II. EXAMEN DU RAPPORT POUR AVIS

Réunie le mercredi 17 juin 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a procédé à l'examen du rapport pour avis de M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis, sur l'actualisation de la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et diverses dispositions concernant la défense.

EXAMEN DU RAPPORT POUR AVIS

M. Dominique de Legge , rapporteur pour avis . - La commission des finances s'est saisie pour avis du projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense. Ce projet de loi vise à procéder à l'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019 du 18 décembre 2013. Le rapport pour avis que je vous présente porte essentiellement sur les cinq premiers articles, y compris le rapport annexé à l'article premier, car ce sont ceux qui concernent la programmation financière et la trajectoire des ressources humaines.

Les éléments essentiels de cette actualisation ont été annoncés par le Président de la République à la suite du conseil de défense du 29 avril dernier.

Il s'agit notamment de tenir compte de l'évolution de la situation internationale et de la menace terroriste sur notre territoire.

L'actualisation permet également de tirer les conséquences, sur le plan programmatique, de la réalité du calendrier de cession de la bande des fréquences « 700 MHz » et de l'abandon des sociétés de projet.

Concrètement, ce projet de loi d'actualisation comporte, sur le plan de la programmation financière et de l'évolution des effectifs, trois décisions d'importance majeure.

Premièrement, les recettes exceptionnelles (REX) prévues par la LPM pour la période 2015-2019 sont, dans une très large mesure, remplacées par des crédits budgétaires : ce sont plus de 5 milliards d'euros de recettes exceptionnelles qui seront remplacés par des crédits budgétaires.

Le projet de loi répond ainsi à la principale objection qui nous avait conduits à ne pas adopter le budget de la défense pour 2015 : celui-ci prévoyait 2,2 milliards d'euros de recettes de cession de fréquences dont on savait qu'ils ne seraient pas perçus en 2015.

On peut regretter que cette question n'ait pas été tranchée plus tôt malgré les signaux d'alarme qui ont été tirés, notamment par notre commission, et que le Gouvernement se soit entêté à mettre en oeuvre un « plan B » consistant en la fameuse opération de cession-relocation de matériel militaire à travers des sociétés de projet.

Comme notre rapporteur général, j'ai d'ailleurs posé au ministre de la défense la question, pour l'instant sans réponse, du coût de cette obstination : quel est le montant des frais d'avocats et autres conseils qui ont été engagés pour étudier la faisabilité de ce projet, alors qu'un rapport réalisé par l'inspection générale des finances (IGF), le contrôle général des armées (CGA) et la direction générale de l'armement (DGA) - fort opportunément classifié confidentiel-défense - indiquait dès juillet 2014 que la vente des fréquences ne serait pas au rendez-vous et émettait de fortes réserves sur les sociétés de projet ? Je vous proposerai d'ailleurs un amendement visant à permettre aux commissions parlementaires de demander la déclassification d'informations secrètes.

Toujours est-il que la raison a finalement prévalu : les REX, rebaptisées « recettes de cession », ne s'élèvent plus qu'à 930 millions d'euros au total de 2015 à 2019 et ne sont plus composées que de cessions immobilières, pour 630 millions d'euros, et de cession de matériels militaires, pour le solde.

Deuxièmement, le présent projet de loi prévoit d'augmenter les ressources totales du ministère de la défense pour la période allant de 2016 à 2019. Ce sont ainsi 3,8 milliards de crédits budgétaires supplémentaires qui seront répartis sur ces quatre années, dont 2,5 milliards d'euros après 2017.

Enfin, 18 750 équivalents temps plein (ETP) seront maintenus sur les 33 675 suppressions initialement prévues dans la LPM, ce qui permettra une redéfinition du contrat opérationnel des forces terrestres. Celles-ci devront être capables de déployer 7 000 hommes durant une année sur le territoire national, avec la possibilité de monter jusqu'à 10 000 hommes pendant un mois. En conséquence, le format de la force opérationnelle terrestre (FOT) sera porté de 66 000 hommes à 77 000 hommes.

La réduction nette des effectifs du ministère de la défense s'élèvera à 6 918 ETP sur la période 2015-2019.

Le coût de cette moindre déflation des effectifs représente 2,8 milliards d'euros sur les 3,8 milliards d'euros de crédits supplémentaires dont bénéficie la défense.

