IV. UNE RÉFORME DES OPÉRATEURS PUBLICS SERAIT NÉCÉSSAIRE POUR PROMOUVOIR DE FAÇON PLUS EFFICACE L'EXPERTISE FRANÇAISE À L'INTERNATIONAL

Outre le financement de projets de développement, la coopération française intervient également à travers l'assistance technique aux pays en développement.

Bien qu'il s'agisse d'un enjeu majeur, on a du mal à identifier clairement, dans le projet de loi de finances pour 2013, les crédits consacrés spécifiquement à l'assistance technique tant ils sont éclatés dans de nombreuses structures.

Or le développement des économies des pays du sud et la mise en place de politiques publiques appellent le recours croissant à de l'expertise technique dont une partie provient des pays occidentaux dans le cadre des politiques de coopération au développement.

Les transferts de compétence liée à cette expertise technique sont essentiels au renforcement des capacités de nos pays partenaires à mettre en oeuvre des politiques publiques complexes, aussi bien dans le domaine des infrastructures que de l'éducation ou de la santé. Cette coopération en matière d'expertise est également d'influence pour les pays occidentaux qui, à travers ces transferts de compétence, diffusent des modèles d'organisation conformes à leurs valeurs et à leurs intérêts.

La coopération internationale en matière d'expertise est ainsi à la croisée des chemins entre la solidarité et l'influence.

Le dispositif français d'expertise technique se caractérise, d'une part, par une diminution drastique des moyens depuis 10 ans et, d'autre part, par une dispersion importante des structures de gestion de ces experts.

A. L'EXPERTISE PUBLIQUE INTERNATIONALE REPRÉSENTE POUR LA FRANCE UN ENJEU ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE CROISSANT

Comme le souligne Nicolas Tenzer, entendu par votre rapporteur et auteur d'un rapport en mai 2008 : « L'expertise internationale au coeur de la diplomatie et de la coopération du XXI è siècle - Instruments pour une stratégie française de puissance et d'influence », le renforcement de la présence de la France sur le marché de l'expertise internationale constitue un enjeu à plusieurs titres :

- un enjeu économique et d'emploi, qui tient au volume des marchés en jeu, évalué à 400 milliards d'euros sur les cinq prochaines années.

La demande internationale d'expertise constitue un marché fortement concurrentiel qui porte sur des secteurs aussi divers que la santé et la sécurité sociale, la gouvernance, la culture, l'environnement, les infrastructures, l'enseignement supérieur ou l'éducation.

Ce marché s'exprime le plus souvent sous la forme d'appels d'offres lancés par les États, les bailleurs de fonds multilatéraux, les collectivités territoriales, les agences de coopération et les fondations philanthropiques.

Au-delà de l'enjeu financier, le développement de cadres normatifs et de régulation similaires aux nôtres au sein des organisations internationales et administrations partenaires favorise les échanges économiques des entreprises françaises.

Les enjeux pour notre commerce extérieur sont d'autant plus importants que ces expertises ont des effets induits tout à fait importants. Mettre en place les normes ferroviaires en Chine en s'appuyant sur des normes françaises ou allemandes maximise les chances des entreprises françaises ou allemandes, participer à la refonte du droit civil malgache, selon que cette refonte s'inspire du système juridique français ou sur la « Common Law » britannique, favorise les cabinets d'avocats anglo-saxons ou francophones.

Les estimations des effets induits de ces marchés sont évidemment à prendre avec précaution. Les experts rencontrés, notamment M. Nicolas Tenzer, évoquent 25 000 milliards de dollars :

- un enjeu d'influence qui se joue ensuite dans l'élaboration des normes techniques, dont les Français sont largement absents, des normes juridiques et des « bonnes pratiques ». Les cadres politiques, normatifs, économiques et administratifs futurs de nos partenaires dépendent, dans une large mesure, de l'expertise apportée pour les concevoir. Les prestations d'expertise et de conseil auprès des gouvernements étrangers et des organisations internationales constituent ainsi un vecteur essentiel pour la diffusion des normes et standards français, tant sociaux que juridiques, sanitaires ou environnementaux. L'expertise internationale française permet aussi le rayonnement de notre modèle d'organisation de la société et de nos valeurs ;

