IV. UN DROIT D'ASILE QUI S'EXERCE DÉSORMAIS DANS UN CADRE EUROPÉEN
La création d'un espace commun de liberté, de sécurité et de justice assurant la libre-circulation des personnes a rendu nécessaire un rapprochement des législations des États membres en matière d'asile.
La mise en oeuvre d'une politique européenne de l'asile a reposé sur deux objectifs :
- d'une part, garantir à chaque demandeur d'asile un examen individuel de sa demande de protection dans des conditions d'accueil et de procédure harmonisées ;
- d'autre part, prévenir les demandes formulées successivement dans plusieurs États membres en instaurant le principe de responsabilité d'un État unique dans l'examen d'une demande d'asile formulée au sein de l'Union européenne.
A cette fin, plusieurs directives adoptées entre 1999 et 2005 ont eu pour but de définir des normes minimales en matière d'octroi d'une protection, de procédure applicable et d'accueil des demandeurs d'asile.
La seconde phrase de rapprochement des législations, engagée avec l'adoption sous présidence française de l'Union européenne du Pacte européen sur l'immigration et l'asile , se heurte toutefois à l'heure actuelle à un certain nombre de blocages.
A. LES DYSFONCTIONNEMENTS DU DISPOSITIF « DUBLIN II »
Le règlement (CE) n°343/2003 du Conseil du 18 février 2003, dit « Dublin II », vise à prévenir le risque de dépôt de demandes multiples en déterminant l'État-membre responsable de l'examen d'une demande d'asile.
En règle générale, l'État responsable sera l'État :
- qui a délivré au demandeur un titre de séjour ou un visa, toujours en cours de validité ;
- ou dont le demandeur a franchi irrégulièrement les frontières ;
- ou encore l'État où réside en tant que réfugié ou demandeur d'asile un membre de la famille du demandeur.
En application de ce dispositif, le demandeur d'asile doit être transféré dans l'État-membre responsable de l'examen de sa demande, en principe dans un délai maximal de six mois à compter de l'accord de cet État.
Le préfet du département du domicile du demandeur d'asile est compétent pour prendre, notifier et exécuter la décision de remise du demandeur aux autorités de l'État membre responsable de l'examen de sa demande (transferts dits « sortants »). En sens inverse, les requêtes des États membres de l'Union européenne et des États associés (Norvège, Islande et Suisse) sont examinées par le ministère de l'Intérieur (service de l'asile), qui statue afin de déterminer si la responsabilité de la France est engagée et autorise, le cas échéant, la prise ou reprise en charge du demandeur d'asile (transferts dits « entrants »).
En 2010, la France a procédé à 883 transferts sortants, en particulier à destinations de l'Allemagne (152 transferts), de l'Italie (123 transferts) et de la Pologne (105 transferts). Elle a réadmis 986 demandeurs d'asile, en particulier en provenance d'Allemagne (203 demandeurs), de Belgique (180 demandeurs), des Pays-Bas (160 demandeurs), de Suisse (152 demandeurs) et du Royaume-Uni (102 demandeurs).
Le fonctionnement du mécanisme « Dublin II » s'appuie sur la base de données EURODAC , qui recense les empreintes digitales des demandeurs d'asile aux fins d'identification. En 2009, la Commission européenne avait proposé que cette base pût être accessible aux services de police et de gendarmerie ; cette proposition, considérée comme inacceptable par une majorité d'États membres, avait été abandonnée dans un premier temps. Toutefois, la Commission européenne et la présidence hongroise de l'Union européenne ont présenté au Conseil JAI des 8-9 juin 2011 une lettre conjointe reprenant notamment cette idée. Votre commission des lois sera vigilante face à ce risque de détournement des finalités de ce fichier.
La mise en oeuvre du mécanisme « Dublin II » est aujourd'hui confrontée aux insuffisances du système d'asile grec . Comme l'a indiqué à une délégation de votre commission en déplacement à Bruxelles M. Ilkka Laitinen, directeur exécutif de FRONTEX, à l'heure actuelle, environ 90% des migrants illégaux pénétrant dans l'espace Schengen entrent par la frontière gréco-turque. Or dans un arrêt MSS c/Grèce et Belgique du 21 janvier 2011, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré que le fonctionnement actuel du système d'asile grec était contraire aux articles 3 (qui prohibe les traitements inhumains ou dégradants) et 13 (relatif au droit au recours effectif) de la Convention européenne des droits de l'homme . A la suite de cette décision, la France a suspendu temporairement les transferts de demandeurs d'asile vers la Grèce et, en l'attente d'une évolution de la situation, examine les demandes d'asile présentées sur son territoire et relevant en principe de la compétence de cet État. En 2010, la France avait renvoyé vers ce pays 47 demandeurs d'asile.
La Commission européenne a par ailleurs récemment proposé, dans le cadre de la négociation du « paquet asile » (voir infra ) et dans un souci de solidarité entre les États membres, d'instaurer une possibilité de suspendre temporairement, dans des circonstances exceptionnelles, l'application du mécanisme « Dublin » en cas de transferts de demandeurs d'asile vers un État membre dont le système d'accueil est défaillant. Certains d'entre eux sont en effet, du fait de leur situation géographique, soumis à des pressions particulières et parfois disproportionnées par rapport à leurs capacités (exemple notamment de Malte). Cette proposition rencontre toutefois l'hostilité de plusieurs États membres, dont la France, qui font valoir que l'introduction d'un mécanisme de suspension temporaire ne serait pas conforme au principe de responsabilité de chaque État membre dans le contrôle de ses frontières extérieures. Plutôt qu'une dérogation au dispositif « Dublin II », le Gouvernement français soutient une solidarité basée sur un renforcement de la solidarité financière entre États membres, une mise en oeuvre de programmes de réinstallations intra-communautaires et un traitement plus global de la situation migratoire.
En effet, les États membres sont confrontés à une grande disparité de situations face aux demandes d'asile formulées au sein de l'Union européenne.