II. LE RECOURS À L'OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MÉDICAUX POUR FACILITER L'INDEMNISATION

Malgré les nombreux points en discussion, dont une querelle peut-être mal venue sur le nombre de décès, il existe un fait sur lequel tous s'accordent désormais : le Mediator a pu causer des valvulopathies et des hypertensions artérielles pulmonaires, maladies graves et souvent mortelles. Les études soumises à la mission commune d'information tendent à montrer que le risque de valvulopathie lié à la prise de benfluorex se situe entre 3 et 5 pour 10 000, avec une augmentation du risque en fonction de la durée du traitement. Comme l'a indiqué à la mission commune d'information le professeur Jean Acar 20 ( * ) , les atteintes valvulaires liées au Mediator sont très caractéristiques et donc facilement identifiables. L'hypertension artérielle pulmonaire est également une maladie rare, traitée uniquement dans certains centres spécialisés, qui seront en mesure de déterminer la probabilité que la pathologie ait été causée par le benfluorex.

Le laboratoire Servier a reconnu ce risque et s'est déclaré, le 24 janvier 2011, « prêt à participer à la mise en oeuvre d'un fonds d'indemnisation (...) dans le cadre de la législation en vigueur et selon des modalités permettant une indemnisation rapide et juste » . A la suite de cette annonce, le 1 er février 2011, les ministres en charge de la santé et de la justice ont demandé à Claire Favre, présidente de la chambre commerciale de la Cour de cassation, de prendre contact avec les représentants du laboratoire afin de recueillir leurs propositions en matière d'indemnisation des victimes. Néanmoins, le 7 avril 2011, et malgré une évolution jugée favorable de la position du laboratoire, le ministre et les associations de patients ont jugé inacceptable la dernière proposition du laboratoire sur les conditions d'accès au fond. « En effet, leur proposition maintient une indemnisation partielle pour chaque victime, sans couvrir l'ensemble des préjudices qui sont pourtant reconnus et acceptés par tous. Or il est inconcevable qu'il y ait une indemnisation partielle des victimes alors que celles-ci devraient parallèlement renoncer à toute possibilité de réparation civile devant la justice » 21 ( * ) . C'est à la suite de cet échec que le Gouvernement a décidé l'élaboration du dispositif figurant à l'article 22 du projet de loi de finances rectificative.

La mission d'établir le préjudice subi par une victime du fait du benfluorex et de faire une proposition d'indemnisation incombera, en application de cet article, à l'Oniam , établissement public à caractère administratif de l'Etat, placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé, créé par la loi du 4 mars 2002 22 ( * ) relative aux droits des malades et à la qualité du système de soins. Il s'agit là d'une nouvelle évolution du rôle de l'Oniam. Celui-ci a été conçu à l'origine pour que la solidarité nationale garantisse l'indemnisation des personnes ayant subi un dommage dont le risque lié aux soins prodigués était connu mais très peu probable. Cet aléa thérapeutique était auparavant considéré comme inséparable des activités de soin, puisqu'aucune faute n'avait été commise. Le préjudice restait donc à la charge de la victime, sous réserve qu'elle ait été informée des risques encourus.

L'Oniam a rapidement vu ses compétences s'élargir au-delà de l'indemnisation de l'aléa thérapeutique. Comme le soulignait son directeur, Dominique Martin, lors de son audition par la mission commune d'information 23 ( * ) , « dans la plupart des cas, dès lors qu'un problème nouveau survient induisant une nouvelle pathologie, le législateur doit intervenir de nouveau pour missionner l'Oniam » . Postérieurement à la loi du 4 mars 2002, l'office a ainsi été chargé de la mise en place et de la gestion de plusieurs fonds d'indemnisation spécifiques : contamination sanguine par le VIH ou le VHC, accidents liée à la vaccination contre la grippe A (H1N1), contamination par l'hormone de croissance extractive.