- un enjeu de présence sur les questions globales et la politique de développement, par l'élaboration de règles et de recommandations. L'expertise technique internationale est au coeur des problématiques du développement, qu'il s'agisse des Objectifs du millénaire pour le développement, de l'appui à la gouvernance et à l'élaboration d'un modèle social, ou du développement humain et durable. Cette politique participe notamment de la promotion d'une vision sociale de la mondialisation et de valeurs portées par notre diplomatie multilatérale (« socle de protection sociale », égalité dans l'accès à la santé, un droit du travail protecteur...). . L'expertise française dans ces domaines constitue potentiellement un puissant relais d'influence pour la France à l'heure où la santé, l'emploi et les inégalités sociales deviennent des facteurs de déséquilibres géopolitiques importants (chômage des jeunes, égalité hommes femmes, lutte contre le sida et les maladies infectieuses, développement des socles de protection sociale). Il s'agit là d'une composante essentielle de la politique de solidarité de la France. Cette solidarité s'exprime également dans le contexte de pays en crise ou en sortie de crise quand il s'agit d'apporter à nos partenaires l'expertise opérationnelle pour le rétablissement des fonctions premières de l'État et des institutions de la société civile.

B. LA TRANSFORMATION DE LA COOPÉRATION INTERNATIONALE EN MATIÈRE D'EXPERTISE S'EST TRADUITE PAR UNE DIMINUTION IMPORTANTE DES ASSISTANTS TECHNIQUES PERMANENTS ET LA MISE EN PLACE D'UNE POLITIQUE DE PROMOTION DE L'EXPERTISE FRANÇAISE À L'INTERNATIONAL

En tant que politique publique composante de la politique de coopération au développement, le recours à l'expertise technique a pris des formes variées avec cependant deux grandes catégories :

- l'assistance technique à moyen-long terme, aussi connue comme « résidentielle » qui peut se définir comme la mise à disposition d'agents d'Etat ou de contractuels par l'Etat français pour de l'appui en situation de l'animation des équipes sur place dans trois cas : l'appui aux administrations et le renforcement des capacités locales, le conseil au sens large, pour la définition des politiques, et l'appui à des projets de développement spécifiques.

- l'expertise technique de courte durée mise en oeuvre par une multiplicité d'opérateurs privés ou publics sur des marchés ouverts à la concurrence.

1. L'assistance technique résidente qui a longtemps été considérée comme une force de la politique de coopération française, tant pour le développement que pour sa visibilité et son influence, a aujourd'hui considérablement diminué.

L'assistance technique, développée par la France dans les années 1960 dans les anciennes colonies qui venaient d'accéder à l'indépendance, consistait dans la mise à disposition d'experts techniques, le temps de la mission de coopération, au service de l'Etat récipiendaire de l'aide.

En pratique, l'assistance technique a permis à la France de conserver une influence importante dans les pays de la zone prioritaire. Si les premiers décrets qui fixent le cadre de la coopération par le biais de l'assistance technique datent de 1961, la nature de la mission de coopération, la durée maximale et la rémunération sont définies par trois décrets de 1992.

Dès le début des années 1990 et, de manière plus marquée encore, après la réforme de 1998, on observe une réduction importante du nombre d'assistants techniques.

Évolution des effectifs des assistants techniques de 1990 à 2000

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

9 074

8 509

7 597

6 863

5 996

5 129

4 611

3 993

3 675

3 282

2 806

Source : MAE

En 1979, les effectifs des assistants techniques s'élevaient à environ 10 976 pour n'atteindre plus que 2 806 en 2000, soit une diminution de 75 % des effectifs.

Évolution des effectifs d'assistance technique de 1990 à 2011

Source : MAE

Entre 2001 et 2011, la diminution s'est poursuivie; on constate une baisse des effectifs de l'assistance technique de près des deux tiers.

Sur l'ensemble de la période de 1990 à nos jours, la diminution des effectifs s'explique principalement par l'abandon progressif de la coopération de substitution mise en place dans les années 60 à travers la mise à disposition permanente d'experts techniques, dont une grande partie d'enseignants, auprès de gouvernements ou d'institutions étrangères dans le monde.

