III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : APPROUVER LE RAPPROCHEMENT DE LA JUSTICE MILITAIRE DE LA JUSTICE DE DROIT COMMUN TOUT EN S'ASSURANT DE LA PRISE EN COMPTE DE LA SPÉCIFICITÉ MILITAIRE
Votre commission approuve l'économie générale de la réforme de la justice militaire proposée par le projet de loi, qui tend à achever l'intégration de la justice militaire dans la justice de droit commun en temps de paix.
En s'inspirant de la proposition de loi présentée par votre rapporteur pour avis, elle a souhaité toutefois compléter les articles du projet de loi par plusieurs dispositions, afin notamment de renforcer la prise en compte de la spécificité militaire.
Enfin, la commission a souhaité formuler quelques observations supplémentaires, concernant en particulier la formation des magistrats aux affaires militaires et l'avenir du corps des greffiers militaires, ainsi que les moyens humains et matériels.
A. APPROUVER L'INTÉGRATION DE LA JUSTICE MILITAIRE DANS LA JUSTICE DE DROIT COMMUN EN TEMPS DE PAIX TOUT EN TENANT COMPTE DE LA SPÉCIFICITÉ MILITAIRE
1. La suppression du Tribunal aux armées de Paris et le transfert de la compétence à la formation spécialisée en matière militaire du TGI de Paris
La suppression du Tribunal aux armées de Paris et le transfert de ses attributions à la formation spécialisée du Tribunal de Grande instance de Paris constituent l'achèvement du processus de rapprochement de la justice militaire avec la justice de droit commun en temps de paix .
Cette réforme représente ainsi l'aboutissement de la réforme du 21 juillet 1982, qui a supprimé les juridictions militaires en temps de paix sur le territoire de la République.
a) Les arguments juridiques
Le Tribunal aux armées de Paris, qui a été institué par la loi du 10 novembre 1999, est l'héritier des tribunaux aux armées créés par le code de justice militaire de 1965 et du tribunal des forces armées institué par la loi du 21 juillet 1982.
Depuis 1999, il est compétent pour connaître les infractions de toute nature commises par les militaires hors du territoire de la République en temps de paix, sous réserve des engagements internationaux.
Si le Tribunal aux armées de Paris, qui demeure une juridiction militaire, se caractérisait à l'origine par des règles de fonctionnement et de procédure fortement dérogatoires par rapport au droit commun, il a connu ces dernières années des évolutions importantes qui ont progressivement rapproché ces règles du droit commun.
Trois arguments juridiques plaident aujourd'hui pour la suppression de ce tribunal.
Le premier argument tient à l'évolution des accords de défense.
La compétence géographique du Tribunal aux armées de Paris pour connaître les infractions commises par les militaires à l'étranger reposait sur le fait qu'en 1999 certains accords de défense pouvaient encore prévoir que l'abandon de compétence de la juridiction locale ne pouvait se faire qu'au profit d'une juridiction militaire française.
Ainsi, les accords conclus à l'époque avec huit pays africains prévoyaient que « les juridictions militaires françaises connaîtront des infractions imputées à un membre des forces armées françaises lorsqu'elles auront été commises dans le service ou à l'intérieur des bases et installations de ces forces » 23 ( * ) .
Depuis cette date, certains de ces accords ont été revus ou sont tombés en désuétude en raison du départ des troupes françaises. Les nouveaux accords de défense font désormais référence à la compétence des « juridictions françaises » sans faire apparaître le terme « militaire » 24 ( * ) .
L'accord sur le statut des forces de l'OTAN (SOFA) fait référence de son côté « aux autorités militaires de l'Etat d'origine » qui sont ainsi définies : « autorités de l'Etat d'origine qui, en vertu de la législation de cet Etat, sont chargées d'appliquer les lois militaires dudit Etat aux membres de ses forces ou de ses éléments civils » 25 ( * ) .
Le deuxième argument résulte du fait que le rapprochement de la justice pénale militaire avec la justice pénale de droit commun en temps de paix est déjà largement effectué et donc qu'un transfert de la compétence du Tribunal aux armées de Paris à la formation spécialisée du TGI de Paris n'entraînerait pas de grands changements pour les justiciables.
