LES AIDES FISCALES ET LE SOUTIEN AU PLURALISME : LES POUMONS DE LA PRESSE
II. LES AIDES FISCALES ET LE SOUTIEN AU PLURALISME : LES POUMONS DE LA PRESSE
A. UN SOUTIEN INDIRECT ESSENTIEL
1. Le taux réduit de TVA applicable à la presse : un socle indispensable
Le taux « super-réduit » de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), réservés depuis 1977 aux quotidiens et assimilés, a été étendu à l'ensemble des titres ayant obtenu un numéro d'inscription auprès de la commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) à partir du 1 er janvier 1989, par la loi n° 87-1060 du 30 décembre 1987 de finances pour 1988. En sont exclues les publications violentes ou pornographiques, non reconnues par la CPPAP et taxées en conséquence au taux normal de TVA.
Le taux applicable aux bénéficiaires du dispositif est codifié à l'article 298 septies du code général des impôts : les ventes, commissions et courtages portant sur les publications de presse sont soumis à la TVA au taux de 2,1 % dans les départements métropolitains, y compris la Corse, et de 1,05 % dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion. Il n'existe pas de TVA en Guyane.
Environ 1 750 entreprises de presse bénéficient de ce dispositif , dont le coût, équivalant à l'imposition des publications au taux de 2,1 % comparée à l'assujettissement au taux réduit, est évalué à 165 millions d'euros pour 2017, soit la principale masse financière des aides à la presse .
Par ailleurs, en application du principe consacré par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) de neutralité fiscale et afin de ne pas entraver le développer numérique des éditeurs, le taux de TVA « super-réduit » a été étendu, à compter du 1 er février 2014, aux services de presse en ligne par la loi n° 2014-237 du 27 février 2014 harmonisant les taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne.
La directive 2006/112/CE relative au système commun de TVA dresse, dans son l'annexe III, une liste limitative les biens et services éligibles à un taux réduit de TVA : les livres (livraison et location) et produits assimilés tels que les journaux et périodiques, la réception de services de radiodiffusion et de télévision, les prestations de services fournies par les écrivains, compositeurs et interprètes et les droits d'auteur qui leur sont dus. Néanmoins, « les taux réduits ne sont pas applicables aux services fournis par voie électronique ».
Aussi la Commission européenne considère-t-elle de manière constante que les services culturels en ligne (livre numérique, presse en ligne, vidéo à la demande, musique en ligne) sont exclus par la réglementation communautaire du bénéfice d'un quelconque taux de TVA minoré. Elle a en conséquence estimé que l'application par la France du taux réduit de TVA au livre homothétique et du taux « super réduit » à la presse en ligne contrevenait au droit de l'Union européenne . La CJUE a confirmé cette interprétation s'agissant du livre numérique dans son arrêt du 5 mars 2015.
Par ailleurs, le 10 juillet 2014, la Commission européenne a adressé à la France une mise en demeure relative au taux « super réduit » sur la presse en ligne, à laquelle il a été répondu en septembre de la même année. À ce jour, la France n'a pas reçu d'avis motivé.
Il semblerait en effet que, devant la mobilisation de nombreux États membres en faveur de la neutralité fiscale sur les biens et services culturels , la Commission européenne envisage de prochainement réviser la directive 2006/112/CE . Ainsi, dans sa communication du 6 mai 2015 sur la stratégie pour un marché unique du numérique en Europe, a-t-elle annoncé qu'elle « se penchera sur la question du traitement fiscal de certains services électroniques tels que les livres électroniques et les publications en ligne dans le cadre de la réforme générale sur la TVA ». Puis, le 7 avril 2016, la Commission européenne a adopté un plan d'action sur la TVA, qui annonce des propositions d'initiatives sur les taux réduit des publications électroniques en 2016. Afin de préparer cette initiative, une consultation publique a été lancée à l'été avec une date de clôture fixée le 19 septembre 2016 . Des mesures concrètes devraient dès lors être prises dans les semaines à venir, ce dont votre rapporteur pour avis se réjouit.