Cette évolution correspond à la fois à la volonté politique de mettre fin, à un système d'assistance permanente trente ans après les indépendances et à la prise en compte de contraintes budgétaires.

Il s'agit de rompre avec un système hérité de la période coloniale et de réduire le coût lié au financement d'un personnel permanent, installé auprès des autorités de pays partenaires qui ont eu le temps de se constituer des élites administratives.

Une fois les gros bataillons d'experts techniques supprimés, les suppressions ont eu pour cause la contribution aux contraintes imposées par la Révision générale des politiques publiques (RGPP) ainsi qu'à l'abandon de projets dont les financements n'étaient plus assurés.

Parallèlement, la responsabilité d'une partie des assistants techniques qui relevaient du ministère des affaires étrangères, dans les secteurs de l'éducation et de la santé notamment, ont été transférés à l'Agence française de développement. Le ministère a, quant à lui, conservé la gestion des assistants liés à la gouvernance.

Le recours à l'expertise technique est cependant désormais majoritairement conçu comme des missions temporaires d'experts à haute valeur ajoutée, placés en position de conseillers auprès de décideurs locaux ou affectés à des fonctions d'animation dans le cadre de projets de développement.

Cette transformation a conduit à une réduction drastique des moyens d'expertise bilatéraux de la France pour aider à la modernisation des Etats africains ou à la transition démocratique dans les pays du Maghreb.

La présence d'assistants techniques sur le terrain demeure un atout précieux pour la coopération au développement aussi bien en matière d'efficacité que d'influence.

La récente évaluation de la Cour des comptes sur l'aide au développement 50 ( * ) cite de nombreux témoignages allant dans ce sens. L'ambassade au Sénégal estime ainsi que « le dispositif d'assistance technique géré par le Département est très apprécié tant par les administrations sénégalaises que par les partenaires techniques et financiers, en particulier multilatéraux ».

Leur présence se révèle même de nature à renforcer les actions multilatérales, comme au Togo, où, selon l'ambassade, « de nombreux projets européens seraient incapables d'atteindre les objectifs fixés s'ils n'étaient pas appuyés, voire directement mis en oeuvre par l'assistance technique française ».

De même, l'Inspection générale des affaires étrangères pouvait-elle constater, en mai 2009, dans un des pays pauvres prioritaires du Sahel : « la baisse continue des crédits de coopération conjuguée à la fermeture des postes d'assistance technique qui sont comptabilisés dans les équivalents temps plein (ETP) sous plafond dont il convient de réduire le nombre, alors même que leur présence dans ce pays est une action de coopération en soi, finira par rendre notre pays inaudible dans ce pays » 51 ( * ) .

Avec moins de 400 assistants techniques en Afrique subsaharienne, la France y dispose aujourd'hui de moins d'assistants que l'Allemagne où l'opérateur technique GIZ déploie 1 350 experts expatriés et 11 240 experts nationaux.

C'est pourquoi votre commission considère, depuis plusieurs années, que la France a été trop loin et a sacrifié un instrument de coopération précieux dont l'influence et l'intérêt économique sont pourtant reconnus 52 ( * ) .

Cette transformation des modalités de la coopération en matière d'expertise est cependant un mouvement général au sein des pays de l'OCDE auquel la France s'est adaptée en créant, à l'image de FEI, des opérateurs de promotion de son expertise publique à l'internationale.

2. ...la politique de promotion de l'expertise technique passe aujourd'hui par la promotion des opérateurs français publics et privés sur les marchés internationaux d'expertise financés par l'aide multilatérale à laquelle la France contribue largement

Car si la mise à disposition d'assistants techniques permanents est devenue plus rare, le marché de l'expertise de courte durée, lui, connaît un développement important.

La présence croissante des bailleurs de fonds multilatéraux sur les « marchés » de l'expertise entraîne une demande fondée sur des appels d'offres internationaux, notamment de la Banque Mondiale et des fonds communautaires.

Dans ce contexte, la politique des pouvoirs publics consiste à promouvoir l'expertise française sur les marchés et enceintes internationales, à recueillir et partager l'information, à renforcer la qualité et les performances de ces opérateurs, à améliorer leur coordination pour assurer la visibilité et la pertinence des réponses françaises aux appels d'offre et à dynamiser la gestion des ressources humaines des ministères et des opérateurs français afin d'assurer l'attractivité des missions à l'international pour accroître le vivier des experts disponibles.

