D. UNE LÉGISLATION PLUS TRANSPARENTE AU BÉNÉFICE DE PROFESSIONNELS RESPONSABILISÉS
1. Les apports majeurs de la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine
Longtemps attendue, la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, embrasse avec ambition l'ensemble des champs culturels pour moderniser les politiques de soutien en faveur d'une création plus libre et mieux protégée .
La filière cinématographique est concernée par plusieurs mesures saluées par la profession. Pour un contrôle légitimement plus transparent d'une filière largement soutenue par les crédits publics et les partenaires privés, la loi instaure, dans le code du cinéma et de l'image animée, l'obligation de rendus de comptes de production et d'exploitation des oeuvres bénéficiant du soutien du CNC , suivant en cela les préconisations du rapport précité de René Bonnell et des Assises du cinéma. La forme et le contenu des comptes devront être déterminés par voie d'accords entre les professionnels.
L'amélioration de la transparence est particulièrement nécessaire et légitime dans des filières caractérisées par la solidarité entre tous les acteurs de la chaîne de valeur , dont la rémunération repose sur le partage des recettes. Cette transparence accrue permettra d'instaurer un climat de confiance réciproque de nature à favoriser la prise de risque à l'investissement , au bénéfice d'un meilleur financement de la production des oeuvres.
Une transparence accrue améliorera également la condition des auteurs, techniciens et artistes-interprètes lorsqu'une partie de leur rémunération est calculée en fonction des recettes d'exploitation des oeuvres. Si certains contrats individuels prévoient déjà des rendus de compte, la création d'une obligation au niveau de la loi, contrôlée par le biais d'audits diligentés par le CNC et pouvant être sanctionnée, assurera la systématisation et l'harmonisation de bonnes pratiques professionnelles dans le secteur, ainsi qu'une responsabilisation renforcée de l'ensemble des intéressés.
Par ailleurs, en matière de développement de l'offre légale et de lutte contre la contrefaçon , véritable pillage de la valeur et gangrène des industries de création, la loi modifie le code de la propriété intellectuelle pour favoriser la disponibilité des oeuvres en offre légale sur les différents supports d'exploitation.
Elle instaure à cet effet une obligation, pour le producteur, de rechercher une exploitation suivie des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles , dont le champ et les conditions de mise en oeuvre devront être fixés par accord professionnel. Jusqu'à présent, la loi ne prévoyait qu'une obligation d'assurer une exploitation de l'oeuvre « conforme aux usages de la profession », sans que ces usages ne soient définis, ce qui rendait l'obligation difficilement applicable. Un accord professionnel a d'ores et déjà été conclu et votre rapporteur pour avis s'en réjouit.
Le dispositif ainsi renforcé contribuera à une meilleure visibilité des oeuvres et, ainsi, à l'enrichissement de l'offre légale, notamment pour les services en ligne, en tenant compte des réalités de leurs conditions de production et de diffusion. Les négociations professionnelles, qui intègrent l'ensemble des acteurs concernés, sont en cours sous l'égide du CNC.
Parallèlement, la loi a renforcé les moyens d'action du CNC en matière de contrefaçon , au pénal comme au civil. Alors que l'opérateur ne pouvait intervenir au pénal qu'en partie jointe, il pourra désormais agir directement en portant plainte avec constitution de partie civile, au titre du préjudice qu'il subit sur une partie de ses ressources affectées (la piraterie audiovisuelle venant directement concurrencer les différents marchés de diffusion qui contribuent au financement du CNC : la salle de cinéma, la télévision, la vidéo physique ou en ligne) ayant pour conséquence une diminution du soutien financier à la création. Par ailleurs, le CNC pourra engager directement une action en cessation devant le tribunal de grande instance en cas d'atteinte au droit d'auteur occasionnée par un service en ligne. Ces moyens d'action renforcés permettront à l'opérateur de lutter plus efficacement, aux côtés des ayants droit, contre la piraterie audiovisuelle .
Enfin, et même si, à l'instar du Sénat dans son ensemble, votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication n'est en principe guère favorable au procédé, l'article 93 de la loi habilite le Gouvernement à modifier par ordonnance la partie législative du code du cinéma et de l'image animée , dans un délai d'un an à compter de la promulgation du texte.
