B. L'AJUSTEMENT NÉCESSAIRE DE CERTAINES DISPOSITIONS D'ENCADREMENT DU CRÉDIT RENOUVELABLE
Deux ans après l'entrée en vigueur de la plupart des dispositions concernant le crédit renouvelable, il apparaît que certaines d'entre elles, qui avaient pour objet de mettre fin au « tout-crédit renouvelable » tel qu'il était pratiqué par certains prêteurs et enseignes, ont pu être contournées ou, à tout le moins, interprétées de façon souple par les établissements de crédit.
1. L'obligation de proposer une offre de crédit amortissable alternative (article 18)
L'article 6 de la loi du 1 er juillet 2010 a créé un article L. 311-8-1 au sein du code de la consommation, qui prévoit que « lorsqu'un prêteur ou un intermédiaire de crédit propose au consommateur, sur le lieu de vente ou par un moyen de vente à distance, un contrat de crédit pour financer l'achat de biens ou de prestations de services particuliers pour un montant supérieur à un seuil fixé par décret, le consommateur doit disposer de la possibilité de conclure un contrat de crédit amortissable à la place d'un contrat de crédit renouvelable ».
Comme cela avait été annoncé par Christine Lagarde, ministre de l'économie et des finances, en première lecture au Sénat 7 ( * ) , le seuil à partir duquel le contrat de crédit renouvelable doit être accompagné d'une offre alternative de crédit amortissable a été fixé par décret à 1 000 euros 8 ( * ) .
Il ressortait clairement des travaux préparatoires, en particulier au Sénat, que cette « possibilité de conclure un contrat de crédit amortissable » alternatif devait s'entendre comme une obligation, faite au prêteur, de le proposer à l'emprunteur 9 ( * ) .
Cependant, il est apparu, en pratique, que cette interprétation était rarement retenue par les établissements de crédit et les enseignes. Ainsi, une étude de l'UFC-Que Choisir parue en avril 2012 a montré que, dans 78 % des cas, l'offre de crédit amortissable n'était pas proposée au client 10 ( * ) . De même, selon le rapport Athling qui a réalisé une étude auprès de trente enseignes, dans 91 % des cas, l'offre alternative n'a pas été évoquée et dans 83 % des cas, elle n'est même pas visible . Ainsi, les prêteurs et les enseignes s'en tiennent à la lettre de l'article L. 311-8-1 : des offres de crédit amortissable existent, mais elles ne sont pas systématiquement proposées.
Face à ce constat, les établissements de crédit se sont engagés en novembre 2012, dans le cadre du Comité consultatif du secteur financier, à appliquer de façon plus stricte l'article L. 311-8-1 du code de la consommation : « s'agissant, sur les lieux de vente, sur les sites Internet marchands ou par un moyen de vente à distance, de toute offre de crédit renouvelable pour l'achat d'un bien ou service particulier dont le montant financé est supérieur à 1.000 euros, les établissements de crédit ou les intermédiaires de crédit présentant une telle offre l'accompagnent systématiquement d'une proposition alternative de contrat de crédit amortissable » 11 ( * ) .
L'article 18 du présent projet de loi vise à traduire dans la loi cet engagement du CCSF. Il propose ainsi une nouvelle rédaction de l'article L. 311-8-1 du code de la consommation, qui disposerait que « le prêteur ou l'intermédiaire de crédit est dans l'obligation d'accompagner systématiquement l'offre de crédit renouvelable d'une proposition de crédit amortissable ». Tout en partageant pleinement l'esprit de cette disposition, votre rapporteure pour avis vous propose un amendement rédactionnel .
De plus, si l'objet de l'offre alternative est d'éclairer le consommateur, il est nécessaire de lui donner les moyens de comparer les deux offres qui lui sont faites : c'est pourquoi votre rapporteure pour avis est favorable à l'amendement adopté à cet article par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, à l'initiative de notre collègue député Razzy Hammadi, rapporteur, qui vise à préciser que la proposition alternative doit permettre de comparer les offres, sur la base de deux hypothèses de remboursement , dans des conditions définies par décret.