Ces opérateurs sont nombreux. Chaque ministère ou presque a, en effet, mis en place un opérateur « métier », pour promouvoir à l'international ses expertises propres, auquel s'ajoute, selon les secteurs, des opérateurs privés.

La défense de cette expertise française à l'international fait l'objet d'un cadre stratégique sur la promotion de l'expertise française à l'international, publié en avril 2011 par le ministère des affaires étrangères.

Dans ce document le ministère des affaires étrangères se définit comme l'« entité légitime de coordination du dialogue interministériel de l'expertise internationale française » chargé de valoriser, au service des intérêts de la France, le vivier de savoir-faire français (mobilisation des agents publics et privés, avec une certaine attention à « la difficile mobilisation de l'expertise publique »).

Ce document souligne que « la tradition française de l'assistance technique résidentielle (...) a permis à notre pays de développer une expertise dont la qualité est internationalement reconnue, notamment dans les domaines des politiques de renforcement institutionnel et de gouvernance et concernés par les Objectifs du Millénaire pour le Développement ».

Cette stratégie doit être mise en oeuvre au premier chef par l'opérateur France Expertise Internationale du ministère et s'articuler autant que faire se peut avec la stratégie de chacun des opérateurs publics qui relèvent d'autres ministères, dont certains, ADETEF pour le ministère des finances et CIVIPOL pour le ministère de l'intérieur, ont des moyens et une légitimité qui leur permettent de mener un développement très autonome.

Votre commission estime que cette stratégie gagnerait à être portée au niveau interministériel par le CICID afin de fédérer l'ensemble des opérateurs autours d'objectif commun. Une stratégie interministérielle pouvant ensuite être déclinée dans le contrat d'objectifs de chacun des opérateurs.

La France bénéficie sur ces marchés de nombreux atouts : une expertise reconnue dans de nombreux secteurs comme l'agriculture, la santé, le développement durable ou la sécurité, mais aussi la présence dans de nombreux pays d'un large déploiement d'experts (assistants techniques) ainsi que de nombreux chercheurs placés auprès d'institutions locales ou des organismes de recherche français (Institut de recherche pour le développement (IRD), Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), Centre national de la recherche scientifique (CNRS), établissements de l'Institut Pasteur...) qui représente des ressources précieuses pour la connaissance du milieu local et les besoins particuliers de nos partenaires.

L'ensemble de ces moyens doit permettre d'aider les opérateurs français à remporter des marchés et, d'une certaine façon, de bénéficier de l'investissement important que la France consent dans les opérateurs multilatéraux.

L'évolution des modalités de l'expertise technique est concomitante d'un investissement croissant de la coopération française dans l'aide multilatérale.

La promotion des opérateurs français sur les marchés internationaux constitue une manière de chercher un retour sur investissement de la part des organisations multilatérales financées par la France.

C. LA FRANCE NE S'EST PAS DOTÉE D'INSTRUMENTS SUFFISANTS POUR FAIRE FACE À LA CONCURRENCE INTERNATIONALE EN MATIÈRE D'EXPERTISE

Le rapport « Maugüé » sur « le renforcement de la cohérence du dispositif public d'expertise technique internationale » souligne la faiblesse d'une organisation dispersée et l'absence d'opérateur dominant.

Force est de constater que le secteur est investi par une trentaine d'opérateurs publics d'expertise à l'international, des « opérateurs métiers » (proches des viviers d'expertise) et un opérateur généraliste (FEI). Cette dispersion s'accompagne naturellement d'une diversité de situations en matière de statuts et modèles économiques. Cohabitent des associations, des GIP, des EPIC, des EPA, des SA détenues majoritairement par l'Etat avec des ressources qui peuvent provenir de subventions d'exploitations, de cotisations, de crédits pour opérations (budget coopération) ou de contrats remportés.

Le volume d'activité cumulé annuel s'élève à environ 80 millions d'euros dont 60 millions d'euros proviennent des 3 plus grosses structures (FEI, ADETEF et CIVIPOL). Ces 80 millions d'euros se décomposeraient en 50 millions d'euros de financements européens, 22 millions d'euros de financements bilatéraux français et le solde de marchés remportés auprès de pays tiers ou de bailleurs multilatéraux.

