III. LA CRISE MIGRATOIRE CRÉE UNE SITUATION EXCEPTIONNELLE APPELÉE À SE PROLONGER
L'année 2015 a été marquée par l'émergence, avec une acuité croissante, de ce que l'on peut qualifier de crise migratoire. Ce phénomène alourdit de manière exogène la pression sur les dispositifs d'hébergement rendue particulièrement forte par la conjoncture économique.
A. LE PROGRAMME 177 PREND EN CHARGE À TITRE SUBSIDIAIRE DES DEMANDEURS D'ASILE ET DES RÉFUGIÉS
1. Des dispositifs spécifiques insuffisants
a) Les dispositifs dédiés à l'accueil des demandeurs d'asile sont saturés
Des dispositifs spécifiques visant à prendre en charge les demandeurs d'asile sont financés par le programme 303 de la mission « Immigration, asile et intégration ». Toutefois, les structures d'accueil des demandeurs d'asile sont saturées face à l'intensification des flux et les dispositifs de droit commun sont fortement sollicités.
Compte-tenu du nombre de demandes d'asile en cours de traitement (plus de 61 000) et du nombre de places en centres d'accueil des demandeurs d'asile (Cada) ou au sein des dispositifs d'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (Huda), on peut estimer que seulement un tiers des demandeurs d'asile sont pris en charge dans des dispositifs financés par le programme 303.
b) La prise en charge des demandeurs d'asile déboutés
Par ailleurs, les dispositifs de droit commun prennent en charge des demandeurs d'asile déboutés qui ne quittent pas pour autant le territoire français, soit qu'ils ne respectent pas l'obligation de quitter le territoire (OQTF), soit qu'une telle mesure ne soit pas décidée du fait de la situation de la personne (état de santé, présence d'enfants scolarisés...). Il est difficile d'évaluer le nombre de déboutés du droit d'asile qui demeurent illégalement sur le territoire, notamment parce que ces personnes peuvent obtenir un droit au séjour à un titre autre que celui de l'asile. Toutefois, dans un référé publié le 20 octobre 2015 8 ( * ) , la Cour des comptes évalue que 96 % des personnes déboutées resteraient sur le territoire.
Un rapport rédigé au nom de la commission des finances du Sénat par M. Roger Karoutchi 9 ( * ) estimait à 30 000 le nombre de personnes demeurant sur le territoire parmi les 45 000 demandeurs d'asile déboutés, soit 66 %. Si la vérité se situe probablement entre ces deux chiffres, on constate donc que la grande majorité des personnes qui n'obtiennent pas l'asile demeurent en France et n'ont souvent pas d'autre recours que de se tourner vers les structures d'hébergement de droit commun.
Source : Ministère de l'intérieur
La réforme du droit d'asile prévue par la loi du 29 juillet 2015 10 ( * ) doit notamment permettre de réduire les délais de traitement des demandes d'asile de deux ans à neuf mois. Ces délais plus court doivent limiter le développement de situations complexes qui rendent impossible la reconduite à la frontière des demandeurs d'asile déboutés.
En outre, une partie des personnes qui arrivent sur le territoire national ne souhaitent pas demander l'asile en France et ne souhaitent donc pas entrer dans les dispositifs de prise en charge, ce qui contribue à expliquer le développement de camps sauvages.
2. La prise en charge en vertu du principe d'inconditionnalité de l'accueil
La politique d'hébergement est construite sur le principe de l'inconditionnalité de l'accueil, exprimé à l'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles.
Article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles « Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence. Cet hébergement d'urgence doit lui permettre, dans des conditions d'accueil conformes à la dignité de la personne humaine, de bénéficier de prestations assurant le gîte, le couvert et l'hygiène, une première évaluation médicale, psychique et sociale, réalisée au sein de la structure d'hébergement ou, par convention, par des professionnels ou des organismes extérieurs et d'être orientée vers tout professionnel ou toute structure susceptibles de lui apporter l'aide justifiée par son état, notamment un centre d'hébergement et de réinsertion sociale, un hébergement de stabilisation, une pension de famille, un logement-foyer, un établissement pour personnes âgées dépendantes, un lit halte soins santé ou un service hospitalier. » |
Par conséquent, les structures et les opérateurs financés par les crédits du programme 177 sont amenés à prendre en charge un nombre croissant de ces migrants et réfugiés, déboutés du droit d'asile ou qui ne souhaitent pas demander l'asile en France. Le flux actuel de réfugiés et de migrants accroît donc encore, dans des proportions difficiles à évaluer 11 ( * ) , la tension sur des dispositifs de droit commun qui sont déjà saturés. Les opérateurs auditionnés par votre rapporteur ont indiqué qu'une partie des moyens exceptionnels normalement ouverts en cas de grand froid ont d'ores et déjà été mobilisés, ce qui suscite des inquiétudes quant à la gestion de la campagne hivernale 2015-2016.
* 8 Cour des comptes, référé au Premier ministre sur l'accueil et l'hébergement des demandeurs d'asile, n° S/2015/0977/1.
* 9 Rapport d'information fait au nom de la commission des finances du Sénat par M. Roger Karoutchi sur l'allocation temporaire d'attente, 30 octobre 2013.
* 10 Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile.
* 11 L'accueil étant inconditionnel, il n'est pas possible de connaître avec précision la nationalité ou la situation administrative des personnes prises en charge.