III. LA CRÉATION DU CONSEIL NATIONAL D'ÉVALUATION DES NORMES : UN NOUVEAU DISPOSITIF DE LUTTE CONTRE L'INFLATION NORMATIVE
Les états généraux de la démocratie territoriale, organisés les 4 et 5 octobre 2012 sous l'égide du président du Sénat, ont confirmé l'inquiétude des élus locaux face à la croissance des normes règlementaires ou législatives qu'ils doivent appliquer quotidiennement. Cette surproduction normative, à l'origine de nombreux coûts pour les collectivités territoriales, est vécue par les élus comme une défiance à leur égard et comme un frein à la mise en oeuvre de politiques publiques locales efficaces et dynamiques. Elle a été dénoncée par nos collègues, MM. Éric Doligé, dans le cadre de sa mission auprès du président de la République 14 ( * ) , et Claude Belot, dans le cadre d'un rapport au nom de la Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation 15 ( * ) .
Votre rapporteur pour avis tient à souligner que les élus locaux ne sont pas réfractaires, par principe, à toute norme nouvelle. Ils refusent en revanche toute règle nouvelle inutile, coûteuse et disproportionnée.
Des progrès significatifs réalisés ces dernières années, grâce notamment au rôle du commissaire à la simplification, de la commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) et de la commission d'examen des règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs (CERFRES) qui ont permis de faire évoluer les méthodes de travail des administrations centrales, ces dernières étant invitées à s'interroger davantage sur l'utilité des textes rédigés et à évaluer, en partenariat avec les élus locaux, les conséquences techniques et budgétaires de leurs prescriptions.
Dans le cadre du présent avis, votre rapporteur pour avis se bornera à présenter un bilan du moratoire sur les normes applicables aux collectivités territoriales, abrogé en juillet 2013, et le fonctionnement du futur conseil national d'évaluation des normes, renvoyant aux rapports précités pour une problématique plus générale sur le poids des normes dans l'action publique locale.
A. UN BILAN EN DEMI-TEINTE DU MORATOIRE RELATIF AUX MESURES RÉGLEMENTAIRES APPLICABLES AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
1. Un moratoire aux nombreuses exceptions
Mis en place par deux circulaires du Premier ministre des 6 juillet 2010 16 ( * ) et 17 février 2011 17 ( * ) , ce moratoire s'appliquait à l'ensemble des mesures réglementaires applicables aux collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics dont l'adoption n'était commandée ni par la mise en oeuvre d'engagements internationaux de la France ni par l'application des lois. Plus concrètement, il s'agissait : - d'une part, des dispositions réglementaires prises indépendamment de la mise en oeuvre d'une norme juridiquement supérieure ; - d'autre part, des dispositions d'opportunité, c'est-à-dire celles qui, bien qu'intégrées dans un texte réglementaire d'application d'une loi récemment adoptée ou de transposition d'une directive européenne, excèdent ce qui est « strictement commandé par la norme supérieure » et dont l'absence ne ferait pas obstacle à la mise en oeuvre de la norme supérieure ; - enfin, des dispositions qui modifient des textes d'application d'une disposition législative ou réglementaire ou d'une stipulation de droit international édictées antérieurement. Le moratoire s'appliquait à l'ensemble des mesures réglementaires dites « d'initiative » ou autonomes concernant les collectivités territoriales, que leur impact financier de la mesure projetée fut négatif (engendrant un coût), positif (générant des recettes et/ou des économies par rapport à la réglementation en vigueur) ou neutre pour les collectivités. Il couvrait ainsi le même périmètre que le champ de compétence de la commission consultative d'évaluation des normes (CCEN). Pour autant, ce moratoire n'était pas absolu : si, par exception, l'édiction d'une norme entrant dans le champ du moratoire apparaissait absolument nécessaire à un ministre, il appartenait à ce dernier de solliciter du Premier ministre, par l'intermédiaire du Secrétariat général du Gouvernement, une dérogation formelle au moratoire. En revanche, les dispositions d'application d'une loi récemment votée ou d'une directive européenne à transposer ne relevaient pas du moratoire dès lors qu'elles n'excédaient pas ce qui était strictement commandé par la norme supérieure, même si l'administration disposait d'une marge d'appréciation et devait choisir entre plusieurs scénarii de mise en oeuvre possibles, plus ou moins contraignants pour les collectivités territoriales. De même, ne relevaient pas du moratoire les prescriptions édictées par les fédérations sportives dans l'exercice de leur pouvoir réglementaire. En vertu des dispositions des articles L. 131-14 et R. 131-32 et suivants du code du sport, les fédérations agréées par le ministre chargé des sports détiennent le pouvoir d'organiser ou d'autoriser les compétitions sportives et reçoivent à cette fin délégation pour édicter « les règles techniques propres aux disciplines qu'elles représentent » ainsi que « les règlements relatifs à l'organisation de toute manifestation ouverte à leurs licenciés ». L'exercice de ce pouvoir réglementaire, qui procède directement de la loi, ne peut être encadré par une circulaire, même du Premier ministre. |
2. Un bilan en-deçà des objectifs
Entre l'entrée en vigueur effective du moratoire (septembre 2010) jusqu'en décembre 2012, 291 textes soumis à la commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) ont relevé du moratoire, représentant 39,54 % des textes examinés sur la période.