Dans la grande majorité des cas, la gestion ne permet pas de distinguer les actions de coopération menées « à titre gracieux » et les activités qui s'inscrivent dans une logique marchande et concurrentielle.

Cette situation résulte, d'une part, d'un choix politique, au moment de la réforme de 1998, de ne pas se doter d'un opérateur public dominant qui aurait pu permettre de développer les synergies entre aide bilatérale et expertise technique internationale et, d'autre part, de l'existence d'« expertises métiers » qui résultent d'une succession de décisions « individuelles » des administrations à s'investir à l'international.

Votre commission estime que cette organisation n'est pas satisfaisante.

Elle entraîne de véritables difficultés à se positionner sur les appels d'offres internationaux en l'absence de taille critique qui permette une maîtrise des procédures et une capacité de veille suffisante. A cela s'ajoutent des difficultés à mobiliser le potentiel humain : malgré la proximité affichée des « viviers d'expertise », les opérateurs publics dans leur majorité sont confrontés à la réticence accrue des administrations à mettre à disposition leurs experts, du fait des restrictions en personnel, à des viviers au périmètre restreint à la fonction publique d'Etat et à l'absence d'une valorisation de l'expérience internationale dans le déroulé de carrière des experts.

Cette situation contraste avec celle rencontrée en Grande-Bretagne ou en Allemagne où cette compétence revient à un opérateur dominant, le Dfid ou le GIZ, bénéficiant d'un budget conséquent et d'effectifs beaucoup plus importants.

Le rapport « Maugüé » conclut que la France n'a pas les moyens de créer un opérateur unique, mais propose de consolider et rationaliser l'existant.

Il comporte un certain nombre de préconisations :

1) un cadrage stratégique : définition de priorités géographiques et sectorielles et validation politique afin que les opérateurs se mobilisent sur des objectifs communs ; déclinaisons par opérateur à travers des contrats d'objectifs ;

2) des espaces de dialogue et de coordination : renforcement des mécanismes de concertation entre la DGM et les opérateurs ; confirmation du rôle du Conseil d'orientation prévu par la loi de juillet 2010 (lieu d'analyse et de débat) ;

3) une recomposition du secteur : à initier à l'issue d'un état des lieux à opérer dans chaque secteur, en s'appuyant notamment sur les audits conduits par le CGEFI en ce qui concerne la viabilité économique des opérateurs (bien qu'incluses dans la lettre de cadrage de la mission, ces analyses n'ont pu être conduites) ; en fonction des cas, différents types de décisions devront être pris : suppression ou regroupement d'opérateurs ;

4) un développement d'outils pour rationaliser l'activité et la gestion des opérateurs.

La principale d'entre elles consistait à établir un audit financier de l'ensemble des opérateurs pour apprécier leur viabilité économique et préconiser, sur la base de cette évaluation, des rapprochements .

Aujourd'hui l'Etat n'a pas, en effet :

- de vision d'ensemble des moyens publics engagés dans la politique de promotion de l'expertise technique tellement le secteur est divisé entre opérateurs ;

- de connaissance précises sur la viabilité des modèles économiques des différents opérateurs.

Une première étape serait d'assurer le maximum de transparence sur les moyens publics mobilisés et de recenser les résultats obtenus par chaque opérateur.

L'évolution du chiffre d'affaires de l'ensemble des opérateurs français donnerait une idée de l'évolution de la part de marché de la France.

Une deuxième étape consisterait à comparer l'efficience de chacune des structures, en rassemblant notamment les données disponibles sur :

- l'évolution du chiffre d'affaires de chacun des opérateurs ;

- la part relative des frais de structure de chacun ;

- la part relative des subventions et financements publics ou assimilés ;

- un ratio de production financière par ETP.

Ces informations sont à la portée des pouvoirs publics sans audit, en collectant les données disponibles. Elles donneraient une vision de la situation de chaque opérateur.

Vos rapporteurs estiment nécessaire de procéder ensuite sans tarder à l'audit évoqué par le rapport Maugué pour avoir un vison plus fine des aspects financiers.

