E. LA DIRECTIVE SUR LA PROTECTION CONSULAIRE : QUELS IMPACTS POUR LE RÉSEAU CONSULAIRE FRANÇAIS ?
Les citoyens de l'Union européenne qui voyagent ou qui résident dans un pays tiers dans lequel l'État membre dont ils ont la nationalité ne dispose pas d'une ambassade ou d'un consulat ont le droit de bénéficier de la protection des autorités consulaires de tout autre État membre . Celui-ci doit prêter assistance à ces citoyens de l'Union non représentés dans les mêmes conditions qu'à ses propres ressortissants.
La protection consulaire dans le droit de l'Union européenne Le droit dont jouissent les citoyens de l'Union non représentés de bénéficier de la protection des autorités diplomatiques et consulaires d'autres États membres dans les mêmes conditions que les ressortissants de ces derniers est inscrit à l'article 20, paragraphe 2, point c), et à l'article 23 du TFUE, ainsi qu'à l'article 46 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Aux termes de ces trois dispositions, tout citoyen de l'Union «bénéficie [...] de la protection des autorités diplomatiques et consulaires de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État». Un droit individuel est ainsi clairement conféré à tout ressortissant 7 ( * ) d'un État membre de recevoir un traitement égal de la part des autorités consulaires d'un autre État membre sur le territoire d'un pays tiers où son propre État membre n'est pas représenté. Le statut de citoyen de l'Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres 8 ( * ) et le droit de l'Union confère des droits individuels, entre autres pour garantir le plein effet des droits légaux des citoyens. |
D'après une récente communication de la Commission européenne 9 ( * ) , le nombre de voyages effectués par des citoyens de l'Union dans des pays tiers est passé de plus de 80 millions en 2005 à plus de 90 millions en 2008 , et l'on prévoit que le volume des déplacements continuera à croître. Selon les estimations, plus de 30 millions de citoyens de l'Union résident à titre permanent dans un pays tiers . Or, les États membres ne sont tous représentés qu'aux États-Unis, en Chine et en Russie.
Les crises majeures qui ont récemment touché un très grand nombre de citoyens de l'Union dans des pays tiers (par exemple en Libye, en Égypte et au Bahreïn en 2011; au Japon à la suite du tremblement de terre de mars 2011; ou encore en Haïti après le tremblement de terre de janvier 2010 et en Islande lors de la formation du nuage de cendres volcaniques au printemps 2010) ont montré l'impact que pourrait avoir désormais ce concept de protection consulaire européenne.
Aux termes du traité de Lisbonne, la solidarité entre les États membres s'applique dans les situations courantes en matière de protection consulaire, comme en cas de perte des documents d'identité, d'arrestation, de détention ou de décès; le citoyen non représenté a le droit de demander l'aide de toute autorité diplomatique ou consulaire de l'un quelconque des États membres.
En cas de crise , et depuis novembre 2007, un mécanisme de protection civile de l'UE peut être déclenché en vue de soutenir, dans le cadre d'actions de protection civile, l'assistance consulaire offerte aux citoyens de l'Union présents dans des pays tiers, si les autorités consulaires des États membres en font la demande 10 ( * ) . Lorsque le mécanisme est activé, le centre de suivi et d'information (MIC) de la Commission européenne, c'est-à-dire sa cellule opérationnelle, permet d'avoir accès à un vaste réseau de ressources de protection civile provenant des 31 pays participant (États membres, pays de l'EEE et Croatie), favorisant ainsi la mise en commun et la mobilisation des ressources disponibles (par exemple, moyens de transport, d'assistance médicale et d'évacuation, abris provisoires, etc.), ainsi que les échanges d'informations. Après les attentats de Bombay, en novembre 2008, un avion suédois, cofinancé par la Commission dans le cadre du MIC, a évacué six Européens blessés. Le mécanisme a été activé une nouvelle fois récemment, dans le contexte de la crise libyenne, pour aider les autorités consulaires à procéder à une évacuation rapide des citoyens de l'Union. C'est ainsi que la Hongrie a fourni un avion, cofinancé par le MIC, pour évacuer de Tripoli 29 Roumains, 27 Hongrois, 20 Bulgares, 8 Allemands, 6 Tchèques et 6 autres personnes dont certaines étaient des citoyens de l'Union. La France a de son côté procédé, en février 2011, à quatre rotations aériennes qui ont permis à 500 Français et 50 ressortissants de l'Union européenne de quitter le pays.