Le milliard d'euros restant sera affecté pour moitié à l'entretien programmé des matériels (EPM) et pour l'autre moitié aux programmes d'équipement majeurs. Les programmes d'armement bénéficieront également du redéploiement de 1 milliard d'euros de crédits, grâce la baisse du coût des facteurs et des indices économiques sur lesquels se basent les clauses d'indexation des contrats d'armement passés par le ministère.

Le risque aurait été que le constat de gains de pouvoirs d'achat du ministère de la défense conduise à des annulations de crédits. Le projet de loi prévoit au contraire que ces gains sont conservés par le ministère et consacrés à des dépenses d'équipement.

Vous le voyez, le projet de loi d'actualisation de la LPM va de mon point de vue dans le bon sens, celui d'un renforcement et d'une sécurisation des moyens de la défense, ce que nous avions réclamé lors de l'examen de la loi de finances pour 2015.

Il remédie aux principaux reproches que l'on pouvait adresser à la LPM et au budget 2015. Lors de l'examen de ce budget par notre commission puis par le Sénat, je l'avais qualifié d'insincère. Cela m'avait d'ailleurs valu quelques reproches. Pour autant, tout le monde savait que les recettes prévues ne seraient pas au rendez-vous. Je suis au regret de dire que les décisions annoncées par le Président de la République et ce projet de loi ne font que conforter cette analyse.

Notre vote représentait un appel solennel adressé au Président de la République et au Gouvernement et je me réjouis qu'il ait été entendu.

Pour autant, ce projet de loi n'est pas parfait et il nous faudra maintenir notre vigilance pour que la défense bénéficie effectivement des ressources prévues dans le cadre de cette programmation actualisée.

C'est d'ailleurs le sens de trois amendements que je vous proposerai, visant à mieux sanctuariser les crédits de la défense.

Le premier porte sur les opérations extérieures (OPEX). Le projet de loi prévoit de maintenir la provision OPEX à 450 millions d'euros. C'est évidemment très en-dessous du coût prévisible des OPEX pour les années à venir. En 2014, leur coût a représenté 1,12 milliard d'euros, soit un dépassement de 650 millions d'euros. Le principe d'un financement interministériel demeure, mais dans la mesure où ce financement s'effectue dans le cadre de la solidarité interministérielle, le ministère de la défense y contribue largement : 400 millions d'euros en 2014, dont près de 120 millions d'euros pour les seules OPEX. Je constate pour le regretter que toutes les missions ne contribuent pas à ce financement interministériel. Le manque à gagner pour la défense s'élève à 79 millions d'euros selon la Cour des comptes et à 54 millions d'euros selon un mode de calcul plus favorable. Ce point n'a pas été contesté par le ministre de la défense lors de son audition.

On aboutit à un mécanisme qui rogne les moyens de nos armées lorsque celles-ci sont engagées sur des théâtres extérieurs.

Cela est d'autant plus dommageable que s'ajoute désormais le coût des opérations intérieures - et en particulier celui de la fameuse opération Sentinelle - qui pèsent entièrement sur la mission « Défense ».

Je rappelle que le ministère de la défense est également en auto-assurance pour les surcoûts liés aux dysfonctionnements du système de paie Louvois.

C'est pourquoi je vous présenterai tout à l'heure un amendement visant à ce que le ministère de la défense ne contribue pas au financement du dépassement de la provision OPEX.

Les deux autres amendements visent les cessions immobilières.

Il s'agit, tout d'abord, de rétablir la clause de sauvegarde prévue par l'actuelle LPM et supprimée par le projet de loi et, ensuite, de parer au risque présenté par la loi « Duflot ». La plus grande part des recettes viendra de la cession des emprises parisiennes. Si la décote « Duflot » s'applique, les recettes prévues ne seront pas aux rendez-vous.

Au-delà de ces amendements, je voudrai appeler l'attention de notre commission sur deux points qui méritent une vigilance particulière.

Premièrement, l'entretien des matériels : les équipements de nos forces engagées en opération extérieure s'usent de manière accélérée, notamment dans la bande sahélo-saharienne en raison de conditions d'usage extrêmement abrasives. Un effort important doit être fait pour leur régénération. Sinon les forces armées ne pourront maintenir leur niveau d'engagement actuel. Le présent projet de loi y affecte 500 millions d'euros supplémentaires, alors que les besoins sont chiffrés à plus de 800 millions d'euros par l'État-major des armées.