2. Des dispositifs ciblés en faveur de la presse d'information politique et générale
a) Pour encourager l'investissement des entreprises de presse
Aux termes de l'article 39 bis A du code général des impôts, les entreprises exploitant soit un journal quotidien, soit une publication de périodicité au maximum mensuelle consacrée pour une large part à l'information politique et générale, soit un service de presse en ligne, reconnu par la CPPAP et consacré pour une large part à l'information politique et générale, sont autorisées à constituer une provision déductible du résultat imposable, en vue de faire face à différentes dépenses d'investissement. Ces dépenses doivent être réalisées avant la fin de la cinquième année suivant celle de la constitution de la provision et ne sont prises en compte que pour la partie des journaux ou des publications que les entreprises impriment dans un État membre de l'Union européenne.
Les sommes déduites sont limitées à 30 % du bénéfice de l'exercice concerné pour la généralité des publications et pour les services de presse en ligne reconnus et à 60 % pour les quotidiens et publications assimilées (titres de presse hebdomadaire régionale), dans la limite du financement d'une fraction du prix de revient des immobilisations qui y sont définies (40 % pour la généralité des publications et pour les services de presse en ligne reconnus et à 90 % pour les quotidiens et les publications assimilées).
Depuis la loi de finances pour 2011, ce dispositif a été reconduit chaque année pour un an, jusqu'à ce que la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014 le proroge jusqu'en 2017 .
Le montant de la dépense fiscale est évalué à un coût inférieur à 500 000 euros au bénéfice de 82 entreprises de presse . Compte tenu de son utilité au regard de la faiblesse de la dépense fiscale engagée, votre rapporteur pour avis appelle de ses voeux la poursuite du dispositif .
b) Pour mobiliser les particuliers au bénéfice des entreprises de presse
La loi n° 2015-433 du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse a introduit, dans le code général des impôts, le nouvel article 199 terdecies -0 C, qui, à l'initiative de notre collègue David Assouline, institue une réduction d'impôt sur le revenu en faveur des particuliers qui souscrivent au capital d'entreprises de presse au sens de l'article 39 bis A du même code.
Il s'agissait, au lendemain des attentats du 7 janvier 2015 contre la rédaction de Charlie Hebdo , de rendre plus attractive la prise de participation des lecteurs-citoyens dans des projets innovants de la presse imprimée ou numérique ou la reprise d'entreprises en difficulté, sous la forme de financement participatif .
Le taux de la réduction d'impôt est fixé à 30 % dans la limite d'un plafond de versement de 1 000 euros par an pour les contribuables célibataires, veufs ou divorcés et 2 000 euros pour les contribuables soumis à imposition commune. Il est porté à 50 % lorsque les souscriptions sont effectuées au capital d'entreprises solidaires de presse d'information (ESPI) au sens de la loi n° 86-897 du 1 er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse.
Aux termes de l'article 2-1 de la loi précitée du 1 er août 1986 :
« Art. 2-1. - Une entreprise éditant une ou
plusieurs publications de presse ou services de presse en ligne peut adopter le
statut d'entreprise solidaire de presse d'information.
1° L'objet social d'une entreprise solidaire de presse d'information est d'éditer une ou plusieurs publications de presse ou services de presse en ligne consacrés pour une large part à l'information politique et générale, au sens de l' article 39 bis A du code général des impôts ; 2° Pour la gestion de l'entreprise solidaire de presse d'information, une fraction au moins égale à 20 % des bénéfices de l'exercice est affectée à la constitution d'une réserve statutaire obligatoire consacrée au maintien ou au développement de l'activité de l'entreprise et une fraction au moins égale à 50 % des bénéfices de l'exercice est affectée au report bénéficiaire et à la réserve obligatoire. » Il ressort de ces dispositions qu'au plus 30 % des bénéfices de l'année peuvent être distribués aux actionnaires. L'esprit de la loi est donc que le journal consacre ses éventuels bénéfices majoritairement à l'investissement. Le dispositif d'incitation fiscale qui lui est attaché (réduction d'impôt de 50 % pour les souscriptions au capital prévue à l'article 199 terdecies -0 C du code général des impôts) a vocation à attirer vers ces entreprises des financements autres que les seuls dons privés et aides publiques. Il permet de faire entrer au capital de ces entreprises de presse un actionnariat diversifié, souvent composé de lecteurs. Charlie Hebdo a été la première entreprise de presse à adopter ce statut, en juin 2015, suivi par trois services de presse en ligne (AngersMag, 94Citoyens, OGC La Veille) . Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication |
Le dispositif a été doté par le législateur d'un caractère temporaire : seuls les versements effectués jusqu'au 31 décembre 2018 y sont éligibles. Son coût estimé pour l'année 2017 est inférieur à 500 000 euros.
La loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias relève le plafond de versement ouvrant droit à une réduction d'impôt à 5 000 euros pour les célibataires et à 10 000 euros pour les contribuables soumis à imposition commune . Elle élargit également le dispositif aux versements à des « sociétés des amis » ou « sociétés de lecteurs » et en fait bénéficier les publications bimestrielles et trimestrielles d'information politique et générale .
Ces dispositions, contrairement à d'autres articles du texte, ont fait l'objet d'un vote conforme des deux assemblées. Votre rapporteur pour avis espère que ces évolutions renforceront l'appétence encore faible des particuliers pour le dispositif, ainsi que le suggérait Silvère Magnon, directeur de la rédaction de L'Humanité , lors de son audition.
- en presse quotidienne nationale : le quotidien Le Monde dispose d'une société des lecteurs du Monde qui est actionnaire de la société éditrice du Monde ; créée en 1985, elle réunit 12 000 lecteurs-actionnaires, qui se sont mobilisés à trois reprises (1985, 1987 et 2002) pour lever 6 millions d'euros intégralement investis dans le quotidien ; il existe également depuis 20 ans une association des amis du Monde Diplomatique et une association des amis de La Vie qui fédère les lecteurs de l'hebdomadaire La Vie ; Libération dispose d'une société des lecteurs depuis 2006 ; L'Humanité a un société des amis et une société des lecteurs : la société des amis de l'Humanité a été fondée en 1996 ; elle a pour but principal de défendre l'existence de L'Humanité et la promotion des valeurs de son fondateur Jean Jaurès ; la société des lectrices et des lecteurs de l'Humanité a été fondée en 2002 et compte 11?200 adhérents ; elle défend l'existence du journal et participe à des souscriptions mais aussi à des opérations de diffusion dans des congrès syndicaux, politiques ; - en presse magazine : Alternatives économiques a une société civile des lecteurs ; - en presse spécialisée : il existe l'Association des Amis de Cassandre / Horschamp ; - en presse en ligne : huit éditeurs ont une société des amis ( Mediapart, L'imprévu, Les Nouvelles News, Factuel.info, AngersMag, Aqui.fr, Touleco, Rue89 Strasbourg) . Source : ministère de la culture et de la communication |
Par ailleurs, la loi susmentionnée du 17 avril 2015 est venue compléter l'article 200 du code général des impôts en ouvrant le bénéfice du régime fiscal du mécénat , institué par la loi n° 2003-709 du 1 er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations, aux associations oeuvrant pour le pluralisme de la presse . Par ailleurs, est ouverte, pour des fonds de dotation, la possibilité de soutenir des associations ou fondations agissant dans le soutien du pluralisme de la presse .
Précédemment, le régime fiscal du mécénat s'appliquait, en application d'un rescrit du ministère des finances datant de 2007, aux dons versés à une association redistributrice, en vue de prendre des participations minoritaires dans des entreprises de presse. En avril 2009, après les conclusions des États généraux de la presse écrite, le rescrit avait été adapté pour rendre éligibles au dispositif les dons permettant d'octroyer des prêts ou des subventions à ces sociétés. Puis, en 2011, son application était étendue au bénéfice des entreprises de presse en ligne . Ce fragile édifice réglementaire a fort heureusement trouvé un ancrage légal avec l'adoption, à l'initiative de nos collègues Pierre Laurent et David Assouline, de « l'amendement Charb » dans la loi du 17 avril 2015.
Dans ce cadre, les dons et versements aux associations d'intérêt général exerçant des actions concrètes en faveur du pluralisme de la presse, par la prise de participations minoritaires, l'octroi de subventions ou encore de prêts bonifiés à des entreprises de presse d'information politique et générale au sens de l'article 39 bis A du code général des impôts, ouvrent droit à une réduction d'impôt sur le revenu égale à 66 % du montant du don dans la limite de 20 % du revenu imposable .
La même réduction s'applique aux fonds de dotation, qui conduisant des actions identiques. Les dons peuvent être nominatifs (le donateur indique alors l'affectation du don) ou généraux (le montant des dons est affecté par un comité d'orientation) ; ils sont gérés par deux associations : Presse et Pluralisme et J'aime l'info .
