B. CETTE DÉMULTIPLICATION ACCROÎT LES COÛTS DE GESTION ET LES PROBLÈMES DE COORDINATION
La démultiplication des organismes de développement entraîne naturellement un accroissement du nombre de projets de développement. On est passé d'environ 20 000 projets au milieu des années 90, à 40 000 en 2000 pour atteindre 100 000 aujourd'hui 33 ( * ) .
Parallèlement à cette prolifération, le niveau financier de ces projets s'est considérablement réduit, pour atteindre, au niveau de l'aide d'origine européenne, une moyenne de 0,7-1 million d'euros par opération.
Comme le souligne une étude de la Fondation pour les Etudes et Recherches sur le Développement International 34 ( * ) : « Le seul exemple de l'Ethiopie montre à quel point la réalité est éloignée des décisions relatives à l'efficacité de l'aide : il y a environ 2 200 projets en cours d'exécution ; la moitié de ces projets ont un montant inférieur à 10 0000 dollars, et ils représentent moins de 2 % de l'aide publique reçue par l'Ethiopie . »
Cette fragmentation de l'aide dans une multitude de petits projets financés par une multitude de donateurs, selon leurs propres règles et procédures, constitue une charge insupportable pour les autorités des pays partenaires et mine le concept même d'alignement. Ainsi, l'an dernier, le Vietnam a reçu 752 missions de donateurs (deux par jour) dont seulement 130 étaient coordonnées. Chaque année, la Tanzanie doit produire 2 400 rapports destinés aux différents donateurs qui sont au nombre de 40.
Elle constitue aussi un coût démesuré pour les donateurs.
Une étude financée en 2008 par la Commission européenne chiffre entre 2 et 3 milliards d'euros par an le coût additionnel engendré par cette prolifération pour l'Union Européenne. Ce chiffre a été déterminé à partir du nombre de nouveaux projets approuvés par les Etats membres de l'Union chaque année (22 000) et en prenant pour hypothèse que le coût moyen (consultants et fonctionnaires) pour formuler, instruire et approuver chaque projet se situe dans une fourchette de 90 000 à 140 000 euros.
C. PEUT-ON « METTRE DE L'ORDRE DANS LA PAGAILLE » ?
La rationalisation de cette jungle institutionnelle et la mise en place d'instruments de mise en cohérence est un enjeu majeur pour l'avenir et notamment pour la mise en place d'instruments de lutte contre le réchauffement climatique.
Les moyens de lutter contre la fragmentation de l'aide sont nombreux. Parmi eux, il y a l'inscription de la concentration de l'aide et de la division du travail parmi les priorités de l'aide au développement.
Cela doit être une des priorités d'une conférence comme celle de Busan sur l'efficacité de l'aide, qui doit aboutir à l'établissement d'un référentiel pour l'ensemble des bailleurs de fonds. Cette rationalisation passe également par une plus forte concentration des contributions intervenant dans ce domaine. Elle passe enfin par la mise en place d'outils et de procédure de mise en cohérence des différents acteurs, qu'il s'agisse de programmation conjointe ou de cofinancement.
Dans le cadre de la Conférence de Busan sur l'efficacité de l'aide, le gouvernement français a indiqué qu'à travers la position commune européenne il devrait s'engager à :
1) intensifier la concentration et la répartition des tâches ;
2) abandonner les stratégies par pays et adopter des stratégies d'assistance conjointes entre donateurs mus par la volonté politique de travailler ensemble ;
3) éviter la prolifération des fonds verticaux et renforcer, en lieu et place, des canaux existants ;
4) promouvoir un débat mondial de haut niveau sur la répartition internationale des tâches, qui soit fondé sur les travaux de prospective et l'analyse du CAD concernant la fragmentation, en prenant également en considération les pays sous-financés.
Votre commission approuve pleinement ses objectifs et souhaite ardemment qu'ils se traduisent par des actions concrètes.
Elle estime que les efforts de rationalisation doivent se faire aussi bien au niveau international qu'au niveau national à travers l'évaluation des contributions multilatérales de chaque pays.
Elle observe que le Royaume-Uni a procédé à une revue systématique de ses contributions multilatérales, en évaluant l'ensemble des institutions auxquelles ils contribuent à travers deux séries de critères relatifs à :
1) la cohérence des objectifs de l'institution avec les objectifs de la coopération britannique (pertinence pour les objectifs britanniques d'aide, ciblage sur les pays pauvres, ciblage sur les Etats fragiles, égalité hommes/femmes, changement climatique/Environnement, contribution aux résultats) ;
2) la solidité administrative et financière des organismes concernés. (attention portée aux coûts et au retour sur investissement, comportement partenarial, stratégie et gestion de la performance, gestion des ressources financières, transparence et redevabilité) ;
L'audit britannique a porté sur 43 entités allant de fonds à structure légère (fonds de consolidation de la paix des Nations unies) et de petites organisations, à des organisations internationales de plein exercice (UNHCR, FAO, OIT), des banques de développement (BERD, BAD) ou des groupements de type GAVI ou UNITAID. Les entités couvertes vont du secteur humanitaire pur à la lutte contre le changement climatique en passant par un large spectre de fonctions de développement. 35 ( * )
On retiendra principalement le classement suivant selon les deux axes de la pertinence et de la solidité organisationnelle :
1) Le peloton de tête : GAVI, PIDG (private infrastructure development group), ASDB (banque asiatique de développement), CICR, FED, AID, ECHO, UNICEF ;
2) Les bons BERD, GFATM (fonds global), UNHCR, CERF, AFDB (banque africaine de développement), Le PAM, GFDRR, UNITAID, BCAH, IFRC, fonds de consolidation de la paix, PNUD, UNFPA... ;
3) Les moyens : Banque interaméricaine de développement, budget UE, OHCHR, UNAIDS, OMS, PNUE, CDB, UNIFEM, FAO...
4) Les mauvais : UNIDO, OIT, UNHABITAT, UNESCO, secrétariat du Commonwealth, ISDR (institut du développement durable et de la recherche).
La méthode utilisée a sans doute ses limites. Elle a fait l'objet de discussions fournies avec les organisations concernées mais aussi avec les autres bailleurs de fonds.
Vos rapporteurs estiment qu'elle n'en présente pas moins un véritable intérêt, notamment par son assistance sur l'amélioration de l'efficacité des organisations. Votre commission souhaite que la direction générale de la mondialisation procède à ce type d'évaluation.
* 33 Source : Aid Data datant de mars 2010.
* 34 Petit B. "La banalisation technocratique de l'aide", mars 2011
* 35 http://www.dfid.gov.uk/Documents/publications1/mar/multilateral_aid_review.pdf : Multilateral Aid Review Ensuring maximum value for money for UK aid through multilateral organisations March 2011