II. MALGRÉ L'EFFORT BUDGÉTAIRE LA SITUATION RESTE PRÉOCCUPANTE POUR L'ENTRAÎNEMENT DES FORCES ARMÉES

L'entraînement fonde la valeur opérationnelle des forces armées. La qualité de la préparation opérationnelle de l'armée française et sa cohérence avec les standards OTAN, validée à travers les cycles de certification et de nombreux exercices multinationaux, conditionnent la capacité d'intégration de nos forces dans des dispositifs multinationaux, complexes, engagés en opérations.

Votre commission s'alarme depuis plusieurs années de l'écart croissant entre les objectifs affichés et les niveaux réels d'entraînement. Chaque année, les rapports annuels de performances publiés en même temps que le projet de loi de règlement des comptes viennent confirmer les craintes exprimées par votre commission au moment de l'examen des lois de finances initiales.

En juillet 2012, dans un rapport public thématique sur le bilan d'exécution de la loi de programmation militaire 14 ( * ) , la Cour des comptes a très largement confirmé cette analyse, et détaillé précisément les déficits de nos forces en matière d'entraînement et de disponibilité opérationnelle des matériels.

Ainsi la Cour observe qu'en 2011, bien que les capacités opérationnelles des armées aient été démontrées, avec des interventions décisives en Côte d'Ivoire et en Libye, tout en maintenant un niveau d'engagement élevé sur plusieurs autres théâtres (Afghanistan, Liban), les « dimensions les plus exigeantes des contrats opérationnels conventionnels sont hors d'atteinte, la disponibilité des matériels et l'entraînement des forces s'avérant insuffisants . »

La Cour estime que les arbitrages effectués ont conduit trop souvent à sacrifier les dépenses d'entraînement des forces et de maintien en condition opérationnelle des matériels . « Par exemple, dans l'armée de terre, où 117 jours d'activité en 2011 et 111 en 2012 ont été réalisés pour 150 prévus par la loi de programmation militaire. La situation est aussi critique pour les pilotes de transport de l'armée de l'air avec 287 heures de vols par an pour un objectif de 400. »

Accordant des paragraphes très détaillés à la question de la préparation opérationnelle, la Cour conclut en indiquant être «  préoccupée par le niveau insuffisant d'entraînement, notamment pour l'armée de terre . ».

Dans ses documents budgétaires, le ministère de la défense fait valoir que, compte tenu de sa volonté de préserver l'activité opérationnelle des armées, le projet de loi de finances prévoit une augmentation de 300 millions d'euros des crédits d'entretien programmé du matériel, de fonctionnement opérationnel et de carburants, afin de préserver l'activité générale des forces.

Pour autant votre commission juge que ces crédits risquent de ne pas être à la hauteur des besoins. Après le pic d'engagements sur les théâtres extérieurs en 2011, puis l'inflexion de l'année 2012, 2013 sera l'année du repli des forces armées sur le territoire national. Pour la première fois depuis ces 20 dernières années, le nombre de personnels déployés en opérations extérieures va passer en 2013 sous la barre des 5000. Dans ce contexte, les besoins augmentent, qu'il s'agisse des jours d'entraînement ou de la régénération du matériel.

A. L'ARMÉE DE TERRE : UN ENTRAÎNEMENT INSUFFISANT POUR ACCOMPAGNER LE REPLI SUR LE TERRITOIRE NATIONAL ET MAINTENIR L'ATTRACTIVITÉ DES CARRIÈRES

L'objectif de 150 jours d'entraînement par an pour l'armée de terre, fixé par la loi de programmation, est désormais budgétairement hors d'atteinte. Il a d'ailleurs déjà été revu à la baisse, dans une fourchette fluctuant selon les années entre 105 jours (comme c'est le cas en 2013) et 120 jours, niveau que la Cour des comptes jugeait déjà dans son rapport précité insuffisant et qui « risque d'altérer la capacité opérationnelle des forces. ».

1. Un entraînement qui reposait sur la préparation opérationnelle différenciée, au détriment de la préparation générique

Les engagements extérieurs ont conduit à mettre l'accent sur la préparation à la projection davantage que sur la préparation générique.

Le plan d'entraînement de l'armée de terre était fortement orienté vers les opérations extérieures programmées pour les différentes unités. Ceci ne permet pas de mettre l'accent sur certaines compétences liées aux combats de haute intensité, par exemple avec une utilisation importante de l'arme blindée cavalerie, qui n'a pas connu d'engagement massif depuis la première guerre du Golfe. Avec la pression d'un fort engagement opérationnel et une contrainte accrue en termes de ressources budgétaires, les forces terrestres ont focalisé leurs efforts sur la préparation des opérations en cours, parfois au détriment de l'entraînement à un engagement générique.

Cette préparation générique constitue le socle de la préparation des forces terrestres et définit le seuil de leur crédibilité opérationnelle. Elle consiste à maîtriser les savoir-faire communs à tous les soldats, en opérations extérieures comme sur le territoire national, et les savoir-faire spécifiques de chaque métier (infanterie, cavalerie, logistique, etc.)...

En clair, la fameuse « préparation opérationnelle différenciée » des forces a permis de garantir un niveau d'entraînement adéquat aux unités devant partir en opérations à court terme, mais a conduit à relâcher l'effort pour les forces dont la projection n'est pas prévue à court terme.

La préparation opérationnelle différenciée

Le concept de préparation opérationnelle différenciée repose sur la distinction entre la préparation à « la guerre » de manière générique et la préparation à « une guerre » spécifique correspondant à un théâtre d'opérations donné.

Préparation à « la guerre générique ».

Cette première partie de la préparation opérationnelle (PO) différenciée est fondamentale. Elle constitue le socle de la PO des forces terrestres et définit le seuil de leur crédibilité opérationnelle. Elle consiste à maîtriser les savoir-faire communs à tous les soldats, en opérations extérieures comme sur le territoire national, et les savoir-faire spécifiques de métier (infanterie, cavalerie, logistique, etc.).

Programmée sur un cycle de 48 mois, elle prévoit la réalisation d'un certain nombre d'activités (parcours normés, spécifiques à chaque fonction opérationnelle). La réalisation de ces parcours est mesurée et rapportée sous forme d'indicateurs.

Préparation à « une guerre spécifique ».

Cette seconde partie de la PO différenciée, également appelée Mise en Condition avant Projection (MCP), permet de cibler les savoir-faire et les connaissances indispensables à la projection sur un théâtre donné. Sa durée varie de 2 à 6 mois en fonction de la complexité de la mission ou de la dangerosité du théâtre. Elle repose notamment sur la connaissance culturelle et comportementale du théâtre et intègre les retours d'expérience.

Mécanisme général de la PO.

Ce mécanisme repose sur un cycle dont une photographie sur une phase de 6 mois donnerait l'image suivante :

2 brigades sont en projection (engagement dans «une guerre spécifique ») ;

2 brigades se préparent à partir en mission (préparation à «une guerre spécifique ») ;

4 brigades se préparent de manière générique (préparation à «la guerre générique »), assurent des missions sur le théâtre national et pour deux d'entre elles participent au dispositif d'alerte GUEPARD.

Au cours des dernières années, le taux très élevé de projection en opérations extérieures ou en missions de courte durée et les volumes d'effectifs impliqués, a eu un impact sur la réalisation des parcours normés.

Au bilan, hommes et unités ont gagné en expérience opérationnelle et perdu en entraînement générique.

Source : ministère de la défense, réponse aux questionnaires budgétaires

Sous contrainte de ressources (équipements, budgets, munitions et espaces d'entraînement) et de temps, la priorité à été donnée à la préparation des déploiements. Le déficit en journées de préparation opérationnelle « génériques » a été compensé, en quantité et en qualité, par un nombre élevé de journées « spécifiques » et de journées d'activité opérationnelle (OPEX). La baisse des effectifs en OPEX diminue mécaniquement le volume global des jours d'activité (moins de jours passés en opérations, et moins de jours de mise en condition à la projection).

La période à venir devrait logiquement conduire à un transfert de priorité. L'enjeu pour l'armée de terre consiste désormais à mettre à profit cette « pause opérationnelle » pour relancer une préparation opérationnelle générique visant l'ensemble de ses contrats opérationnels et entretenant le haut niveau de savoir-faire atteint au cours de ce cycle de projection soutenu.

2. Des crédits 2013 trop étriqués pour répondre aux besoins d'entraînement accrus

Avec le désengagement de théâtres majeurs et la réduction du volume des forces projetées, les forces terrestres vont connaître une diminution des journées de préparation «spécifiques» probablement dans des proportions inusitées depuis le début de la professionnalisation. Moins de 5.000 hommes seront en OPEX à la fin 2012, toutes armées confondues, pour une moyenne supérieure à 10.000 sur les 10 dernières années.

L'effort doit être transféré sur la préparation générique, afin de réacquérir ou approfondir les savoir-faire fondamentaux de métier, et de maintenir le moral des unités par la conduite d'activités motivantes en métropole, ce qui a un impact direct sur la fidélisation. Or le taux de fidélisation est insuffisant pour les militaires du rang : l'armée de terre observe d'ores et déjà un déficit dans la fourchette des « 5 à 11 ans d'ancienneté », lié à un faible taux de renouvellement des contrats au bout de 5 ans. Il s'agit de soldats déjà formés et expérimentés que les forces aspireraient à fidéliser.

Il faut rappeler en outre que la revalorisation de la prime de fidélisation, annoncée par le précédent gouvernement, n'a pas été effectuée.

Dans ce contexte, votre commission observe avec inquiétude le fait que les ressources dévolues à l'entraînement restent comptées. D'autre part, la politique d'emploi et gestion des parcs (PEGP), qui monte en puissance, et qui doit contribuer à restaurer la disponibilité des matériels, n'atteindra véritablement ses objectifs de mise à disposition qu'à l'horizon 2014.

Il est vraisemblable que les unités n'auront d'autre choix que de privilégier l'entraînement qui se déroule dans et à proximité des garnisons.

a) Une cible dégradée, ne permettant qu'un niveau de préparation minimal des unités

Le bilan de l'activité des forces terrestres en 2010, 2011, au 1 er semestre 2012 et les prévisions pour 2013, détaillés dans les tableaux ci-dessous, confirment les préoccupations de votre commission.

NOMBRE DE JOURNÉES DE PRÉPARATION ET D'ACTIVITÉS OPÉRATIONNELLES (JPAO) ET D'HEURES DE VOL POUR L'ARMÉE DE TERRE

Année

Nombre de JPAO par homme

Nombre d'HdV par pilote

Référentiel

2010

119

177,4

RAP 2010

2011

117

180

RAP 2011

1 er semestre 2012*

58,6

83,1

DPG 2T 2012

Prévisions actualisées 2012

111

175

PAP 2012

Prévisions 2013

105

172

PAP 2013

Objectifs
LPM 2009-2014

150 (révisé à 120)

180

LPM 2009-2014

Référentiel OTAN

n.c.

180

Allied command operations forces standards volume VI-shape tactical evaluation manual (STEM)- janvier 2011

* Réalisés au 1 er semestre 2012 (données au 30/06/2012).

L'objectif de l'actuelle loi de programmation militaire (LPM) est de 150 JPAO par homme et par an. Il s'inscrit dans la perspective d'un engagement maximal des forces. Cette cible initiale a été ajustée à 120 JPAO.

Ce tableau montre que les efforts ont été maintenus au profit des unités se préparant à être projetées, puisque le niveau d'activité et d'entraînement atteint en 2011 est de 117 JPAO (-2 jours par rapport à 2010). En dépit des mesures de rationalisation des activités, d'optimisation de l'emploi des parcs de matériels, de densification du parcours de mise en condition avant projection (MCP), de son extension à de nouveaux bénéficiaires, la légère dégradation entre 2010 et 2011 s'explique par l'importance des activités opérationnelles et par l'effort financier supplémentaire à fournir pour améliorer l'entretien programmé du matériel.

La prévision pour 2012 (111 JPAO) est en retrait du fait de la réduction des effectifs de l'armée de terre déployés en OPEX. La préparation avant projection est maintenue à son niveau actuel afin de garantir au personnel engagé en opération une préparation en cohérence avec les missions réalisées sur les théâtres.

