B. LA RÉDUCTION DE LA DURÉE DES MESURES DE REDRESSEMENT : UNE MESURE PROTECTRICE DES DÉBITEURS À AMÉNAGER (ARTICLE 18 D)

1. Une durée déjà réduite à huit ans par la loi du 1er juillet 2010

Aux termes des articles L. 331-6 et suivants du code de la consommation, un dossier de surendettement, une fois déclaré recevable par la commission départementale de surendettement, peut :

- faire l'objet d'un moratoire de deux ans maximum , période pendant laquelle le remboursement des dettes est suspendu et leur montant gelé, dans l'espoir d'un « retour à meilleur fortune » de la personne surendettée ;

- faire l'objet de mesures de redressement, qui sont soit négociées à l'amiable entre le débiteur et ses créanciers , ce qui est la solution « normale » d'un dépôt de dossier (article L. 331-6), soit recommandées au juge ou imposées par la commission de surendettement ;

- être orienté directement vers une « procédure de rétablissement personnel » (PRP), c'est-à-dire un effacement des dettes , lorsque la situation est irrémédiablement compromise et qu'un rééchelonnement ou un aménagement des dettes ne permettrait pas d'éponger le passif.

Schéma de la procédure de surendettement

Source : commission des finances

L'ensemble des mesures de redressement, qu'elles soient mises en oeuvre dans le cadre du plan conventionnel (article L. 331-6 du code de la consommation) ou dans celui des mesures imposées ou recommandées au juge par la commission, peuvent s'étaler sur huit années maximum . Cette durée, antérieurement fixée à dix années, a été définie par la loi du 1 er juillet 2010.

Comme le soulignent Muguette Dini et Anne-Marie Escoffier dans leur rapport précité, « au sein de la réforme du surendettement introduite par la loi du 1 er juillet 2010, [la réduction de dix à huit ans de la durée des mesures de redressement] a été la plus significative pour les créanciers » : en effet, elle « écarte des mesures de redressement un certain nombre de dossiers de débiteurs qui auraient pu apurer leurs dettes en dix ans mais ne le peuvent pas en huit ans » 14 ( * ) . Au lieu d'être rééchelonnées, ces dettes font dès lors l'objet d'effacements dans le cadre de mesures imposées ou de procédure de rétablissement personnel . Les statistiques de l'évolution des décisions dans le cadre des procédures de surendettement illustrent ce déplacement vers les mesures imposées ou les procédures de rétablissement personnel, au détriment des plans amiables, suite à la réduction de 10 à 8 ans de la durée maximale des mesures. Les plans amiables sont ainsi passés de près de 50 % en 2008 à moins de 30 % des décisions en 2012 .

Evolution des décisions de surendettement depuis 2008

Source : commission des finances, d'après les données de la Banque de France

2. L'article 18 D du présent projet de loi : une réduction à 5 ans, sans prise en compte de la durée du moratoire

En séance publique, l'Assemblée nationale a adopté, à l'initiative de notre collègue député Dominique Potier et des membres groupe socialiste, républicain et citoyen, avec avis favorable de la commission et du Gouvernement, un article visant à abaisser la durée des mesures de redressement à cinq années maximum (article 18 D du présent projet de loi) .

Comme cela est le cas actuellement sur huit ans, la durée maximale de cinq ans ne s'appliquera pas si les mesures concernent le remboursement d'un prêt immobilier pour la résidence principale, si cela permet d'en éviter la cession. Toutefois, cette exception est formulée de façon plus large que dans le droit actuel, puisque les mesures pourront également déroger à cette durée maximum lorsqu'elles permettent, d'une façon plus générale et indépendamment de l'existence d'un crédit immobilier, « au débiteur de rembourser la totalité de ses dettes tout en évitant la cession du bien immobilier constituant la résidence principale ». Cet ajout est bienvenu afin de mieux articuler la procédure de surendettement avec le maintien du débiteur surendetté dans son logement , dans le droit fil des avancées déjà permises par le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires 15 ( * ) . En effet, le maintien du débiteur dans son logement doit être une priorité absolue, non seulement pour des raisons sociales mais aussi de coût à long terme pour les acteurs du dispositif (État, département, bailleurs sociaux, etc.).