Rappelons d'abord que, en temps de paix et sur le territoire national, ce sont déjà les juridictions de droit commun spécialisées qui sont compétentes pour connaître les infractions militaires ainsi que les délits et crimes de droit commun commis par les militaires dans l'exercice du service.
Le Tribunal aux armées de Paris n'est compétent que pour les infractions de toute nature commises par les militaires en temps de paix hors du territoire de la République.
Ainsi, les juridictions de droit commun spécialisées et les magistrats qui les composent disposent déjà d'une longue expérience en matière de contentieux militaire.
Ensuite, les magistrats qui composent le Tribunal aux armées de Paris sont déjà des magistrats civils issus du corps judiciaire. Les fonctions de président, d'assesseur et de juge des libertés et de la détention sont mêmes exercées ponctuellement par des magistrats du siège du Tribunal de grande instance de Paris ou de la cour d'appel de Paris désignés à cet effet par les chefs des juridictions. Depuis 2006, les conditions de nomination du juge d'instruction auprès du Tribunal aux armées de Paris ont été alignées sur le droit commun. En réalité, seuls les magistrats du Parquet disposent actuellement d'un statut dérogatoire. Ils sont néanmoins placés sous l'autorité hiérarchique du procureur général de Paris.
Enfin, le Tribunal aux armées de Paris applique les mêmes règles de droit pénal et de procédure pénale que les juridictions de droit commun. La constitution de partie civile devant le juge d'instruction y est recevable. Les jugements sont susceptibles d'appel. Les peines sont celles prévues par le code pénal et le code de justice militaire, comme devant les formations spécialisées de droit commun. Les jugements du tribunal sont susceptibles d'appel devant la cour d'appel de Paris et d'un pourvoi en cassation devant la Cour de cassation.
Dès lors, on voit mal les raisons qui pourraient justifier le maintien d'une juridiction militaire spécifique.
Le dernier argument , qui n'est pas contradictoire avec le précédent, tient au fait que les dernières particularités de cette juridiction semblent désormais anachroniques.
Le Tribunal aux armées de Paris reste une juridiction hybride , rattachée au ministère de la défense, qui se caractérise par des règles dérogatoires au droit commun, dont la justification n'apparaît plus évidente aujourd'hui.
Comme l'indique sa dénomination, le Tribunal aux armées de Paris est une formation rattachée à la direction des affaires juridiques du ministère de la défense. Il est d'ailleurs situé, non pas dans l'enceinte du Palais de justice, mais dans une caserne militaire.
Les magistrats du Parquet qui le composent (le procureur et le substitut) sont des magistrats nommés par le ministre de la défense sans avis préalable du Conseil supérieur de la magistrature, qui n'est consulté que sur l'aspect technique de la décision de détachement au regard des règles d'ancienneté prévues au statut de la magistrature.
Par ailleurs, les magistrats du Parquet, ainsi que le juge d'instruction, sont des magistrats détachés auprès du ministère de la défense. Ils sont soumis aux obligations de la discipline générale des armées mais le régime disciplinaire demeure celui de leur statut d'origine 26 ( * ) .
Ces règles dérogatoires alimentent les suspicions infondées de dépendance et de partialité de cette juridiction militaire, voire entretiennent le mythe d'une juridiction servant à assurer l'impunité de la hiérarchie militaire.
Elles ne tiennent pas compte, ni de l'évolution du statut de la magistrature, ni de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
Le transfert des attributions de cette juridiction dans l'organisation judiciaire commune serait de nature à lui ôter tout aspect exceptionnel et à achever l'intégration de la justice militaire dans la justice de droit commun en temps de paix.
* 23 Accords de défense avec la République de Centrafrique, la Côte d'Ivoire, Djibouti, le Gabon, le Burkina-Faso, Madagascar, le Sénégal et le Togo
* 24 Voir, par exemple, l'article 15 de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République centrafricaine instituant un partenariat de défense, signé à Bangui le 8 avril 2010, dont le projet de loi autorisant l'approbation a été adopté par le Sénat le 1 er mars dernier.
* 25 Convention de Londres du 19 juin 1951
* 26 Articles 3 et 4 de la loi n°66-1037 du 29 décembre 1966