B. INTERROGATIONS SUR L'AVENIR DU CORPS PRÉFECTORAL

La Cour des comptes a récemment pointé plusieurs dysfonctionnements de la gestion des préfets. Mais s'il est impératif d'améliorer cette gestion, il est plus difficile de suivre la recommandation de la Cour consistant à faire évoluer le corps des préfets vers un cadre d'emploi fonctionnel.

1. La Cour des comptes et la gestion des préfets

Dans le cadre de ses contrôles, la Cour des comptes a émis, dans un référé transmis au gouvernement en juillet dernier, des observations sur quatre points de la gestion du corps préfectoral.

a) Des affectations territoriales trop brèves

Déjà en 2005, la Cour des comptes avait relevé la brièveté des affectations territoriales des préfets. Le dernier contrôle, datant de 2012, montre même qu'elles ont diminué, passant de deux ans et demi en 2006 à quelque deux ans en 2010. Concrètement, chaque année, un préfet sur deux change d'affectation.

Pour la Cour, cette situation conduit à une instabilité dans la conduite des politiques publiques, et nuit à leur efficacité. De plus, elle ne permet pas d'évaluer l'action des préfets dans leur territoire, beaucoup de leurs aspects, comme la sécurité publique et l'emploi, se mesurant sur le long terme.

Pour remédier à cette situation, la Cour préconise une durée minimale d'affectation, autour de trois ans pour les préfets, et une durée un peu plus longue pour les préfets de région. Il faudrait également selon elle regrouper les mouvements dans le temps. Enfin, elle propose de disjoindre les affectations des promotions, à savoir de permettre l'avancement d'un préfet sans nécessairement l'affecter sur un nouveau territoire.

b) Un nombre trop élevé de préfets hors cadre

En 2013, sur 250 préfets, 127 seulement étaient affectés à un poste territorial, 37 étaient détachés, 12 en disponibilité, 1 en dehors des cadres, et 75 étaient dans la position dite « hors cadre ». Celle-ci recouvre des situations très diverses : préfets en attente d'une affectation territoriale, préfets exerçant des fonctions au ministère de l'intérieur, préfets exerçant des fonctions en dehors du ministère de l'intérieur, mais restant payés par ce dernier, préfets nommés en mission de service public.

Après avoir reconnu que, dans leur grande majorité, les fonctions exercées par les préfets hors-cadre étaient généralement utiles, la Cour estime que quelques cas posent question. Une part des missions confiées aux préfets hors-cadre, comme la présence du ministère de l'intérieur à l'étranger ou la régulation des instructions adressées aux préfets, semblent plus une occupation que l'exercice d'une réelle responsabilité. Certains préfets hors-cadre sont même sans affectation.

Pour la Cour, au-delà du gonflement des effectifs, la situation hors-cadre doit être clarifiée. Elle manque, en effet, de justification au regard de la position de détachement, position dans laquelle les préfets exercent des missions comparables à celles des préfets hors-cadre mais en étant rétribués par l'organisme qui les accueillent.

c) La particularité des préfets en mission de service public

Le décret statutaire des préfets 28 ( * ) prévoit depuis 1982 la possibilité de nommer des préfets en mission de service public (PMSP), dont la première affectation est dérogatoire puisqu'elle n'est pas territoriale. Placés en position hors-cadre, ces préfets sont nommés dans la limite de dix postes. Les griefs essentiels de la Cour concernant ces PMSP viennent de ce que ces préfets n'ont pas vocation à exercer un poste territorial, ce qui est pourtant celle du corps des préfets. La nomination d'un PMSP est parfois aussi une manière de récompenser un sous-préfet méritant en fin de carrière et d'améliorer sa retraite.

En conclusion, la Cour des comptes recommande la suppression de cette voie d'accès au corps préfectoral.

d) Du statut à l'emploi fonctionnel ?

Partant du constat que trop de préfets sont sans affectation territoriale, la Cour des comptes pose la question du remplacement du statut de préfet par un cadre d'emploi fonctionnel.

En réponse, le Premier ministre se montre ouvert à cette recommandation, indiquant que la réflexion sur l'évolution des préfets vers un emploi fonctionnel a « sensiblement progressé » et reconnaissant les avantages que présenterait cette évolution qui donnerait plus de marges de manoeuvre dans la gestion des préfets et permettrait de diversifier leur recrutement.

2. Mieux gérer les préfets

Même s'il convient de le relativiser 29 ( * ) , le diagnostic de la Cour ne peut qu'être partagé : ce turn over préfectoral doit être corrigé. Que la solution passe par le remplacement du statut de préfet par un cadre d'emploi fonctionnel pourrait par contre être un remède pire que le mal.

a) Allonger la durée des affectations territoriales

Vingt-quatre mois de présence, c'est trop peu pour prendre la mesure d'un territoire, acquérir les connaissances dont dépend l'efficacité de l'action. Côté élus locaux, cette courte durée ne permet pas de faire fructifier la relation de travail et de confiance établie avec le représentant de l'État sans laquelle aucun projet un peu important ne peut aboutir.

L'argument du Premier ministre dans sa réponse à la Cour, selon lequel le caractère discrétionnaire de la nomination des préfets rend difficile la gestion de la durée de leur affectation et de leurs mouvements n'est pas totalement convainquant. S'il est évident que la fonction politique du préfet, représentant du Gouvernement, impose des mutations (changement de majorité, incompatibilités locales), cela ne signifie pas que ralentir le mouvement et anticiper soient impossibles.