Il conviendra de suivre cette question avec attention, car l'usure des matériels ne se voit pas sur le plan budgétaire tant que les réparations ne sont pas effectuées, mais représente bien une consommation des ressources de l'État. Indolore sur le coup pour le budget de l'État, cette usure constitue en réalité un passif qui s'accumule, et donc une dépense différée, car il faudra bien reconstituer ces ressources matérielles si l'on souhaite maintenir les capacités opérationnelles de nos troupes.

Le second point de vigilance concerne les ressources dégagées par redéploiement des crédits, soit un milliard d'euros. Elles reposent sur l'hypothèse que les indices économiques (taux de change, inflation, etc.) se maintiendront à un niveau bas durant le reste de la période de programmation. Il faudra surveiller leur évolution réelle et en tirer éventuellement les conséquences le moment venu.

Pour finir, je vous rappelle que la LPM n'a qu'une valeur programmatique, les décisions normatives dans le domaine budgétaire relevant exclusivement des lois de finances, et que ces dispositions devront donc être traduites concrètement au moment des discussions budgétaires à venir.

Malgré ces réserves et sous le bénéfice des amendements que je vais vous présenter, je vous propose de donner un avis favorable au projet de loi, notamment pour ce qui concerne les articles 1 er , 2, 3, 4 et 4 bis qui ont trait à la programmation financière et la trajectoire des ressources humaines.

M. Claude Raynal . - J'ai écouté avec intérêt notre rapporteur et j'ai noté le changement considérable de tonalité de son discours, entre aujourd'hui et le débat en loi de finances initiale. Vous avez souligné la difficulté que nous avions tous relevée alors, qui concernait les recettes issues de la vente des fréquences. Nous avions, les uns et les autres, des interrogations sur ce sujet. Le ministre a lui-même évoqué cette question et nous a répondu en déclarant que, quoi qu'il arrive, le budget de la défense serait conforme au vote de la loi de finances. On en a la confirmation aujourd'hui. Les engagements annoncés sont donc tenus.

Je voudrais à cette occasion revenir sur la passe d'armes qui nous avait opposés au cours du débat budgétaire, quand les présidents du Sénat et de la commission des affaires étrangères et de la défense ont écrit conjointement au Président de la République pour l'interroger sur les recettes exceptionnelles du budget de la défense. Celui-ci avait immédiatement répondu à ce courrier, en leur garantissant qu'en tout état de cause, les recettes seraient au rendez-vous, et que le budget de la défense serait tenu. Je pense que cette réponse constituait un engagement majeur. Encore une fois, on en a aujourd'hui la confirmation avec la révision de la loi de programmation militaire qui nous est soumise.

En tant que sénateur nouvellement élu, j'avais été particulièrement choqué que la parole du Président de la République donnée au président du Sénat n'entraîne pas le vote des crédits de la mission « Défense » par la majorité sénatoriale. Ce refus de voter les crédits, sur la base d'une remise en cause de la parole présidentielle, constituait une position très grave, ce que vous aviez d'ailleurs souligné en rappelant que c'était la première fois qu'il n'y avait pas de consensus républicain sur ce budget.

Le projet de loi que nous examinons ce matin constitue une réponse en actes des engagements annoncés en loi de finances. Cela souligne la maladresse qui a été la vôtre en refusant de voter le budget de la défense. D'ailleurs, en préconisant aujourd'hui un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi d'actualisation de la loi de programmation militaire, vous confirmez d'une certaine façon que nous avions raison et que la position que vous aviez adoptée alors était purement politicienne.

M. Vincent Delahaye . - Pour ma part, je vais poser une question. Je croyais que le ministère de la défense était mis à contribution dans le cadre du plan d'économies annoncé par le Gouvernement. J'aimerais connaître l'impact des dispositions qui nous sont proposées aujourd'hui sur ce plan d'économies. En effet, on y limite la réduction des effectifs de façon conséquente. À chaque fois que l'on nous a proposé des plans de réduction des effectifs de l'État, la variable était le ministère de la défense. À partir du moment où celle-ci n'est plus utilisée, quels sont les leviers de réduction des dépenses, et avec quel impact ?