2. L'encadrement des cartes liées (articles 19 ter et 19 quater A)
L'essor du crédit renouvelable, en particulier sur les lieux de vente, s'est accompagné du développement des cartes liées, associant une fonction de fidélité (avec avantages promotionnels) à un compte de crédit renouvelable . Lors des débats parlementaires sur la loi du 1 er juillet 2010, la question avait été soulevée à de nombreuses reprises et plusieurs amendements avaient été déposés par différents groupes politiques afin d'interdire ce type de cartes, ainsi que les cartes dites « double action » , proposée par les réseaux bancaires traditionnels et combinant une fonction paiement et un compte de crédit renouvelable.
Sans aller jusqu'à une interdiction pure et simple de ces cartes, qui entraverait des pratiques établies de consommation et une simplicité d'usage recherchée par certains consommateurs, la loi du 1 er juillet 2010 a cherché à éviter qu'elles ne débouchent sur une utilisation du crédit renouvelable au-delà d'un besoin réel du consommateur .
Ainsi, la loi avait notamment créé un article L. 311-17 du code de la consommation qui :
- interdit les promotions liées à l'utilisation de la fonction « crédit » plutôt que le paiement comptant ;
- rend obligatoire le paiement comptant par défaut , le paiement à crédit devant résulter d'une démarche délibérée du consommateur.
Afin d'assurer la pleine effectivité de la première disposition, la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a adopté, à l'initiative de son rapporteur, un article additionnel 19 ter qui modifie l'article L. 311-17 du code de la consommation pour préciser que l'utilisation de la fonction « crédit » ne peut donner lieu à un avantage « de toute nature », et non seulement commercial ou promotionnel. En effet, selon l'auteur de l'amendement, « certains acteurs (...) proposent des cartes offrant des places de cinéma, des coupe-file aux caisses ou la livraison gratuite sans estimer qu'elles entrent dans le champ de cette définition » 12 ( * ) . Il est donc légitime d' élargir la définition des avantages promotionnels que la loi interdit de réserver à l'utilisation de la fonction crédit d'une carte .
Par ailleurs, en séance, à l'initiative du rapporteur, l'obligation d'accord exprès du consommateur pour l'utilisation de la fonction « crédit » a été étendue aux cartes associant paiement et crédit, au-delà des seules cartes associant fidélité et crédit (article 19 quater A) .
Votre rapporteure pour avis se félicite de ces ajouts qui permettent d'améliorer techniquement les dispositions issues de la loi du 1 er juillet 2010 et d'en accroître l'efficacité au regard de l'ensemble des pratiques de crédit à la consommation.
De façon générale, votre rapporteure pour avis est défavorable à une déliaison totale des cartes de fidélité et de crédit , comme cela a notamment été préconisé par la Cour des comptes dans son dernier rapport public 13 ( * ) . En effet, la pratique des cartes à double fonction fait désormais partie des habitudes de consommation d'un grand nombre de consommateurs français. De plus, les barrières mises à l'entrée dans le crédit , en particulier la fonction « comptant » par défaut, ont considérablement limité l'entrée dans le crédit « à l'insu » des consommateurs : la part des transactions à crédit dans le total des transactions est passée de 22 % en 2007 à 6,3 % en 2012 d'après le rapport Athling. Enfin, les cartes liées permettent en réalité aux enseignes de distribution petites et moyennes, grâce à l'appui des établissements de crédit, d' offrir des avantages promotionnels plus importants qu'ils ne le pourraient sans adossement à une carte de crédit.
Cependant, les cartes associant crédit et fidélité devraient être limitées aux cas où elles répondent à un besoin réel du consommateur : dans ce contexte, votre rapporteure pour avis salue l'engagement pris par le CCSF visant à obliger les établissements de crédit et leurs intermédiaires à proposer systématiquement une carte de fidélité simple, alternativement à la carte liée. Cet engagement pourrait être repris et précisé par la loi (voir infra ).
