B. LE NUMÉRIQUE OU LA RECHERCHE D'UN NOUVEL ÉQUILIBRE
1. Un modèle alternatif qui s'affirme
L'érosion continue et inéluctable du marché de la presse papier conduit depuis plusieurs années les éditeurs à orienter leur offre vers les supports numériques, malgré une rentabilité encore vacillante .
Bien qu'évidente, la mutation digitale de la presse est difficilement quantifiable . La principale difficulté est d'ordre comptable , dans la mesure où les entreprises de presse, dans leur majorité, ne distinguent, dans leur comptabilité, ni les charges ni les produits de leur activité liés à leurs services de presse en ligne. S'agissant des charges, les frais de personnel, et notamment ceux des journalistes, ne sont pratiquement jamais isolés dans le cadre d'une comptabilité analytique précise, tandis qu'au niveau des recettes, les formules d'abonnements liées à la seule consultation digitalisée du titre sont quasi inexistantes et ne font, de ce fait, pas non plus l'objet d'une ligne comptable dédiée.
Si certains éditeurs produisent malgré tout des chiffres d'affaires précis, notamment lorsque la production numérique est le fait d'une filiale dédiée, les quelques résultats individuels publiés ne peuvent être invoqués qu'à titre d'exemples.
Les rares chiffres disponibles liés aux services de presse en ligne concernent d'une part le montant des recettes publicitaires publié par l'Institut de recherches et d'études publicitaires (IREP) et, d'autre part le pourcentage moyen que représente le numérique dans le chiffre d'affaires des principaux éditeurs connu par l'enquête administrative annuelle du ministère de la culture et de la communication.
Il en ressort que le numérique demeure une source de revenus mineure pour la plupart des éditeurs de presse écrite et ne compense pas à ce jour les pertes de revenus traditionnels , compte tenu d' un prix d'abonnement digital proportionnellement moins élevé que pour la version imprimée (de nombreux éditeurs proposent d'ailleurs un abonnement unique pour les deux versions) et de recettes publicitaires encore limitées.
En 2015, l'ensemble du chiffre d'affaires lié aux services dématérialisés parvient difficilement à dépasser 5 % du chiffre d'affaires des 300 plus importants éditeurs de presse écrite.
Ce résultat, décevant en première intention, mérite toutefois d'être affiné dans son analyse. En effet, il progresse chaque année pour l'ensemble des catégories de presse , dont certaines affichent en outre une proportion bien supérieure du numérique au sein de leur chiffre d'affaires, notamment la presse technique professionnelle et la presse gratuite d'annonces, avec respectivement 24,6 % et 64 % en 2015, même si elles ne représentent qu'une faible part du marché de la presse à 215 millions d'euros et 37 millions d'euros de chiffre d'affaires.
Une croissance du numérique pour l'ensemble des familles de presse
Source : Communiqué de presse ACPM - sept. 2016
Par ailleurs, avec une croissance de 1,2 % du nombre de visites en 2016, qui s'établit à 14,2 milliards 1 ( * ) , les sites de presse numériques apparaissent dans une situation bien plus favorable que les publications imprimées , dont la diffusion payée a, à nouveau, reculé de 2 %. Toutefois, si les sites fixes demeurent plus fréquentés puisque 47 % de la lecture digitale de la presse se fait sur ordinateur, la croissance est désormais portée par les sites mobiles et les applications de presse , qui ont connu une croissance de 11,5 % cette année. 46 % des Français lisent la presse sur mobile et 25 % sur tablettes, dans un contexte où 63% des Français possèdent un smartphone et 50% une tablette.
Ce type de consommation est favorisé par le développement d'offres de kiosques en ligne comme PressReader , SFR Presse ou Clevr , dont le modèle n'est pas exempt de critiques en matière de rémunération des contenus à leur juste valeur , comme, s'agissant d'une entreprise comme SFR qui maîtrise à la fois la diffusion numérique et le contenu des titres qu'elle possède, de neutralité de la distribution de la presse, principe fondateur de la loi « Bichet » .