En outre, je constate à l'article 2 du projet de loi une hausse sensible des ressources prévues à l'horizon 2019. Certes, ce type d'évolution consistant à augmenter les recettes en fin de période dans le cadre d'une loi pluriannuelle est assez classique. Pour autant, pourriez-vous nous expliquer pourquoi l'on passera de 32,77 milliards d'euros en 2018 à 34,02 milliards d'euros en 2019 ? Quels facteurs expliquent une croissance aussi dynamique des ressources ?

M. Michel Canevet . - Je ne partage pas tout à fait la posture de Claude Raynal. En effet, au moment de l'identification des missions prioritaires destinées à recevoir des moyens supplémentaires et des missions appelées à faire davantage d'efforts, la situation du ministère de la défense a été mal évaluée, et son budget mal calibré. J'estime donc que l'attitude de la majorité sénatoriale a permis d'appeler l'attention du Gouvernement et de « rectifier le tir ».

Ma question porte sur l'évolution de la masse salariale, en lien avec les annonces de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique relatives à l'évolution de la rémunération des fonctionnaires, qui ne manqueront pas d'avoir des conséquences sur le budget de nos collectivités territoriales et des hôpitaux. Je souhaiterais savoir quelles ont été les hypothèses d'évolution des salaires prises dans la loi de programmation militaire, et si les mesures annoncées sont compatibles avec les hypothèses prévues dans le cadre de cette LPM.

M. Yannick Botrel . - La France prend une part très active dans la lutte contre le terrorisme et les groupes extrémistes à travers le monde. Elle est même probablement l'un des seuls pays européens à être aussi engagée sur le terrain. Les engagements extérieurs de l'Europe au sol reposent exclusivement sur notre pays. Cela implique des dépenses et nécessite énormément de moyens.

Cette situation n'est pas sans conséquences sur nos finances publiques, alors que nous nous sommes engagés dans une démarche d'assainissement budgétaire, en suivant d'ailleurs les injonctions européennes. Dès lors, peut-on évaluer précisément, d'un point de vue budgétaire, ce que représente l'engagement de la France dans les opérations extérieures ? Compte tenu du contexte, cet engagement budgétaire est-il pris en compte par l'Europe s'agissant de l'effort de maîtrise de nos dépenses publiques ?

M. Vincent Capo-Canellas . - Je salue le travail effectué par notre rapporteur en loi de finances, et sa clairvoyance. Je crois qu'il est important de savoir alerter quand il y a des doutes sur la sincérité des inscriptions budgétaires, ce qui peut parfois aller jusqu'à refuser de voter des crédits.

Pour autant, lorsque des correctifs sont apportés et qu'ils vont dans le bon sens, comme on a pu le constater la semaine dernière avec l'audition du ministre de la défense, il faut savoir se réunir pour plaider en faveur d'un niveau de crédits réellement consommables supérieur à ce qui était prévu jusqu'ici. Il me semble également que ce qu'a exposé le rapporteur est de nature à sécuriser les options pour l'avenir, en introduisant un certain nombre de cliquets qui me paraissent très utiles - on le verra dans la discussion des amendements.

Il me semble que le ministre nous a parlé la semaine dernière de la disparition des ressources exceptionnelles, mais je constate que le projet de loi les mentionne, pour un montant de 930  millions d'euros. N'y-a-t-il pas là une contradiction entre ce qui nous a été indiqué par le ministre et ce projet de loi ?

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Pour ma part, je souhaiterais insister sur la question des recettes immobilières, comme je l'ai fait devant le ministre. Je rappelle que le ministère de la défense bénéficie d'une exception, dans la mesure où les recettes de cession issues de son patrimoine immobilier lui sont reversées et n'abondent donc pas le budget général. C'est une composante essentielle du budget des armées. Le ministère mène actuellement d'importantes opérations de restructurations dans Paris, avec Balard notamment, dont l'équilibre budgétaire repose en partie sur de telles cessions immobilières. Il fut question pendant un temps de céder l'hôtel de la Marine place de la Concorde, un des rares bâtiments qui n'a jamais été privé en tant que garde-meuble royal, mais ce n'est plus le cas. Il n'y a donc plus de produit de cession à en attendre.

