EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. UN QUASI-DOUBLEMENT DES CRÉDITS CONSACRÉS À L'INCLUSION SOCIALE ET À LA PROTECTION DES PERSONNES VULNÉRABLES LIÉ POUR L'ESSENTIEL À LA CRÉATION DE LA PRIME D'ACTIVITÉ
Les crédits alloués au programme n° 304 « Inclusion sociale et protection des personnes » connaissent un quasi-doublement entre 2015 et 2016 lié, en premier lieu, à la création de la prime d'activité. La réforme du financement de la protection juridique des majeurs et la mise en place d'une aide à la réinsertion familiale et sociale (ARFS) destinée aux anciens travailleurs migrants séjournant de façon régulière dans leur pays d'origine contribuent, de façon plus marginale, à la hausse des crédits.
Le programme n° 304 connaît par ailleurs un changement de périmètre avec le transfert des crédits relatifs à l'économie sociale et solidaire vers le programme n° 134 « Développement des entreprises et du tourisme ». Votre rapporteur se félicite de cette évolution qui correspond à l'une des observations qu'il avait formulées l'année dernière dans son avis sur cette même mission 1 ( * ) .
Figure n° 1 : Les crédits de paiement inscrits pour l'année 2016 au programme n° 304 « Inclusion sociale et protection des personnes »
(en millions d'euros)
Crédits de paiement demandés pour 2016 |
|
Inclusion sociale et protection des personnes |
5 129,9 |
Prime d'activité et autres dispositifs |
4 376,0 |
Autres expérimentations |
0,8 |
Aide alimentaire |
34,7 |
Qualification en travail social |
6,5 |
Protection juridique des majeurs |
637,4 |
Protection et accompagnement des enfants,
|
14,5 |
Aide à la réinsertion familiale et sociale des
anciens migrants
|
60,0 |
Source : Projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances
A. 2016, PREMIÈRE ANNÉE DE MISE EN oeUVRE DE LA PRIME D'ACTIVITÉ
1. Une réforme nécessaire mais dont l'application continue de soulever des incertitudes
a) Le dispositif créé par la loi du 17 août 2015
Créée par la loi relative au dialogue social et à l'emploi du 17 août 2015 2 ( * ) , la prime d'activité entrera en vigueur le 1 er janvier 2016. 3,95 milliards d'euros doivent être consacrés l'année prochaine à son financement. Ce montant correspond peu ou prou, en tenant compte d'une montée en charge progressive du dispositif au cours de l'année 2016, à la somme des crédits destinés jusqu'à présent au RSA « activité » et à la prime pour l'emploi (PPE). En 2015, 1,95 milliard d'euros étaient inscrits en loi de finances initiale au programme n° 304 pour le financement du RSA « activité ». Les dépenses relatives à la PPE étaient quant à elles retracées dans la mission « Travail et emploi », pour un montant de 2,1 milliards d'euros en 2015. L'étude d'impact annexée au projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi avait quant à elle chiffré à 4,1 milliards d'euros la dépense prévisionnelle de prime d'activité durant la première année de sa mise en oeuvre.
En 2016, 4 millions de foyers seront éligibles à la prime d'activité, ce qui correspond à 5,6 millions d'actifs et 11 millions de personnes au total , enfants compris 3 ( * ) . Selon les prévisions effectuées par le Gouvernement, la dépense de prime d'activité devrait s'élever à 4,2 milliards d'euros en 2017 puis 4,3 milliards d'euros en 2018 .