Une lecture numérique à deux vitesses
Source : ACPM/OJD - septembre 2016
Selon l'étude ONE AudiPresse publiée le 22 septembre dernier pour la période juillet-septembre 2016, la lecture digitale représenterait 49 % de la consommation de presse . Le numérique apporte en moyenne 86 lecteurs supplémentaires pour 100 lecteurs de la presse imprimée : 71 % des Français lisent au moins un titre en version numérique . Les publications les plus courues sont Le Monde (8,5 millions de visites par jour), Le Figaro (8,3 millions), puis L'Equipe (6,9 millions).
Dans un contexte économique médiocre, le chiffre d'affaires en termes de recettes publicitaires numériques progresse de 5 % en 2015 selon l'IREP. Certes, le résultat semble mirobolant au regard de la chute abyssale des revenus publicitaires attachés au support papier, mais il n'en demeure pas moins que la rentabilité des sites Internet liés aux entreprises de presse n'est toujours pas avérée , même si quelques éditeurs affichent leur optimisme.
C'est notamment le cas du Monde , dont le président du directoire, Louis Dreyfus, a indiqué lors de son audition être satisfait des résultats commerciaux obtenus, au prix d'importants investissements, sur la version numérique du titre - plus de 100 000 abonnés le sont uniquement en ligne - après plusieurs années décevantes. S'agissant de la presse en région , longtemps en retard sur la mutation numérique, désormais, selon les informations fournies à votre rapporteur pour avis par le Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR), la diffusion numérique, si elle ne représente que 2% du chiffre d'affaires , constitue l'unique vecteur de croissance des entreprises de cette catégorie de presse.
Le digital en croissance
En millions d'euros |
2013 |
2014 |
2015 |
Différence 2013-2015 |
CA Imprimé
|
1 565 |
1 560 |
1 527 |
- 38 |
CA Digital
|
71 |
87 |
95 |
+ 24 |
Source : UPREG
Ventes : structure et évolution du chiffre d'affaires
(en 2015)
En part du CA
|
En milliers d'euros |
En tendance
|
|
Vente au numéro |
40 % |
617 171 |
- 4,6 % |
Abonnés postés |
8,3 % |
127 440 |
+ 3,4 % |
Abonnés portés |
50 % |
770 738 |
- 0,4 % |
Ventes numériques |
1 % |
14 830 |
+ 54 % |
Source : UPREG et OJD 2015
Certains éditeurs ont fait le choix de développer uniquement, soit par abandon de la version papier, soit par création d'un site ex nihilo , une version numérique de leur titre. Les pure players (ou service de presse « tout-en-ligne » selon le terme proposé par la commission générale de terminologie et de néologie pour traduire l'expression anglophone), en l'absence de charges fixes liées à l'impression, apparaissent plus facilement rentables , comme le montre l'expérience de l'ancien quotidien économique La Tribune ou, plus récemment, de The Independant , premier quotidien national britannique à cesser la parution papier en mars 2016, redevenu rentable pour la première fois depuis vingt-trois ans.
Leur développement est d'ailleurs à l'image de l'engouement qu'ils suscitent. Au 5 juillet 2016, 405 services de presse « tout-en-ligne » étaient reconnus par la CPPAP sur un total de 920 services de presse en ligne (SPEL) reconnus. Sur ce total, 260 services de presse en ligne sont reconnus d'information politique et générale 2 ( * ) , parmi lesquels 94 pure players , et 30 SPEL sont consacrés « pour une large part à l'information politique et générale » au sens de l'article 39 bis A du code général des impôts.
En termes d'audience, Le Huffington Post, premier site de presse « tout-en-ligne » d'après la mesure réalisée par l'Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM), se classe au 22 e rang des SPEL avec, en juin 2016, 44,7 millions de pages vues et 25,2 millions de visites, soit un niveau comparable aux sites internet de L'Express et du Point . Ce classement d'audience reste donc dominé par des sites de titres bimédia (papier et numérique), tant l'effet « marque » demeure important pour les lecteurs.