C'est en fonction de son expérience dans le traitement des dossiers d'indemnisation que l'Oniam a été choisi pour assurer celle des victimes du benfluorex. Ce système a paru préférable à toute solution alternative : non seulement à la mise en place d'un fond par le laboratoire Servier lui-même, mais également à celle d'un comité de suivi et d'indemnisation. Ce dernier mécanisme a été créé par la chancellerie à l'occasion de l'accident de Furiani. Il permet de traiter les accidents collectifs et a été utilisé dans de nombreuses circonstances (accidents aériens, AZF). L'ensemble des personnes concernées se réunissent de manière contractuelle (associations de victimes, représentants des caisses, représentants de l'Etat, représentants des assureurs, notamment) afin de déterminer un payeur qui interviendra pour le compte de l'ensemble des responsables finalement désignés. Le dispositif a récemment été utilisé dans le domaine de la santé, une première fois à Epinal, une seconde fois à Toulouse, pour deux accidents de sur-irradiation. Les circonstances de l'affaire du Mediator semblent devoir écarter cette solution. Tout d'abord, le nombre potentiel de dossiers dépasse celui que les comités de suivi et d'indemnisation ont la capacité de traiter. Mais surtout, ces mécanismes supposent que le responsable ou son assureur acceptent le principe du paiement intégral des dommages. Or, le Gouvernement juge le laboratoire Servier peu enclin à envisager cette solution.

La fonction de l'Oniam sera donc de garantir d'abord une évaluation objective du préjudice subi par les victimes, puis leur indemnisation, à charge pour lui d'avancer éventuellement des sommes en cause, pour se retourner ensuite contre les responsables du dommage afin de les récupérer. Pour éviter que les responsables n'aient intérêt à faire systématiquement des offres insuffisantes ou à laisser payer l'indemnisation par l'Oniam, et donc par l'Etat, pour attendre les résultats du contentieux, une pénalité prononcée par le juge est prévue en cas de confirmation du préjudice tel qu'évalué par l'office. Cette pénalité versée à l'Etat, et généralement fixée par la loi à 15 % au plus des sommes dues, pourra atteindre 30 % dans le cadre du dispositif prévu à l'article 22. Cette sanction importante doit être comprise comme une incitation à accepter les propositions d'indemnisation faites par l'Oniam. Le laboratoire a pu en contester le fondement juridique, sur la base de l'égalité devant les charges publiques, sans que cet argument paraisse probant.

Le dispositif de l'Oniam est gratuit et aucune représentation des victimes par un avocat n'est prévue. Il doit également être rapide, l'évaluation du préjudice subi devant être faite dans les six mois après la soumission du dossier, l'offre d'indemnisation dans les trois mois suivants et, en cas de refus des responsables de faire une offre, l'Oniam se substituera à eux dans un délai de trois mois. Au total, les victimes devraient donc pouvoir être indemnisées dans un délai d'un an.

L'indemnisation du dommage causé par le benfluorex n'est pas soumise, dans le texte proposé, à un seuil d'incapacité, comme c'est souvent le cas, mais limité à un type de préjudice, le « déficit fonctionnel ». Celui peut-être, au sens de la nomenclature dite Dintilhac, temporaire ou permanent, mais il suppose une incidence du dommage sur le fonctionnement du corps de la victime. Cette mention exclut donc l'indemnisation par le biais de l'Oniam des préjudices moraux éventuels ou du préjudice d'angoisse que les associations de victimes estiment intrinsèquement lié au fait d'avoir pris du Meditor. Il ne paraît pas anormal que les préjudices les plus avérés soient ceux qui seront pris en charge par l'Oniam et donc, au moins dans un premier temps, par l'Etat. Celui-ci a d'ailleurs prévu, dans le cadre de ce projet de loi de finances rectificative, d'abonder de 5 millions d'euros le budget de l'Oniam pour 2011 afin de faire face aux frais liés à la mise eu oeuvre du dispositif et à l'avance des premières indemnisations.

Il convient de noter que la responsabilité d'aucun acteur n'est exclue a priori par le texte proposé, les victimes étant fondées à attraire tous ceux, y compris donc les médecins et l'Etat, qu'elles considèrent responsables du dommage qui leur a été causé.


* 20 Audition du 17 mai 2011 par ...

* 21 Communiqué de presse du ministère de la santé en date du 7 avril.

* 22 Loi n°2002-303, article 98 codifié à l'article L. 1142-22 du code de la santé publique.

* 23 Audition du 17 février 2011.

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