient ces crédits amputés au profit des montants dédiés au financement de l'asile. Pour autant, cette politique d'immigration et d'intégration demeure le parent pauvre de cette mission budgétaire .

En effet, si, à première vue, ces crédits semblent connaître une très forte croissance (+ 77,3 % en autorisations d'engagement - AE - et + 78,3 % en crédits de paiement - CP -), il faut se garder de conclusions trop hâtives.

Tout d'abord, les dépenses hors asile de la mission correspondent à seulement 31 % des crédits de la mission , les crédits dédiés à la politique d'immigration régulière et d'intégration n'en représentant que 21 %, comme l'indique le diagramme ci-dessous.

Répartition des crédits de la mission par grands thèmes

Source : commission des lois du Sénat

Or, parmi ces derniers crédits se trouvent ceux affectés à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Acteur historique de l'intégration, cet opérateur a vu ses missions profondément modifiées et largement réorientées vers l'accueil des demandeurs d'asile à la faveur de la réforme du droit d'asile par la loi du 29 juillet 2015 et, dans une moindre mesure, par la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

Si votre rapporteur salue les efforts consentis par le Gouvernement sur cette mission, il s'interroge toutefois sur l'efficacité de la lutte contre l'immigration irrégulière et déplore l'insuffisance des crédits dédiés à la politique d'immigration et d'intégration.

Évolution des crédits consacrés à la politique d'immigration
et d'intégration en loi de finances initiale

LFI pour 2016

PLF pour 2017

Variation en %

AE

CP

AE

CP

AE

CP

303 - Immigration et asile

111 820 609 €

111 236 527 €

119 846 207 €

120 746 357 €

+ 7,2

+ 8,5

01 - Circulation des étrangers et politique des visas

565 000 €

565 000 €

520 000 €

520 000 €

- 8

- 8

03 - Lutte contre l'immigration irrégulière

79 880 082 €

79 956 000 €

92 517 850 €

92 657 350 €

+ 15,8

+ 15,9

04 - Soutien

31 375 527 €

30 715 527 €

26 808 357 €

27 569 007 €

- 14,6

- 10,2

104 - Intégration et accès à la nationalité française

95 609 213 €

95 463 298 €

247 840 000 €

247 900 000 €

+ 159,2

+ 159,7

11 - Accueil des étrangers primo-arrivants

40 635 798 €

40 635 798 €

181 900 000 €

181 900 000 €

+ 347,6

+ 347,6

12 - Actions d'accompagnement des étrangers en situation régulière

24 538 500 €

24 538 500 €

29 731 000 €

29 731 000 €

+ 21,2

+ 21,2

14 - Accès à la nationalité française

1 204 515 €

1 058 600 €

945 600 €

1 005 600 €

- 21,5

- 5

15 - Accompagnement des réfugiés

20 243 400 €

20 243 400 €

26 725 400 €

26 725 400 €

+ 32

+ 32

16 - Accompagnement du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants

8 987 000 €

8 987 000 €

8 538 000 €

8 538 000 €

- 5

- 5

Total hors Garantie du droit d'asile

207 429 822 €

206 699 825 €

367 686 207 €

368 646 357 €

+ 77,3

+ 78,3

Source : commission des lois du Sénat à partir du projet annuel de performances
annexé au projet de loi de finances pour 2017

I. MALGRÉ LA HAUSSE DES CRÉDITS DÉDIÉS ET UNE RECHERCHE INCONTESTABLE D'EFFICIENCE, DES INTERROGATIONS PERSISTANTES SUR L'EFFICACITÉ DE LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE

Les crédits dédiés à la lutte contre l'immigration irrégulière au sein de la mission « Immigration, asile et intégration » connaissent une augmentation, alors même que les efforts de rationalisation de ces dépenses se poursuivent. Cela témoigne de la volonté du Gouvernement d'éloigner davantage d'étrangers en situation irrégulière.

Cependant, les instruments proposés par le projet annuel de performances se révèlent insuffisants pour évaluer l'efficacité de la politique de lutte contre l'immigration irrégulière en raison du défaut de vision globale des crédits engagés dans cette politique, d'une part, et du manque d'indicateurs pertinents, d'autre part.