L'association Presse et Pluralisme a été créée en 2007 à l'initiative des principaux syndicats de la presse imprimée. Elle a pour vocation d' « oeuvrer en faveur du pluralisme de la presse payante en France » par des actions financées par appel au don. En 2015, les dons collectés ont atteint à 7,4 millions d'euros, dont 2,9 millions d'euros issus de dons en ligne , cette proportion croissant chaque année. La quasi-totalité des dons sont nominatifs au bénéfice d'une ou plusieurs publications.
L'année 2015 fut particulièrement exceptionnelle puisque c'est à l'initiative de Presse et Pluralisme qu' une collecte d'envergure s'est organisée au profit de Charlie Hebdo . L'association a apporté un concours immédiat de 200 000 euros à Charlie Hebdo pour que puisse être publié son numéro « historique » du 14 janvier. Surtout, elle a mis en place, en moins de 48 heures, le site www.jaidecharlie.fr , sur lequel plus d'un million d'euros de dons en ligne ont été collectés dans les cinq jours qui ont suivi l'attentat, en provenance de plus de 80 pays. Avec un total de 44 883 dons, ce sont 2,7 millions d'euros qui ont pu être reversés au titre.
Au 1 er semestre 2016, 2,3 millions d'euros de dons ont d'ores et déjà été encaissés , contre 1,2 million d'euros sur la même période l'an passé hors collecte au bénéfice de Charlie Hebdo : le dispositif, dans son périmètre habituel, marque ainsi une progression de 86 % par rapport à 2015 , dont votre rapporteur se réjouit.
Pour sa part, l'association J'aime l'info a été créée en 2011, à l'initiative de la presse en ligne et notamment du SPIIL et du site Rue89 . En 2015, 41 sites ont bénéficié de dons et, avec 757 340 euros récoltés contre seulement 147 402 euros l'année précédente, le dispositif a enregistré des résultats exceptionnels en raison des collectes au bénéfice d' Arrêt sur images et de Médiapart .
3. Un engagement encore insuffisant des collectivités territoriales
La loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 a supprimé la taxe professionnelle à compter du 1 er janvier 2010 et a instauré en remplacement la contribution économique territoriale (CET), impôt local composé de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).
Contrairement à la taxe professionnelle, dont elle reprend l'essentiel des règles, la CFE est basée uniquement sur les biens soumis à la taxe foncière. Elle est due dans chaque commune où l'entreprise dispose de locaux et de terrains. Pour sa part, la CVAE est due par les entreprises qui réalisent un chiffre d'affaires hors taxe de plus de 500 000 euros, à l'exception de celles implantées en zone franche urbaine. Elle est calculée en fonction de la valeur ajoutée produite par l'entreprise.
Aux termes de l'article 1458 du code général des impôts, sont exonérés de la CET l'ensemble des entreprises du secteur de la presse : les publications de presse ; les sociétés coopératives de messageries de presse et les sociétés dont elles détiennent majoritairement le capital et auxquelles elles confient l'exécution d'opérations de groupage et de distribution ; les agences de presse, les services de presse en ligne, les vendeurs-colporteurs de presse, ainsi que les correspondants de la presse locale.
Les diffuseurs de presse bénéficient également, sous certaines conditions, de l'exonération de CET . En application de la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013, l'exonération s'applique à compter de l'imposition au titre de l'année 2015, sous réserve que les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre concernés aient pris une délibération en ce sens avant le 1 er octobre 2014.
Le coût, pour les collectivités territoriales s'élève à 41 900 euros pour les communes et à 675 800 euros pour les EPCI. La faculté d'exonération étant cependant très peu pratiquée , il est prévu de généraliser et de rendre obligatoire le dispositif d'exonération en faveur des diffuseurs de presse spécialistes et d'en compenser le coût par l'État . Il serait ciblé sur les diffuseurs indépendants spécialistes de presse (environ 11 500 points de vente). Les premiers chiffrages permettent d'estimer le coût de la mesure, dont bénéficieraient les 11 500 points de vente indépendants, à environ 7,5 millions d'euros .
La proposition, que salue votre rapporteur pour avis, a d'ores et déjà fait l'objet d'un arbitrage positif et devrait être introduite en projet de loi de finances rectificative pour 2017.