Les domaines concernés et les objectifs sont variés. Il s'agit de mesures techniques visant à corriger ou à adapter ledit code ou, dans le domaine de l'exploitation cinématographique, à préciser le champ ou la durée de dispositifs de régulation déjà existants et, dans le domaine des aides financières, à sécuriser la base légale de certains dispositifs d'aide.
L'habilitation autorise également l'ordonnance à prévoir l'extension du champ de l'obligation de respect de la législation sociale à toutes les aides financières du CNC et la clarification des conditions financières d'association à une formule d'accès au cinéma donnant droit à des entrées multiples non définies à l'avance.
Enfin, la loi habilite le Gouvernement à prévoir des réformes plus substantielles dans deux domaines : d'une part le secteur dit « non commercial », où se posent des questions relativement à l'encadrement juridique de l'organisation des séances en plein air et des séances de spectacles cinématographiques à caractère commercial lorsqu'elles le sont par d'autres personnes que les exploitants d'établissements de spectacles cinématographiques ; d'autre part, le dispositif de contrôle du respect des obligations imposées par le code du cinéma et de l'image animée et de sanction administrative de manquements . Une réforme similaire à celle réalisée pour le conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) est envisagée, avec une meilleure sécurisation juridique de la procédure de sanction , une simplification de l'organe de sanction et la création d'un rapporteur-instructeur indépendant, accompagnée par un renforcement du champ des contrôles.
2. Des accords professionnels bienvenus
Au-delà des dispositions strictement législatives ou autorisant des modifications par voie d'ordonnance, la loi du 7 juillet 2016 prévoit en outre, directement ou indirectement, une série d' accords professionnels relatifs au fonctionnement de la filière, avec l'objectif d' une relation renforcée, plus transparente et responsabilisée entre les partenaires .
La loi élargit ainsi le champ des accords conclus entre les représentants des auteurs, les organisations professionnelles représentatives des producteurs et, le cas échéant, d'autres secteurs d'activité, pouvant donner lieu à une extension par arrêté du ministre chargé de la culture. L'objectif est de pouvoir désormais étendre non seulement les accords relatifs à la rémunération des auteurs, comme le permet aujourd'hui le code dela propriété intellectuelle, mais également ceux portant sur d'autres aspects des relations entre auteurs et producteurs, de nature à favoriser la mise en place de bonnes pratiques contractuelles ou la prise en compte d'usages professionnels dans le secteur de production d'oeuvres audiovisuelles.
Au regard de l'objet des accords concernés, la mesure prévoit expressément la nécessité pour les organisations professionnelles représentatives des producteurs d'être signataires de tels accords afin qu'aucune extension ne soit rendue possible en leur absence.
Est également prévue la limitation de la durée de l'accord sur la chronologie des médias. De fait, les modalités de diffusion numérique des oeuvres cinématographiques évoluent rapidement, tant sur le plan technique qu'au niveau des usages, en particulier sur les services de vidéo à la demande. Ces évolutions appellent donc des adaptations régulières de l'accord interprofessionnel qui organise la chronologie des médias applicable aux services de télévision et aux services de médias audiovisuels à la demande (SMAD).
La chronologie des médias, en matière d'exploitation des oeuvres cinématographiques sur les services de télévision et sur les SMAD, peut être fixée par voie d'accord professionnel étendu. Désormais, l'arrêté d'extension correspondant ne peut rendre obligatoire un tel accord que pour une durée maximale de trois ans . En outre, afin de favoriser, de manière structurelle, la conclusion interprofessionnelle d'avenants intégrant les évolutions des technologies et des usages, il est apparu opportun de renforcer la clause de rendez-vous que contient déjà l'accord actuel, en limitant la durée de validité de l'arrêté d'extension à trois ans.
L' accord professionnel signé le 6 juillet 2009 par près de trente organisations professionnelles et opérateurs représentatifs a fixé les délais applicables à l'ensemble des modes de diffusion des films. Les stipulations de cet accord relatives aux délais d'exploitation ont été rendues obligatoires par arrêté du 9 juillet 2009 pour toute entreprise du secteur du cinéma, pour tout éditeur de SMAD et pour tout éditeur de services de télévision.
