B. UN ACTIONNAIRE QUI UTILISE LES MOYENS JURIDIQUES À SA DISPOSITION POUR PESER SUR LES CHOIX STRATÉGIQUES
1. Des outils juridiques rénovés
L'ordonnance 2014-948 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique a rénové le cadre juridique de l'État actionnaire, pour renforcer sa capacité d'influence et la rendre au moins égale à celle d'un actionnaire privé. Cette ordonnance prend en compte l'évolution, depuis 30 ans, des bonnes pratiques de gouvernance en rapprochant celles des entreprises à participation publique du droit commun des sociétés. Elle préserve aussi certaines spécificités des entreprises à participation publique, notamment pour garantir une plus grande représentation des salariés dans les organes de gouvernance, ou pour assurer la protection des intérêts stratégiques de l'État, comme dans le domaine de la défense nationale.
L'ordonnance comprend deux volets : un volet relatif aux règles de gouvernance des sociétés à participation publique et un volet relatif aux opérations sur capital.
Le premier volet relatif à la gouvernance met fin au paradoxe qui conduisait l'État à disposer d'une moindre influence en tant qu'actionnaire dans les sociétés à participation publique qu'un actionnaire privé. Plusieurs modifications ont été introduites en ce sens, en particulier :
- la fin des règles spéciales concernant la taille des conseils et la durée des mandats dont la rigidité a pu nuire au rôle du conseil, qui est un organe de décision ;
- la simplification de la représentation de l'État au sein des sociétés publiques en la rapprochant de la règle de droit commun, à savoir la nomination en assemblée générale et la désignation d'un représentant unique des personnes morales nommées administrateurs ;
- la clarification du rôle des administrateurs désignés ou proposés par l'État, en distinguant le rôle de l'État actionnaire de ses autres fonctions, telles que l'État client ou régulateur ;
Le second volet de l'ordonnance, relatif aux opérations sur le capital, réécrit une législation marquée par une très grande complexité. Il instaure un cadre juridique clair et protecteur pour les intérêts patrimoniaux de l'État et lui donne la capacité d'agir en actionnaire dynamique. Il crée un cadre pour les opérations d'acquisition de participation et organise un contrôle des opérations de cession lorsqu'elles ont une portée significative y compris lorsqu'elles n'emportent pas de privatisation de la société concernée. Concernant les opérations réalisées par les sociétés à participation publique, l'ordonnance supprime un certain nombre de déclarations et approbations administratives devenues inutiles, qui compliquaient une gestion active de leurs participations en étant sources de coûts et de pertes de temps.
L'ordonnance a été ratifiée par la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.
2. L'utilisation des droits de vote doubles
La loi 2014-384 du 29 mars 2014 visant à reconquérir l'économie réelle peut également être mentionnée. Elle permet la mise en place des droits de vote double dans les entreprises où l'État figure au capital. La loi prévoit que sauf décision contraire des assemblées générales, les actionnaires qui conservent leurs titres pendant au moins deux ans sont récompensés par l'octroi de droits de vote doubles : au bout de deux ans, chaque action qu'ils détiennent leur donne deux voix lors des Assemblées générales. Cette disposition s'applique à tout actionnaire de société cotée sur un marché réglementé qui détient ses actions depuis plus de deux ans dans un compte nominatif, sauf clause contraire des statuts adoptée postérieurement à la promulgation de la loi, soit le 1er avril 2014. Le droit de vote double ne peut donc être écarté que par une décision de l'assemblée générale extraordinaire prise à la majorité des deux tiers des voix. Auparavant, un tiers des voix plus une suffisait pour faire obstacle à l'adoption de la clause instaurant un tel droit.
En confortant les actionnaires qui conservent leurs titres pendant au moins deux ans par l'octroi de droits de vote doubles, la loi visait à inciter les investisseurs à conserver leurs actions, et donc à mieux concourir au développement de l'entreprise. L'application des droits de vote doubles permettra de renforcer les actionnaires de long terme, y compris les actionnaires salariés.
L'État s'est montré vigilant lors des votes de résolution en assemblées générales en 2015 sur ce sujet.
Trois sociétés avaient déjà un tel dispositif dans leurs statuts et le conservent, aucune résolution visant à les modifier n'ayant été proposée lors des dernières AG (Safran, Thales et PSA).