2. Un soutien constant mais limité à la mutation technologique de la presse
a) Une politique publique qui s'adapte progressivement
(1) À statut particulier...
La définition générale d'un service de presse en ligne (SPEL) est fixée par l'article 1 er de la loi n° 86-897 portant réforme du régime juridique de la presse modifiée par la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet.
Ainsi, « on entend par service de presse en ligne tout service de communication au public en ligne édité à titre professionnel par une personne physique ou morale qui a la maîtrise éditoriale de son contenu , consistant en la production et la mise à disposition du public d'un contenu original, d'intérêt général, renouvelé régulièrement, composé d'informations présentant un lien avec l'actualité et ayant fait l'objet d'un traitement à caractère journalistique , qui ne constitue pas un outil de promotion ou un accessoire d'une activité industrielle ou commerciale ». Les SPEL ayant un contenu violent ou pornographique sont exclus de ce statut, dans des termes similaires à ceux prévus pour la presse imprimée.
Le décret n° 2009-1340 du 29 octobre 2009 modifié par le décret n° 2014-659 du 23 juin 2014 précise les conditions à remplir pour être reconnu en tant que SPEL. Avec la réforme intervenue en 2014, la reconnaissance du caractère d'information politique et générale n'est plus subordonnée à l'obligation d'emploi, à titre régulier, d'au moins un journaliste professionnel. Cet assouplissement permet d'inclure à ce titre les dirigeants non-salariés au sens du code du travail.
La reconnaissance des SPEL est assurée par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), dont la composition et les modalités de fonctionnement font l'objet du décret n° 97-1065 du 20 novembre 1997.
En 2015, la CPPAP s'est réunie à six reprises en formation plénière pour examiner les demandes de reconnaissance de SPEL. En outre, depuis septembre 2014, en application du décret n° 2014-659 du 23 juin 2014 précité, sont organisées des sous-commissions dédiées, à l'instar de la pratique déjà en place pour les publications. Sur les 373 dossiers examinés, 301 sites se sont vu reconnaître la qualité de SPEL, dont 114 avec un caractère d'information politique et générale.
Par les décisions qu'elle prend, la CPPAP élabore et fait évoluer une doctrine précisant les critères de reconnaissance des SPEL . Parmi les questions ayant fait l'objet de débats approfondis, figurent notamment la notion d'« information politique et générale » . En sont exclus les contenus à caractère trop spécialisé (par exemple des sites d'information médicale) ou ne présentant pas suffisamment d'information à caractère politique ou à caractère général. À l'instar de la presse papier, le traitement de l'information peut être prioritairement axé sur l'information locale à condition qu'elle soit suffisamment variée et comporte des analyses et commentaires des sujets d'actualité traités. Il a également été décidé de reconnaître le caractère d'information politique et générale, sous réserve d'un traitement diversifié et accessible à un large lectorat, des services qui traitent l'actualité sous un prisme particulier comme celui de l'économie ou du développement durable.
(2) ... aides spécifiques
(a) Le renforcement attendu des dispositifs de soutien public
Les règles en matière d'aide n'établissent aucune différence de traitement entre les services de presse en ligne, selon qu'ils sont ou non « tout-en-ligne », dès lors qu'ils sont reconnus par la CPPAP.
Ainsi, tous sont assujettis depuis le 1 er février 2014 au taux de TVA « super-réduit » de 2,1 %. Les titres consacrés pour une large part à l'information politique et générale sont également éligibles au bénéfice de l'article 39 bis A du code général des impôts qui permet la déductibilité fiscale des provisions pour investissement et exonérés de contribution économique territoriales.
Surtout, les SPEL bénéficient depuis 2012, sur projets, des crédits du fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) , issu du fonds d'aide au développement des services de presse en ligne actif entre 2009 et 2011 au bénéfice de 278 projets pour un total de 43,5 millions d'euros attribués sur trois ans.
