III. LES PERSPECTIVES D'ÉVOLUTION DE LA REPRÉSENTATION TERRITORIALE DE L'ÉTAT
La future réforme de la carte des sous-préfectures et le débat sur l'évolution du corps des préfets vers un cadre d'emploi fonctionnel sont des enjeux considérables pour l'avenir de la représentation de l'État dans les territoires.
A. L'AVENIR INCERTAIN DES SOUS-PRÉFECTURES ET DES SOUS-PRÉFETS
Le réseau actuel des sous-préfectures n'a été que très peu modifié depuis 1926 26 ( * ) , alors même que de nombreux arrondissements ont depuis connu des évolutions majeures sur les plans économique et démographique. Avec le temps, certains territoires sont devenus « suradministrés », quand d'autres, en zone rurale notamment, nourrissent un sentiment d'abandon, suite à la fermeture ou à l'éloignement des services publics. Dans ce contexte, la question de la rénovation du réseau infra-départemental de l'administration de l'État est régulièrement posée depuis plusieurs années.
1. Vers une réforme de la carte des sous-préfectures
a) Le bilan de l'expérimentation en Alsace-Moselle
Le ministère de l'intérieur a lancé la réflexion sur la rénovation de la carte des sous-préfectures à l'automne 2012. En 2013, le ministre a demandé aux préfets des régions Alsace et Lorraine d'expérimenter une méthodologie de rénovation de la carte des sous-préfectures concernant les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Il était précisé que cette rénovation devait être faite selon une méthode « déconcentrée, objective et ouverte vis-à-vis des acteurs locaux » 27 ( * ) .
L'expérimentation sur la réforme de la
carte des sous-préfectures
Fin octobre 2013, les deux préfets de région ont indiqué la méthode qu'ils comptaient suivre : - établir un état des lieux, pour identifier les enjeux de chaque territoire, en analysant les moyens, l'organisation et les missions des sous-préfectures, et des autres implantations territoriales de l'État ; - conduire une réflexion sur les objectifs et les options possibles pour l'évolution des sous-préfectures (modification de limites, fusion ou jumelages d'arrondissements, création de Maisons de l'État, de Maisons de services au public ou d'antennes) ; - formaliser la concertation, au sein d'instances ad hoc, avec les élus (élus locaux, associations d'élus, parlementaires) et les représentants du personnel ; - créer des outils de suivi et d'évaluation. Début avril 2014, les deux préfets de région ont fait connaître leurs propositions au ministre, qui les a validées. Elles conduisent à : - supprimer 8 arrondissements : 7 arrondissements sont fusionnés (en totalité ou en grande majorité) avec un autre arrondissement ; l'arrondissement de Strasbourg-campagne est réparti entre 4 arrondissements voisins ; - adapter les limites des arrondissements aux limites des intercommunalités ; - fermer 6 sous-préfectures : Wissembourg, Guebwiller, Ribeauvillé, Metz-campagne, Boulay-Moselle au 1 er janvier 2015, et Château-Salins au 1 er janvier 2016 ; - créer 4 antennes (Boulay-Moselle, Château-Salins, Wissembourg, Guebwiller) dont une au sein d'une Maison de l'État (Château-Salins). Les procédures juridiques, à la fois nationales et locales, à mettre en oeuvre ont été lancées depuis juin. Il est indiqué qu'une attention particulière est portée au niveau ministériel comme dans les préfectures, à l'accompagnement des personnels concernés. Source : réponse au questionnaire |
Aux yeux de votre rapporteur, le choix de l'Alsace-Moselle pour expérimenter la réforme de la carte des sous-préfectures rendra difficile la généralisation des conclusions qui pourront en être tirées, quelle que soit leur pertinence. Les trois départements concernés, sont en effet, pour des raisons historiques, trop particuliers : le réseau infra-départemental d'Alsace- Moselle cumule l'héritage de l'annexion allemande de 1871 qui vit la création de 12 arrondissements, s'ajoutant aux 11 déjà existants. La Moselle est ainsi actuellement subdivisée en neuf arrondissements, le Bas-Rhin en sept et le Haut-Rhin six. En outre, une partie des modifications proposées pour l'Alsace et la Moselle ne font, en réalité, qu'acter une situation de fait : deux des arrondissements concernés par l'expérimentation n'avaient pas de sous-préfectures propres, et deux sous-préfectures étaient jumelées (un sous-préfet gérant les deux arrondissements).
Pour toutes ces raisons, si le bilan de la réforme de la carte des sous-préfectures en Alsace-Moselle se révèle positif, il ne sera pas possible d'en tirer un quelconque enseignement généralisable au reste du territoire.
b) Vers l'obsolescence de la représentation infra-départementale de l'État ?