L'Îlot Saint-Germain, énorme bâtiment situé au coeur du 7 ème arrondissement de Paris, d'une valeur de cession très élevée, doit notamment alimenter le budget de la défense et contribuer à assurer l'équilibre d'autres opérations immobilières. Dès lors, comment s'assurer que ces recettes iront bien au ministère de la défense et que d'autres finalités, telles que la construction de logements sociaux avec les décrets « Duflot », n'induiront pas un prélèvement sur ces ressources ? Cela remettrait en cause l'équilibre des opérations précitées. Comment garantir concrètement, à travers la LPM, que les recettes exceptionnelles immobilières abonderont bel et bien le budget de la défense, car c'est un élément d'équilibre essentiel de son budget ? Je crois que le rapporteur va nous présenter un amendement sur ce sujet.

M. Dominique de Legge , rapporteur pour avis . - Je remercie Claude Raynal d'avoir remarqué le changement du ton de mon rapport sur l'actualisation de la LPM par rapport au projet de loi de finances pour 2015, mais vous noterez également que le ton du projet de loi lui-même a changé !

Je souhaiterais formuler deux observations : notre interpellation a peut-être contribué au changement de position du Gouvernement et je crois que le débat parlementaire, de ce point de vue, est utile. Le Sénat a dit les choses clairement et, de temps en temps, le Gouvernement l'écoute. Je veux donc rendre hommage au Gouvernement, mais aussi rendre au Sénat l'hommage qui lui revient.

Jusqu'à preuve du contraire, la parole du Président de la République ne se traduit pas par des crédits.

M. Didier Guillaume . - Si, la preuve !

M. Dominique de Legge , rapporteur pour avis . - A l'heure où je vous parle, sont toujours inscrites des recettes exceptionnelles dans le budget de la défense pour 2015 car aucune loi de finances rectificative n'est intervenue. Le projet de loi que nous examinons indique certes que le budget du ministère de la défense va augmenter grâce à des crédits budgétaires et que les recettes exceptionnelles vont être supprimées, mais aujourd'hui techniquement, juridiquement, ce n'est pas traduit dans une loi de finances.

Le Président de la République, le Premier ministre et le ministre de la défense ont pris acte du fait que ces recettes exceptionnelles ne seront pas au rendez-vous et nous promettent, à la faveur de la loi de programmation militaire, qu'elles seront transformées grâce à l'apparition de crédits budgétaires. Mais pour l'instant, il n'y a rien de tel dans la loi de finances. Je me réjouis donc de l'évolution du discours mais si vous me poussez dans mes retranchements, je vous dirais que pour l'instant, c'est bien la seule chose qui a changé !

M. Claude Raynal . - La parole du Président de la République ne vaut rien ?

M. Dominique de Legge , rapporteur pour avis . - Elle vaut peut-être de l'or mais je me souviens de la parole du Président de la République sur les collectivités territoriales : je constate qu'elle ne vaut pas grand-chose !

Mme Michèle André , présidente . - Ne changez pas de sujet.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - « Un pacte de confiance et de solidarité » ! « Garantie du niveau des dotations des collectivités territoriales à leur niveau actuel » !

M. Dominique de Legge , rapporteur pour avis . - En ce qui concerne les mesures d'économies et la contribution à la solidarité interministérielle - qui ne s'effectuent pas dans la plus grande transparence - j'ai noté que le budget de la défense était ponctionné dans une proportion supérieure à sa part dans le budget général. J'en conclus donc qu'il y a peut-être certains ministères qui sont moins mis à contribution que celui de la défense et j'aimerais qu'on y voie un peu plus clair sur les critères qui sont retenus.

Sur les 3,8 milliards d'euros de crédits supplémentaires, 2,8 milliards d'euros financent, à partir de 2016, la moindre baisse des effectifs. Le milliard d'euros restant est affecté pour moitié à l'entretien du matériel et pour moitié au renforcement de nos crédits de paiement pour des investissements.

L'augmentation du budget prévue en fin de période s'explique par la décision du Gouvernement de dégager des crédits de paiement pour satisfaire les commandes en cours et nouvelles. C'est du moins l'explication qui nous est donnée.

