B. LA PROSPECTIVE DE DÉFENSE
La nouvelle action 7 « prospective de défense » regroupe de façon désormais cohérente quatre sous-actions qui correspondent à autant d'étapes de l'analyse stratégique lato sensu :
- L'analyse stratégique stricto sensu , recouvre dans son acception budgétaire l'effort public en faveur de ce que l'on appelle traditionnellement la « prospective géostratégique » et la « prospective géopolitique ». Cette analyse est menée par la Délégation aux Affaires stratégiques soit par ses moyens propres, soit par contrat avec des organismes spécialisés du secteur privé ( think tanks ) 3 ( * ) . Elle donne lieu à l'élaboration d'un document intitulé « horizons stratégiques » dont l'objet est « l'analyse de l'évolution du contexte stratégique et des équilibres géopolitiques et géoéconomiques, les grands défis auxquels seront confrontés nos Etats et, au-delà, l'ensemble de la planète, avec une attention particulière portée à la nature et à l'intensité des risques et des menaces . 4 ( * ) ». Ce document doit en principe tenir compte des « études de prospective de défense » ou EPS .
- La « prospective des systèmes de forces » vise à partir de l'observation de l'évolution des technologies à caractériser ce qui pourrait constituer de nouvelles menaces ou rendre menaçantes des évolutions qui ne l'étaient pas. Elle est menée par la DGA et constitue la première partie d'un document intitulé « plan prospectif à trente ans » ou PP30. Ce document tient compte et synthétise des « études opérationnelles et technico-opérationnelles » ou EOTO .
- Les « études amont » ont pour objectif de disposer des « briques technologiques matures » en cohérence avec les besoins des futurs systèmes d'armes. Elles sont structurées en cinq systèmes de forces repris dans la deuxième partie du PP30 : « dissuasion », « connaissance et maîtrise de l'information », « engagement et combat », « protection et sauvegarde », « projection, mobilité et soutien » auxquels il faut ajouter les « études technologiques de base », sous la supervision directe de la DGA. Ces cinq plus un, systèmes de force dessinent l'architecture du programme 146 d'équipement des forces.
- La « gestion des moyens et subventions aux opérateurs » - il s'agit des écoles d'ingénieurs, opérateurs de l'Etat sous tutelle ou dans la mouvance de la DGA.
Mis à part ce dernier élément, purement organique, on peut s'efforcer de replacer, grâce à la représentation schématique de la démarche stratégique française, les différentes sous-actions de la prospective de défense dans la définition globale de l'outil de défense :
1. L'analyse stratégique
L' analyse stratégique concerne les activités de la délégation aux affaires stratégiques (DAS) du ministère de la défense. Elle recouvre les études portant sur l'évolution de l'environnement international et des risques et menaces pouvant affecter la sécurité de la France. Elle fait appel à une large gamme de compétences visant à croiser trois dimensions : l'analyse des risques découlant des facteurs stratégiques, la traduction de ces risques en menaces et la prospective sur les caractéristiques technologiques de ces menaces.
Les crédits consacrés à l'analyse stratégique sont en forte augmentation, passant de 5,3 à 8,1 millions d'euros en autorisations d'engagement (+ 52,8 %) et de 4,89 à 5,1 millions d'euros en crédits de paiement (+ 4,3 %).
Comme l'a précisé le directeur chargé des affaires stratégiques, M. Michel Miraillet, lors de son audition devant la commission 5 ( * ) , cette augmentation tient à la volonté de nouer des partenariats de long terme avec les acteurs de la recherche stratégique, sous la forme de contrats pluriannuels.
Un comité de coordination des études prospectives, qui regroupe les représentants des forces armées et des autres services du ministère sous la direction de la DAS, coordonne le choix des études et établit la programmation annuelle.
Les crédits consacrés aux études prospectives et stratégiques sont en augmentation (7,689 millions d'euros en AE et 4,68 en CP), ainsi que les subventions accordées aux publications de recherche stratégique (16 subventions représentant un montant total de 150 000 euros).