A. UNE VOLONTÉ AFFICHÉE D'AUGMENTER LE NOMBRE D'ÉLOIGNEMENTS

Au sein de la mission « Immigration, asile et intégration », les crédits dédiés à la lutte contre l'immigration irrégulière sont pour l'essentiel portés par l' action n° 3 du programme 303 .

Avec 92,5 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 92,7 millions d'euros en crédits de paiement (CP) , ses crédits représentent 9,9 % des crédits du programme et sont en augmentation de près de 16 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2016. Par rapport à l'exécution 2015, l'augmentation n'est toutefois que d'environ 8 % en autorisations d'engagement tandis que les crédits de paiement baissent de 1,5 %.

Contrairement à ce qu'affirme le projet annuel de performances, l'action n° 3 ne regroupe que les crédits nécessaires à la mise en oeuvre de l'éloignement contraint des étrangers en situation irrégulière , à l'exclusion notable toutefois des dépenses de personnel. Elle ne comprend donc que les dépenses afférentes à la préparation à l'éloignement selon les deux modalités de la rétention et de l'assignation à résidence, et les dépenses d'éloignement proprement dit.

L'augmentation globale des crédits de cette action masque des disparités importantes selon les postes budgétaires, dont certains font l'objet d'une réelle rationalisation. Cette augmentation est, en réalité, principalement le fait du poste de la prise en charge sanitaire qui croît de 14,2 millions d'euros correspondant en quasi-totalité au financement des camps pour l'accompagnement et la prise en charge des migrants à Calais et Dunkerque , selon le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2017 2 ( * ) . Pour le reste, elle témoigne néanmoins de l' effort accru d'éloignement de ressortissants de pays tiers.

1. Une sous-occupation persistante du parc de rétention administrative en dépit des efforts de rationalisation

La rétention administrative est mise en oeuvre au travers de deux dispositifs : les centres de rétention administrative (CRA) et les locaux de rétention administrative (LRA). Y sont assimilés, du point de vue budgétaire, les dépenses engagées pour la zone d'attente des personnes en instance (ZAPI) de Roissy.

Les crédits dédiés à la rétention administrative se répartissent en :

- dépenses de fonctionnement dit « hôtelier » comprenant les prestations de restauration, de blanchisserie, de maintenance préventive et curative des locaux, de sécurité incendie, d'entretien immobilier ; selon le projet annuel de performances, le projet de loi de finances pour 2017 ramènerait ces crédits à 19 millions d'euros, ce qui marquerait un retour au niveau de ceux de la loi de finances initiale pour 2015 ;

- dépenses d'investissement pour un montant de 3,1 millions d'euros en AE et 3,3 millions d'euros en CP pour financer des travaux de mise en conformité et d'accessibilité de plusieurs CRA, ainsi que la création de nouvelles places dans les CRA de Lille-Lesquin et Coquelles ;

- dépenses d'intervention pour la prise en charge sanitaire (8 millions d'euros en AE=CP) et l'accompagnement social, que ce soit sous la forme d'assistance humanitaire à la zone d'attente de Roissy ou sous celle d'une assistance juridique en CRA (6,3 millions d'euros en AE=CP).

Au total, les dépenses consacrées à la rétention se monteront donc en 2017 à plus de 36 millions d'euros en AE et 33,6 millions en CP , soit une baisse de 3 % en AE et de 11,75 % en CP par rapport à la loi de finances initiale pour 2016.

Après des efforts portés sur les dépenses de fonctionnement via la mutualisation des marchés de blanchisserie, nettoyage et restauration à partir de 2013, ainsi que la réorganisation de l'assistance juridique par une mise en concurrence, les efforts de rationalisation des dépenses se portent désormais sur le parc immobilier lui-même . Une étude réalisée par le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) en 2015 a conduit à l'élaboration d'un référentiel immobilier de prestations et de marchés qui comprend en particulier un concept de construction dont le Gouvernement attend des économies substantielles tant en investissement (jusqu'à 500 000 euros pour chaque construction nouvelle) qu'en fonctionnement (jusqu'à 20 % d'économie).

Si votre rapporteur salue ces efforts de rationalisation, il continue de s'interroger toutefois sur la sous-occupation chronique des CRA. Certes les taux d'occupation connaissent depuis quelques années une amélioration, cependant ce taux n'était encore que de 52,5 % au 1 er semestre 2016, avec de fortes disparités selon les CRA : autour de 89 % pour les CRA de Paris mais seulement 35,6 % au CRA de Metz et 14,9 % au CRA d'Hendaye sur la même période.