Le décret n° 2014-659 du 23 juin 2014 portant réforme des aides à la presse a, conformément aux recommandations de la mission d'expertise menée sous l'égide de Roch-Olivier Maistre au printemps 2013 sur les aides à la presse, profondément modifié les modalités de fonctionnement du fonds stratégique et les principes d'attribution de ses aides :
- les sections du fonds ont été fusionnées, afin d' uniformiser et de simplifier l'examen des demandes d'aide. Le comité d'orientation du fonds s'est ouvert à des personnalités qualifiées, aux côtés des représentants de l'État et de la presse ;
- l'éligibilité des services de presse en ligne a été recentrée : les SPEL d'information pratique du public ne sont plus éligibles, tandis que le sont devenus les sites qui développent l'information professionnelle ou favorisent l'accès au savoir et à la formation ;
- la prise en compte des dépenses internes a été accordée pour les tâches de développement informatique ou de mise à disposition de contenus numériques ;
- la priorité du soutien à l'innovation et aux projets mutualisés a été affirmée : l'innovation représente désormais le critère premier d'éligibilité des projets. Par ailleurs, un taux bonifié de soutien à 50 % est réservé aux projets présentant une innovation pour le secteur et aux projets collectifs.
Le fonds stratégique pour le développement de la presse a soutenu 78 projets en 2015 , dont cinquante (soit 64 %) concernaient le développement de services de presse en ligne pour 3,8 millions d'euros , et trois étaient des projets bimédia d'information politique et générale, qui ont reçu 614 528 euros. Les pure players ont, pour leur part, été éligibles pour sept dossiers pour un total accordé de 226 856 euros, soit 2,2 % du total des aides attribuées par le fonds.
Le montant unitaire de l'aide proposée, qui est fonction du niveau des dépenses présentées, a été très variable, allant de 900 euros pour la subvention la plus modeste à 2,1 millions d'euros, pour un montant moyen en constante augmentation de 129 597 euros . Les projets des services de presse en ligne de la presse nationale d'information politique et générale ont bénéficié de la part la plus importante des aides pour les projets de développement de services de presse en ligne (20,15 %), sont seulement 9 % pour la presse spécialisée et 5 % pour la presse magazine.
À la suite du rapport remis par Jean-Marie Charon le 2 juin 2015 intitulé « Presse et numérique : l'invention d'un nouvel écosystème » , un groupe de travail s'est attaché à identifier les moyens de mieux soutenir l'innovation dans le secteur de la presse. Le décret n° 2016-1161 du 26 août 2016 constitue la traduction de cette réflexion.
D'abord, le FSDP poursuit sa mue pour s'adapter aux nouveaux besoins du secteur . Ainsi :
- la presse en ligne de la connaissance et du savoir , qui n'était plus éligible depuis le 31 décembre 2015, est rétablie dans le périmètre du fonds ;
- l'éligibilité des publications d'information politique et générale, précédemment limitée aux publications de périodicité au maximum hebdomadaire, est étendue à toute périodicité ;
- le périmètre des dépenses éligibles au fonds stratégique a été élargi en intégrant les innovations de commercialisation et liées à la « data » ;
- enfin, le taux de subvention des projets éligibles au fonds est revalorisé de 30 % à 40 % des dépenses éligibles . Les projets collectifs, représentant une innovation pour le secteur, portés par des sociétés de moins de 25 salariés ou par des titres fragiles bénéficiant des aides aux publications nationales à faibles ressources publicitaires ou aux quotidiens à faibles ressources de petites annonces, pourront accéder à un taux bonifié de 60 % des dépenses éligibles, pouvant aller jusqu'à 70 % pour les entreprises émergentes de moins de 25 salariés et de moins de trois ans d'existence.
La création d'un taux particulièrement favorable pour les entreprises de presse émergentes constitue une réponse aussi attendue qu'utile à l'une des principales lacunes du fonds , qui, par son fonctionnement (versement de la subvention sur factures acquittées), obligeait les éditeurs à disposer des moyens d'investir eux-mêmes majoritairement dans les projets pour lesquels ils sollicitaient une aide . Il est également heureux que, pour les médias émergents, les dépenses de salaires directement afférentes à la création éditoriale puissent être prises en compte, même si cette ouverture est limitée à six mois pour éviter tout effet d'aubaine.
