E. LES ÉVOLUTIONS DIVERGENTES DE SAINT-BARTHÉLEMY ET SAINT-MARTIN

1. La situation de Saint-Martin

• La coopération avec la partie néerlandaise

La coopération entre Saint-Martin et la partie néerlandaise de l'île, Sint-Maarten, est complexifiée par la divergence de statuts de ces deux collectivités au regard du droit communautaire : alors que Saint-Martin est une région ultrapériphérique (RUP), Sint-Maarten appartient en effet à la catégorie des pays et territoires d'outre-mer (PTOM), ce qui implique des obligations différenciées en matière de respect du droit de l'Union. Sint-Maarten apparaît ainsi comme une frontière extérieure de l'Europe qui, au vu de son statut et des termes de l'accord de Concordia, ne peut que difficilement être contrôlée.

Toutefois, la coopération entre Saint-Martin et Sint-Maarten, a connu de réels progrès au cours de l'année écoulée.

Votre rapporteur souligne ainsi que, le 7 octobre 2010, un accord de coopération a été conclu entre le gouvernement français et celui des Pays-Bas, permettant d'octroyer aux autorités françaises un droit de poursuite au-delà de la frontière. Cet accord est toujours en cours de ratification par les deux parties.

En matière judiciaire, deux projets de convention ont été transmis par la France aux autorités néerlandaises : d'une part un projet de convention d'entraide judiciaire en matière pénale et, d'autre part, un projet de convention d'extradition simplifiée. Les autorités néerlandaises, bien que très favorables à la construction d'une base juridique adaptée, sont apparues sceptiques quant à la finalisation de ces deux conventions. Elles ont en effet attiré l'attention des autorités françaises sur la nécessité d'un double examen de ces textes à la fois au niveau local et national, ce qui suppose une procédure complexe.

En outre, le 12 octobre 2010, la France a procédé à la ratification de l'accord franco-néerlandais de coopération douanière à Saint-Martin (qui avait été signé à Philipsburg en janvier 2002).

Enfin, des négociations sont en cours afin de créer une instance de dialogue régulier entre les deux parties de l'île , qui prendrait la forme d'une commission mixte. Cette instance permettrait aux deux États et aux autorités locales de discuter des sujets d'intérêt commun et de procéder à un état des lieux de l'application des différents accords de coopération et des perspectives futures de coopération.

En vue de la réalisation de ce projet, une première rencontre a eu lieu à La Haye en mars 2011 entre les autorités françaises et le Premier ministre de Sint-Maarten, Mme Wescot-William, qui a confirmé son intérêt pour ce projet. La première commission mixte pourrait ainsi être réunie dès la fin 2011 sur la partie française de l'île.

• Des difficultés budgétaires et fiscales rémanentes

La collectivité de Saint-Martin a rencontré d'importantes difficultés dans la mise en oeuvre de son autonomie fiscale. Ces difficultés se sont traduites par une crise de trésorerie aigüe, résultant d'un trop faible rendement des impositions locales. L'État a donc apporté, en 2009 et en 2010, une avance de trésorerie de 10 millions d'euros à la collectivité et l'a aidée à améliorer le recouvrement de ses impositions locales.

Cette amélioration demeure cependant limitée, en raison du fonctionnement encore imparfait de la convention de moyens du 21 mars 2008 qui régit la coopération entre les services locaux de l'État et la collectivité en matière d'assiette et recouvrement des impôts et taxes. Faute de recettes fiscales suffisantes, la collectivité a par ailleurs introduit depuis le mois d'août 2010 une taxe générale sur les chiffres d'affaires ; elle a, en outre, mis en place une taxe territoriale sur les transactions afin de compenser la perte, en 2009, de la part d'octroi de mer qui lui était allouée (11,53 millions d'euros en 2008).

Ainsi, malgré les perspectives encourageantes de la fin de l'année 2010, Saint-Martin continue de connaître d'importantes difficultés en 2011 : son niveau d'épargne s'est en effet fortement dégradé, et une nouvelle crise de trésorerie a été constatée.