Cinq sociétés n'avaient pas un tel dispositif statutaire et les dispositions de la loi sur l'économie réelle se sont appliquées par défaut, en l'absence également de résolution visant à imposer statutairement le régime « une action, une voix ». Il s'agit d'EDF, ADP, CNP Assurances, Orange et Areva.
Chez Renault, l'État a porté sa participation à 19,74 % (équivalent à 23,22 % des droits de vote) par l'achat de 4,73 % supplémentaires du capital, pour s'assurer que l'assemblée générale des actionnaires du 30 avril 2015 adopte ce dispositif.
Dans la même logique, l'État a porté le 8 mai 2015 sa participation au capital d'Air France-KLM de 15,88 % à 17,58 % afin de soutenir l'adoption des droits de vote doubles par l'entreprise.
Enfin, dans le cas d'Engie, l'État, qui bénéficie du tiers des droits de vote théoriques, a empêché l'adoption d'une résolution visant à imposer statutairement le régime « une action, une voix ». Le droit de vote double ne peut donc être écarté que par une décision de l'assemblée générale extraordinaire prise à la majorité des deux tiers des voix.
3. La passation d'alliances stratégiques
Dans le secteur automobile, l'État a pris une participation au capital de PSA Peugeot Citroën (14,1 %), participation acquise au terme de son entrée au capital, le 25 avril 2014. L'État est aujourd'hui l'un des actionnaires-clés de PSA Peugeot Citroën, à égalité avec les sociétés du groupe familial Peugeot et le constructeur chinois Dongfeng. Cette opération a permis à un groupe industriel essentiel pour notre économie de traverser la période de grandes difficultés du début de la décennie et lui a donné les marges de manoeuvre financières pour réaliser la mise en oeuvre de son plan de développement.
Le 15 décembre 2015, l'État a également annoncé la finalisation du rapprochement du groupe d'armement français Nexter Systems avec son homologue allemande KMW pour former le leader européen de l'armement terrestre. Cette alliance représente un effectif de 6000 salariés, un chiffre d'affaires de 2 milliards d'euros et un carnet de commandes de 9 milliards d'euros. Le nouveau groupe, codirigé par Stéphane Mayer et Frank Haun, est détenu à parité par l'État français et par la famille allemande Bode-Wegmann. Après le succès d'Airbus dans l'aérospatial, cette nouvelle opération vient renforcer l'Europe de la défense dans le domaine industriel. Ce rapprochement franco-allemand répond à l'objectif de consolidation européenne tel que le Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale (2013) l'a défini.
L'APE a accompagné la cession de la participation détenue par le CNES dans Arianespace en 2016 et la mise en place effective de la joint-venture Airbus Safran Launchers qui a pris le contrôle d'Arianespace. La nouvelle société devient ainsi responsable du développement, de la production et de la commercialisation des lanceurs, ce qui permettra d'optimiser la filière industrielle et d'assurer la compétitivité du futur lanceur Ariane 6, tout en garantissant la préservation des intérêts stratégiques de l'État, notamment liés à la dissuasion nucléaire.
Enfin, cela a déjà été développé, l'État s'est engagé dans la refondation de la filière nucléaire française essentielle à l'indépendance énergétique du pays, à la réussite de la transition énergétique et à la valorisation des savoir-faire technologiques et industriels français à l'international:
4. Vers une gestion plus dynamique
Ces dernières années, votre rapporteur pour avis avait indiqué qu'il est souhaitable de faire davantage appel à des administrateurs issus du monde de l'entreprise aux côtés des administrateurs issus de la haute fonction publique. C'est d'ailleurs une possibilité permise par l'ordonnance 2014-948 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique : ce texte a donné en effet la possibilité à l'État de proposer des administrateurs issus d'un vivier élargi, afin de pouvoir bénéficier de leur expérience.
Votre rapporteur pour avis note avec satisfaction que cette diversification du profil des administrateurs nommés par l'État semble désormais en marche. Sur les 92 administrateurs nommés au cours de l'année écoulée, la moitié n'était pas des agents publics. Il faut désormais que ce mouvement se poursuive à l'avenir. Cela contribuera à dynamiser la gestion du portefeuille.