En revanche, contrairement au dispositif qui prévaut actuellement, l'article 18 D du présent projet de loi prévoit que la durée maximale de cinq ans ne prend pas en compte « les mesures de report de l'intégralité des paiements de dette et les mesures de suspension de l'exigibilité de l'intégralité des créances ».

Il s'agit, en réalité, d' exclure de cette durée maximale l'éventuelle période dite de « moratoire » : en effet, les commissions de surendettement peuvent, conformément au 4° de l'article L. 331-7 du code de la consommation, « suspendre l'exigibilité des créances autres qu'alimentaires pour une durée qui ne peut excéder deux ans ». Ce moratoire, qui vise à « geler » les crédits et à en reporter l'échéance, est généralement mis en oeuvre lorsque l'on peut espérer qu'un « retour à meilleure fortune » (notamment une reprise d'activité) du débiteur lui permette ensuite d'éviter un plan de redressement. Toutefois, une proportion importante de ces moratoires se conclut par un redépôt de dossier de surendettement 16 ( * ) et la mise en oeuvre de mesures de redressement, voire d'une PRP. Dans ce cas, la période du moratoire ne serait pas prise en compte dans la durée maximale des mesures de redressement : il serait donc possible, dans le nouveau dispositif, de connaître des mesures de redressement d'une durée de cinq ans après un moratoire de deux ans (soit sept ans au total) .

Enfin, l'article prévoit que cette réduction entre en vigueur le 1 er janvier 2015 et s'applique aux procédures de traitement des situations de surendettement en cours à cette date .

3. Des conséquences majeures pour l'équilibre de la procédure de surendettement et le crédit à la consommation

La réduction de la durée maximale des mesures de redressement se justifie, selon les auteurs de l'amendement, par le fait que l'actuel délai de huit ans serait « inadapté à la situation économique des ménages surendettés qui ne parviennent pas à s'insérer et à reprendre une vie normale ». En séance publique, le rapporteur Razzy Hammadi a notamment souligné qu'« il faut certes rembourser dans des délais raisonnables, mais il faut aussi apurer la dette dans un délai raisonnable. Tout le monde a droit à une seconde chance , tout le monde a le droit de pouvoir repartir sur de nouvelles bases » 17 ( * ) .

Cependant, la réduction de la durée des plans envisagée, qui non seulement est très importante (trois ans) mais qui intervient seulement trois ans après une première réduction de dix à huit ans, aurait trois conséquences négatives majeures .


• Tout d'abord, elle risque d'induire une forme de « déresponsabilisation » de certaines personnes surendettées, qui pourraient assimiler la procédure de surendettement à une manière d'effacer les dettes contractées. Ce risque est d'autant plus prégnant que l'introduction par la loi du 1 er juillet 2010 d'une procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire, permettant ainsi un effacement des dettes sans passer par une audience devant le juge, bien qu'elle constitue un apport majeur pour la fluidité des procédures, a déjà conduit à ce que « la procédure [perde] en solennité et la décision d'effacement des dettes [soit], en partie, banalisée » 18 ( * ) .

De ce point de vue, la procédure administrative de surendettement, spécificité française, fournit des garanties au débiteur , en particulier la gratuité de la procédure, la préservation d'un « reste à vivre » minimum pendant toute la durée du plan et la conservation, dans la majorité des cas, des biens nécessaires à la vie quotidienne (notamment la voiture), qui la distinguent des procédures de même type à l'étranger et justifient une durée de remboursement qui, comme l'a souligné notre collègue député Frédéric Barbier en séance à l'Assemblée nationale, est effectivement plus longue que chez certains de nos voisins.


• Par ailleurs, la réduction de la durée entraîne une réduction du « reste à vivre » pour les personnes soumises aux mesures de redressement, c'est-à-dire de la somme qui leur est laissée après prise en compte des remboursements de dettes et des dépenses contraintes (loyer, électricité, etc.). En effet, les mensualités de remboursement augmenteront mécaniquement si le plan doit être réalisé en cinq et non en huit années.


• Enfin, cette mesure aura pour conséquence directe une augmentation des abandons de créance , sous la forme de mesures imposées par la commission ou de procédure de rétablissement personnel, à l'instar de l'évolution constatée suite au passage de dix à huit ans par la loi du 1 er juillet 2010. Si le montant total des effacements de créance dans le cadre des procédures de rétablissement personnel s'élève aujourd'hui à environ 1,2 milliard d'euros par an, la Banque de France estime que la réduction à cinq ans aura pour effet de porter le montant annuel des effacements de créances à environ 1,7 milliard d'euros (+ 500 millions d'euros) .

