N° 549
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015
Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 juin 2015 |
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , pour la reconquête de la biodiversité , de la nature et des paysages ,
Par Mme Sophie PRIMAS,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Claude Lenoir , président ; Mmes Élisabeth Lamure, Delphine Bataille, MM. Alain Bertrand, Martial Bourquin, Gérard César, Alain Chatillon, Daniel Dubois, Joël Labbé, Michel Le Scouarnec, Yannick Vaugrenard , vice-présidents ; M. Marc Daunis, Mme Valérie Létard, M. Bruno Sido , secrétaires ; MM. Gérard Bailly, Jean-Pierre Bosino, Henri Cabanel, François Calvet, Roland Courteau, Alain Duran, Mmes Frédérique Espagnac, Dominique Estrosi Sassone, M. Daniel Gremillet, Mme Annie Guillemot, MM. Michel Houel, Serge Larcher, Jean-Jacques Lasserre, Daniel Laurent, Philippe Leroy, Mmes Marie-Noëlle Lienemann, Anne-Catherine Loisier, MM. Michel Magras, Franck Montaugé, Robert Navarro, Jackie Pierre, Ladislas Poniatowski, Mme Sophie Primas, MM. Yves Rome, Henri Tandonnet . |
Voir le(s) numéro(s) :
Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : |
1847 , 2064 et T.A. 494 |
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Sénat : |
359 (2014-2015) |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Quelques années après l'adoption en 2009 et 2010 des lois mettant en oeuvre le Grenelle de l'environnement , un nouveau texte législatif est proposé au Parlement pour promouvoir la biodiversité.
Déposé le 26 mars 2014 à l'Assemblée nationale, le projet de loi relatif à la biodiversité s'inscrit dans le prolongement des engagements pris lors de la Conférence environnementale de septembre 2012.
Porté par l'ancien ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, Philippe Martin, ce texte n'a pas été retouché après le changement de Gouvernement.
Il a fallu près d'un an pour qu'intervienne à l'Assemblée nationale, en mars dernier, la première lecture de ce texte , sur lequel la procédure accélérée n'a pas été engagée.
Prenant en compte les modifications apportées en première lecture à l'Assemblée nationale, votre commission a souhaité, le 15 avril dernier, se saisir de ce projet de loi , sur les questions relatives à l'agriculture, la pêche maritime, l'urbanisme, la pêche de loisir et la chasse.
Votre rapporteur a mené une série d'auditions de plus d'une trentaine d'organismes, avec une préoccupation centrale : conserver une ambition forte en matière de reconquête de la biodiversité, tout en prenant en compte les enjeux économiques, dans une logique gagnant-gagnant .
La préservation de la biodiversité est en effet passée trop longtemps par une logique de contraintes fortes pour les acteurs économiques, considérés d'abord et avant tout comme des pollueurs et des menaces pour l'environnement.
La reconquête de la biodiversité ne sera possible qu'en y associant les acteurs de notre territoire, en s'appuyant sur les initiatives existantes : les agriculteurs, par exemple, se sont déjà engagés dans la diversification des assolements, la pratique des couverts végétaux, la mise en place de bandes enherbées le long des cours d'eau ou encore la réimplantation de haies. La loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 a d'ailleurs fait de l'agro-écologie le socle d'une démarche associant performance économique, sociale et environnementale, avec l'ambition de gagner sur les trois tableaux.
Votre rapporteur a donc proposé à votre commission d'adopter 30 amendements sur les articles dont votre commission s'était saisie . Ces amendements proposent une approche plus réaliste, supprimant certaines obligations nouvelles qui paraissent irréalistes ou dangereuses, comme l'obligation de végétalisation des toitures des centres commerciaux, l'attribution d'un droit de préemption trop général à l'Agence des espaces verts d'Ile-de-France, la création d'un nouveau zonage environnemental pour la protection de la biodiversité, l'interdiction des néonicotinoïdes dès le 1 er janvier 2016 en France, sans approche coordonnée européenne.