Dans certains cas, la coopération consulaire en cas de crise est formalisée par l'inclusion dans les plans de sécurité de ressortissants européens ou de nationalité tierce, qui bénéficient ensuite de l'assistance du dispositif français. Ainsi, en avril 2011, lors des violences à Abidjan, la force française Licorne a mis à l'abri 2 700 français et 250 européens. Dans certains cas comme au Sénégal, il y a autant de Français que de ressortissants de l'Union qui figurent dans le plan de sécurité. Sur les 40 plans de sécurité en Afrique, la moitié inclut des non Français. De plus, en cas de crise, les États se tournent volontiers vers la France, même si leurs ressortissants ne sont pas inclus dans les plans de sécurité.
Une proposition de directive présentée par la Commission, relative à la protection consulaire des citoyens de l'Union à l'étranger, est actuellement en cours d'examen par le Parlement européen.
Eu égard à la charge que l'assistance aux citoyens européens non représentés entraîne mécaniquement pour nos services consulaires du fait de l'étendue de notre réseau et de la très large gamme d'assistance que nous fournissons (notre pratique est sensiblement plus généreuse et protectrice que celle suivie par la plupart de nos partenaires de l'Union européenne), proposition de directive du 14 décembre 2011, n'est pas exempte de risques :
- l'absence de rôle pour le service européen d'action extérieure et les délégations de l'Union européenne : le projet de directive laisse reposer la charge d'assistance aux citoyens non représentés, et de la coopération à mettre en oeuvre à cet effet, sur les seuls États membres .
- l'absence de mécanisme européen de financement : dans la même logique de report de la responsabilité sur les États membres, le projet prévoit pour l'indemnisation des coûts induits par les prestations consulaires un système complexe de remboursement au cas par cas entre l'État prestataire et État d'appartenance du bénéficiaire.
- l'affirmation du principe de liberté de choix : la directive dispose que les citoyens non-représentés doivent pouvoir choisir librement à quel service consulaire s'adresser parmi ceux des États membres représentés.
La France peut légitimement s'inquiéter dans ce cas d'un risque de « consular shopping ». En effet, compte tenu des disparités en matière d'assistance consulaire, cette liberté de choix conduirait à ce que les États membres ayant les pratiques les plus protectrices soient les plus sollicités. La France en premier lieu.
Votre commission estime que la création d'un mécanisme de financement pour la prise en charge des coûts induits par les prestations consulaires accordées aux citoyens de l'Union non-représentés apparaît nécessaire pour garantir l'exercice de la protection consulaire la plus effective possible.
Les procédures de remboursement mentionnées dans la proposition de directive sont trop complexes : remboursement au cas par cas par l'État membre du citoyen non-représenté bénéficiaire d'une prestation consulaire. Ce dispositif, très lourd à gérer, risque d'entraîner une charge de trésorerie et de travail importante pour les États membres prestataires de services , alors mêmes que certaines prestations représentent un coût significatif. Ainsi, les études réalisées en coût complet (salaires, frais de fonctionnement, coûts additionnels) indiquent que la délivrance d'un laissez-passer à un citoyen européen non représenté au Maroc par exemple est estimée à 500 euros et la prise en charge d'un détenu à plus de 5000 euros.
Dès lors, votre commission estime qu'un dispositif plus souple, plus efficace et plus équitable doit être recherché.
Il est d'abord important de réduire au maximum les incertitudes sur les dépenses susceptibles ou non de faire l'objet d'un remboursement et sur le montant de ces remboursements : la proposition de directive reste trop imprécise sur ce point (ex : appréciation de l'existence d'une « situation de crise » permettant d'avoir recours à la procédure simplifiée) alors même que l'État prestataire peut être amené à engager des frais importants, en cas de rapatriement par exemple.
