TROISIÈME PARTIE -- ARTICLE 22 - INDEMNISATION DES VICTIMES DU BENFLUOREX

Mesdames, Messieurs,

L'article 22 du projet de loi de finances rectificative confie à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam) la mission de faciliter l'indemnisation des personnes ayant subi un dommage fonctionnel du fait du benfluorex. Ce système simple et propre à garantir les droits des victimes, mais inusité, trouve sa justification dans la crise sanitaire, et surtout dans la crise de confiance liée à ce qu'on appelle « l'affaire du Mediator ».

I. UN RISQUE SANITAIRE AVÉRÉ

Le benfluorex est le nom de la molécule commercialisée sous le nom de Mediator par le laboratoire Servier ; il s'agit d'un composé conçu par ce laboratoire en 1971, dérivé de la norfenfluramine. Le laboratoire Servier a obtenu, en 1974, une autorisation de mise sur le marché dans l'indication d' « adjuvant d'un régime adapté dans les hypertriglycéridémies ou dans le diabète asymptomatique avec surcharge pondérale » . C'est dans cette indication qu'il a été commercialisé à partir du 13 août 1976 et jusqu'au 25 juillet 2007, date où l'agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (Afssaps) a supprimé l'indication pour les hypertriglycéridémies ; l'autorisation de mise sur le marché (AMM) a cependant été renouvelée pour le diabète et le médicament n'a été retiré du marché que le 30 novembre 2009.

Le nombre total de personnes qui se sont vu prescrire le médicament n'est pas connu avec certitude ; d'après les données de la Cnam, il est estimé à environ cinq millions de personnes, dont plus de la moitié l'a pris pendant près de trois ans en moyenne 15 ( * ) . D'après les études du docteur Flore Michelet, trois cent mille personnes auraient été chaque année exposées au Mediator 16 ( * ) .

Ce succès important est, pour une part qui fait débat, lié à sa proximité chimique avec des anorexigènes reconnus, puisqu'il appartient à la famille des fenfluramines, liées aux amphétamines ; la fenfluramine a notamment été commercialisée comme anorexigène par le laboratoire Servier sous le nom de Pondéral de 1963 à 1997, et la dexfenfluramine sous le nom d'Isoméride de 1985 à 1997. D'après le rapport rendu en janvier 2011 au ministre de la santé par l'inspection générale des affaires sociales (Igas) 17 ( * ) , en 2008 (dernière année complète de prescription), 78 % des prescriptions de Mediator étaient hors AMM, et on peut supposer qu'une part importante d'entre elles avaient un but anorexigène. Le même rapport relève d'ailleurs que le nom attribué à la molécule par l'organisation mondiale de la santé (OMS) comporte le suffixe -orex, segment-clé attribué par la dénomination commune internationale (DCI) aux agents anorexigènes, et que de nombreux signalements de prescription hors AMM en tant qu'anorexigène ont été faits depuis l'origine du médicament et particulièrement depuis les années 1990. Le laboratoire Servier conteste cette analyse : non seulement il récuse l'effet anorexigène de la molécule, effet pour lequel aucune étude n'a en effet été menée chez l'homme ; mais, en outre, il soutient que la proportion de prescriptions hors AMM était faible : 10,7 % en 2006 18 ( * ) . Il convient de noter que la nature anorexigène du Mediator a un impact sur les modalités d'indemnisation des victimes puisque l'assureur du laboratoire Servier, le groupe Axa, estime ne pas être lié à lui pour les dommages liés à ce type de produits 19 ( * ) .

La proximité entre le benfluorex et les anorexigènes a conduit l'Afssaps, lors de l'interdiction de ces substances en 1995, à proscrire son utilisation dans les préparations magistrales, pour éviter les détournements d'usage. Il a cependant été maintenu sur le marché sous sa forme Mediator car l'AMM de ce médicament ne comportait que l'indication d'adjuvant au régime dans des cas de troubles métaboliques, et non celle d'anorexigène.

Les effets secondaires néfastes du Mediator n'étaient pas alors clairement identifiés, en partie parce qu'ils étaient confondus dans les études avec les effets néfastes d'autres médicaments (comme l'Isoméride) qui avaient pu être pris par les mêmes personnes, dont les effets nocifs ont été reconnus plus tôt, et ont donc pu masquer ceux du Mediator.

En 1999, en revanche, apparaissent les premiers signalements de pharmacovigilance concernant spécifiquement le Mediator : en février 1999, un cas de valvulopathie aortique ; en juin, un cas d'hypertension artérielle pulmonaire. En 2003, le laboratoire Servier retire spontanément le médicament du marché espagnol ; en 2004, et du marché italien en 2005. D'après l'Igas, « de 1999 à 2005, le progrès dans les connaissances scientifiques et la montée des cas rendent incompréhensible l'inertie puis les propositions inadaptées de la pharmacovigilance » française.

Il faudra pourtant attendre encore quatre ans pour que la commission d'AMM décide, en novembre 2009, de la suspension de l'autorisation de mise sur le marché, suspension devenue définitive le 10 juillet 2010. Le 7 octobre 2009, malgré les alertes, une autorisation de mise sur le marché avait cependant été délivrée pour deux génériques du Mediator produits par les laboratoires Mylan et Qualimed. Il est à noter qu'avant cette autorisation, le benfluorex n'était commercialisé que sous la forme de la spécialité pharmaceutique Mediator et qu'en pratique, les génériques n'ont presque pas eu le temps d'être commercialisés : le 30 novembre 2009, ils ont été retirés des pharmacies en même temps que le princeps.

La question que se posent donc naturellement nos concitoyens est la suivante : pourquoi, au plus tard entre 1999 et 2009, le Mediator n'a-t-il pas été retiré du marché en raison des risques qu'il présentait ? Ce retard apparaît d'autant plus regrettable que le service médical rendu était faible, puisque le médicament n'était qu'un adjuvant du régime dans certains troubles métaboliques.

Cette question revêt deux aspects : judiciaire et politique. Il s'agit en effet de déterminer si le laboratoire Servier a volontairement caché aux autorités sanitaires la nature du benfluorex, alors même que les effets secondaires graves des anorexigènes étaient connus, comme le soutiennent l'Igas et la Cnam, qui a engagé une action pénale contre le laboratoire Servier ; mais, dans le même temps, cette affaire met en cause la manière dont est gérée la sécurité sanitaire dans notre pays. Aucun de ces deux aspects n'a vocation à être traité dans le cadre du projet de loi de finances rectificative : il appartiendra au juge de trancher le premier et sur le second, le Sénat a créé une mission d'information qui rendra son rapport à la fin du mois de juin.

C'est l'accès le plus rapide à l'indemnisation pour les personnes ayant subi un dommage du fait du benfluorex qu'il s'agit aujourd'hui d'assurer.


* 15 Audition du directeur général par la mission commune d'information du Sénat sur le Mediator, du 17 février 2011.

* 16 Utilisation de nouveaux outils en pharmacovigilance : à propos du retrait du Mediator (benfluorex), thèse pour le doctorat en pharmacie (Université de Rennes I), 25 juin 2010.

* 17 Dr Anne-Carole Bensadon, Etienne Marie, Dr Aquilino Morelle, Enquête sur le Mediator, Igas, janvier 2011.

* 18 Audition de Jean-Philippe Seta, directeur opérationnel du laboratoire Servier, le 8 mars 2011 par la mission Mediator.

* 19 Déclaration à l'Afp du 26 janvier 2011.

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