Article 13 - (article L. 131-1 [nouveau] du code des postes et communications électroniques) - Institution d'un commissaire du Gouvernement auprès de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes
Commentaire : cet article institue un commissaire du Gouvernement auprès de l'ARCEP.
Anciennement Autorité de régulation des télécommunications (ART), l'ARCEP est une autorité administrative indépendante (AAI) chargée depuis le 5 janvier 1997 de réguler les télécommunications et le secteur postal en France.
Initialement composée de cinq membres, l'ARCEP est, depuis mai 2005, composée d'un collège de sept membres . Trois d'entre eux sont désignés par le président de la République et les quatre autres, respectivement, par le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat.
Chargée d'accompagner l'ouverture du secteur des télécommunications, en régulant les marchés correspondants, l'ARCEP doit veiller à l'exercice d'une concurrence effective et loyale au bénéfice des consommateurs. Elle s'acquitte de cette tache soit par une régulation dite « asymétrique » parce qu'elle ne s'impose pas uniformément à tous les opérateurs présents sur le marché concerné, soit au contraire en fixant des obligations générales qui s'appliquent à l'ensemble des opérateurs, sous réserve de leur validation par le ministre en charge des télécommunications, au terme d'une régulation dite « symétrique » .
Elle dispose en outre d'un pouvoir de sanction à l'encontre des opérateurs ne remplissant pas leurs obligations, et d'une faculté d'intervention pour régler les différents entre opérateurs en matière d'accès au réseau (conditions techniques et tarifaires).
L'ARCEP veille également à l'attribution et à la gestion des ressources en fréquences et en numérotation . Elle détermine aussi les montants des contributions au financement des obligations de service universel et assure la surveillance des mécanismes de ce financement.
Enfin, l'ARCEP exerce, depuis 2005, des compétences dans le domaine postal . Elle veille ainsi à l'ouverture et au bon fonctionnement du marché des postes, en délivrant les autorisations d'exercer une activité postale, en émettant des avis rendus publics sur les tarifs et les objectifs de qualité du service universel ou encore en estimant le coût de la mission d'aménagement du territoire.
I. Le texte adopté par l'Assemblée nationale
C'est à l' initiative du Gouvernement que les députés ont créé un article 13 dans le projet de loi insérant, après l'article L. 131 du CPCE fixant le régime des membres de l'ARCEP, un article L. 131-1 instaurant auprès de cette dernière un commissaire du Gouvernement.
Le premier alinéa de ce nouvel article prévoit sa nomination par le ministre chargé des communications électroniques et des postes. Il lui donne pour mission de faire connaître les analyses du Gouvernement, en particulier en ce qui concerne la politique en matière postale et de communications électroniques. Il lui fait interdiction d'être par ailleurs commissaire du Gouvernement auprès de La Poste. Enfin, il précise qu'il ne prend pas part aux délibérations de l'Autorité.
Le second alinéa donne pouvoir au commissaire de faire inscrire de droit à l'ordre du jour de l'autorité toute question intéressant la politique en matière postale ou de communications électroniques ou entrant dans les compétences de l'autorité, sans que cette inscription puisse lui être refusée.
Défendant son amendement, le ministre en charge de l'industrie, M. Eric Besson, a fait valoir qu'il se justifiait par « les pouvoirs règlementaires étroitement imbriqués » de l'ARCEP et du Gouvernement « rendant indispensable un dialogue étroit entre les deux ». Citant trois exemples de cette proximité de compétence et d'action entre les deux institutions - la gestion des fréquences, le déploiement du très haut débit fixe et la protection du consommateur -, il a souligné que le commissaire « présentera le point de vue du Gouvernement sur les dossiers concernant l'exercice du pouvoir règlementaire sans participer (...) aux délibérations ».
Indiquant que la plupart des autorités indépendantes dotées d'un pouvoir règlementaire dans la sphère économique disposaient d'un tel commissaire, et que sa présence était préconisée par de multiples rapports du Parlement et du Conseil d'État, il a insisté sur le fait que son instauration ne constituerait « en aucun cas une remise en cause de l'indépendance de l'Autorité ».