Votre rapporteur pour avis salue cette avancée, qu'il avait lui-même appelé de ses voeux l'an passé. Il regrette toutefois qu' aucune solution n'ait été apportée aux éditeurs qui ne disposent pas des moyens de mettre en ligne une première version de leur site et qui, en conséquence, ne disposent d'aucun numéro de CPPAP leur permettant d'accéder au fonds.
Par ailleurs, deux évolutions organisationnelles permettront de fluidifier le fonctionnement du fonds : la possibilité d'auditionner en comité les directeurs des publications concernées pour tous les projets supérieurs à un certain seuil de demande de subvention et le relèvement du plafond pour les dossiers examinés en réunion interne de la DGMIC de 50 000 euros à 75 000 euros.
Le resserrement du fonds en 2014 et la diminution progressive du taux de soutien aux projets d'impression non mutualisés a entraîné une diminution du volume des engagements effectifs de l'État. Ainsi, comme votre rapporteur pour avis le dénonçait l'an passé, le fonds stratégique, peu dynamique, fut particulièrement touché par les gels budgétaires , atteignant même en 2015 les deux tiers du montant affiché en loi de finances. L'élargissement opéré en 2016, ainsi que le relèvement des taux d'aide devraient permettre la consommation de la totalité des crédits du fonds en 2016 (29,5 millions d'euros), comme en 2017 (27,4 millions d'euros).
Ensuite, la réforme instaurée par le décret précité du 26 août 2016 crée un fonds de soutien à l'émergence et à l'innovation dans la presse, doté de 5 millions d'euros en 2017 , chargé d'une triple action :
- distribuer des bourses d'un montant unitaire d'au maximum 50 000 euros pour les entrepreneurs de presse émergents . La sélection des projets, réalisée par le club des innovateurs et par le ministère de la culture et de la communication, sur la base d'une expertise fournie par la Banque publique d'investissement, combinera l'évaluation de l'innovation éditoriale et l'analyse de la viabilité économique ;
- subventionner des programmes d'incubation dédiés aux médias émergents et aux fournisseurs de solutions aux médias. Il s'agit de faciliter le lancement de projets collectifs et de renforcer la visibilité et l'attractivité de l'entrepreneuriat de presse. Les entreprises sélectionnées après avis du Club des innovateurs, bénéficieront de services administratifs, sociaux, juridiques et comptables mutualisés, ainsi que d'un accès à des ateliers thématiques, des hackathons , des réseaux d'experts et de tuteurs. L'aide est versée pendant deux ans par tranches annuelles, après conclusion d'une convention entre l'État en le bénéficiaire ;
- lancer des appels à projets sur des programmes de recherche consacrés à des sujets d'innovation intéressant le secteur de la presse (monétisation de l'information, big data , paywall , micropaiements, plateformes d'échanges, etc.).
La réforme du club des innovateurs Le club des innovateurs, qui est formellement une formation du comité d'orientation du FSDP, joue un rôle essentiel dans le dispositif de soutien à l'émergence et à l'innovation, puisque c'est lui qui a désormais la charge des bourses à l'émergence, des programmes d'incubation et des programmes de recherche. Sa gouvernance est largement revue : - il est prévu qu'il soit désormais présidé par le vice-président du comité d'orientation du FSDP (fonction nouvellement créée), qui sera une personnalité qualifiée au titre de sa connaissance de l'économie numérique, de l'économie et des métiers de la presse ou du financement de l'innovation ; - il sera composé, outre son vice-président, de huit représentants de l'administration (dont quatre du ministère de la culture et de la communication), de quatre représentants des organisations professionnelles des éditeurs de presse (dont au moins un représentant des services de presse en ligne) et de quatre personnalités qualifiées au même titre que le vice-président ; - les personnalités qualifiées, y compris le vice-président du comité d'orientation, auront voix délibérative ; - c'est désormais le club des innovateurs lui-même qui délibérera sur les appels à projets qu'il lance et il pourra retenir un, plusieurs ou aucun projets, selon la pertinence des projets reçus. Source : ministère de la culture et de la communication |
Enfin, depuis 2014, le soutien de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), via le fonds d'avances remboursables aux entreprises de presse (FAREP), est ouvert aux projets de création et de développement de titres de presse en ligne. Depuis 2016, son champ d'action est élargi aux SPEL du savoir et de la connaissance, ainsi qu'aux entreprises de presse ayant plus de trois ans d'existence .