3. Des ajustements en matière de distribution des crédits à la consommation (articles 18 A à 18 C et 19 quater à 19 septies)
L'Assemblée nationale a par ailleurs adopté un nombre important d'articles additionnels qui apportent des ajustements utiles aux règles en matière de crédit à la consommation .
• S'agissant des crédits dits
« gratuits », c'est-à-dire des crédits en
N fois sans frais, la commission des affaires économiques a,
à l'initiative de notre collègue Laurent Grandguillaume,
rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, adopté un
amendement visant à prévoir que pour être exclus de la
réglementation des crédits à la consommation,
les
crédits gratuits doivent, cumulativement, ne présenter ni
intérêts ni frais
(article 18 A).
• Par ailleurs, l'Assemblée nationale a
adopté, en séance publique, à l'initiative de Laurent
Grandguillaume et avec avis favorables de la commission et du Gouvernement, un
amendement visant à
mieux encadrer les publicités
relatives aux regroupements (ou rachats) de crédits
, afin de
prévoir que ces publicités mentionnent de manière claire
et apparente la somme des coûts totaux des crédits
antérieurs et le coût total du crédit postérieur
à l'opération précitée (article 18 B). En effet, il
apparaît que ces publicités font souvent valoir une baisse des
mensualités, sans souligner qu'elle est compensée par une
augmentation de la durée de remboursement et donc, potentiellement,
d'une hausse du coût total du crédit.
• De plus, l'Assemblée nationale a
adopté, en séance publique, à l'initiative du rapporteur
et avec avis favorable du Gouvernement, un amendement portant article
additionnel visant à prévoir que
la fiche de dialogue,
créée par la loi du 1
er
juillet 2010 comme support de
la vérification de la solvabilité de l'emprunteur par le
prêteur, doit être conservée par ce dernier durant toute la
durée du prêt (article 18 C)
. Comme le souligne le
Gouvernement en réponse au questionnaire de votre rapporteure pour avis,
«
la fiche de dialogue pourrait être utilisée en cas
de contestation de la vérification de la solvabilité. En effet,
les informations portées sur ce document doivent faire l'objet d'une
déclaration sur l'honneur de l'emprunteur
».
• La commission des affaires économiques de
l'Assemblée nationale a adopté, à l'initiative de Laurent
Grandguillaume et des membres du groupe socialiste, républicain et
citoyen de la commission,
un amendement portant article additionnel
(article 19
bis
) et ayant pour objet l'abrogation des dispositions
relatives aux hypothèques rechargeables
. Il est
précisé que l'abrogation entrera en vigueur à compter du
1
er
juillet 2014 et ne s'appliquera pas aux contrats conclus avant
cette date.
Instituée par l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés, l'hypothèque rechargeable permet à un débiteur qui a déjà constitué une hypothèque, de ne pas en constituer une nouvelle pour garantir des crédits successifs dans la limite du montant maximal prévu lors de l'hypothèque initiale. L'objectif poursuivi par l'introduction de l'hypothèque rechargeable était de permettre une baisse du coût des crédits à la consommation grâce à la sûreté hypothécaire, qui permet un meilleur refinancement de la créance pour le prêteur qu'un prêt sans garantie.
Votre rapporteure pour avis approuve la suppression, pour les particuliers, de ce mécanisme qui les incite à engager leurs biens immobiliers pour garantir un crédit à la consommation et à s'endetter sans rapport avec leurs revenus, d'autant plus que l'hypothèque rechargeable, pour les entreprises, semble avoir été peu utilisée.
• En outre, la commission des affaires
économiques de l'Assemblée nationale a adopté un article
additionnel visant à
aligner, pour les crédits
affectés, le délai de rétractation de l'emprunteur
permettant la résolution du contrat de vente, aujourd'hui de sept jours,
sur le délai général de quatorze jours prévu par
l'article L. 311-12 pour la résolution du contrat de crédit
(article 19
quater
)
. En effet, à l'heure actuelle,
deux délais sont prévus, si bien que, comme le souligne le
rapporteur de l'Assemblée nationale, auteur de l'amendement,
«
si un consommateur se rétracte entre le huitième
et le quatorzième jour, le contrat de crédit sera résolu
de plein droit, mais pas le contrat de vente ou de prestation de
services
» dont il constitue pourtant l'accessoire. Cette
harmonisation, bien qu'elle allonge le délai de rétractation du
contrat de vente, source d'incertitude pour le vendeur, est donc
légitime.
• La commission des affaires économique de
l'Assemblée nationale a également adopté, à
l'initiative de son président et contre l'avis de son rapporteur et du
Gouvernement, un amendement portant article additionnel (article 19
quinquies
) et visant
à rendre inopposable à
l'autre époux ou partenaire lié par un pacte civil de
solidarité les dettes nées de l'utilisation de crédits
renouvelables
, à
condition qu'il ne l'ait pas
expressément acceptée
et que ces dettes
dépassent un montant fixé par décret. Il s'agit de
remédier à l'insuffisante protection offerte, pour l'instant, par
les articles 220 et 515-4 du code civil au conjoint laissé dans
l'ignorance de dettes qui engagent pourtant le couple.
• Votre rapporteure pour avis se félicite que
la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale
ait pérennisé, à l'initiative de la commission des
finances, le
comité de suivi sur la réforme de
l'usure
composé du Gouverneur de la Banque de France, d'un
député, d'un sénateur et du directeur
général du Trésor (
article 19
sexies
). En effet, il s'avère que la réforme
des modes de calcul des taux de l'usure, introduite par notre collègue
Philippe Dominati, alors rapporteur au nom de la commission spéciale du
Sénat, au sein du projet de loi portant réforme du crédit
à la consommation, a eu un
impact majeur sur le
secteur
. En particulier, elle a conduit à
réduire les taux d'intérêt moyens du crédit
renouvelable
, passés de 15,6 % en 2007 à
14,1 % en 2012. De façon générale, le rapport Athling
souligne que la réforme de l'usure «
représente
74 % des impacts financiers de la LCC, soit le plus gros
poste
» du point de vue de la rentabilité des
établissements de crédit. En conséquence, il semble
nécessaire que le comité de suivi poursuive ses travaux
au-delà de la période transitoire de mise en application de la
réforme, d'autant plus que les taux d'intérêt continueront
d'évoluer même après l'égalisation, aujourd'hui
effectuée, par tranche de montant.
• Enfin, la commission des affaires
économiques de l'Assemblée nationale a adopté, à
l'initiative de sa commission des finances, un article visant à
élargir les règles fixées par la loi du
1
er
juillet 2010 en matière d'encadrement de la
rémunération des vendeurs (article
19
septies
)
. En effet, les dispositions de l'article
L. 313-11 du code de la consommation interdisent de
rémunérer un vendeur «
en fonction du taux du
crédit ou du type de crédit qu'il a fait contracter à
l'acheteur d'un bien mobilier ou immobilier
». En d'autres
termes,
les financements à crédit de prestations de
services
, en particulier pour la réalisation de travaux, ne
sont pas concernés par cet encadrement. L'article 19
septies
du
présent projet de loi vise, dans ce cadre, à modifier utilement
l'article L. 311-11 précité afin de supprimer cette
référence à l'acheteur d'un bien mobilier ou immobilier,
de manière à couvrir l'ensemble des cas d'octroi de
crédit.
* 7 Compte-rendu des débats de la commission spéciale, 2 juin 2009.
* 8 Décret n° 2010-1462 du 30 novembre 2010.
* 9 Voir par exemple le compte-rendu des débats de la commission spéciale du 2 juin 2009 et en séance publique du 16 juin 2009.
* 10 « Application de la loi Lagarde sur le crédit à la consommation : les établissements discrédités », UFC Que Choisir, avril 2012.
* 11 Avis du 15 novembre 2012 adopté par le CCSF.
* 12 Rapport n° 1156 de Razzy Hammadi et Annick Le Loch, p. 255.
* 13 Rapport public annuel 2013 de la Cour des comptes, « La lutte contre le surendettement des particuliers : des progrès encore trop limités ».