IV. LA FRANCE DOIT CONTRIBUER À UNE RATIONALISATION DE LA JUNGLE INSTITUTIONNELLE DE LA COOPÉRATION INTERNATIONALE
A. LE NOMBRE DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES OPÉRANT DANS LE CHAMPS DE LA COOPÉRATION NE CESSE DE CROÎTRE
Actuellement, quelque 263 organisations internationales peuvent recevoir des apports d'aide publique au développement. Au nombre de 15 en 1940, on en dénombrait 47 en 1960. Plus de 80 organismes sont devenus éligibles dans les années 60 et 70, dont 10 orientés vers la recherche sur l'environnement et 10 sur la recherche agricole.
Cette prolifération s'est ralentie dans les années 80 et 30 organismes « seulement » ont été admis à recevoir des apports d'aide publique au développement au cours de cette période. Les années 90 ont vu l'apparition de 45 nouvelles organisations éligibles et, en 2006, une vingtaine d'organismes nouveaux ont été créés, notamment dans le secteur de la santé.
Les agences multilatérales ont été créées dans l'objectif de mettre en oeuvre des principes d'action collective au niveau de la communauté internationale, de bénéficier d'économies d'échelle et d'éviter ainsi de faire perdurer des stratégies nationales non coopératives là où une solution collective semble avoir un avantage comparatif avéré.
Avec 263 organisations internationales et la multiplication d'instruments autonomes, comme les fonds verticaux, le paysage institutionnel de l'aide semble avoir reproduit, au niveau international, la cacophonie à laquelle elle devait mettre fin au niveau bilatéral. Comme le souligne de nombreux observateurs, « Le système international dans le domaine de l'aide au développement ressemble aujourd'hui de plus en plus à un écosystème où il y a toujours plus de naissances et jamais de morts. »
Comme l'ont souligné vos rapporteurs, on assiste, en outre, depuis une décennie, à une inflation de fonds verticaux spécialisés. On a le sentiment que, dès que surgit un problème, la réponse est dans la création d'un fonds vertical. Sans doute, certains de ces fonds ont-ils une réelle valeur ajoutée, mais il faut l'apprécier au cas par cas. La prolifération non maîtrisée de ces fonds désorganise un peu plus l'architecture internationale de l'aide, mine l'appropriation par les pays bénéficiaires de leur stratégie de développement et aboutit finalement à une véritable balkanisation de l'aide publique au développement.
La France a accompagné ce processus de balkanisation, suscitant çà et là la création de nouveaux organismes. Même si plus de 90 % des subventions multilatérales françaises sont concentrées sur 10 institutions, on observe depuis 10 ans une fragmentation croissante de l'aide française.
Le nombre d'organisations internationales ou de fonds spécialisés éligibles à l'APD auxquels la France a contribué, soit par le versement de contributions obligatoires, de contributions volontaires, ou par la reconstitution de fonds concessionnels, a ainsi été multiplié par deux depuis 10 ans : il s'établissait à une trentaine jusqu'en 2004, 38 en 2005, 56 en 2006, 60 en 2007, 61 en 2008, 66 en 2009 et 64 en 2010.
Résolument, un des objectifs que doit se fixer la politique française de coopération est de veiller à la cohérence de l'architecture internationale, de contribuer à la réduction du nombre des organismes et de promouvoir les mécanismes de mise en cohérence des institutions multilatérales et bilatérales existantes.
Il importe donc que la France prenne clairement position en faveur d'une meilleure spécialisation des agences multilatérales. Spécialisation basée sur leurs avantages comparatifs respectifs, dans la logique du code de bonne conduite de l'Union européenne sur la complémentarité et la division du travail dans les politiques de développement. Les pratiques de cofinancement, de mutualisation, de délégation de gestions et de fonds fiduciaires doivent également être favorisées afin d'assurer une plus grande cohérence de l'action collective.
Il convient sans doute de se résigner à ce que les politiques d'aide au développement mobilisent de nombreux acteurs de diverses origines nationales, multinationales, publiques et privées. Dans ce domaine comme dans d'autres, une politique du grand soir n'est sans doute ni possible ni souhaitable. Il se peut même que la concurrence entre ces différents acteurs puisse avoir des effets bénéfiques.
Mais votre commission estime qu'il y a une marge de manoeuvre vers un peu plus de cohérence et de coordination, car cette démultiplication des organismes en charge du développement accroît les coûts de gestion et les problèmes de coordination.