Faute d'avoir été dénoncé par une ou plusieurs organisations professionnelles représentatives dans un délai de trois mois avant sa date d'échéance, l'accord du 6 juillet 2009 a été reconduit tacitement chaque année, au mépris d'une nécessaire modernisation.
Si le dispositif a fait l'objet de négociations menées sous l'égide du CNC dès le premier trimestre 2012, ces discussions ont été gelées à compter de l'été 2012, dans le contexte du lancement de la mission confiée à Pierre Lescure concernant « l'acte II de l'exception culturelle », dont la remise du rapport en mai 2013 a permis de relancer les échanges.
En 2014, le CNC a rencontré l'ensemble des organisations professionnelles et sociétés signataires de l'accord du 6 juillet 2009, la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) et la Société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs (ARP). Durant cette phase d'échanges bilatéraux, l'opérateur a recueilli les positions des professionnels et sondé auprès d'eux, de manière confidentielle, les principales hypothèses de travail relatives aux évolutions de l'accord. À l'issue de ce processus, ont été soumis aux signataires potentiels plusieurs projets d'avenant à l'accord actuel.
Les négociations ont été à nouveau suspendues durant les négociations professionnelles de l'accord entre Canal + et les organisations professionnelles du cinéma, puis durant celles entre celles-ci et Orange Cinéma Séries (OCS). Enfin, une nouvelle phase de discussions, à la rentrée 2015, a permis d'établir un projet de texte, portant notamment sur l'amélioration des conditions de dérogation automatique pour la vidéo et la vidéo à la demande pour les films ayant réalisé un faible nombre d'entrées en salles, la mise en place d'un principe de « fenêtres glissantes » par dérogation automatique, l'interdiction du « gel des droits » sur la vidéo en téléchargement définitif et l'exclusion du court métrage de l'accord.
Les discussions interprofessionnelles se poursuivent en 2016 pour parvenir à un accord. La mesure prévue par la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine contribue, et votre rapporteur pour avis s'en réjouit, à en accélérer l'ordre du jour comme elle évitera, à l'avenir, compte tenu des durées butoir imposées, que l'accord sur la chronologie des médias ne fasse pas l'objet d'adaptations régulières et nécessaires ou que les négociations en la matière ne s'enlisent.
Il est toutefois à craindre que les tensions renaissent avec la demande récente de Canal + de réduire le délai qui la concerne à six mois post sortie en salles au lieu de dix actuellement, en contrepartie de l'ouverture de sa fenêtre de diffusion à la vidéo et à la vidéo à la demande et sans que ne soit modifié le temps d'exclusivité des exploitants (quatre mois). Si certains seraient prêts à une telle réforme, soucieux de permettre à la chaîne, pilier du financement du cinéma français, de se redresser financièrement, d'autres arguent de l'absence de transparence autour de la réalité des difficultés financières de l'entreprise et, à l'instar de votre rapporteur pour avis, de stratégie claire sur l'avenir de son positionnement au bénéfice de la création.
Enfin, de façon indirecte et à l'initiative insistante de votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, la loi du 7 juillet 2016 aura contribué, sous la menace qu'une disposition ad hoc n'y figure, à la négociation (M6 et Canal + à ce jour) et, pour certains (France Télévisions le 10 décembre 2015 et TF1 en mars 2016), à l'adoption d' accords interprofessionnels majeurs entre diffuseurs et producteurs. Ils remédient à un déséquilibre flagrant entre les obligations d'investissement des chaînes dans la création et leur faible retour sur investissement en matière patrimoniale , maintes fois dénoncé, notamment dans le rapport fait, au nom de votre commission de la culture, de l'éducation, et de la communication, par l'ancien sénateur Jean-Pierre Plancade 5 ( * ) . Un décret devrait intervenir au plus tard en janvier 2017 pour traduire réglementairement les accords signés dans ce cadre.
* 5 « Production audiovisuelle : pour une politique industrielle au service de l'exception culturelle » - Rapport d'information n° 616 (2012-2013).