Une dotation de 150 000 euros est destinée à l'accueil en France d'une quinzaine de « personnalités d'avenir » étrangères impliquées dans le domaine de la défense et au financement de bourses de post doctorat pour une dizaine de jeunes chercheurs. Cette ligne est identique à celle de l'an dernier. Elle était dotée de 400 000 euros en 2010.
L'analyse stratégique donne lieu à l'élaboration d'un document, anciennement appelé « plan prospectif général à 30 ans » et dont la dernière production remonte à 2012, sous le titre « horizons stratégiques ».
2. La prospective des systèmes de forces
La prospective des systèmes de forces regroupe les activités destinées à identifier les besoins opérationnels, à orienter les études de défense pour proposer les choix ultérieurs en vue de disposer des capacités opérationnelles nécessaires. Elle constitue un instrument essentiel de la préparation du futur et fait partie du processus conduisant à la programmation et à la planification.
Les systèmes de forces sont des ensembles cohérents de capacités qui fédèrent les différents moyens humains et techniques concourant à la production d'effets opérationnels. Nous avons plus haut que ces systèmes de forces étaient au nombre de cinq plus un et qu'ils structuraient également les études amont et le programme 146 d'équipement des forces.
Cette sous-action est conduite par un collège composé des architectes de systèmes de forces, qui relèvent de la DGA, et des officiers de cohérence opérationnelle, qui relèvent de l'état-major des armées.
Rappelons qu'elle sera dotée en 2013 de 32,9 millions d'euros, augmentation de 0,9 % par rapport à l'an dernier. Elle comprend également la subvention au budget administratif de l'Agence européenne de défense (4,5 millions d'euros) en légère augmentation par rapport à 2012. Les dépenses de personnel (8,279 millions d'euros en 2013 contre 9,338 en 2012) liées à cette action (164 emplois) sont en diminution (-11,3 %).
La prospective des systèmes de forces donne lieu à la production de deux séries de documents :
a) Le « plan prospectif à 30 ans » ou PP 30
Il s'agit d'un document classifié qui présente l'état des réflexions prospectives sur les systèmes de forces afin de prévoir les évolutions opérationnelles et technologiques possibles à moyen et long terme susceptibles de modifier la conduite des opérations militaires. 6 ( * )
Une version dégradée de ce document est élaborée afin de permettre une communication avec les partenaires industriels, institutionnels ou étrangers.
Ce document élaboré par le collège des OCO-ASF est théoriquement mis à jour tous les ans. Toutefois, aucune actualisation de ce document n'a été effectuée depuis 2013.
b) Les études à caractère opérationnel ou technico-opérationnel
Selon les informations fournies à votre commission par le Directeur des affaires stratégiques 7 ( * ) , les EOTO seront dotées de 24,68 millions d'euros en 2013 .
Le programme annuel de performances précise la répartition de ces crédits entre les études concernant la dissuasion (3 millions d'euros) et celles relatives aux autres systèmes de forces (17 millions d'euros). Cette répartition correspond aux propositions d'études présentées lors du dernier comité des études technico-opérationnelles (CETO) réuni le 31 mars 2011. L'effort de recentrage sur les études de plus grande ampleur et la réduction des « micro-études » se poursuit.
3. Les études amont
Cette sous-action regroupe les crédits consacrés aux études nécessaires aux programmes d'équipements des forces futurs ou en évolution. Elle est pilotée par la DGA.
Les différentes instructions ministérielles en donnent la définition suivante : « recherches et études appliquées, de nature technique, rattachés à la satisfaction d'un besoin opérationnel prévisible. Elles constituent un ensemble de travaux contribuant à préserver et développer la base technologique et industrielle de défense et la base étatique associée, travaux nécessaires préalablement à la réalisation des opérations d'acquisition ou de maintien à niveau d'équipements. A ce titre, la programmation des études amont dépend étroitement de celle retenue pour les programmes d'équipement des forces et des perspectives d'activité des bureaux d'études associées ».