Le bilan du moratoire s'apprécie au regard des coûts générés par les textes adoptés en dérogation au moratoire et à la lumière des avis émis par la commission consultative à leur égard. Si la très grande majorité des 291 projets de texte n'ont emporté aucun coût pour les collectivités territoriales, certains d'entre eux présentaient un impact financier significatif sans pour autant faire l'objet d'un avis défavorable. Ce constat souligne que les élus membres de la CCEN, pourtant très attentifs au respect du moratoire, ne souhaitent pas l'invoquer de manière absolue.
A contrario , certains textes présentés en dérogation au moratoire ont généré des économies pour les collectivités, estimées à 49 millions d'euros sur la période septembre 2010 - décembre 2012 18 ( * ) .
Au total, seuls dix textes relevant du moratoire ont reçu un avis défavorable depuis 2010 de la CCEN 19 ( * ) .
Ainsi, d'après les informations fournies à votre rapporteur pour avis, le moratoire n'a pas permis d'infléchir de manière significative le nombre de textes concernant les collectivités soumis à la CCEN (total de 163 textes soumis en 2009, 176 en 2010, 287 en 2011 et 315 en 2012), ni le coût global supporté chaque année par les collectivités au titre de l'activité normative du Gouvernement (580 millions d'euros, 577 millions d'euros, 729 millions d'euros et 1,58 milliard d'euros au titre des textes soumis respectivement à la commission en 2009, 2010, 2011 et 2012).
* 14 « La simplification des normes applicables aux collectivités territoriales », rapport de M. Éric Doligé dans le cadre d'une mission auprès du président de la République. Juin 2011.
* 15 Rapport d'information n° 317 (2010-2011), « La maladie de la norme » de M. Claude Belot, fait au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation : http://www.senat.fr/notice-rapport/2010/r10-317-notice.html .
* 16 Circulaire NOR : PRMX1017659C du 6 juillet 2010 relative au moratoire applicable à l'adoption de mesures réglementaires concernant les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics.
* 17 Circulaire NOR : PRMX1104783C du 17 février 2011 relative à la simplification des normes concernant les entreprises et les collectivités territoriales.
* 18 Au titre principalement du décret relatif aux conditions de conclusion des contrats uniques d'insertion pour le compte de l'État et modifiant la participation mensuelle du département au financement de l'aide versée à l'employeur au titre des contrats initiative emploi, du décret relatif à la dématérialisation de la déclaration d'intention d'aliéner, ainsi que des recettes au titre du décret revalorisant le montant de l'amende forfaitaire pour les contraventions de la première classe prévues par le code de la route en matière d'arrêt et de stationnement.
* 19 Les seuls projets de texte relevant du moratoire soumis à la CCEN entre septembre 2010 et décembre 2012 ayant reçu un avis défavorable portaient sur les modalités d'attribution de l'allocation aux adultes handicapés, à la charge de l'État, et sur sept projets de décret réformant les statuts particuliers des cadres d'emplois de catégories B et A de la filière sociale de la fonction publique territoriale.