Votre commission, qui s'est penchée sur la situation de FEI en adoptant un avis sur son contrat d'objectif et de moyens, estime, à l'instar du rapporteur de cet avis, M. Jacques Berthou, qu'il est impératif que, dans une troisième étape, l'Etat fasse évoluer le dispositif dans le cadre d'une stratégie interministérielle.

On peut, en effet, que s'étonner que, deux ans après la réforme de 2010, la situation n'ait pas évolué. Les ministères, soucieux de conserver, chacun dans leur coin, leur opérateur, ont refusé de procéder à ces audits et semblent assez loin de l'idée d'une coordination, voire d'un regroupement des opérateurs. On ne saurait se contenter d'une cartellisation de l'expertise technique avec pour résultat un gâchis d'argent public et une moindre présence de la France sur les marchés internationaux.

Les conclusions du rapport Maugué, comme celles de ses prédécesseurs, ne doivent pas rester lettre morte.

La responsabilité de l'Etat ne se limite pas à la nomination de correspondants expertise dans les ambassades.

La seule évolution significative depuis ce rapport va, en apparence, à l'encontre des conclusions du rapport en créant un nouvel opérateur avec le fonds d'expertise technique de l'AFD qui devrait voir le jour en 2013.

Si on peut comprendre le souhait de l'AFD de participer au rayonnement de l'expertise française et de renforcer les capacités de nos pays partenaires, il convient de veiller à ce que ce fonds ne conduise pas à créer une nouvelle concurrence dans un paysage déjà marqué par une fragmentation excessive des intervenants.

Il n'est pas sûr que ce fonds ne devienne pas un nouvel opérateur. On peut envisager qu'il passe pour une partie de ses activités par des opérateurs existants, mais le directeur général de l'AFD, auditionné par la commission, n'a pas exclu qu'il participe à ce qu'il a appelé « une saine émulation » et ce qui peut apparaître, aux termes de ce rapport, comme une division des forces.

La plupart des acteurs rencontrés par votre rapporteur soulignent la nécessité d'agir, les lacunes du pilotage stratégique, l'absence de priorités clairement définies au niveau du ministère pour orienter les ressources d'expertise à l'international, et le faible portage politique de ces sujets.

Si une réforme ambitieuse du dispositif n'est pas engagée à court terme, permettant aux acteurs du champ d'atteindre la masse critique nécessaire pour remporter les appels d'offre multilatéraux et répondre aux demandes exigeantes des grands pays émergents, les restrictions budgétaires à venir provoqueront immanquablement un affaiblissement des différentes structures publiques, qui les éloigneront davantage du seuil de pertinence dans un environnement international de plus en plus concurrentiel.

Cet abandon serait d'autant plus paradoxal que, dans un contexte de fortes contraintes sur la ressource publique, le premier frein n'est pas celui des ressources financières. Comme le souligne le rapport Tenzer, la demande d'expertise est forte et largement « solvable ».

C'est pourquoi le prochain CICID doit ensuite mettre en place, sur la base des informations collectées, une stratégie d'ensemble portant réforme du dispositif de promotion de l'expertise française.

La principale difficulté se situe au niveau de l'interface entre l'offre et la demande ; il manque aujourd'hui la structure ou les modalités de coordination qui permettraient à l'offre française d'expertise publique, foisonnante mais dispersée, de trouver sa place dans le « marché » international de l'expertise.

Comme le ministre du développement, devant votre commission, l'a concédé, il y a là un chantier à ouvrir : « Je crois qu'il nous faut aujourd'hui essayer de trouver des moyens de coordonner l'action des différents opérateurs ainsi que celle de l'AFD qui va bientôt bénéficier d'un fonds dédié à l'expertise. »

Il faut se saisir de l'opportunité de la création du fonds d'expertise de l'AFD du rapport Maugüé et, à vrai dire, des nombreux rapports qui se sont succédé sur ce sujet depuis 10 ans pour inviter les pouvoirs publics à faire en sorte que, dans ce secteur porteur, l'équipe France parte unie à la conquête des marchés internationaux.

Pour cela, il faudra faire preuve d'imagination et de volonté politique.