Ces amendements proposent surtout de faire davantage confiance aux acteurs de terrain de la biodiversité. Ainsi, les chasseurs doivent rester majoritaires au sein de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), et les pratiques ancestrales de chasse ne doivent pas être remises en cause, dans la mesure où elles ne font pas peser de menace sur la biodiversité.
Les pêcheurs professionnels doivent aussi être respectés en leur permettant de gérer des réserves naturelles s'ils le souhaitent et en ont les capacités techniques et financières.
Au final, les propositions de votre commission ne remettent pas en cause les objectifs du projet de loi mais réclament davantage de réalisme dans la mise en oeuvre de la stratégie en faveur de la biodiversité.
I. LA PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ : PASSER D'UNE LOGIQUE DE PROTECTION À UNE LOGIQUE DE PROMOTION DE LA BIODIVERSITÉ
A. LA NÉCESSITÉ DE PRÉSERVER LA BIODIVERSITÉ PASSE PAR UN ARSENAL LÉGISLATIF ET RÉGLEMENTAIRE DE PLUS EN PLUS LOURD
1. La biodiversité : un enjeu majeur pour le monde et pour la France.
La faune, sauvage ou domestiquée, la flore et les végétaux, sauvages ou cultivés, les bactéries, les milieux, les races, les gènes : l'ensemble des êtres vivants et des écosystèmes existants sur la planète est d'une grande diversité. On estime qu'environ 1,8 millions d'espèces animales et végétales différentes ont été recensées dans le monde .
Or, le constat en est fait depuis de nombreuses années : l'érosion de la biodiversité s'accélère , à un rythme 100 à 1000 fois supérieur au taux naturel d'extinction, risquant de voir disparaître la moitié des espèces animales et végétales d'ici un siècle.
Les causes en sont multiples : réchauffement climatique, destruction des milieux naturels, surexploitation des ressources animales et végétales, tant sur terre qu'en mer, introduction d'espèces envahissantes, pollutions ...
Or, l'érosion de la biodiversité constitue une menace majeure : les services écosystémiques rendus par la biodiversité sont irremplaçables, ou le sont à des coûts prohibitifs, qu'il s'agisse de la pollinisation par les abeilles, ou de la filtration des eaux par les sols, par exemple.
La biodiversité offre également des potentialités scientifiques et technologiques importantes : le décryptage du génome des plantes, des animaux fait naître des applications nouvelles, dans le domaine végétal, du médicament, de la cosmétique, de tout le champ des biotechnologies.
La France dispose d'un patrimoine naturel de premier plan , en métropole, comme en outre-mer. La France hexagonale couvre 4 des 6 zones biogéographiques de l'Union européenne. Elle est au quatrième rang européen de la biodiversité végétale avec 4 900 plantes supérieures indigènes, et héberge 55 % des espèces d'amphibiens et 58 % des espèces d'oiseaux nidificateurs d'Europe.
Le patrimoine biologique des outre-mer est par ailleurs remarquable, sur terre comme en mer. La France abrite 10 % des récifs coralliens et lagons de la planète, en particulier en Polynésie française et à Mayotte. La forêt guyanaise est l'un des plus grands blocs au monde de forêt humide primaire.
Mais ce patrimoine naturel est fragile . La zone méditerranéenne est considérée comme un « point chaud 1 ( * ) » de la biodiversité. La France est au 5 ème rang mondial pour les espèces menacées.
S'il est difficile de mesurer précisément la biodiversité, la France s'est dotée depuis 2011 d'un observatoire national de la biodiversité (ONB) qui produit des indicateurs de biodiversité et met à disposition du public un système d'information sur la nature et les paysages (SINP), qui permet de mesurer les actions entreprises.
Car la prise de conscience de la nécessité de protection de la biodiversité ne date pas du présent projet de loi. Elle s'est affirmée au niveau international avec la convention sur la diversité biologique (CDB) signée à l'issue du sommet de la Terre de Rio de 1992, ratifiée par la France en 1994. La prise de conscience de l'érosion extrêmement rapide de la biodiversité a justifié de renforcer les exigences en matière de préservation de la nature et des milieux.
