D. DES MODALITÉS D'INTERVENTION DE PLUS EN PLUS COMPLEXES QUI RENDENT LE CONTRÔLE ET L'ÉVALUATION DE CETTE POLITIQUE À TRAVERS LE BUDGET DE PLUS EN PLUS DIFFICILES

Outre l'existence d'objectifs et d'instruments différenciés selon les zones, le budget de la mission aide au développement finance des mécanismes de plus en plus complexes.

Cette complexité prend essentiellement deux formes. La première est le financement de projets de développement par des coalitions d'acteurs hétérogènes : État, organisations non-gouvernementales, organisations multilatérales, fondations privées. La deuxième est le recours croissant à des instruments financiers de plus en plus élaborés associant des éléments de financements publics avec des instruments de marché.

1. La France comme l'ensemble de ses partenaires intervient de plus en plus rarement seule et de plus en plus fréquemment au sein de coalitions de bailleurs de fonds nationaux ou multilatéraux

La coopération française s'est longtemps pensée à travers les relations privilégiées que la France entretenait avec ses anciennes colonies. De ce point de vue, une des évolutions les plus marquantes de ces dernières années est le fait que la coopération ne se conçoit plus comme un exercice solitaire, mais comme une relation de partenariat avec les pays récipiendaires d'abord, avec les autres bailleurs de fonds nationaux et multilatéraux, ensuite, et, enfin, avec un nombre croissant d'intervenants en France (ONG, collectivités, entreprises) et au niveau international (organisations internationales, fonds verticaux, fondations, nouveaux pays donateurs ...).

Ainsi le nombre total d'opérations de l'AFD cofinancées est passé de 55 entre 2000 et 2004 à 106 entre 2005 et 2009. Ainsi plus de 20 % des projets de l'AFD sont désormais des cofinancements.

Source: AFD

Même sans cofinancement, la France intervient de plus en plus rarement seule. La mise en oeuvre de notre politique bilatérale consiste aujourd'hui à repérer des opportunités où elle peut faire valoir sa valeur ajoutée et à construire des partenariats autour d'une action.

Aujourd'hui la gestion de projet de coopération internationale consiste à former des coalitions d'acteurs susceptibles de s'accorder avec un pays récipiendaire sur un projet de développement.

C'est dans ce cadre, conformément aux travaux sur l'efficacité de l'aide, que se sont développées une division du travail, des programmations conjointes et la mise en place selon les pays et selon les secteurs de chef de file. C'est tout le sens du code de conduite sur la division du travail adopté par les membres de l'Union européenne et des travaux qui s'en sont suivis.

Le Mali, où votre commission a effectué une mission d'information, est un exemple de pays où la France a naturellement vocation à intervenir. Elle n'y représente plus que 10 % de l'aide publique au développement. La France a donc évidemment intérêt à trouver des partenariats.

Elle participe ainsi avec les autres bailleurs et partenaires techniques depuis 2007 à une démarche de coordination dans l'esprit des préconisations de la Déclaration de Paris sur l'efficacité de l'aide. Une Stratégie Conjointe d'Assistance Pays (SCAP) a été élaborée en 2008 et approuvée par les autorités maliennes en 2009. Cette stratégie a pour vocation d'harmoniser les interventions des bailleurs, d'assurer la transparence de l'information sur leurs activités, et enfin de favoriser le processus de concentration et d'alignement sur les priorités nationales. Ce processus a abouti dans de nombreux domaines à une programmation commune sur la base d'une division du travail. L'AFD a été chef de file des bailleurs de fonds dans le domaine de l'éducation de 2007 à 2011. Elle est actuellement chef de file des bailleurs de fonds sur le développement urbain et le secteur privé. L'AFD coordonne ainsi le financement d'un collectif de bailleurs (Union Européenne - Banque Européenne d'Investissement - Banque Mondiale - Banque Islamique de Développement - Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) - Italie ...) sur le projet d'adduction d'eau potable de Bamako.

Cette coordination peut conduire l'opérateur français à mettre en oeuvre des financements d'autres bailleurs de fonds. Ainsi, l'AFD a bénéficié de trois délégations de financement de l'Union européenne au Mali : la première portant sur l'appui à la structuration des organisations professionnelles rurales en zone cotonnière ; la seconde sur l'appui au Programme de développement du secteur privé ; la troisième, en cours, portant sur le financement de l'adduction d'eau potable à Bamako

Une des conséquences concrètes de ces pratiques est qu'un certain nombre des crédits inscrits au budget de la coopération vont être mis en oeuvre par un opérateur qui peut être aussi bien français qu'allemand, finlandais, danois ou européen.