Les auditions ont montré le lien entre la courte durée des affectations préfectorales et la logique de progression de carrière. L'avancement des préfets dépendant étroitement du département dans lequel ils exercent, toute promotion impose un changement de département. En schématisant, les préfets des départements les moins peuplés sont au bas de l'échelle, et chaque promotion correspond à une affectation dans un département plus grand, plus peuplé. Ainsi, de proche en proche, c'est toute la pyramide qui se trouve affectée. Casser ce lien trop strict entre la taille du département et le statut professionnel, matériel et symbolique des préfets, permettre des promotions sur place donneraient plus de stabilité au système. En diversifiant ainsi les perspectives de carrière, on donnerait aux intéressés plus de visibilité sur leur avenir 30 ( * ) .

Une autre explication de la brièveté des affectations tient à la l'obligation de ne pas laisser trop longtemps un département sans préfet, pour cause de maladie ou décès, par exemple. La mise en place d'un corps de réserve, dont le statut reste à définir, pourrait être une solution.

En tout état de cause, réduire les occasions de mouvements devrait être une préoccupation permanente.

b) Préserver la fonction territoriale du préfet

Pour votre rapporteur, le fait qu'autant de préfets n'exercent pas leurs fonctions sur des postes territoriaux est une anomalie.

La situation hors-cadre, et plus particulièrement, celle des préfets en mission de service public, dont certaines évanescentes, contrevient à l'essence même de la mission préfectorale, son caractère territorial.

Si l'on peut admettre qu'une partie du corps préfectoral soit affectée à d'autres missions que strictement territoriales, cela ne peut concerner qu'un nombre limité de fonctionnaires placés en position de détachement auprès des organismes qui bénéficient de leurs services.

Le ministère de l'intérieur semble sensible à ce problème. Ainsi lors de son audition, son secrétaire général a indiqué que le nombre de préfets hors cadre avait très sensiblement diminué, puisqu'il est actuellement établi à 19, dont 6 n'ayant pas d'emploi effectif. On s'en félicite tout en s'interrogeant sur l'annonce du ministre, lors de son audition par la commission des lois, de la suppression, non pas de la position hors-cadre, mais seulement de son nom aux senteurs de placard effectivement peu gratifiantes pour les intéressés eux-mêmes.

Quoi qu'il en soit, allonger la durée dans les fonctions de préfet, de un à trois ans par exemple, avant titularisation limiterait aussi les effets des nominations de convenance sur critères politiques.

Mais le maintien du lien étroit entre territoire et préfet passe d'abord par le renforcement de leur professionnalisation, autrement dit par le passage obligé dans la fonction de sous-préfet. C'est dans ce rôle de terrain compliqué que peuvent être évalués et repérés ceux qui ont l'étoffe des futurs préfets. On attend donc avec grand intérêt les mesures annoncées par le ministre de l'intérieur lors de son audition par la commission des lois, mesures concernant l'évolution des dispositifs d'évaluation et de formation des préfets.

Concrètement, votre rapporteur propose :

- d'anticiper les nominations des préfets en les regroupant sur deux ou trois campagnes annuelles de mouvements, resserrées dans le temps ;

- de ne pas lier l'avancement des préfets à la taille du département d'affectation ;

- de redéfinir les modalités de titularisation des préfets ;

- de fixer un plafond pour le nombre de préfets hors-cadre avant de supprimer ce statut ;

- de supprimer la possibilité d'accéder au corps préfectoral sans affectation territoriale préalable.

3. Faut-il fonctionnaliser les préfets ?

Oui dit la Cour des comptes. Pourquoi pas semble dire le Premier ministre dans sa réponse à la Cour 31 ( * ) . Pas question de remettre en cause l'existence du corps préfectoral a affirmé le ministre de l'intérieur, lors de son audition devant la commission des lois.

Les bénéfices d'une évolution vers un emploi fonctionnel ne sont pas négligeables : diversification du recrutement, fin des dérives du « hors-cadre », les fonctionnaires exerçant la fonction de préfets rejoindraient leur corps d'origine lorsqu'on jugera qu'ils ne font plus l'affaire ; suppression de l'inconvénient lié au caractère définitif de l'entrée dans le corps préfectoral. De manière générale, la fonctionnalisation des préfets permettrait une gestion beaucoup plus souple du corps des préfets.

Cependant, pour nous, les avantages de la fonctionnalisation sont plus que compensés par la disparition de la figure du préfet en tant que présence sensible de la République une et indivisible sur l'ensemble du territoire, présence dont on perçoit la nécessité et la force lors de catastrophes, de problèmes graves et de crises. Le préfet n'est pas que le directeur général des services déconcentrés de l'État. Encore une fois, il est la République et son gouvernement sur l'ensemble du territoire.

Le préfet n'est pas un fonctionnaire comme les autres. Que l'on s'efforce d'en diversifier le recrutement est une chose, que l'on en gomme la spécificité, une autre. Imposer un passage obligé par la fonction de sous-préfet territorial pour être préfet, allonger la période d'exercice avant titularisation permettrait de concilier diversification du recrutement et spécificité de la fonction préfectorale

Dans le contexte actuel de demande forte de maintien de la présence de l'État, remplacer le corps des préfets par un emploi fonctionnel serait une erreur, serait confondre management d'une entreprise et gouvernement d'un pays.

*

* *

Sur proposition du rapporteur, la commission des lois a donné un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission Administration générale et territoriale de l'État figurant dans le projet de loi de finances pour 2015.


* 28 Décret n°64-805 du 29 juillet 1964 fixant les dispositions réglementaires applicables aux préfets

* 29 Le nombre de préfets hors cadre a été réduit à 19, dont six sont sans emploi effectif.

* 30 Cette réflexion vaut aussi pour la carrière des sous-préfets.

* 31 Cf supra

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