Il est vrai que le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation sur les autorités administratives indépendantes, présenté par notre Patrice Gélard en juin 2006 24 ( * ) , proposait d'« assurer la présence d'un commissaire du Gouvernement auprès de l'ensemble des autorités administratives indépendantes dotées d'un pouvoir réglementaire ». Il soulignait toutefois que, pour ceux alors existants, « les pouvoirs du commissaire du Gouvernement sont (...) limités, puisqu'il ne saurait participer aux délibérations de l'autorité ».
Quant au rapport du Comité d'évaluation et de contrôle de la législation sur les AAI, présenté en octobre 2010 par les députés René Dosière et Christian Vanneste 25 ( * ) , il demandait « la présence d'un commissaire du Gouvernement auprès de chaque autorité administrative indépendante », afin d'assurer « la cohérence de l'action publique », en précisant toutefois que cette recommandation valait « sauf exception justifiée » et « dans le respect de (l')indépendance » de chaque AAI.
II. La position de votre commission
Votre commission estime que le texte de l'article 13, tel qu'il ressort de l'examen par l'Assemblée nationale, est susceptible d'être lu comme contraire au cadre communautaire. De plus, son utilité n'apparaît pas évidente, au regard des relations existant déjà entre le Gouvernement et l'ARCEP. Dès lors, votre commission, sans remettre en cause le souhait légitime du Gouvernement de s'exprimer devant l'ARCEP sur des thématiques d'intérêt général, en a encadré les modalités afin que le dispositif adopté respecte le droit communautaire.
A. UNE PROPOSITION CONTRAIRE EN L'ÉTAT AU DROIT COMMUNAUTAIRE
Dans un courrier adressé au Gouvernement français, la Commission européenne a appelé la France à « reconsidérer le calendrier » prévu pour la nomination d'un commissaire auprès de l'ARCEP, un projet sur lequel elle a exprimé des « inquiétudes ».
Cette interrogation de la Commission européenne n'est pas surprenante dans la mesure où le dispositif prévu parait, du moins en l'état, contraire à la fois à la directive de 2009 et à la jurisprudence récente de la CJCE.
1. La possible contrariété avec la directive de 2009
Dans la directive 2009/140/CE du 25 novembre 2009 , faisant partie du troisième « paquet télécoms », l'Union européenne accroît son exigence d'indépendance et d'impartialité à l'égard des autorités nationales de régulation .
Cette exigence accrue d'indépendance est non seulement exprimée dans le considérant 13 de la directive, mais elle fait également l'objet d'un nouvel article 3 bis inséré dans le texte de la directive cadre :
- considérant 13 : « Il convient de renforcer l'indépendance des autorités réglementaires nationales afin d'assurer une application plus efficace du cadre réglementaire et d'accroître leur autorité et la prévisibilité de leurs décisions. À cet effet, il y a lieu de prévoir, en droit national, une disposition expresse garantissant que, dans l'exercice de ses fonctions, une autorité réglementaire nationale responsable de la régulation du marché ex ante ou du règlement des litiges entre entreprises est à l'abri de toute intervention extérieure ou pression politique susceptible de compromettre son impartialité dans l'appréciation des questions qui lui sont soumises » ;
- article 3 bis : « Les autorités réglementaires nationales responsables de la régulation du marché ex ante ou du règlement des litiges entre entreprises conformément à l'article 20 ou 21 de la présente directive agissent en toute indépendance et ne sollicitent ni n'acceptent d'instruction d'aucun autre organe en ce qui concerne l'accomplissement des tâches qui leur sont assignées en vertu du droit national transposant le droit communautaire ».
La nomination d'un commissaire du Gouvernement auprès de l'ARCEP pourvu des pouvoirs prévus par le texte de l'Assemblée nationale pourrait donc limiter les objectifs des textes communautaires les plus récents.
Par ailleurs, cette nomination semble contraire à la définition que donne la jurisprudence communautaire de l'indépendance des autorités de régulation.
2. La contrariété avec la jurisprudence communautaire
Dans un arrêt « Commission c/ Allemagne » du 9 mars 2010 , la Cour de justice des communautés européennes ( CJCE ) a eu l'occasion de définir une position en matière d' indépendance des autorités de contrôle vis-à-vis du Gouvernement . Dans cette affaire, la CJCE avait à se prononcer sur l'existence d'un contrôle du Gouvernement allemand sur les autorités chargées d'appliquer la réglementation relative à la protection des données personnelles. Ces autorités, qui constituent une sorte de CNIL, existent au sein de chaque Land allemand.