Or les dépenses liées aux CRA sont largement composées de frais fixes , comme le rappellent régulièrement les documents budgétaires. C'est pourquoi l'optimisation des capacités de ces CRA , passant en particulier par la transformation de places pour les familles en places pour personnes isolées, telle qu'elle était annoncée dans le cadre du Plan Migrants de l'été 2015, devrait être accélérée .

2. L'assignation à résidence : un dispositif en développement

L'assignation à résidence s'effectue soit au domicile de la personne concernée, soit dans un lieu déterminé par l'autorité administrative 3 ( * ) . Elle n'apparaît dans les comptes de l'État que dans ce second cas et figure au sein de l'action n° 3 du programme 303, sans être formellement distinguée des dépenses liées aux dispositifs de rétention.

L'assignation à résidence prenait traditionnellement la forme de placements en structures hôtelières en pension complète. Depuis 2015, elle peut également s'effectuer en structures associatives à titre onéreux, dans le cadre de l'expérimentation de « centres de retour ».

L'expérimentation des centres de retour

Lancée en avril 2015, l'expérimentation d'un centre de retour pour étrangers déboutés de leur demande d'asile à Vitry-sur-Orne, en Moselle, s'inspire du dispositif belge des « maisons de retour » 4 ( * ) .

Ce dispositif est proposé à des familles qui se sont vu refuser une protection internationale et ne peuvent prétendre rester sur le territoire pour un autre motif.

Hébergées dans un ancien foyer de travailleurs migrants géré par la société mixte ADOMA sous le régime de l'assignation à résidence, ces familles reçoivent régulièrement la visite d'agents de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui ont pour mission de les convaincre de rentrer dans leur pays d'origine et de leur proposer, le cas échéant, l'aide au retour. La gendarmerie se rend sur place une fois par semaine pour assurer le pointage des familles hébergées.

Initialement de 40 places, le centre a vu sa capacité doublée en juin 2016.

À ce jour, le bilan de l'expérimentation fourni par le ministère de l'intérieur est le suivant.

Depuis son ouverture, 61 familles représentant un total de 236 étrangers déboutés du droit d'asile ont été accueillies dans le dispositif. 51 familles, représentant un total de 188 personnes, en étaient sorties au 21 septembre 2016 et 10 familles représentant un total de 48 personnes s'y trouvaient.

Sur les 188 personnes sorties du dispositif :

- 36 familles, représentant un total de 135 personnes (72 %), ont quitté le territoire dont :

• 28 familles, représentant un total de 99 personnes (53 %), ont accepté l'aide au retour ;

• 8 familles, représentant un total de 36 personnes (19 %), ont été éloignées de manière contrainte ;

- 11 familles, représentant un total de 37 personnes (20 %), sont déclarées en fuite ;

- 4 familles représentant un total de 16 personnes (8 %) ont été retirées du dispositif pour des raisons médicales.

Ce bilan a été jugé suffisamment satisfaisant pour que soit engagée une démarche d'ouverture d'autres dispositifs de préparation au retour sur le territoire métropolitain.

Source : commission des lois du Sénat à partir des éléments fournis
par la direction générale des étrangers en France (DGEF)

Le recours à l'assignation à résidence a connu un essor certain depuis la mise en oeuvre de la circulaire du 6 juillet 2012 visant à généraliser l'assignation à résidence comme alternative au placement en rétention administrative dans le cas de familles avec enfant mineur 5 ( * ) . La loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France devrait encore renforcer ce phénomène dans la mesure où elle a érigé l'assignation à résidence en règle et fait de la rétention administrative l'exception. Cependant, les nouveaux outils mis à disposition des préfectures pour améliorer l'efficacité de l'éloignement en cas d'assignation à résidence et favoriser le recours à cet instrument juridique (recours à la force publique pour les escortes au consulat, visite domiciliaire) ne sont entrés en vigueur qu'au 1 er novembre 2016 faute de décret d'application pris avant cette date. Fin août 2016, la rétention administrative représentait 83,72 % des mesures prononcées à l'encontre d'étrangers en instance d'éloignement, l'assignation à résidence 16,28 %.