Les avances sont octroyées dans la limite d'un encours maximum de 200 000 euros par entreprise représentant jusqu'à 70 % du programme de dépenses. Elles présentent un caractère participatif et sont donc assimilables à des fonds propres. Les modalités de remboursement sont adaptées au développement progressif de l'activité avec une durée maximum de sept ans pouvant inclure une période de franchise de remboursement allant jusqu'à deux ans.
En complément des avances du FAREP, les mêmes sites peuvent bénéficier, pour leurs crédits bancaires, de la garantie offerte par le fonds « industries culturelles » de l'IFCIC à un taux de 50 % du montant du crédit pour un risque maximum d'un million d'euros, pouvant atteindre 70 % pour des concours inférieurs à 150 000 euros. Peuvent bénéficier de la garantie les crédits confirmés, les crédits à moyen et long terme, les crédits-bails, les contrats de location financière et les engagements par signature.
(b) Une compensation privée a minima
Google, comme les autres moteurs de recherche, utilise des contenus produits par la presse sans les rémunérer. Il en tire pourtant lui-même des revenus publicitaires conséquents, selon un modèle économique contesté par les éditeurs réunis depuis mai 2012 au sein de l'Association de la presse d'information politique et générale (AIPG) en vue de négocier un accord satisfaisant par l'entreprise américaine.
Des négociations confidentielles entre Google et l'AIPG ont été engagées sous les auspices de Marc Schwartz, aux termes desquelles un accord de principe a été annoncé en présence du Président de la République et du président de Google le 1 er février 2013. Elles ont définitivement abouti avec la signature d'un accord le 13 juin de la même année, prévoyant la mise en place d' un fonds pour l'innovation numérique de la presse (FINP) abondé par Google à hauteur de 60 millions d'euros pour trois années de fonctionnement et d'une coopération en matière de régie publicitaire en ligne .
Le fonds a été effectivement créé au deuxième semestre 2013 au bénéfice des seuls services de presse en ligne d'information politique et générale, bimédias ou pure players . Les projets retenus, qui ne peuvent parallèlement bénéficier des crédits du fonds stratégique, doivent avoir pour objectif direct de créer de nouvelles sources de revenus pour les éditeurs de presse en ligne ou de promouvoir de nouveaux modèles économiques , notamment par la production de contenus éditoriaux innovants. Sont éligibles à ce titre l'ensemble des dépenses : investissement, prestations extérieures et exploitation, y compris les salaires de journalistes et techniciens. Un plafond de 2 millions d'euros et 60 % des dépenses engagées est applicable. Une première avance de 30 % du montant de l'aide est consentie ab initio, sans devis ni facture.
En 2015, pour sa dernière année d'existence, 37 projets ont été financés pour un total de 15,3 millions d'euros . Parmi eux peuvent être cités la mise en place d'une offre digitale payante communautaire pour Nice Matin (624 000 euros), le paiement d'une formation en ligne certifiante aux journalistes de Rue89 (299 000 euros), le lancement d'une édition quotidienne payante de La Manche libre sur tablettes et smartphones (271 000 euros), le développement du flux éditorial live de Libération (426 000 euros), au encore la participation aux investissements en vidéo du Figaro (1,1 million d'euros) et du Monde (1,7 million d'euros).