Aux termes de l'article L. 841-1 du code de la sécurité sociale, « la prime d'activité a pour objet d'inciter les travailleurs aux ressources modestes, qu'ils soient salariés ou non-salariés, à l'exercice ou à la reprise d'une activité professionnelle et de soutenir leur pouvoir d'achat » . Elle est ouverte aux personnes âgées de 18 ans et plus résidant en France de manière stable et effective, dès le premier euro de rémunération , ce qui la distingue à la fois du RSA « activité », qui n'était ouvert qu'à partir de 25 ans, et de la PPE, qui n'était versée qu'à partir de 0,3 Smic. S'agissant des étudiants et apprentis , ils peuvent bénéficier de la prime d'activité dès lors que leurs revenus professionnels mensuels excèdent 0,78 Smic . Tout comme le RSA « activité », la prime d'activité est une prestation sociale familialisée . Elle est calculée sur la base d'un montant forfaitaire, dont le niveau varie en fonction de la composition du foyer et du nombre d'enfants à charge, augmenté d'une fraction des revenus professionnels des membres du foyer et, le cas échéant, d'une ou plusieurs bonifications individuelles . Ces bonifications, qui constituent la principale innovation par rapport au RSA « activité », sont versées à partir de 0,5 Smic de rémunération et atteignent leur niveau maximal, soit 67 euros, à 0,8 Smic. Les modalités de versement de la prime d'activité diffèrent également peu de celles du RSA « activité ». La prime d'activité est en effet versée de façon mensuelle par les caisses d'allocations familiales et les caisses de mutualité sociale agricole pour le compte de l'Etat sur la base d'une déclaration trimestrielle de ressources (DTR). La dématérialisation de la DTR et la simplification de la base ressources (le patrimoine non producteur de revenus ou producteur de revenus non imposables n'est plus pris en compte, de même que les avantages en nature autres que la mise à disposition d'un logement à titre gratuit) devraient malgré tout faciliter les démarches des demandeurs de la prime d'activité. De plus, contrairement au RSA « activité », la prime d'activité est versée à droits figés : le montant attribué pour trois mois est donc fixe, quelle que soit l'évolution des revenus du bénéficiaire sur la période, ce qui doit permettre d'éviter des procédures complexes et souvent mal comprises de recouvrement des indus. |
Dans son précédent avis, votre rapporteur avait analysé les limites du RSA « activité » et de la PPE ainsi que leur imparfaite articulation. Il ne peut donc que saluer la mise en place d'une prestation nouvelle censée être plus efficace pour lutter contre la précarité et soutenir le retour ou le maintien dans l'emploi . Votre rapporteur conserve malgré tout certaines interrogations quant aux modalités concrètes de mise en oeuvre de cette réforme.
b) Des incertitudes fortes quant aux prévisions de la montée en charge du dispositif et son coût budgétaire
La réforme a été construite sur l'hypothèse d'une augmentation progressive du taux de recours qui s'établirait à 50 % à la fin de l'année 2016 . A cette date, 2 millions de foyers toucheraient donc la prime d'activité. C'est peu s'agissant d'une prestation dont il est tant attendu en matière de soutien au pouvoir d'achat et d'incitation à l'exercice d'une activité professionnelle. Mais c'est en pratique très optimiste si l'on tient compte du taux de recours actuel au RSA « activité », qui s'établit à 32 %.
Plusieurs facteurs expliquent la faiblesse de ce taux de recours : la complexité du dispositif et le manque de lisibilité des sommes allouées ; l'assimilation à un minimum social qui fait craindre une forme de stigmatisation ; le caractère peu incitatif de la prestation pour les personnes proches d'une insertion durable dans l'emploi, qui souhaitent avant tout sortir de tout dispositif d'assistance. Même si la prime d'activité sera théoriquement plus simple que le RSA « activité » et malgré la campagne de communication prévue par le Gouvernement, ses caractéristiques demeurent proches de celles de la prestation qu'elle remplace et il est donc à craindre que les mêmes causes ne produisent, in fine , les mêmes effets.
Partant de ce constat, le rapporteur général de la commission des finances, Albéric de Montgolfier, propose d'adopter une posture réaliste et de retirer 650 millions d'euros au montant total des crédits qu'il est prévu d'allouer en 2016 à la prime d'activité. L'enveloppe correspondrait ainsi à un taux de recours de 32 %, égal à celui du RSA « activité ».
Si votre rapporteur partage cette analyse pour 2016 dans la mesure où il devrait s'agir d'une année de « rodage » du dispositif , il estime nécessaire, pour les exercices suivants, d'abonder le programme n° 304 à un niveau suffisant. Son analyse se fonde à la fois sur l'expérience du RSA « activité », dont le coût connaissait une progression dynamique généralement sous-estimée 4 ( * ) , et sur une position de principe : tous les efforts doivent être mis en oeuvre pour que le taux de recours à la prime d'activité atteigne un niveau satisfaisant. Or, comme l'avait souligné Catherine Procaccia dans son rapport de première lecture sur le projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi, un taux de recours égal à 80 %, qui traduirait véritablement le succès de la réforme, conduirait à une dépense supérieure à 5 milliards d'euros 5 ( * ) .
Lors de l'examen de la loi relative au dialogue social et à l'emploi, Catherine Procaccia s'était également interrogée sur l'avenir du Fonds national des solidarités actives (FNSA), dont la mission principale consistait à financer le RSA « activité ». Celui-ci n'est pas supprimé par la présente loi de finances. Son rôle est désormais limité au versement du RSA « jeunes », de la prime de Noël et à la prise en charge des frais de gestion de la prime d'activité. L'article 63 de la présente loi de finances donne d'ailleurs un caractère pérenne à la prise en charge par l'Etat, via le FNSA, du RSA « jeunes ». Jusqu'à présent, ce mode de financement dérogatoire à la règle selon laquelle le volet socle du RSA est à la charge des départements devait être reconduit chaque année en loi de finances.