Part respective de l'assignation à résidence et de la rétention administrative
dans les décisions préfectorales

Mesure ordonnée

2013

2014

2015

Cumul à fin août 2014

Cumul à fin août 2015

Cumul à fin août 2016

Assignation à résidence

1 618

6,27%

2 998

10,70%

4 020

13,28%

1 843

10,03%

2 671

13,44%

2 887

16,28%

Rétention administrative

24 173

93,73%

25 016

89,30%

26 261

86,72%

16 534

89,97%

17 198

86,56%

14 849

83,72%

Source : commission des lois du Sénat d'après les réponses fournies au questionnaire budgétaire

Si les crédits dédiés à l'assignation à résidence ne peuvent être aisément retracés au sein des dépenses de fonctionnement de l'action n° 3, les documents budgétaires montrent une hausse régulière et importante de ces crédits : après avoir connu une croissance de plus de 123 % en 2013, puis de 40 % en 2014 avec 0,66 million d'euros, ils ont atteint 0,97 million d'euros en exécution 2015 6 ( * ) . Le projet annuel de performances indique, quant à lui, que ce poste sera de 1,5 million d'euros en 2017 .

À ce premier montant doit être ajouté, au titre des dépenses d'intervention, 1,8 million d'euros pour financer environ 180 places dans les dispositifs de préparation au retour pour accompagner des demandeurs d'asile déboutés, après 1,9 million d'euros pour 200 places budgété dans le projet de loi de finances pour 2016. Ce montant correspond à un prix de journée de 27 euros. 0,56 million d'euros servirait à financer l'expérimentation lancée en Moselle et 1,24 million d'euros pour d'autres dispositifs en cours de développement.

La rétention administrative et l'assignation à résidence ne concernent pas les mêmes publics, les personnes placées en rétention n'offrant pas les garanties de représentation 7 ( * ) exigées pour être assignées à résidence. Aussi la comparaison des prix de journée ne fait-elle guère sens, la différence résidant pour l'essentiel dans les coûts de personnel affecté à la surveillance des personnes retenues.

En revanche, une comparaison des prix de journée entre les différents dispositifs d'assignation à résidence (hébergement hôtelier avec accompagnement social ou centre de retour) mis en regard des taux d'éloignement effectif serait un indicateur intéressant pour évaluer l'expérimentation des centres de retour avant de la généraliser le cas échéant.

3. Une priorité à l'éloignement vers les pays tiers qui renchérit les coûts

Les crédits consacrés à l'éloignement des migrants en situation irrégulière progressent de 10,6 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2016 pour atteindre 33 286 000 euros.

Là encore le Gouvernement met en avant ses efforts de rationalisation. La hausse des postes de billetterie centrale et des aéronefs directement affrétés par le ministère de l'intérieur pour procéder aux éloignements s'expliquerait donc essentiellement par l'augmentation du nombre d'éloignements, mais également par la priorité donnée aux éloignements hors Union européenne . Le projet annuel de performances fixe en effet un objectif de 45 % des retours hors Union européenne.


* 2 À la suite du démantèlement de la « jungle » de Calais, ces montants seraient utilisés pour accompagner la reconversion des associations sur place et le reliquat serait affecté à d'autres actions au sein du programme, selon M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial de la commission des finances du Sénat. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/commission/fin/pjlf2017/np/np15/np152.html#toc64

* 3 Les personnes ne disposant pas d'un hébergement stable, décent et légal doivent se voir proposer un hébergement dans une structure de type hôtelier. Les nuitées et les repas sont alors pris en charge, conformément à une circulaire du 9 juillet 2013.

* 4 Votre rapporteur avait pris connaissance de ce dispositif à l'occasion de la mission sur les centres de rétention administrative. Cf. La rétention administrative : éviter la banalisation, garantir la dignité des personnes , rapport d'information n° 773 (2013-2014) de Mme Éliane Assassi et M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/r13-773/r13-7736.html#toc88

* 5 Circulaire n° NOR INTK1207283C du 6 juillet 2012 relative à la mise en oeuvre de l'assignation à résidence prévue à l'article L. 561-2 du CESEDA, en alternative au placement des familles en rétention administrative sur le fondement de l'article L. 551-1 du même code.

* 6 Cf. rapports annuels de performances annexés aux projets de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes pour les années 2013, 2014 et 2015.

* 7 Garanties fondées sur des documents écrits (justificatif de domicile, livret de famille...) démontrant que l'étranger ne va pas se soustraire à l'assignation à résidence.

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