II. LA POLITIQUE DU LIVRE CONFRONTÉE AU DÉFI DU NUMÉRIQUE
On s'interroge traditionnellement sur les leviers de la politique du livre, leur nature et leur efficacité. Les objectifs de cette politique sont moins souvent mis en perspective. Ils apparaissent de leur côté comme consistant à favoriser la création littéraire et la diffusion de la lecture, si bien que, plutôt que d'une politique du livre, il conviendrait d'évoquer une politique de la lecture, en ses deux branches, celle de l'offre (la création littéraire) et celle de la demande (l'accès au livre comme support de la lecture). C'est au demeurant le choix de l'intitulé budgétaire de l'action 1 du programme 334.
D'emblée, des conflits d'objectifs apparaissent puisqu'aussi bien la diffusion du livre peut, par exemple, supposer une forme de gratuité alors que l'encouragement de la création implique une reconnaissance sociale et de marché de la valeur de la création. De la même manière, si la constitution d'ensembles atteignant une taille critique suffisante peut être vue, sous certaines réserves importantes, comme un gage de diversité culturelle, elle risque de déséquilibrer le jeu de la négociation entre les différents acteurs du livre en conférant aux grandes entreprises un avantage qu'elles peuvent mobiliser à leur profit. L'écosystème économique du livre peut s'en trouver modifié au détriment des autres parties prenantes, auteurs mais aussi divers métiers du livre (imprimeurs, etc...).
Ce contexte de contradictions d'objectifs force à des conciliations difficiles d'autant que des considérations concrètes s'imposent avec l'existence d'acteurs de plus en plus diversifiés, configuration qui en soi pose des problèmes aigus de soutenabilité.
Le secteur connaît des mutations accélérées qui sont le propre des situations de crise. Un modèle meurt, l'avènement de son successeur reste une virtualité.
C'est à cette situation d'entre-deux qu'il faut aujourd'hui faire face et il n'est pas sûr que l'action publique, à l'image de certains acteurs privés, soit tout à fait sortie d'ambiguïtés peut-être inévitables mais peu optimales.
D'un point de vue macroscopique, la politique du livre apparaît comme mobilisant d'importants moyens budgétaires, que le programme 334 est très loin de retracer dans leur totalité.
Dans leur dimension individuelle, ces moyens sont d'une efficacité qu'il conviendrait d'évaluer plus strictement et qui d'emblée semble devoir être fortement nuancée.
De leur côté, les contraintes réglementaires et les ambitions auxquelles la politique du livre se réfère sont quelque peu iréniques compte tenu de l'état des forces des assujettis et d'un contexte propice à des arbitrages réglementaires de grande envergure.
Au total, une plus grande agilité serait souhaitable dans un contexte mouvant où l'action publique, dans sa contribution à un maintien, voire à une extension, de la diversité culturelle, doit pouvoir s'imposer avec le soutien bien compris des professionnels intéressés à sa réussite.
A. DES MOYENS BUDGÉTAIRES IMPORTANTS QUE LE PROGRAMME 334 EST LOIN DE RETRACER EN TOTALITÉ
1. Un « programme BnF » ?
Dans le programme n° 334, c'est l'action n° 1 qui est consacrée au livre.
Celle-ci est dotée de 261,2 millions d'euros d'autorisations d'engagement (AE) et de 258,3 millions d'euros de crédits de paiement (CP).
Elle est composée de quatre « sous-actions » présentant elles-mêmes des enjeux très disparates sur le plan budgétaire.
L'essentiel des dépenses publiques se concentre sur la Bibliothèque nationale de France (BnF) à travers deux sous-actions : la sous-action « Bibliothèque nationale de France », avec 206,8 millions d'euros de crédits de paiement, regroupe 80 % des moyens de l'action n° 1 quand la sous-action n° 2 « quadrilatère Richelieu » est dotée de 13,2 millions d'euros en CP (5,1 % du total).
La BnF concentre ainsi 85,1 % des CP de l'action n° 1 et 81,9 % des crédits budgétaires du programme 334 qui pourrait presque être nommé « programme BnF ».
Les deux sous-actions correspondant au développement de la lecture et des collections pour l'une, à l'édition, librairie et professions du livre pour l'autre, avec 19,4 et 17,7 millions d'euros en CP respectivement, mobilisent 7,5 % et 7,2 % des crédits de l'action n° 1 (7,2 % et 7 % des CP totaux du programme 334).
2. Un programme qui est loin de retracer la totalité des soutiens financiers publics consacrés au livre et à la lecture
La politique du livre et de la lecture passe par d'autres instruments que les soutiens publics et ceux-ci ne sont pas entièrement retracés par les moyens budgétés dans le cadre du programme 334.
a) La politique de décentralisation
Une partie importante des dépenses publiques consacrées par l'État à cette politique est logée dans la mission « Relations avec les collectivités territoriales » du ministère de l'intérieur avec le concours particulier « bibliothèques » de la dotation générale de décentralisation qui a représenté 78,3 millions d'euros en 2013, soit presque 30 % des CP du programme 334, et qui dépasserait désormais les 80 millions d'euros.
b) Les actions des collectivités territoriales, actrices majeurs de la politique du livre et de la lecture
Les dépenses des collectivités territoriales consacrées à la lecture dépassent de beaucoup l'effort de l'État.
En 2013, les communes de plus de 10 000 habitants consacraient 837,7 millions d'euros aux bibliothèques et médiathèques. Près de 90 % de ces dépenses allaient au fonctionnement dont 853,6 millions de dépenses de personnel.
Une part importante des dépenses culturelles des groupements de communes (1,1 milliard d'euros en 2010) était consacrée à ces mêmes établissements : 242,7 millions dont 175,6 pour le budget de fonctionnement.
Quant aux départements, ils avaient dépensé 193,6 millions d'euros pour les bibliothèques et les médiathèques.
Au total, les collectivités territoriales avaient consenti en 2010 un effort de 1,274 milliard d'euros au fonctionnement et à l'investissement de ces entités, soit 4,7 fois l'effort de l'État hors dépenses fiscales.
c) Des faveurs fiscales
Le « bleu budgétaire » ne récapitule pas les dépenses fiscales alors même que la politique publique du livre et de la lecture repose sur une fiscalité favorable à travers l'application d'un taux réduit de TVA.
Il est vrai que la mission de l'Inspection générale des finances (IGF) sur les niches fiscales et sociales n'avait pas identifié ce régime comme devant être compris dans son champ (alors que l'application du taux réduit de TVA à la presse y avait été incluse).
Il n'empêche que, sur la base d'une estimation un peu comptable passant par l'application du différentiel de taux au chiffre d'affaires du marché du livre, le coût de la dépense fiscale dépasse 500 millions d'euros, soit près de deux fois les crédits du budget de l'État consacrés à la politique du livre.
Au total, un compte simplifié des soutiens publics consacrés au livre et à la lecture fait ressortir une charge pour les finances publiques de 2 milliards d'euros dont 61 % à la charge des collectivités territoriales pour un total de crédits budgétés au sein du programme 334 n'atteignant que 12 % des transferts publics bénéficiant au secteur.
La dépense nationale pour le livre approche de son côté 5,6 milliards d'euros si l'on tient compte des importations de livres et qu'une part du chiffre d'affaires national est le résultat d'exportations.