La proposition de loi organique déposée, il y a quelques semaines, par notre collègue Louis-Constant Fleming 29 ( * ) démontre d'ailleurs que les difficultés en matière de recouvrement des impôts n'ont pas été résolues depuis 2007, et que les réformes engagées depuis lors n'ont pas permis à la collectivité de se saisir pleinement de ses nouvelles compétences. Votre rapporteur, tout en marquant son attachement à la règle dite « des cinq ans » (qui avait été mise en place pour éviter que Saint-Martin mais aussi Saint-Barthélemy ne deviennent des paradis fiscaux), estime que le législateur doit s'interroger sur les modalités de l'exercice de la compétence fiscale par Saint-Martin et faire le bilan du système instauré par la loi organique du 25 janvier 2010, et trouver les solutions les plus appropriées.

2. La situation de Saint-Barthélemy

• Un territoire encore préservé de la crise

À l'inverse, la collectivité de Saint-Barthélemy connaît une situation financière confortable du fait d'un niveau de recettes élevé, d'une absence d'endettement et d'une large autonomie en matière fiscale.

Le secteur touristique constitue, avec le BTP, une activité clef de l'économie de Saint-Barthélemy. Il concentre 32,2 % de l'effectif salarié total en 2008 et représente le premier pourvoyeur d'emploi, avant celui du bâtiment et des travaux publics.

Le marché de prédilection de Saint-Barthélemy demeure les États-Unis : les répercussions du ralentissement de l'économie américaine font donc craindre une baisse de l'activité touristique de l'île, comme cela avait été le cas en 2008-2009 (en 2009, la fréquentation touristique avait atteint un total de 285 099 visiteurs, soit le niveau le plus faible de ces cinq dernières années).

• Le problème de la dotation globale de compensation

Entendu par votre rapporteur, M. Michel Magras a mis en lumière les problèmes soulevés par la dotation générale de compensation (DGC) prévue, en 2007, pour tenir compte des transferts de compétences à la collectivité.

La loi organique du 21 février 2007 disposait en effet les charges transférées à la collectivité en raison des transferts de compétences devraient être compensées par le transfert d'impôts et par diverses dotations (dotation globale de fonctionnement et dotation globale de construction et d'équipement scolaire) ainsi que, pour le solde, par l'attribution d'une dotation globale de compensation inscrite au budget de l'État. Le montant de la DGC, précisé chaque année en loi de finances, devait être établi sur la base des travaux d'une commission consultative d'évaluation des charges (CCEC). Or, dans le cas de Saint-Barthélemy, il a été considéré que le potentiel fiscal transféré à la collectivité était supérieur aux charges dont elle héritait, si bien qu'il incombait non pas à l'État de verser une compensation à Saint-Barthélemy, mais à Saint-Barthélemy de verser de l'argent à l'État : en 2009, le montant de la DGC à la charge de la collectivité était ainsi évalué à 5,6 millions d'euros par an .

Devant l'émotion des autorités locales, ce montant n'a été ni prélevé, ni même réclamé par les pouvoirs centraux jusqu'à ce jour. Toutefois, dans un contexte de crise, le gouvernement souhaite réclamer 28 millions d'euros à la collectivité en 2012, correspondant à l'ensemble des versements qui auraient dû être effectués depuis 2007. Ce montant n'est pas négligeable pour Saint-Barthélemy, qui ne dispose que de 30 millions d'euros de trésorerie et doit financer dans les mois à venir des investissements cruciaux pour l'avenir de la collectivité (à savoir un centre hospitalier pour personnes âgées et dépendantes et une station d'épuration), ce qu'elle ne pourra pas faire si les montants cumulés de DGC sont prélevés.

La collectivité de Saint-Barthélemy a donc demandé au gouvernement une réévaluation du montant de la DGC (dont elle estime que l'estimation initiale n'était pas sincère), le dégrèvement des deux premières années et l'étalement du versement des impayés.

Votre rapporteur constate en effet que la DGC soulève un problème de fond, dans la mesure où elle est calculée en fonction des impôts et taxes perçus par l'État avant la mise en place du statut de 2007, ce qui revient de facto à obliger Saint-Barthélemy à percevoir un niveau de fiscalité équivalent à celui que percevait l'État : on peut dès lors se demander si le raisonnement qui a conduit le gouvernement à considérer que la collectivité était bénéficiaire à l'issue des transferts de compétences est cohérent avec le principe de libre-administration des collectivités, et s'il ne porte pas atteinte à l'autonomie de Saint-Barthélemy -qui devrait pouvoir déterminer librement les impôts qu'elle entend lever.