La CJCE a donc du interpréter la directive de 1995 relative à la protection des données. Cette directive prévoyait notamment l'indépendance des autorités de contrôle de ce domaine. La position adoptée par la Cour à cette occasion ne souffre aucune ambigüité quant à sa définition de l'indépendance d'une autorité de contrôle :
- cette indépendance s'entend aussi bien à l'égard des personnes privées que des autorités de l'État ;
- elle implique non seulement que l'organe concerné doive bénéficier d'un « statut qui lui assure la possibilité d'agir en toute liberté, à l'abri de toute instruction et de toute pression », mais, surtout, d'un « pouvoir décisionnel soustrait à toute influence extérieure à l'autorité de contrôle, qu'elle soit directe ou non ».
L' État allemand a donc été condamné pour manquement en raison du non-respect de l'indépendance de ces autorités de contrôle. Or, plusieurs éléments permettent d'affirmer que la position de la CJCE pourrait être la même concernant les effets de la nomination d'un commissaire du Gouvernement auprès de l'ARCEP :
- le texte de la directive de 2009, comme celui de la directive cadre de 2002, est bien plus exigeant en matière d'indépendance des autorités de régulation que la directive de 1995 relative à la protection des données ne l'est concernant les autorités de contrôle. Le degré d'indépendance exigé par la CJCE sera donc au moins aussi fort concernant une autorité de régulation telle que l'ARCEP qu'elle ne l'a été pour une autorité de contrôle ;
- de plus, la CJCE définit l'indépendance de ces autorités comme la protection de celles-ci contre toute forme de pression, d'influence, directe et indirecte . Certes, dans l'arrêt de 2010, l'Allemagne a été condamnée pour avoir placé les autorités de contrôle sous tutelle, ce qui est beaucoup plus intrusif que la nomination d'un commissaire du Gouvernement. Mais les pouvoirs conférés à ce dernier sont de nature à caractériser une atteinte à l'indépendance de l'ARCEP (maîtrise de l'ordre du jour, accès aux documents confidentiels, participation aux débats) ;
- enfin, le fait que l'ARCEP exerce une régulation de type asymétrique rend l'Union européenne encore plus exigeante concernant son indépendance. Dans ce contexte, la participation de l'État au capital de France Télécom et de La Poste est une circonstance qui n'est pas de nature à diminuer la présomption d'ingérence . Ces éléments doivent donc inciter à la plus grande prudence.
Il existe un risque substantiel que la CJCE, si elle était saisie, condamne la nomination d'un commissaire du Gouvernement auprès de l'ARCEP. C'est la raison pour laquelle la Commission européenne a d'ores et déjà mis en garde la France avant même que le dispositif soit définitivement adopté.
B. UNE INITIATIVE PEU UTILE
1. L'existence de relations entre le Gouvernement et l'ARCEP
Depuis l'été 2010, plusieurs réunions de travail se sont tenues entre l'ARCEP et le Gouvernement, et selon les représentants de l'Autorité auditionnés, les contacts formels et informels fréquents .
Des représentants des services de l'État [direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS), direction générale des collectivités locales (DGCL), délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR), commissariat général au Gouvernement (CGI)] participent ainsi systématiquement à toutes les réunions techniques et aux groupes de travail du « GRACO », groupe d'échange entre l'ARCEP, les collectivités territoriales et les opérateurs.
L'exercice par l'autorité de ses pouvoirs de régulation est toujours précédé de procédures de consultation publiques (publication d'un projet de décision, appel à contributions) lors desquelles le Gouvernement a l'opportunité de faire valoir son point de vue (y compris de façon confidentielle). Surtout, le Gouvernement a l'entière maîtrise de l'entrée en vigueur des décisions de l'ARCEP prises dans le cadre de ses pouvoirs de régulation symétrique, puisque celle-ci est subordonnée à son homologation par le ministre (article L. 36-6 du CPCE).