Les ressources budgétaires demandées pour 2013 permettront tout juste de maintenir le nombre de JPAO à 105 jours. Le financement de jours de préparation opérationnelle de l'armée de terre supplémentaires ne vient que partiellement compenser la moindre activité opérationnelle liée au désengagement progressif d'Afghanistan.

b) Alors que le besoin réel des pilotes s'établit à 200 heures de vol, l'atteinte de la cible des 180 heures de vol est de plus en plus aléatoire

Si l'activité opérationnelle des pilotes de l'aviation légère de l'armée de terre (ALAT) a progressé durant l'année 2011, il est néanmoins observé un certain tassement de l'activité sur le premier semestre 2012, compte tenu des problèmes de disponibilité des appareils.

Les difficultés rencontrées en termes de disponibilité des aéronefs sont la conséquence du haut niveau d'engagement de 2011 et de la nécessaire phase de régénération qui lui succède, tant pour le personnel (équipages mais surtout maintenanciers) que pour le matériel (reconstitution des stocks). Elles proviennent aussi d'un allongement sensible des périodes d'entretien lié à l'hétérogénéité du parc (effet cumulé d'un parc d'ancienne génération demandant toujours plus de travaux d'entretien et d'un parc de nouvelle génération, complexe et plus exigeant sur le plan normatif).

Avec une moyenne estimée de 83,1 heures de vol réalisée depuis le début de l'année 2012, le niveau pourrait n'atteindre que 175 heures de vol réelles par pilote d'hélicoptère .

Il faut noter que ce calcul du nombre d'heures de vol inclut, qui plus est, des éléments comme les vols de « substitution » et le temps passé par les pilotes sur des simulateurs.

La cible pour 2013 n'est que de 172 heures de vol...

3. Un entraînement rationné par la rareté des « indemnités de service en campagne » (ISC)

Le projet de loi de finances prévoit 105 journées de préparation et d'activités opérationnelles (JPAO) pour l'armée de Terre. L'indicateur JPAO est un indicateur global, en ce qu'il caractérise l'activité de l'armée de terre quelle qu'en soit la finalité (et le financement) : opérations extérieures, opérations intérieures, missions de courte durée outre-mer ou à l'étranger, préparation opérationnelle stricto sensu, etc.

Parmi ces 105 jours, les crédits budgétaires ne permettront d'en indemniser que 59. Pour l'armée de Terre, 46 des 105 JPAO ne seront pas indemnisés et devront donc être réalisés à l'intérieur des garnisons.

Par analogie avec les « jours à la mer » des marins, l'armée de Terre a élaboré un nouvel indicateur de la préparation opérationnelle, basé sur les "jours à la Terre" (JT), qui sont les jours de préparation et d'activité opérationnelle hors garnison , indemnisés comme tels notamment par des indemnités de service en OPEX et des indemnités de service en campagne (ISC), et figurant dans le schéma ci-dessous.

Cette évolution pose un double problème, à la fois opérationnel et humain :

- opérationnel , car en étant obligée de réaliser 46 JPAO en garnison, l'armée de Terre ne pourra pas conduire de façon optimale son projet de compenser la baisse de ses engagements par une montée en puissance de la préparation opérationnelle « générique » (JPO), réalisée en grande partie dans les camps et les centres spécialisés pour être conduite au bon niveau (régiment, brigade) et le plus près possible des conditions d'engagement de nos futures opérations ;

- un problème humain , car la baisse importante des indemnités touchées par nos soldats en opérations (et budgétisées au titre des OPEX) représente une baisse de revenu qui, à terme, nuira au moral de la troupe et à la qualité du recrutement de l'armée de Terre. Les ISC perçues lors des entraînements sur tous les terrains sont bien la seule prime dont peuvent bénéficier les militaires du rang de l'armée de Terre.

ÉVOLUTION DES « JOURS À LA TERRE » DE L'ARMÉE DE TERRE

Source : état major de l'armée de terre

Votre commission veillera tout particulièrement en cours de gestion à ce qu'une régulation en cours d'année de crédits du titre 2 ne vienne pas réduire encore ce niveau déjà insuffisant.


* 14 Bilan à mi parcours de la loi de programmation militaire, rapport public thématique, juillet 2012.

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