Les études amont contribuent également au financement des projets de recherche moins appliquée, dès lors que la finalité Défense est avérée à long terme. Ces projets sont alors généralement menés :
- par la recherche académique , au travers de dispositifs coordonnés avec l'Agence Nationale pour la Recherche, qui dépend du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche ;
- par des PME/PMI , voire des entreprises de taille intermédiaire , au travers de dispositifs adaptés d'accès au marché de la défense et de soutien à la compétitivité, en lien avec la direction générale de la compétitivité, du ministère des finances.
Les études amont s'organisent selon des orientations définies par une directive ministérielle intitulée « directive d'orientation des études amont » (DOEA) dont vos rapporteurs n'ont pas pu avoir communication dans son intégralité. Néanmoins, ils ont pu obtenir une fiche de synthèse de cette directive.
La directive ministérielle d'orientation 2011-2014 des études amont a été approuvée, pour 2011, lors du comité ministériel d'investissement (CMI) du 12 avril 2011. Pour permettre l'exécution de l'annuité 2012 en cohérence avec les projets déjà engagés, le délégué général pour l'armement, après accord de l'ensemble des membres du comité d'orientation et d'évaluation des études amont (COE), a approuvé en décembre 2011, la planification 2012-2014, élaborée en conformité avec la directive ministérielle, et en cohérence avec les ressources financières définies par le PLF 2012.
Aucune indication n'a été fournie à ce stade, pour le PLF 2013, ce qui s'explique par le fait qu'il ne servirait à rien de définir des orientations avant les conclusions de la commission du Livre blanc 2012.
Il convient également de souligner que les programmes d'études amont impactent directement les capacités industrielles nationales, et indiquent les axes d'effort de la France en matière de recherche. Ils participent ainsi de l'autonomie d'action, c'est-à-dire de notre capacité à concevoir et à conduire des opérations militaires, sans le soutien d'autres puissances. Pour ces raisons, les informations auxquelles vos rapporteurs ont pu avoir accès concernant ces études sont classifiées et ne peuvent donc être rendues publiques.
Néanmoins le projet annuel de performances donne la répartition des études-amont par systèmes de forces.
Le graphique ci-dessous montre bien l'évolution des études amont en fonction des systèmes de forces depuis 2008. On voit ainsi la part quasi équivalente des crédits entre les trois systèmes « engagement et combat », « études technologiques de base » et « dissuasion ». Les crédits affectés à ce dernier système de force devraient toutefois croître sensiblement, afin de préparer les prochaines générations d'armes.
Rappelons également que les études amont ne constituent qu'une partie de l'effort de recherche en matière de défense.
Classiquement celui comprend également l'agrégat « recherche et technologie » (R&T) 8 ( * ) , l'agrégat « études de défense » 9 ( * ) et l'agrégat « recherche et développement 10 ( * ) ».
Le tableau ci-après donne l'évolution de ces quatre agrégats d'une année sur l'autre 11 ( * ) .
Retenons également que la France est le pays européen qui consacre le plus gros effort à sa recherche et développement de défense, comme le montre le tableau ci-après.
4. Gestion des moyens et subventions aux opérateurs
Cette sous-action regroupe une partie du fonctionnement courant de la direction de la stratégie de la DGA, le soutien de plusieurs postes permanents à l'étranger, ainsi que des subventions aux opérateurs de l'Etat rattachés au programme 144.
Les dépenses de personnel liées à cette sous-action (1 871 emplois) sont en forte augmentation (près de 30 %) passant de 53,3 à 69 millions d'euros. Hors dépenses de personnel, cette sous action enregistre une légère baisse de 0,10 % pour s'établir à 270 millions d'euros .
