B. LE DISPOSITIF NATIONAL DE « MISE À L'ABRI »
1. Un dispositif mis en place par un protocole et une circulaire du 31 mai 2013
A la suite de l'expérience menée en Seine-Saint-Denis, un dispositif national de « mise à l'abri, évaluation et orientation des mineurs isolés étrangers » a été mis en place le 31 mai 2013 sous la forme d'un protocole signé par l'État et par l'association des départements de France et d'une circulaire de la garde des sceaux.
Ce dispositif national prévoit une articulation entre l'intervention du conseil général et celle du parquet. Ainsi, les conseils généraux accueillent provisoirement le mineur étranger isolé pour une durée de cinq jours , évaluent la réalité de sa minorité et de son isolement puis saisissent le procureur de la République. Au vu des données transmises par la majorité des départements, près de 50 % des jeunes se présentant comme mineurs isolés étrangers sont reconnus MIE à la suite de l'évaluation. L'État rembourse les départements qui mettent en oeuvre ce protocole à hauteur de 250 euros par jour pour un maximum de cinq jours . Le parquet prend ensuite attache avec la cellule nationale d'orientation placée auprès de la DPJJ. Celle-ci indique au parquet un lieu de placement en application d'une clé de répartition fondée sur le poids démographique de chaque département dans la population nationale âgée de 0 à 19 ans. Si certains conseils généraux ne sont entrés que tardivement dans le dispositif et si d'autres restent réticents à son application, 70 départements ont contribué au bout d'un an à cette solidarité envers 25 départements bénéficiaires .
2. Des éléments permettant de recommander certaines évolutions de ce dispositif
a) Le rapport des inspections générales des services judiciaires, de l'administration et des affaires sociales
Un rapport sur bilan du dispositif du 31 mai 2013 a été publié en juillet 2014 à l'issue d'une mission de l'inspection générale des services judiciaires, l'inspection générale de l'administration et l'inspection générale des affaires sociales.
Concernant la clé de répartition, le rapport constate qu'elle n'est pas remise en cause par les acteurs du système. En outre, le dispositif d'orientation permet aux conseils généraux d'avoir une visibilité à moyen terme des admissions de MIE. Il a également permis, pour la première fois, la prise en compte de ce public spécifique au sein de la protection de l'enfance, mission du conseil général, tout en instaurant un cadre opérationnel de mise à l'abri, d'évaluation et d'éducation permettant de commencer à harmoniser les pratiques entre les départements.
Toutefois, selon la mission, la pérennisation du dispositif suppose une consolidation juridique et financière .
Tout d'abord, les recours en annulation pour excès de pouvoir, déposés en 2013 par douze départements contre la circulaire du 31 mai 2013, sont pendants devant le Conseil d'État et font peser un risque sur la pérennité du dispositif, qu'il faudrait, en cas d'annulation, remettre en place par tout moyen juridique adapté.
En outre, en cas de maintien du dispositif, certaines notions juridiques et pratiques devraient être précisées , notamment en ce qui concerne les documents d'identité présentés, l'expertise d'âge osseux et la nécessité de notifier aux jeunes les décisions de refus d'admission à l'aide sociale à l'enfance (ASE) ou de non-assistance éducative. Il conviendrait également de pérenniser l'aide financière apportée par l'État .
De plus, selon la mission, le dispositif appelle de nombreux ajustements opérationnels : homogénéisation des conditions d'accueil entre les départements, centralisation des évaluations pour chaque région sous l'égide du préfet de région, organisation de l'expertise documentaire, élaboration d'une doctrine commune d'emploi sur les expertises médicales d'âge.
Le pilotage de la politique d'accueil des MIE doit également être renforcé et évoluer vers davantage d'interministérialité. Ainsi, le cadre général du dispositif devrait faire l'objet d'une circulaire du Premier ministre précisant les modalités d'accueil des MIE depuis leur entrée sur le territoire jusqu'à leur majorité.
Enfin, la mission recommande l'élaboration de guides de bonne pratique en matière de santé à l'usage des personnes qui évaluent et accueillent les MIE et suggère que les préfectures, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) et les conseils généraux améliorent la coordination de leurs interventions pour surmonter les difficultés concernant l'accès au droit au séjour des MIE devenus majeurs , en particulier en ce qui concerne l'articulation avec le code du travail et l'obtention de documents d'identité probants.