Il s'agit de dépasser les clivages entre les ministères et une forme de cartellisation de l'expertise pour faire émerger un intérêt collectif.

Vos rapporteurs ont quelques réticences à proposer des solutions sachant qu'elles ne peuvent venir que d'un dialogue entre l'ensemble des opérateurs et des ministères concernés.

Quelques réflexions cependant sur la méthode et les objectifs à poursuivre.

Sans doute, comme le souligne le rapport Maugüé, n'a-t-on pas les moyens de créer ex nihilo un organisme de la taille de ceux des Britanniques ou des Allemands.

Le principal objectif est de mutualiser entre un maximum d'opérateurs un certain nombre de tâches communes :

- le travail de veille sur appels d'offres internationaux, et d'aide à la structuration de consortiums d'acteurs pour y répondre ;

- l'entretien du lien avec le réseau des ambassades, des bureaux de l'AFD et des organisations multilatérales ou européennes ;

- l'intermédiation financière entre les financements en provenance des bailleurs et les structures mettant à disposition l'expertise ;

- le travail de communication sur l'équipe France tout en préservant l'identité des opérateurs existants qui ont acquis une visibilité et une crédibilité au gré de leurs interventions passées.

Cette mutualisation peut s'effectuer selon différents scénarios qu'il convient d'étudier dans les prochains mois avec les acteurs concernés.

Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées.

Ce rôle transversal pourrait être assumé par FEI dont s'était initialement la vocation. Il pourrait également être confié à l'AFD, avec la création d'un EPIC, opérateur transversal, filiale de l'Agence, voire dans le cadre d'un FEI filialisé à l'AFD.

Dans ce scénario, cette filiale pourrait être l'opérateur d'assistance technique des ministères sans pour autant se substituer aux opérateurs spécialisés.

Une telle disposition prolongerait la réforme de l'aide bilatérale françaises menée dans les années 1990 et 2000, en confiant à cet EPIC le travail d'animation du vivier d'experts français et sa mobilisation en accompagnement de projets d'aide au développement. En plus de ses projets en prêts ou en dons, l'AFD serait donc à travers sa filiale gestionnaire d'une plateforme d'assistance technique dans ses domaines de compétence en lien avec les ministères concernés.

L'avantage de cette solution est d'adosser la promotion de l'expertise technique à un opérateur disposant à la fois de la masse critique exigée par l'environnement international et d'un réseau d'agences placées au plus près de des appels d'offres.

Une solution moins ambitieuse consisterait à commencer la rationalisation de ce secteur et la mutualisation de ces tâches par des regroupements par pôle d'activité, notamment dans le secteur social où la dispersion est maximale.

La création d'un opérateur dans le secteur sanitaire et social donnerait à la coopération technique française une cohérence accrue, avec la coexistence de 3 grands opérateurs thématiques : ADETEF en matière de coopération économique et financière, CIVIPOL en matière de sécurité intérieure, de protection civile et de gouvernance territoriale, et un opérateur « social » compétent en matière de travail, de protection sociale et d'emploi. Cette répartition en trois acteurs laisserait cependant entière la question de FEI.

Quel que soit le scenario retenu, le principal enjeu est : de mettre fin aux conflits de compétence, de favoriser les alliances positives et d'atteindre une taille critique par la mutualisation de fonctions communes à l'ensemble des prestataires de coopération, telles que la veille et la prospection, l'appui juridique à la réponse aux appels d'offres, au montage administratif des projets, au développement de partenariats.

Une stratégie commune et une harmonisation des conditions d'exercice des opérateurs seraient, en effet, déjà une amélioration notable.

Le prochain CICID devrait pouvoir avaliser une stratégie commune de promotion de l'expertise à l'internationale qui pourrait être déclinée dans le contrat de chaque opérateur.


* 50 La politique française d'aide au développement, rapport rendu public mardi 26 juin 2012 : http://www.ccomptes.fr/content/download/44455/770878/version/1/file/rapport_public_politique_francaise_aide_publique_au_developpement.pdf

* 51 idem

* 52 Voir l'avis n° 108 (2011-2012) - tome 4 (Aide publique au développement) sur le projet de loi de finances de MM. Jean-Claude PEYRONNET et Christian CAMBON, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

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