Il souligne, par ailleurs, que cette situation est d'autant plus absurde que le coût des services de l'État implantés à Saint-Barthélemy (enseignement, police, etc.) est évalué à 5,2 millions d'euros, soit 400 000 euros de moins que le montant de la DGC : le prélèvement de cette dotation impliquerait donc de demander aux habitants de la collectivité de payer leur appartenance à la communauté nationale et à subventionner leurs concitoyens.

Votre rapporteur appelle donc le gouvernement à reconsidérer ses demandes et, à tout le moins, à tenir compte des remarques des autorités de Saint-Barthélemy.

• La transformation de Saint-Barthélemy en PTOM

La collectivité s'apprête, par ailleurs, à entrer dans la catégorie des PTOM, ce qui devrait clarifier ses relations avec l'Union européenne.

En effet, le détachement de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy de la Guadeloupe, impulsé par la loi organique du 21 février 2007 a modifié le statut de ces collectivités au regard du droit communautaire : n'étant pas des départements d'outre-mer, elles ne sont plus classées dans la catégorie des RUP (régions ultrapériphériques), mais ne sont pas non plus incluses dans la liste des PTOM.

Pour résoudre ce problème, le gouvernement envisage d'engager une procédure de révision du traité CE afin de ne plus lier la qualité de RUP à la seule notion communautaire de « département français d'outre-mer », et de faire apparaître dans la liste conventionnelle des PTOM le nom de l'une ou l'autre des deux îles.

S'agissant de Saint-Barthélemy, la démarche de changement de statut européen, validée par le Conseil Interministériel de l'Outre-mer, était réclamée par la collectivité -le conseil territorial de l'île s'étant prononcé à la quasi-unanimité de ses membres en faveur de l'évolution demandée.

Dans le prolongement d'échanges techniques avec la Commission européenne, une saisine officielle du président du Conseil européen par le président de la République, M. Nicolas Sarkozy, a eu lieu le 30 juin 2010, afin que le Conseil se prononce en faveur de l'évolution de Saint Barthélemy en PTOM. La décision unanime du Conseil a été adoptée le 29 octobre 2010, permettant de modifier le statut européen de Saint-Barthélemy. À compter du 1er janvier 2012, la collectivité deviendra donc un PTOM associé à l'Union. Le droit applicable à Saint-Barthélemy pourra s'écarter du droit et des normes européennes pour s'adapter aux spécificités locales.

• L'activité normative de la collectivité

En ce qui concerne l'activité normative de Saint-Barthélemy, notre collègue Michel Magras a, lors de son audition par votre rapporteur, fait valoir que le temps qui s'écoulait entre l'adoption de sanctions par la collectivité et leur ratification par la loi ou par le règlement était parfois excessivement long. Il a, en outre, relevé que l'appropriation de la compétence relative à l'énergie demeurait perfectible : à ce jour, seule une convention avec EDF a été signée par la collectivité, qui n'a entrepris aucune action significative en matière de développement durable.

M. Michel Magras a également émis le souhait que Saint-Barthélemy puisse se voir attribuer la compétence de gestion du registre des commerces et des sociétés (RCS) local, notamment afin de lutter contre les contournements de la règle « des cinq ans » en dissolvant les sociétés inactives : il apparaît en effet que certaines sociétés, pourtant « en sommeil » depuis plusieurs années, sont reprises par des gestionnaires fictifs (c'est-à-dire des prête-noms résidant à Saint-Barthélemy) afin de bénéficier indûment de la législation fiscale de la collectivité.

Enfin, il semble essentiel qu'une convention fiscale soit négociée entre l'État et Saint-Barthélemy pour préciser les modalités d'exercice de la compétence fiscale de la collectivité (notamment en matière d'imposition des retraites, celles-ci étant aujourd'hui imposées comme des revenus de source métropolitaine même lorsqu'elles sont versées à des personnes ayant vécu et travaillé toute leur vie à Saint-Barthélemy, et des revenus tirés de l'épargne et des placements bancaires -qui sont eux aussi considérés comme des revenus de source métropolitaine au motif que les banques concernées ont leur siège social en Île-de-France).


* 29 Proposition de loi organique n° 77 (2011-2012) modifiant le livre III de la sixième partie du code général des collectivités territoriales relatif à Saint-Martin. Cette proposition de loi vise notamment à supprimer la règle dite « des cinq ans » qui soumet aux impôts édictés par Saint-Martin les seules personnes morales ou physiques établies dans la collectivité depuis plus de cinq ans, et à transférer à la collectivité la compétence relative à l'établissement de l'assiette, au recouvrement et au contrôle des impôts et taxes.

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