Plusieurs opérateurs bénéficient d'une subvention au titre du programme 144. Par ordre décroissant d'importance budgétaire, il s'agit de :
- l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) : 108,9 millions d'euros, contre 109,7 millions d'euros en 2012.
- l'École polytechnique (X) : 70,2 millions d'euros, contre 69,9 en 2012 ;
- l'Institut supérieur de l'aéronautique et de l'espace (ISAE) : 35,2 millions d'euros, contre 35,3 en 2012 ;
- l'École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA) : 17,7 millions d'euros, contre 17,4 en 2012 ;
- l'Institut de recherche franco-allemand de Saint Louis : 17,74 millions d'euros, soit un montant identique à l'an dernier ;
- l'École nationale supérieure des ingénieurs des études et techniques d'armement (ENSIETA) : 14,5 millions d'euros, contre 14,1 en 2012.
Notons que l'ONERA occupe une place à part dans ce dispositif, puisque ce laboratoire au sens large du terme a pour mission de développer, d'orienter, de coordonner et de promouvoir les recherches dans le domaine aérospatial. Sa subvention financera :
- d'une part, la partie la plus amont, c'est-à-dire la plus risquée, du programme annuel d'études de l'ONERA,
- d'autre part, de disposer de moyens du meilleur niveau (souffleries, grands calculateurs, etc) pour soutenir la compétitivité des produits industriels futurs.
Compte tenu de son rôle dans l'industrie de défense française, il est regrettable que cette année encore le budget de l'ONERA soit en diminution.
Notons également que l'Institut Saint Louis a été créé par une convention franco-allemande en 1958 dans le but de mettre en oeuvre une coopération étroite entre les deux Etats en ce qui concerne les recherches et études, tant scientifiques que techniques dans le domaine de l'armement, et de renforcer ainsi une défense commune. Au titre de ses missions, l'ISL réalise des recherches fondamentales et appliquées, des études techniques et des démonstrateurs de faisabilité technologique, ainsi que des travaux d'expertise. La convention de 1958 stipule notamment que les gouvernements français et allemands doivent contribuer à égalité aux dépenses de l'institut.
Les autres organismes subventionnés sont des écoles d'ingénieurs sous tutelle de la DGA. Elles bénéficient d'une subvention au titre de leur rôle dans la formation d'ingénieurs de haut niveau répondant aux besoins de l'industrie de défense, en conformité avec les contrats d'objectifs et de performances.
* 3 Pour une définition plus approfondie du sujet voir : Rapport d'information n° 634 rectifié : « les capacités industrielles militaires critiques » par MM. Daniel Reiner et Yves Pozzo di Borgo, co-présidents, et Jacques Gautier, Alain Gournac, Gérard Larcher, Rachel Mazuir, Jean-Claude Peyronnet et Gilbert Roger, sénateurs p. 24 et suiv ainsi que annexe 1 p.72 et suiv.- la démarche stratégique française. http://www.senat.fr/rap/r11-634/r11-6341.pdf
* 4 La caractérisation des menaces, (forme, nature, probabilité d'occurrence, etc...) constitue « l'analyse opérationnelle ». Cette forme d'analyse est menée par l'EMA et ne donne pas lieu à des documents publics.
* 5 Voir compte rendu en annexe
* 6 Pour une présentation plus complète de ce document voir rapport d'information de votre commission précité n° 634 rectifié : « les capacités industrielles militaires critiques ».
* 7 Voir audition en annexe.
* 8 R&T = EA + subventions aux écoles DGA
* 9 Études de défense = R&T + EPS, EOTO, crédits de recherche du CEA-DAM, ainsi que des crédits de recherche duale du CNES et du CEA
* 10 R&D = Études de défense + crédits du P 146 affectés au développement des programmes.
* 11 Pour une étude plus complète sur l'effort de recherche voir l'excellent rapport de notre collègue député Jean-Yves Le Déault - avis n°256 tome 2 sur le projet de loi de finances pour 2013 « défense- environnement et prospective de la politique de défense » p. 17 et suivantes.