Sur ce point, le secrétaire général du ministère de l'intérieur, entendu par votre rapporteur, a indiqué qu'il s'agissait, pour la future réforme, d'« extrapoler » plutôt que de généraliser l'expérience menée en Alsace et en Moselle. Il a en outre précisé le cadre de cette réforme : le gouvernement souhaite la rénovation de la représentation de l'État au niveau infra-départemental, sa forme devant être décidée au niveau local. Il n'y aurait pas de plan pré-établi, ni d'objectif en termes de suppression de sous-préfectures, de remodelage d'arrondissements ou d'implantation de Maisons de l'État... Ces différentes options relèveraient uniquement des choix fait localement, en concertation avec les élus locaux. Sauf que l'inévitable discours sur le progrès des moyens de communication et l'importance des mairies comme distributeurs de services de proximité laisse penser que l'objectif de suppression des sous-préfectures les moins « rentables » n'est pas abandonné. Le moment choisi pour lancer cette réforme, à savoir après les élections départementales de mars 2015, n'est pas sans signification non plus.
L'invention du terme même de « Maison de l'État » qui semble sorti d'un livre pour la jeunesse, n'est pas sans signification. Aujourd'hui appelées à regrouper les services déconcentrés de l'État au niveau infra-départemental, elles pourraient bien demain remplacer, à moindre coût, les plus petites sous-préfectures, le cahier des charges précédemment présenté en témoigne. Pour votre rapporteur, la « Maison » de l'État ne peut remplacer « l'homme » de l'État, le sous-préfet, manifestation tangible de la présence de la République sur l'ensemble du territoire. Le regroupement de services déconcentrés, fut-ce dans une Maison de l'État, procède d'une logique de gestion oublieuse du besoin de représentation de l'État républicain.
2. La remise en cause des missions de représentation de l'État, d'assistance et de conseil aux collectivités territoriales
Le rôle de représentant de l'État du sous-préfet est essentiel. Même si, juridiquement, le maire représente aussi l'État, il n'est pas perçu comme tel par ses administrés. Le sous-préfet est donc le lien privilégié entre le terrain et l'État, qu'il s'agisse des services déconcentrés ou des administrations centrales.
Dans certains territoires ruraux et isolés, ce rôle est fondamental. Comme on l'a dit, les fermetures successives des services publics dans ces territoires sont génératrices d'un sentiment d'abandon. La sous-préfecture apparaît alors comme le rempart contre la fatalité et l'injustice. Pour les élus locaux, sa suppression n'est pas envisageable, même si ses effectifs ont été substantiellement réduits au fil des réformes. Sa perte serait celle d'un symbole, celui de la République et de soutien aux élus locaux.
La relation entre le sous-préfet et les élus locaux a plusieurs facettes. Le rôle de « démineur », d' « ouvreur de portes » du sous-préfet est de loin le plus apprécié. Son autorité de représentant de l'État, ses relations privilégiées avec les services déconcentrés lui permettent de trouver rapidement la solution à des problèmes devant lesquels les maires restent désarmés. Intervenir auprès du conseil général suite à l'absence d'entretien d'une route départementale, interpeler les services déconcentrés pour débloquer un dossier de permis de construire ou un projet particulier, réunir les différents acteurs locaux afin de faire avancer un projet d'envergure sont autant d'aides facilitant substantiellement l'administration communale et dynamisant les initiatives locales.
Outre ce rôle de « démineur », le sous-préfet a celui d'expert : il est à la fois ingénieur territorial, appui technique et conseiller juridique. En zone rurale notamment, cette mission est essentielle pour les élus. Le sous-préfet de Castellane, comme les élus rencontrés par votre rapporteur au cours de son déplacement, sont unanimes à reconnaître l'embarras des maires ruraux face à la multiplicité et à la complexité des règlements et des normes. Rares en effet sont ceux qui possèdent les connaissances juridiques et techniques nécessaires pour mener à bien seuls leurs projets. Pour ces maires, l'assistance apportée par le sous-préfet n'a pas d'équivalent intercommunal.
Constatons, malheureusement, que l'évolution des missions et la réduction des effectifs réduisent la part de l'ingénierie territoriale dans le travail des agents des sous-préfectures, qu'elles soient petites ou importantes. Or, suite au transfert de la plupart des activités de guichet vers les préfectures et les mairies, les services sous-préfectoraux devraient pouvoir s`impliquer plus dans cette mission d'ingénierie territoriale. Leur proximité des élus les rend particulièrement aptes à ce rôle d'expertise et d'impulsion des projets locaux.
Des Maisons de l'État bien pensées pourraient permettre d'optimiser les moyens des sous-préfectures. Elles ne sauraient les remplacer. Éloigner le sous-préfet des élus locaux et réduire le champ des missions des sous-préfectures constitueraient un recul considérable et préjudiciable de la présence et du rôle de l'État dans les territoires.
Concernant l'avenir des préfets, cette préoccupation du recul de l'État dans les territoires est aussi d'actualité, avec le débat sur l'éventuelle évolution des préfets vers un cadre d'emploi fonctionnel.
* 26 Décret-loi du 10 septembre 1926.
* 27 Communiqué de presse du 9 septembre 2013 du ministère de l'intérieur : « Réforme du réseau des sous-préfectures- expérimentation en Alsace et Lorraine ».