Les annonces de la ministre Marylise Lebranchu sur les salaires des agents publics n'entraînent pas de conséquences automatiques pour les militaires qui ont leurs propres grilles indiciaires. Sur les 25 articles du projet de loi, les articles 9 à 16, soit un tiers des articles, ont trait au personnel : le ministère de la défense a constaté que le dépyramidage ne fonctionne pas assez bien, d'où les incitations supplémentaires prévues par ces articles.

Le coût des OPEX s'élève à 1,120 milliard d'euros et il est intégré dans le déficit maastrichtien. Aujourd'hui, nos partenaires européens participent en nature, en apportant quelques concours ponctuels notamment en matière de transport. Je serais tenté de dire que nos opérations extérieures étant, pour la plupart, engagées dans le cadre d'un consensus européen, il ne serait pas anormal que nos partenaires européens participent, non pas au financement de nos armées, mais au moins au surcoût des OPEX qui, à un moment ou un autre, participent de leur propre sécurité.

Le terme de recettes exceptionnelles disparait et il reste 930 millions d'euros correspondant uniquement à des cessions immobilières - les biens sont identifiés - et pour le complément, à des cessions de matériel militaire. À ce stade, il existe peut-être un risque sur le calendrier de ces cessions mais pas sur la réalité et la faisabilité de celles-ci. Je vous présenterai d'ailleurs tout à l'heure un amendement qui va également dans le sens de la remarque de notre rapporteur général pour que ces recettes de cessions immobilières bénéficient bien au ministère de la défense et que leur valorisation corresponde effectivement au prix du marché - et non à des arrangements tenant compte de politiques publiques justifiées mais étrangères au budget de la défense.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

L'amendement n° FINC-1 rétablit la clause de sauvegarde qui figure à l'article 3 de la loi de programmation militaire. C'était l'aveu de deux faiblesses : l'aveu d'une part, que l'équilibre de la loi de finances initiale reposait de façon substantielle sur les recettes exceptionnelles ; d'autre part, qu'il existait un risque que ces recettes exceptionnelles ne soient pas au rendez-vous. Aujourd'hui, si les recettes sont plus fiables et plus raisonnables, le risque sur la tenue du calendrier demeure. Cet amendement prévoit donc que si le calendrier des cessions n'est pas tenu, cette clause de sauvegarde jouerait grâce à un mécanisme d'avance permettant au ministère de la défense de ne pas être pénalisé par des retards dans les ventes.

M. Claude Raynal . - A priori, nous n'avons pas besoin de cet amendement. Les recettes exceptionnelles seraient désormais de 930 millions d'euros, contre un niveau très élevé, de plus de 6 milliards d'euros prévus par la loi de finances initiale. Aujourd'hui, ces 930 millions d'euros correspondent, si j'ose dire, à l'épaisseur du trait budgétaire. Il me semble donc qu'il n'est pas nécessaire de prévoir cette clause de sauvegarde.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Il y a quand même de grandes incertitudes s'agissant des opérations immobilières. Lorsque j'étais au Conseil de l'immobilier de l'État, j'avais interrogé France Domaine : avec une application totale de la loi « Duflot » avec une décote qui peut atteindre jusqu'à 100 % dans la pratique, l'îlot Saint-Germain pourrait être cédé pour un euro. Cet amendement met en place une garantie nécessaire et répond à une réalité et non à un fantasme. Il est nécessaire de construire des logements sociaux, sans doute, mais eu égard aux incertitudes, cet amendement me paraît bienvenu.

M. Dominique de Legge , rapporteur pour avis . - Je souhaiterais apporter trois précisions. D'abord, cet amendement s'inscrit dans une logique de sanctuarisation des crédits de la défense que je croyais que nous partagions tous, ainsi que le ministre chargé de la défense.

En outre, il s'agit d'un milliard d'euros : je vous rappelle que le seul report de charges s'élève à 3,4 milliards d'euros. On ne peut pas prendre le risque d'un nouveau report de charges ; celui-ci doit rester à un niveau raisonnable, et je me permets de rappeler que 3,4 milliards d'euros correspondent à 11 % du budget hors pensions.