Cela signifie, pour les établissements de crédit, un accroissement significatif du coût du risque : à titre d'exemple, un établissement de crédit spécialisé dans le crédit affecté a indiqué à votre rapporteure pour avis que la mesure conduirait, selon leur estimation, à une augmentation de 50 % de son coût du risque actuel . Il est probable que cela se traduise à la fois par une plus grande sélectivité des emprunteurs , donc une exclusion de certaines catégories fragiles du crédit, et par une augmentation des taux d'intérêt des crédits .

De plus, cette mesure impacte tous les créanciers, non seulement les établissements de crédit mais aussi, par exemple, les bailleurs (bailleurs sociaux, propriétaires individuels, etc.).

Au total, la mesure adoptée par l'Assemblée nationale, en l'absence d'étude d'impact précise, pourrait avoir des conséquences inattendues majeures sur la distribution du crédit aux particuliers .

Le risque semble d'autant plus présent que l'article 22 du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires vise à permettre aux commissions de surendettement d'imposer ou de recommander des mesures de redressement sans passer par une phase amiable. Si cette mesure se justifie pleinement en raison de la nécessité d'accélérer les procédures dans l'intérêt des débiteurs, elle pourrait également conduire les établissements de crédit, par crainte d'une marginalisation au sein des commissions, à augmenter la sélectivité des dossiers.

Enfin, il ne semble pas justifié d'exclure de la durée maximale des mesures la période du moratoire : en effet, cette période, qui suit, le cas échéant, la recevabilité du dossier, fait déjà partie du traitement de surendettement. En 2012, plus du tiers des plans de surendettement ont fait l'objet d'un moratoire.

En conséquence, votre commission des finances a adopté, à l'initiative de votre rapporteure pour avis, un amendement visant à porter la durée maximale de cinq ans à sept ans, en réintégrant la durée du moratoire, qui peut aller jusqu'à deux ans . Il semble en effet nécessaire d'assurer la visibilité et la lisibilité du dispositif de surendettement pour les personnes qui déposent un dossier : elles doivent être assurées, au moment du premier dépôt de dossier, de la durée maximale de traitement à laquelle elles peuvent être exposées, dans tous les cas de figure et quelle que soit la voie choisie par la commission (avec ou sans moratoire).

De plus, pour les personnes ne bénéficiant pas de moratoire, la diminution de la durée sera ainsi plus limitée (un an au lieu de trois) , ce qui réduit à la fois l'impact sur le montant du reste à vivre et, à moyen terme, l'impact sur le prix et la sélectivité du crédit à la consommation.

Par ailleurs, il convient de mettre en cohérence cette mesure avec les autres dispositions du projet de loi, en particulier la création du registre national des crédits . A cet égard, l'inévitable augmentation du coût du risque portée par cette mesure pourrait être compensée par sa réduction liée à la mise en place du fichier. Votre rapporteure pour avis souhaite donc que cet article 18 D entre en vigueur à la suite de la mise en place du registre . Dans la mesure où ce dernier doit entrer en vigueur « à une date fixée par décret et au plus tard trois ans à compter de [la] promulgation » de la loi et étant donné la complexité de la mise en oeuvre du registre, un report d'un an, au 1 er janvier 2016, semble, a minima , approprié .

Enfin, pour éviter que la mesure ne vienne impacter les dossiers de surendettement en cours de traitement, en particulier en réduisant brutalement le reste à vivre des débiteurs surendettés, il est nécessaire de préciser que l'article s'applique aux dossiers déclarés recevables avant cette date, mais pour lesquels les mesures de traitement ne sont mises en place qu'après cette date .


* 14 Rapport n° 602 (2011-2012) précité, pp. 60 et 61.

* 15 En particulier la possibilité, ouverte par l'article 22 bis du projet de loi, de réduire le budget « vie courante » des débiteurs propriétaires par rapport à celui des débiteurs locataires, ainsi que le rétablissement des aides au logement et leur affectation au bailleur, même en cas de résiliation du bail.

* 16 D'après les informations transmises par la Banque de France, dans environ deux cas sur trois, la situation du débiteur est inchangée à l'issue de la période de moratoire.

* 17 Compte-rendu de la séance du 27 juin 2013.

* 18 Idem.

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