Dès lors la responsabilité de la gestion de ces crédits, leur lisibilité et l'évaluation des actions entreprises se trouvent partagées entre un nombre croissant d'acteurs.

2. Une politique de coopération qui se joue de façon croissante au niveau multilatéral comme l'illustre la montée en puissance des crédits multilatéraux ainsi que l'inscription de la coopération pour le développement dans l'agenda du G20 et du G8

Convaincus de la valeur ajoutée d'une action européenne pour le développement, les gouvernements successifs ont fait le choix d'inscrire la politique française d'aide au développement dans un cadre européen. C'est pourquoi la France a toujours oeuvré pour l'affirmation de cette compétence de l'Union.

Il en résulte que le quart du budget de la coopération est mis en oeuvre par des actions de la Commission européenne.

Source : DPT 2012

La coopération française s'inscrit aussi résolument dans le cadre multilatéral qui constitue, dans un monde devenu totalement interdépendant, le niveau approprié pour l'élaboration de nombre de réponses communes aux défis mondiaux, parmi lesquels figure l'extrême pauvreté.

Pour cette raison la moitié de l'aide française transite par des organismes multilatéraux et européens.

Ainsi la part de l'aide multilatérale dans l'APD française représentait 25 % en 2006, 45 % en 2009 et 40 % en 2010.

Cette situation conduit à ce qu'une part majoritaire des crédits qui sont soumis au vote du Parlement soit mise en oeuvre par des organismes qui échappent au contrôle du Parlement.

Certes, les organismes auxquels la France contribue disposent d'organes de contrôle. En outre, la France est généralement représentée dans les organes exécutifs de ces organismes, de sorte qu'elle participe à la programmation de ces organismes qui par ailleurs rendent des comptes à leur conseil d'administration. Il reste que le gouvernement ne saurait être entièrement responsable des performances de chaque organisme.

Il revient en définitive au Parlement de juger de la pertinence de ses contributions au regard des objectifs de la coopération française et de la qualité du partenariat qu'entretiennent les pouvoirs publics avec les organismes de développement qu'ils financent.

La qualité des différents partenariats est cependant difficile à évaluer. On en juge souvent par l'adéquation entre le pouvoir accordé aux représentants de la France et la part des financements français ainsi que par la capacité des représentants français à orienter la programmation de ces organismes dans le sens des objectifs de la coopération française.

L'intégration dans l'agenda du G8 et du G20 des questions relatives à la coopération au développement illustre également l'inscription croissante de la politique de coopération au développement française dans un cadre international.

Au dernier sommet du G8 à Deauville, il a été décidé de soutenir des projets de coopération dans les pays arabes en transition dans le cadre du Partenariat dit de Deauville. Les membres du G8, mais aussi les banques multilatérales et les fonds régionaux de développement (Banque Africaine de Développement, Fonds Arabe pour le Développement Economique et Social, Fonds Monétaire Arabe, Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement, Banque Européenne d'Investissement, Groupe de la Banque Islamique de Développement, Fonds Monétaire International, Fonds OPEP pour le Développement International, Groupe de la Banque Mondiale) se sont engagés à soutenir ce partenariat et à travailler ensemble à une programmation conjointe.

3. Des modalités d'intervention de plus en plus complexes

En l'espace d'une décennie, les instruments utilisés par la coopération française ont vécu une révolution spectaculaire. L'aide au développement traditionnelle comprenait exclusivement des prêts et dons.

Depuis les modalités d'intervention de la coopération française se sont considérablement diversifiées avec la mise en place de mécanismes d'imposition ou de quasi-imposition tels que les taxes sur les tickets d'avions 15 ( * ) ; l'augmentation des investissements dans les capitaux à risques ; le recours de plus en plus fréquent aux outils des marchés financiers tels que par exemple la facilité financière internationale appliquée à la vaccination (IFFim) 16 ( * ), les partenariats publics privés comme l'Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination (GAVI Alliance) 17 ( * ) , les mécanismes d'assurance, les systèmes de garantie, la mise en place de nouveaux canaux pour l'aide tels que les fonds et programmes mondiaux « verticaux » a l'instar du Fonds mondial pour l'environnement ou du fonds, ou le développement d'instruments de prêts cont racycliques ou contingents, etc.