A la suite de la remise de ce rapport, lors du comité de suivi du 18 septembre 2014, l'État a confirmé qu'il s'engageait à financer le dispositif sur les mêmes bases pour l'année 2015 (sans en préciser les modalités à ce jour).
Selon les informations fournies à votre rapporteur par le ministère de la justice, l'accent sera mis prochainement sur la formation des personnels des conseils généraux, des associations et des autres acteurs oeuvrant à l'évaluation des publics MIE. L'école nationale de la protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ), le centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF), pour la lutte contre la fraude documentaire instaureront ainsi en 2015 des formations sur ce sujet.
b) Un avis plus critique publié le 8 juillet 2014 par la commission nationale consultative des droits de l'homme
La commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), qui s'est auto-saisie de cette question, a publié, le 8 juillet 2014, un « Avis sur la situation des mineurs isolés étrangers présents sur le territoire national. État des lieux un an après la circulaire du 31 mai 2013 relative aux modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers ».
La CNCDH estime d'abord qu'il n'y a pas eu, en réalité, d'augmentation importante du nombre de MIE sur le territoire français , les autorités ayant longtemps sous-estimé ce nombre en l'évaluant à 4 000 alors que les associations l'estimaient au double.
En outre, afin d'acquérir une vue plus juste du problème, et à l'encontre de certaines réactions d'inquiétude, il convient, selon la Commission, de partir du constat déjà établi par un rapport de l'IGAS de 2012 8 ( * ) selon lequel la plupart des jeunes concernés montrent une forte volonté d'intégration et d'apprentissage dans les structures où ils sont recueillis .
Après avoir noté que le dispositif du 31 mai 2013 comprenait des avancées notables pour la protection des MIE, la CNCDH fait valoir que de nombreux dysfonctionnements perdurent, justifiant son auto-saisine. Dès lors, la CNCDH émet vingt-trois recommandations pour améliorer la situation.
Si certaines de ces préconisations recoupent celles de la mission des trois inspections générales, la commission va plus loin sur de nombreux points. Ainsi, alors que le rapport met l'accent sur la nécessité et les modalités de l'établissement de l'authenticité des documents produits par les mineurs, la commission recommande que le principe soit celui de la présomption de minorité, elle-même fondée sur la présomption d'authenticité des documents produits et de légitimité de leur détenteur . Ces présomptions ne seraient renversées que sur décision de justice spécialement motivée. En outre, la CNCDH conteste la validité des analyses médico-légales de détermination de l'âge, et recommande par conséquent l'abandon de ces évaluations, qu'elles consistent en un examen osseux ou en un autre mode d'examen médical. Elle recommande également aux autorités françaises d'accomplir loyalement toutes les démarches nécessaires pour récupérer les éléments de l'état civil du jeune isolé étranger auprès des autorités de l'État d'origine.
S'agissant de la protection des MIE, la CNCDH recommande de généraliser la désignation d'un administrateur ad hoc qui se verrait confier une mission de représentation, d'assistance juridique et d'information pour tous les mineurs mis dans l'incapacité de faire valoir et d'exercer leurs droits, du fait de l'absence ou de l'éloignement de leurs représentants légaux. Cet administrateur serait obligatoirement désigné par le procureur de la République au moment de l'entrée en contact du mineur avec les autorités françaises. Enfin, la commission préconise de considérer que le fait, pour un mineur, d'être étranger et isolé emporte une présomption de danger qui fonde, à son tour, le droit d'accéder à la protection des enfants.
Votre rapporteure considère que l'avis de la CNCDH a le mérite de ne pas perdre de vue que l'obtention d'une protection constitue pour les mineurs isolés étrangers un droit fondamental qui découle directement de l'article 20 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant (CIDE). Dès lors, si elle se félicite de la prise en charge résolue de ce dossier par le ministère de la justice, elle souhaite que l'instauration de procédures administratives ad hoc vise d'abord à garantir l'intérêt supérieur de l'enfant consacré par la CIDE.
* 8 IGAS, Évaluation de l'accueil des mineurs relevant de l'ASE hors de leur département d'origine, février 2012 annexe 8.