B. LE DISPOSITIF SENTINELLE ET LA NOUVELLE POSTURE INTÉRIEURE DES ARMÉES
Ce contrat de protection du territoire national a été mis en oeuvre sous la forme de l'opération Sentinelle décidée par le Président de la République à la suite des attentats de janvier 2015, opération placée sous l'autorité du ministre de l'intérieur et commandée par le chef d'état-major des armées.
L'opération Sentinelle a ainsi entraîné le déploiement sur le territoire national d'environ 10 000 hommes pour sécuriser la population et un certain nombre de sites considérés comme sensibles.
Déployée en trois jours, la force Sentinelle a pour missions de protéger et de rassurer, de sécuriser les points et sites sensibles définis par le ministère de l'Intérieur, enfin de maximiser l'effet dissuasif que procure le déploiement visible de la force armée face à la menace terroriste. L'opération a consisté essentiellement, dans un premier temps, en une protection statique des sites jugés sensibles par le ministère de l'intérieur. Elle est ensuite devenue plus flexible avec davantage de patrouilles, y compris aléatoires comme dans les vingt arrondissements parisiens.
Ce déploiement est exceptionnel par son ampleur et par sa durée et pose un certain nombre de questions qui sont d'autant plus importantes que la mobilisation des armées pour ce type d'opération intérieure de protection de la population risque de perdurer. Votre commission avait notamment pu approfondir ces questions lors de son déplacement au Fort de Vincennes auprès des soldats de l'opération Sentinelle, le 27 janvier 2016.
En premier lieu, il s'agit de la question de la doctrine d'emploi des militaires sur le territoire national . L'armée est pleinement légitime dans la protection du territoire. Toutefois, malgré la mise en place d'états-majors tactiques et le très lent reflux des gardes statiques, le risque que les militaires deviennent des supplétifs destinés à soulager les forces de sécurité intérieure demeure. La sédimentation des réquisitions et la trop lente dynamisation du dispositif Sentinelle en sont la preuve. En outre, les qualités de nos armées sont trop peu exploitées : les remontées vers le renseignement territorial sont insuffisantes et les compétences proprement militaires sont insuffisamment utilisées.
Comme l'a demandé notre collègue Jean-Pierre Raffarin, président de votre commission, lors du débat en séance publique du 15 mars sur le rapport remis par le Gouvernement sur les conditions d'emploi des militaires sur le territoire national, « Demandons plutôt aux militaires un effet final recherché et laissons-les déployer leur savoir-faire. Les scènes de guerre, la sécurisation de zones, le contact avec les populations sont leur lot en OPEX. Sachons mieux en tirer profit. Il reste du chemin à faire. Enfin, disons-le clairement, à quel autre ministère oserait-on demander un tel effort dans la durée ? Quelque 10 % des soldats de Sentinelle campent pour six à huit semaines dans des lits de camp, en plein Paris, pas à Gao ni à Kidal ! (...) Cela doit être dit : les conditions sont dures ».
Ainsi, si la LPM prévoit que les armées interviennent « en renfort des forces de sécurité intérieure et de sécurité civile », le rôle exact des différents acteurs de la sécurité devra être précisé entre les missions qui reviennent aux militaires, aux policiers et aux gendarmes. La chaîne de commandement et les modalités précises de la mobilisation des militaires devront également être précisées à l'aune de l'expérience de l'opération Sentinelle.
Par ailleurs, certains incidents, comme à Nice le 3 février 2015 où deux militaires du 54 ème régiment d'artillerie ont été blessés à la suite d'une agression au couteau, ou à Valence en janvier 2016 ou un automobiliste a tenté de percuter quatre soldats, mettent en avant la question de la formation des militaires amenés à assurer ces missions et celle du cadre juridique de leurs interventions. La formation des militaires doit pouvoir s'appuyer sur une doctrine d'emploi précise et robuste, incluant les différentes modalités d'intervention (garde statique, ronde, à pied, en véhicule,...), leur adaptation au contexte et une typologie des sites à protéger.
Le retour d'expérience de l'opération Sentinelle doit ainsi poser les bases d'une définition rigoureuse des conditions d'emploi des forces armées lorsqu'elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population.