Une des conséquences de ces innovations est de fait que le budget de la mission coopération inscrit dans la loi de finances reflète de moins en moins la réalité des financements réellement disponibles pour l'aide au développement.

Ainsi, la taxe sur les billets d'avions est un mécanisme extra-budgétaire, de même que l'IFFIm qui est un mécanisme basé sur des emprunts d'Etat. , Les mécanismes de garantie de l'AFD ne se traduisent également pas par une ligne de crédit, mais rentrent en cas de sinistre dans les comptes de résultats de l'AFD.

Même quand l'instrument mis en oeuvre figure dans la loi de finances, comme c'est le cas pour l'aide budgétaire, la traçabilité de ses crédits du budget français à leur emploi effectif sur le terrain est problématique tout comme leur évaluation.

4. Des évolutions qui rendent l'évaluation de notre politique de coopération plus difficile.

L'augmentation des financements croisés et des contributions multilatérales rend de plus en plus difficile le rapprochement entre les crédits votés et les résultats obtenus sur le terrain.

Concernant l'aide multilatérale, l'Inspection générale des finances (IGF) a produit, en novembre 2010, un rapport sur les indicateurs de performance qui pourraient être retenus. L'IGF constate qu'aucun pays n'est parvenu, à ce jour, à mettre en place des indicateurs de performance de l'aide transitant par les canaux multilatéraux. Le rapport retient trois conclusions principales :

- il n'est pas possible de bâtir des indicateurs de performance synthétiques de l'aide multilatérale au développement financée par le France, en raison de :

- l'obstacle lié à l'attribution des résultats. Le document-cadre de coopération au développement français rappelle également cet obstacle : « Le développement est le résultat de politiques nationales complexes et imbriquées, à l'élaboration et au financement desquelles la communauté internationale contribue généralement pour une part mineure. Il est donc très difficile de distinguer les effets de l'aide extérieure dans l'évolution globale de l'économie ou de la situation sociale d'un pays, et ce, d'autant que le pays concerné peut être largement affecté par des éléments extérieurs : évolution des cours mondiaux, crise financière ou économique internationale, effet d'une plus ou moins bonne pluviométrie... » ;

- la quantité limitée de données fiables et abrégeables ;

- l'absence d'harmonisation, voire de compatibilité entre les différents systèmes de mesure de la performance mis en place dans les différentes organisations multilatérales.

De même que, dans des co-financements, il est très difficile de pouvoir distinguer la part des résultats qui revient à chacun et peu rigoureux de s'attribuer comme c'est souvent le cas l'ensemble des résultats obtenus.


* 15 la contribution de solidarité sur les billets d'avion (CSV), destinée à financer l'accès des populations des pays les plus pauvres aux médicaments et aux moyens de diagnostic est entrée en vigueur sur le territoire français le 1 er juillet 2006..Le montant de cette contribution s'élève en France de 1 à 10 € par billet sur les vols intérieurs et de 4 à 40 € sur les vols internationaux, selon la classe du billet. Elle a rapporté 788 millions depuis 2006 (chiffre au 21 juillet 2011)

* 16 L'IFFIm est un mécanisme de financement innovant, basé sur des emprunts d'Etat, permettant de lever rapidement des fonds qui sont remboursés par les Etats sur une période plus longue.

* 17 L'Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination, plus connue sous le nom de GAVI Alliance (Global Alliance for Vaccines and Immunization) est un partenariat public et privé lancé le 31 janvier 2000, à l'intention des 49 pays les plus pauvres (revenu national brut inférieur à 1000 $US par habitant), lors du Forum économique mondial à Davos (Suisse). Les gouvernements, l'UNICEF, l'OMS, la Banque Mondiale, la Fondation Bill et Melinda Gates, les producteurs de vaccins du Nord et du Sud, des institutions de santé publique et des organisations non gouvernementales se sont engagés à travailler en partenariat en vue de protéger tous les enfants des pays pauvres contre les principales maladies que l'on peut prévenir par la vaccination.

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