Enfin, l'une des recettes majeures attendues correspond à la vente de l'îlot Saint-Germain : cette vente ne se réalisera pas en trois mois ni même en un an. Il faudra également, sans doute, tenir compte du prix du marché : il ne s'agit pas de brader un bien. La mesure que je vous propose affirme notre détermination et notre volonté à tous de sanctuariser les crédits et de ne pas faire dépendre l'équilibre et les moyens de la défense du marché immobilier.

M. Claude Raynal . - Je crois qu'il est démontré par cette loi de programmation militaire que l'on peut récupérer 5,2 milliards d'euros lorsqu'il y a un objectif partagé par tous de sanctuarisation des crédits du ministère de la défense. Si l'on a été capable de trouver 5,2 milliards d'euros, nul doute que nous parviendrons également à trouver ces 930 millions d'euros supplémentaires si nécessaire.

En réalité, il me semble que vous restez sur une position de défiance alors même que la nécessité de sanctuariser les crédits du ministère de la défense a été affirmée tant par le Président de la République que par le ministère de la défense et le ministère du budget. Nul besoin de marteler de nouveau ce message.

M. Vincent Capo-Canellas . - Pour avoir vécu des cessions de terrains militaires, le délai constitue souvent un problème : France Domaine avance une évaluation mais la vente n'est souvent réalisée que quatre ou cinq ans après. Bien valoriser un bien suppose du temps en raison des problèmes de dépollution, de sol, de voisinage ou encore de la nécessité d'obtenir des permis. Il me semble donc utile de sécuriser ce volume de cessions face aux nombreuses incertitudes.

L'amendement n° FINC-1 est adopté.

M. Dominique de Legge , rapporteur pour avis . - L'amendement n° FINC-2 porte sur la loi « Duflot », qui autorise la cession de l'immobilier de l'État avec une décote pouvant atteindre 100 % pour la construction de logements sociaux. Or, une telle décote, si elle s'appliquait par exemple au montant de la vente de l'Îlot Saint-Germain, fragiliserait le budget du ministère de la défense.

Nous avons déjà un dispositif plus général qui consiste à permettre les cessions à l'euro symbolique des biens immobiliers du ministère de la défense au bénéfice des collectivités territoriales les plus durement frappées par les restructurations militaires.

En la matière, deux cas de figure doivent être distingués. Les collectivités territoriales qui voient des équipements et des régiments quitter leur territoire doivent être soutenues. En revanche, dans les autres situations, les biens immobiliers du ministère de la défense ne doivent pas être cédés à vil prix.

M. Claude Raynal . - Je suis défavorable à cet amendement. Les opérations concernées sont décisives pour assurer la contribution de l'État au développement du logement social. En conséquence, il ne semble pas opportun de retirer ces biens du patrimoine cessible dans les conditions prévues par la loi « Duflot ».

Il appartient au Gouvernement - qui souhaite à la fois développer le logement social et bénéficier de recettes immobilières pour le ministère de la défense - de juger de l'opportunité des projets. Nous ne sommes pas dans notre rôle.

M. Dominique de Legge , rapporteur pour avis . - Je pense que ce n'est tout simplement pas au ministère de la défense de financer le logement social.

Je pourrais presque comprendre votre position si vous aviez voté en faveur de l'amendement précédent. On ne peut pas expliquer à la fois qu'il n'y a pas besoin de garantie s'agissant de la sanctuarisation des crédits du ministère de la défense et que ce n'est pas gênant si un bien n'est pas vendu à sa valeur réelle. Je ne parviens pas à suivre votre raisonnement.

M. Claude Raynal . - Je ne voudrais pas que vous restiez sur une incompréhension. Il s'agit simplement de séparer ce qui relève du législatif de ce qui relève de l'exécutif. En la matière, il me semble que le Gouvernement doit garder une marge de manoeuvre. Il ne nous appartient pas, en tant que législateur, de procéder à cet arbitrage.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Nous avons travaillé sur ces questions avec Philippe Dallier lorsque nous étions rapporteurs spéciaux du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ».

Si on applique la loi « Duflot », c'est à la collectivité d'implantation des biens - et non au Gouvernement - de demander ou non la décote. Nous avions abordé ce sujet à l'occasion d'une audition de France Domaine, qui nous avait clairement indiqué que si la collectivité entre dans le champ de la loi « Duflot » et demande l'application de la décote, elle en bénéficie de droit dès lors qu'il s'agit de construire des logements sociaux.