La subvention de l'Etat au FNSA s'élèvera l'année prochaine à 426 millions d'euros et sera complétée, comme en 2015, à hauteur de 200 millions d'euros par une fraction des recettes de la contribution exceptionnelle de solidarité. Votre rapporteur note que la somme de ces deux recettes ne permet pas de couvrir l'ensemble des dépenses du FNSA, estimées pour 2016 à 666 millions d'euros.
2. Une vigilance nécessaire s'agissant du financement du RSA « socle »
Dans son précédent avis, votre rapporteur s'était prononcé en faveur d'un transfert vers l'Etat de la gestion du RSA « socle » tout en soulignant son attachement au maintien de la compétence des départements en matière d'insertion sociale et d'accompagnement vers l'emploi 6 ( * ) . Cette question est aujourd'hui tout aussi prégnante que l'année dernière, compte tenu de la situation financière de plus en plus contrainte d'un grand nombre de départements.
Le RSA constitue, de loin, la dépense d'action sociale à la charge des départements la plus dynamique . Selon l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (Odas), elle a augmenté de 7,6 % entre 2013 et 2014, contre 4,1 % pour le soutien aux personnes handicapées, 1,8 % pour l'aide sociale à l'enfance et 1,4 % pour le soutien aux personnes âgées 7 ( * ) . Une telle situation résulte à la fois de la progression soutenue du nombre de bénéficiaires (1,67 million en 2014 soit 4,8 % de plus qu'en 2013) dans un contexte de crise économique et des décisions prises en matière d' augmentation du montant du RSA « socle » 8 ( * ) . Si l'on tient compte de l'évolution de la contribution de l'Etat, alors la charge nette pesant sur ces derniers a augmenté, sur la même période, de 20,5 %. Les actions d'insertion sont les premières victimes d'une telle évolution dans la mesure où elles représentent les seules dépenses sur lesquelles les départements disposent de marges de manoeuvre pour limiter l'évolution de leurs charges.
Figure n° 2 : Dépense et charge nette de RSA en 2009 puis en 2012-2014
(en millions d'euros)
2009 |
2012 |
2013 |
2014 |
Evolution 2013-2014 |
|
Dépense nette d'allocation
|
5 720 |
7 150 |
7 850 |
8 570 |
9,2 % |
Dépense liée aux actions d'insertion |
830 |
750 |
820 |
760 |
- 7,3 % |
Dépense nette |
6 550 |
7 900 |
8 670 |
9 330 |
7,6 % |
Concours TICPE -FMDI |
5 170 |
5 700 |
5 600 |
5 630 |
0,5 % |
Charge nette
|
1 380 |
2 200 |
3 070 |
3 700 |
20,5 % |
Source : Odas
Dans la motion adoptée en octobre dernier à l'occasion de leur 85 e congrès, les présidents de conseils départementaux se sont montrés alarmistes , indiquant qu'ils attendaient du Gouvernement « qu'il organise en priorité la recentralisation du financement de l'allocation du RSA en laissant aux départements des recettes dynamiques » et soulignant qu' « en l'absence d'engagement de l'Etat, les départements seront dans l'incapacité de financer le RSA » .
Une aide d'urgence devrait être débloquée pour les départements les plus en difficulté dans le cadre du projet de loi de finances rectificative. Elle conduirait à majorer le pourcentage de la part du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) qui leur est attribuée. Les réflexions du groupe de travail mis en place par le Gouvernement au mois de juillet 2015 devraient par ailleurs trouver un aboutissement au premier trimestre 2016. Il convient donc d'espérer qu'à cette date, une solution consensuelle et pérenne aura pu être dégagée entre l'Etat et les départements pour la gestion du RSA « socle ».
* 1 Avis n° 111 (2014-2015) présenté au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi de finances pour 2015 par M. Philippe Mouiller, Sénateur, Tome VII « Solidarité, insertion et égalité des chances », p. 20.
* 2 Loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi.
* 3 Ces chiffres sont ceux fournis dans l'étude d'impact du projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi.
* 4 Le projet de loi de finances rectificative prévoit une dépense de RSA « activité » supérieure de 157 millions d'euros aux prévisions initiales. Cette dépense supplémentaire serait avant tout liée à l'impact de la revalorisation exceptionnelle du RSA « socle ».
* 5 Rapport n° 501 (2014-2015) présenté au nom de la commission des affaires sociales par Mme Catherine Procaccia, Sénateur, sur le projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi, p. 237.
* 6 Rapport précité, p. 19.
* 7 Odas, « Les dépenses départementales d'action sociale en 2014 : le doute n'est plus permis », juin 2015.
* 8 Dans le cadre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté, le Gouvernement prévoit, sur une période de cinq ans, de revaloriser chaque année à hauteur de 2 %, en plus de l'inflation, le montant du RSA « socle ».