Cette convention a donné le coup d'envoi à la mise en place de stratégies pour la biodiversité , au niveau européen mais aussi au niveau national. Elle est complétée par d'autres instruments internationaux auxquels la France a adhéré, parfois depuis longtemps, et qui visent eux aussi à préserver la biodiversité : convention de Ramsar sur les zones humides, signée en 1971, convention de Washington sur le commerce des espèces sauvages, signée en 1973, ou encore convention de Bonn sur les espèces migratrices, signée en 1983.
Dotée depuis 2004 d'une stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) , la France inscrit son action dans un cadre pluriannuel fixé désormais pour la période 2011-2020, qui définit une vingtaine d'objectifs, et sert à organiser l'action en faveur de la biodiversité de l'ensemble de ses acteurs : État, collectivités territoriales, acteurs associatifs, économiques, scientifiques.
2. Un arsenal législatif et réglementaire de plus en plus lourd.
La protection de la biodiversité a pris la forme d'une législation environnementale visant à préserver certaines zones du territoire français des atteintes que les activités humaines portent au milieu naturel .
La première loi relative à la protection de la nature, en 1976 , a posé les bases de la protection des espèces menacées, imposé la réalisation d'études d'impact pour les projets d'infrastructures et créé le statut de réserves naturelles. La même année, une même loi a institué le mécanisme d'autorisation pour les installations classées pour la protection de l'environnement.
De nombreux textes se sont ensuite succédés : loi sur l'eau de 1992 puis de 2006, loi Barnier de 1995, loi constitutionnelle de 1995 intégrant la charte de l'environnement dans la Constitution de la V ème République.
Les lois Grenelle I et II de l'Environnement , votées en 2009 et 2010, comportaient un volet important relatif à la biodiversité, et marquaient une nouvelle étape dans l'ambition de la France en matière de protection des espèces et des milieux sensibles. Parmi les mesures en faveur de la biodiversité mises en oeuvre dans le cadre du Grenelle de l'environnement, figuraient notamment la création d'une trame verte et bleue, matérialisée par le schéma régional de cohérence écologique (SRCE), avec lequel tous les documents d'urbanisme doivent être compatibles. La préoccupation de préservation des continuités écologiques est ainsi inscrite dans les impératifs de gestion de l'espace par les communes et intercommunalités.
Le Grenelle de l'environnement prévoyait aussi une série de mesures encadrant l'utilisation des produits phytopharmaceutiques, pour limiter les effets négatifs sur l'environnement des traitements des cultures. Il prévoyait aussi la mise en place de plans nationaux d'action en faveur des espèces menacées.
L'impératif de préservation de la biodiversité irrigue de nombreux champs du droit et se traduit concrètement par une multitude de zonages environnementaux :
- Les parcs naturels régionaux (PNR) ;
- Les réserves naturelles ;
- Les zones Natura 2000 : zones spéciales de conservation (ZSC) et zones de protection spéciale (ZPS) ;
- Les zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) ;
- Les zones importantes pour la conservation des oiseaux (ZICO) ;
- Les zones RAMSAR ;
- Les arrêtés préfectoraux de protection de biotope (APPB) ;
- Les trames vertes et bleues (TVB).
S'ajoutent à cette liste des zonages spécifiques, comme par exemple les zones vulnérables au titre de la directive cadre sur l'eau (DCE) , qui font l'objet de mesures spécifiques imposées aux agriculteurs, comme l'obligation de présenter un plan d'épandage, comportant des limites quantitatives et des restrictions dans les pratiques admises, comme l'interdiction d'épandre les lisiers sur des terrains en pente.
Cet arsenal législatif et règlementaire est vécu par les professionnels comme de plus en plus lourd et contraignant pour leur activité.
* 1 Un point chaud de biodiversité est une zone géographique contenant au moins 1 500 espèces végétales endémiques mais qui a déjà perdu au moins 70 % des espèces présentes dans leur état originel. On recense 34 zones dans le monde qui sont considérés comme des points chauds de biodiversité, qui couvrent 2,3 % de la surface de la planète.