Le 28 avril 2015, dans le contexte de l'enquête pour abus de position dominante engagée par la Commission européenne, Google a annoncé la création du Digital News Initiative . Inspiré de l'expérience française, le projet est conçu comme un partenariat entre Google et des éditeurs de presse européens , notamment les grands noms que représentent Les Échos en France, le Frankfurter Allgemeine Zeitung et Die Zeit en Allemagne, The Financial Times et The Guardian au Royaume-Uni, NRC Media aux Pays-Bas (éditeur du Handelsblatt ), El Pais en Espagne et La Stampa en Italie. À cet effet, un fonds doté de 150 millions d'euros pour trois ans est destiné à soutenir l'innovation, notamment en vue d'aider les titres de presse à faire face à trois défis majeurs : l'enrichissement en vidéo des sites de presse en ligne, une meilleure monétisation des contenus et un partage de la valeur plus juste entre les éditeurs de presse et Google sur les revenus publicitaires.
En février 2016, Google a publié un rapport d'étape présentant les principaux critères de sélection : le fonds est ouvert aux éditeurs de toutes tailles, aux pure-players et aux start-up ayant leur siège dans un pays de l'Union européenne ou de l'Association européenne de libre-échange.
Si l'enveloppe qui reviendra aux projets français devrait être moindre , compte tenu de la dimension européenne du nouveau fonds, l'Agence France-Presse a d'ores et déjà bénéficié d'un financement dans le cadre d'un projet de conception de graphiques, cartes et rapports interactifs accessibles dans plusieurs langues et dans différents formats mobiles.
L'an passé, votre rapporteur pour avis, avait qualifié l'accord signé avec Google par les éditeurs français de « compromis utile » , en ce qu'il avait permis de « doubler par des financements privés les crédits publics destinés à l'innovation numérique » , tout en appelant à « la mise en oeuvre d'un système pérenne de compensation à la presse des contenus diffusés par Google » . Il salue à cet égard le contenu du projet de révision de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, présenté par la Commission européenne le 14 septembre dernier.
En effet, défendu activement par le commissaire chargé du numérique, Günther Oettinger, un droit voisin y est accordé aux éditeurs de presse , qui pourront autoriser l'utilisation en ligne de leurs contenus et ce pour une durée de vingt ans moyennant rémunération, sans qu'il ne soit cependant précisé de qui elle pourrait être exigée. Ce nouveau droit n'aura toutefois pas pour conséquence d'induire une taxe généralisée sur les liens hypertextes.
Il faut espérer que la création d'une telle compensation à l'échelle européenne apporte des résultats plus convaincants que lorsqu'elle a été, par le passé, tentée au niveau des États membres : La Lex Google allemande, adoptée en mai 2013, n'a jamais été appliquée en raison d'obstacles tant juridiques que techniques, tandis qu'en Espagne, Google News a quitté le pays après la mise en place d'un dispositif similaire.
b) Un déséquilibre qui demeure
Si le soutien à la mutation numérique de la presse se renforce indéniablement, votre rapporteur pour avis déplore qu'il demeure en proportion très en-deçà des aides apportées à la presse imprimée .
Selon le panorama des aides à la presse publié le 29 juin 2016 par le SPIIL, sur les 108 millions d'euros d'aides directes distribuées en 2015, 93 % ont été attribuées au support papier , tandis que seul 1 % des aides, au travers du fonds stratégique, étaient destiné à l'innovation.
Des aides directes à la presse très majoritairement attribuées au support papier
Chiffres 2015 (millions d'euros)
Source : Spiil à partir du Rapport annuel de performance (RAP) 2015 du programme 180 « Presse »
Avec le présent projet de loi de finances pour 2017, qui prévoit l'augmentation des crédits du fonds stratégique et la création du fonds de soutien à l'émergence et à l'innovation dans la presse, la proportion des aides directes réservées au papier ne sera plus que de 75 % , sur un total de 127,8 millions d'euros.