M. Daniel Raoul . - Hélas non !

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Il existe certainement des combats entre Bercy et certains ministères, comme nous avions pu le constater à l'occasion de la publication de la liste des logements cessibles. Compte tenu de ces différentes d'approches, je préfère avoir une clause de sauvegarde.

M. Daniel Raoul . - Pour avoir vécu un exemple concret concernant une demande de décote, je vous confirme que son obtention n'est pas de droit. Pour une opération importante, nous avions obtenu une décote qui frisait à peine les 10 %.

Votre amendement me semble problématique car vous proposez que la décote ne s'applique pas aux cessions d'immeubles domaniaux, ce qui inclut les casernes. Avec cet amendement, il ne sera donc plus possible d'obtenir de décote pour des casernes.

M. Philippe Dallier . - Un jour, en tant que rapporteur spécial des crédits de la mission « Égalité des territoires et logement », je comptabiliserai les centaines de millions d'euros dépensés pour développer le logement social dans des quartiers où le prix du mètre carré est exorbitant.

Chacun au sein de cette commission sait bien que je ne plaide pas pour que tout le logement social soit concentré en Seine-Saint-Denis mais cela ne doit pas conduire à faire des acquisitions à prix d'or dans les beaux quartiers - car c'est bien ce qui est en train de se passer à Paris - pour des raisons d'affichage politique.

Au moment où l'on se préoccupe tant de l'efficacité de la dépense publique, cela me laisse sans voix.

M. Dominique de Legge , rapporteur pour avis . - Je voudrais répondre Daniel Raoul. Il existe un dispositif antérieur à la loi « Duflot » qui précise que les cessions de biens immobiliers militaires peuvent se faire à l'euro symbolique en cas de restructuration. Avec cet amendement, nous souhaitons simplement revenir à ce dispositif.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - En cas de fermeture de caserne ou de restructuration, la possibilité de cession à l'euro symbolique subsisterait. Sous cette condition, je suis favorable à cet amendement.

L'amendement n° FINC-2 est adopté.

M. Dominique de Legge , rapporteur pour avis . - L'amendement n° FINC-3 a pour objectif de prévoir que le ministère de la défense ne contribue pas au financement interministériel du dépassement de la dotation annuelle au titre des opérations extérieures.

Je suis parfaitement conscient qu'il s'agit d'une évolution importante par rapport à la situation actuelle. Je souhaite que cet amendement soit adopté pour ouvrir le débat : on ne peut pas continuer à parler de sanctuarisation du budget de la défense tout en rognant chaque année les moyens matériels et financiers de nos armées.

À ce stade, il s'agit d'un amendement d'appel, qui pourrait être retiré selon la réponse du Gouvernement.

L'amendement n° FINC-3 est adopté.

M. Dominique de Legge , rapporteur pour avis . - L'amendement n° FINC-4 vise à remédier aux difficultés rencontrées dans l'affaire du « rapport Charpin » sur les sociétés de projet. Avec cet amendement, nous proposons d'ouvrir aux commissions permanentes la procédure qui permet aujourd'hui aux juridictions françaises de demander la déclassification et la communication d'informations protégées au titre du secret de la défense nationale.

L'aménagement proposé fait d'ailleurs écho à un amendement adopté par le Sénat en 1998 à l'initiative de nos anciens collègues Nicolas About et Jean-Paul Amoudry, rapporteurs au nom de la commission des affaires étrangères et de la commission des lois.

Ce qui est possible pour l'institution judiciaire doit l'être également pour le Parlement. Il ne s'agit pas de créer un droit de communication mais de permettre une saisine de la commission consultative du secret de la défense nationale, qui rend des avis qui ne lient pas l'autorité administrative ayant procédé à la classification.

M. Claude Raynal . - Nous nous rejoignons sur ce point.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Lorsqu'il s'agit des droits du Parlement, je pense que nous pouvons tous nous retrouver.

L'amendement n° FINC-4 est adopté.

À l'issue de ce débat, la commission a émis un avis favorable aux articles 1 er , 2, 3, 4 et 4 bis, sous réserve des amendements qu'elle a adoptés. Elle a autorisé le rapporteur pour avis à déposer en vue de la séance publique les amendements que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, saisie au fond, n'aurait pas intégrés à son texte.

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