Un guichet unique devrait être établi, pour le remboursement des prestations octroyées par les États membres. L'État membre prestataire pourrait ainsi adresser les demandes de remboursement à ce point de contact unique, ce qui permettrait de lever les incertitudes sur le remboursement des prestations, de réduire les délais moyens de remboursement et d'assurer un traitement homogène de ces demandes.
La création d'un mécanisme de financement dédié permettrait en outre un meilleur suivi dans le temps des dépenses liées à la protection consulaire des citoyens non représentés. En cas de montée en charge du dispositif prévu par la directive, une procédure de remboursement ad hoc et entièrement décentralisée ne permettra aucune vue d'ensemble et, partant, aucun pilotage politique et budgétaire du dispositif.
Dans cette perspective, plusieurs options sont envisageables :
- la création d'un mécanisme de financement sur le budget de l'Union européenne, qui interviendrait en remboursement des prestations effectuées par un État membre au profit d'un ressortissant européen non représenté localement par l'ambassade de son État membre d'origine. Ce mécanisme peut justifier la création d'un Fonds ou simplement d'une ligne budgétaire dédiée.
Ce mécanisme aurait vocation à être actionné tant en période de crise (en complément du Mécanisme pour la protection civile) qu'en période de hors crise.
Les délégations de l'Union européenne pourraient être le point d'entrée de ce mécanisme et l'interlocuteur privilégié sur place des autorités consulaires de l'État prestataire, afin d'orienter celui-ci en amont dans ses démarches. Les délégations de l'UE pourraient également être amenées à jouer un rôle dans la transmission ou l'instruction des dossiers (étude de la recevabilité de la demande, de la complétude du dossier...etc). Le cas échéant, une délégation de crédits aux délégations pourrait permettre une contribution financière directe à une opération de « protection consulaire ».
- la mise en place d'un fonds ad hoc abondé par les États membres . Un tel fonds, qui ne serait pas rattaché directement au budget de l'UE, pourrait être géré par la Commission européenne. Il serait abondé par les États membres en fonction d'une clé de répartition à définir.
- un « filet de sécurité » pourrait également être mis en place. Il ouvrirait la possibilité d'une contribution du budget de l'UE dans le cas où les frais engagés par un État membre au titre de la protection consulaire des citoyens de l'UE non représentés dépasseraient un montant annuel défini par avance dans la directive.
Si les enjeux financiers sont aujourd'hui limités, il ne faut pas les sous estimer, dans un contexte d'accès massif à la mobilité internationale des citoyens européens, qu'il s'agisse de tourisme ou d'expatriation. La France offrant le meilleur niveau de protection consulaire ainsi qu'un des maillages les plus denses avec son réseau, elle est particulièrement susceptible d'être impactée par ces dispositions.
Le risque est que, l'offre créant sa propre demande, certains pays abandonnent leur système sécuritaire et fassent appel au réseau consulaire français au coup par coup, accroissant dangereusement le nombre de personnes à secourir.
Quel sera l'impact demain si les guides touristiques allemands, anglais, portugais, italiens, espagnols, tchèques, slovènes, suédois... conseillent aux voyageurs européens d'aller demander assistance, dans les pays tiers, au consulat français ?
En raison des moyens humains (fonctionnaires et militaires dépêchés) ainsi que des matériels lourds (évacuations par avions militaires) et malgré l'existence de moyens de refinancement entre États européens en cas d'assistance de nationaux tiers, ces opérations coûteuses sont en général supportées par la France car peu d'États membres disposent des moyens nécessaires.
* 7 Voir les affaires 57/65, Lütticke, et 26/62, Gend & Loos. L'article 23, paragraphe 2, du TFUE ne prévoit plus que les États membres établissent entre eux les règles nécessaires. L'article 23, premier et deuxième alinéas, du TFUE permet simplement aux États membres de prendre les dispositions internes nécessaires.
* 8 Affaire C-184/99, Grzelczyk,
* 9 Bruxelles, le 23.3.2011 COM(2011) 149 final communication de la commission au parlement européen et au conseil : La protection consulaire des citoyens de l'Union dans les pays tiers: Bilan et perspectives
* 10 Article 2, paragraphe 10, de la décision 2007/779/CE du Conseil du 8 novembre 2007.