Toutefois, les aides au pluralisme demeurent réservées à la presse imprimée , que ce soit au bénéfice de la presse locale ou de la presse nationale d'information politique et générale à faibles ressources publicitaires. Ces aides, qui ont été élargies à toutes les périodicités papier, sont encore inaccessibles aux éditeurs numériques. Or ceux-ci souffrent également de faibles ressources publicitaires ou, a fortiori , de faibles ressources de petites annonces.
Cette privation est d'autant plus problématique que le pluralisme, objectif à valeur constitutionnelle, est particulièrement à l'oeuvre dans la presse en ligne , ainsi que l'a confirmé Jean-François Mary, président de la CPPAP, lors de son audition, le 17 septembre 2015, par la commission d'enquête sur le bilan et le contrôle de la création, de l'organisation, de l'activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes, en affirmant : « l'expression du pluralisme est plus marquée sur Internet que dans la presse traditionnelle » .
Du fait de ce déséquilibre dans la répartition des aides directes, comme le regrette le Spill, « les éditeurs ne sont pas encouragés à faire les bons choix stratégiques en terme de support . Les aides semblent même contre-productives : il est révélateur que ce soit l'une des familles de presse les moins aidées, la presse professionnelle, qui affiche la plus forte part de son chiffre d'affaires issue du numérique (18% en 2014) » .
Les aides indirectes, qui représentent dix fois le montant des aides directes avec 1,3 milliard d'euros par an, sont elles aussi encore largement réservées au papier. En 2015, 54 % des aides indirectes étaient ainsi structurellement réservées aux titres papier , le reste étant ouvert aux deux supports. De fait, si l'ouverture à la presse en ligne du taux de TVA de 2,1 % en 2014 a marqué un net progrès, les aides indirectes à la diffusion, qui représentaient 475 millions d'euros (119 millions d'euros d'aide apportée par l'État à La Poste et 356 millions d'euros de déficit sur les activités de transport de presse laissé à la charge de La Poste), demeurent réservées à la presse imprimée.
Il en va de même des 53 millions d'euros d'aides directes affectées à la diffusion (aide au portage de la presse et exonération de charges patronales pour les vendeurs colporteurs et porteurs de presse).
Or, la diffusion numérique demande également des investissements significatifs , souvent très onéreux pour les éditeurs : outil de gestion d'abonnement et de paiement, outil de diffusion sur les différentes plateformes et réseaux sociaux, etc. La diffusion numérique implique en outre des coûts d'exploitation spécifiques importants , notamment en matière marketing et commerciale, sans compter les commissions prélevées par les kiosques numériques.
On rappellera enfin que le dispositif des annonces judiciaires et légales (193 millions d'euros en 2014) est réservé à la presse imprimée.
Votre rapporteur pour avis appelle donc de ses voeux une refonte des aides à la presse au bénéfice d'une meilleure répartition entre presse imprimée et presse en ligne , afin d'adapter les politiques publiques en faveur de la presse aux défis à venir, sans qu'elles ne constituent indirectement un frein au développement, déjà difficile, du secteur.
En particulier, il estime indispensable de revoir les termes du décret n° 55-1650 du 17 décembre 1955 relatif aux annonces judiciaires et légales modifié par le décret n° 2007-1768 du 14 décembre 2007 qui fixe les seuils de diffusion à partir desquels, dans chaque département, les publications sont autorisées à recevoir lesdites annonces. Dans un contexte de diminution constante de la diffusion de la presse, ces seuils sont désormais en décalage avec la réalité dans nombre de territoires, conduisant certains titres à perdre le bénéfice des annonces judiciaires et légales. Il lui semble également temps, à cette occasion, que les seuils de diffusion fixés comprennent les abonnements numériques puisque là réside l'avenir de la presse.
* 1 Aux termes du projet annuel de performances de la mission « Médias, livre et industries culturelles » pour 2017, ce nombre devrait s'établir à 16,8 milliards en 2017.
* 2 Aux termes du projet annuel de performances de la mission « Médias, livre et industries culturelles » pour 2017, ce nombre devrait s'établir à 360 en 2017.