Très concrètement, la concertation a été particulièrement approfondie sur deux sujets d'importance :
- les fréquences. Les appels à candidatures pour les bandes 2.6 GHz et 800 MHz seront lancées par arrêté du ministre sur proposition de l'ARCEP (article L. 42-2 du CPCE), et la concertation avec le Gouvernement a déjà permis de converger sur la définition de la procédure et de ses objectifs (aménagement numérique du territoire, concurrence sur le marché mobile, valorisation du patrimoine immatériel de l'État) ;
- le très haut débit . Le cadre réglementaire du déploiement et de la mutualisation du FttH dans les zones moins denses (décision du 10 janvier 2011), comme celui des zones très denses (janvier 2010), ont fait l'objet d'une phase intense de consultation sur plusieurs mois, notamment avec le Gouvernement, avant d'être homologués par le ministre.
2. L'encadrement des décisions de l'ARCEP
Il est à noter que l'indépendance des autorités de régulation connaît bien évidemment des limites.
Si ces dernières bénéficient d'une réelle indépendance à l'égard du politique, leurs décisions sont soumises à un double contrôle :
- celui de l'homologation par le ministre en charge des communications électroniques, qui « valide » les décisions à caractère règlementaire prises par chaque autorité afin des rendre applicables ;
- celui de la justice, les décisions des AAI étant soumises au respect de la loi et en tant que telles susceptibles de recours.
3. La comparaison avec les autres AAI
D'autres AAI ne disposent pas de commissaire au Gouvernement sans que cela induisent de difficultés dans les relations qu'elles entretiennent avec le Gouvernement :
- au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), l'absence de commissaire du gouvernement est couramment justifiée par le rôle particulier que joue cette institution gardienne de libertés de rang constitutionnel (liberté de communication et pluralisme des courants d'opinions).
Or, l'ARCEP, outre son rôle de régulateur économique, participe également à la protection d'une liberté de rang constitutionnel , la liberté d'expression, qui implique l'accès aux services de communication au public en ligne 26 ( * ) ;
- à la Commission de régulation de l'énergie ( CRE ), s'il existe bien formellement un commissaire du Gouvernement, celui-ci n'y a en réalité presque jamais siégé ces dernières années. En outre le troisième « paquet énergie » (directive 2009/72/CE), dont la transposition est en cours insiste sur l'indépendance du régulateur non seulement vis-à-vis des entreprises du secteur régulé mais surtout, désormais, vis-à-vis de l'État actionnaire.
C. Un dispositif susceptible d'être maintenu sous réserve d'un strict encadrement
Si le dispositif tel que voté par les députés paraît de façon flagrante contraire au droit communautaire, et s'il est au fond peu utile au regard des pratiques actuelles, il ne paraît au demeurant pas choquant de formaliser un droit pour le Gouvernement à s'exprimer devant l'ARCEP sur les sujets qui l'intéressent directement. Mais ce à condition de bien distinguer l'intervention de l'État régalien de l'État actionnaire , ce qui implique de revenir sur les pouvoirs conférés au commissaire du Gouvernement s'agissant de la maîtrise de l'ordre du jour de l'Autorité, de la présence à ses débats et de l'accès à des informations confidentielles.
Votre rapporteur pour avis estime que la rédaction de l'Assemblée nationale ne garantit pas l'indépendance de l'ARCEP . Il a donc cherché à entendre la demande du Gouvernement, soucieux de présenter son point de vue au collège, mais en cherchant un point d'équilibre tel que l'indépendance et l'impartialité de l'Autorité ne soient pas remises en cause.
L' amendement que votre commission a adopté vise en ce sens à préserver le droit du Gouvernement à s'exprimer devant l'ARCEP, tout en encadrant strictement ce pouvoir. A cet effet, il réécrit le nouvel article L. 131-1 du CPCE prévu par l'article 13 du présent projet de loi sur deux points principaux :
- le commissaire ne peut que proposer à l'Autorité d'inscrire un dossier à l' ordre du jour , celle-ci conservant la maitrise de sa fixation ;
- il ne peut accéder aux documents couverts par le secret professionnel et transmis à l'ARCEP, ni à l'instruction de procédures contentieuses par cette dernière.
Votre commission a adopté cet article ainsi modifié. |
* 24 Les autorités administratives indépendantes : évaluation d'un objet juridique non identifié ; rapport de M. Patrice Gélard, fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation, n° 404 (2005-2006).
* 25 Les autorités administratives indépendantes ; rapport de MM. René Dosière et Christian Vanneste fait au nom du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques, n° 2925, déposé le 28 octobre 2010.
* 26 Décision du Conseil constitutionnel n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, « Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet ».