D. LE PROJET DE CRÉATION D'UNE AGENCE DE LA NATURE

Sensible aux questions soulevées par la complexité d'organisation des opérateurs compétents en matière de biodiversité, votre rapporteur pour avis a souhaité cette année s'intéresser aux réflexions en cours relatives à la création d'une « Agence de la nature » . Ancienne revendication des associations de protection de l'environnement, cette proposition a été tout d'abord reprise dans le cadre des tables rondes du Grenelle de l'environnement. Le groupe de travail sur la biodiversité, présidé par notre collègue Jean-François Le Grand et dont la vice-présidente était Marie-Christine Blandin avait indiqué : « Afin d'améliorer la gestion des espaces et des espèces naturels, il est proposé de regrouper les nombreux établissements publics concernés dans une seule organisation traitant de la biodiversité (pourquoi pas une agence ?). Cependant, la question non traitée à ce jour de la pertinence par rapport à l'existant, des contours, du fonctionnement, notamment aux échelles biogéographiques, de l'implication des collectivités territoriales, de la place de la police de la nature et des personnels justifie une mission parlementaire » 43 ( * ) .

En raison de l'extrême sensibilité de la question, le groupe de travail avait ainsi renvoyé à une mission parlementaire. Finalement, plutôt que de solliciter un parlementaire, le ministre d'État chargé du développement durable, le ministre chargé du budget et la secrétaire d'État chargée de l'écologie ont confié, le 19 février 2010, à l'Inspection générale des finances et au Conseil général de l'environnement et du développement durable une mission sur ce sujet. La lettre de mission demandait notamment que soient examinées plusieurs options tendant à rapprocher des structures comme l'Agence des aires marines protégées (AAMP), le Conservatoire du littoral, Parcs Nationaux de France, le groupement d'intérêt public « Atelier technique des espaces naturels » et les parcs nationaux. Ce rapport a été remis en juillet 2010 et estime que l'organisation actuelle est de nature à mettre en cause la capacité de la France à respecter ses engagements, y compris la mise en oeuvre du réseau Natura 2000 et la constitution de la trame verte et bleue.

Parallèlement, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), le Conseil de modernisation des politiques publiques du 30 juin 2010 a indiqué que « l'opportunité de créer un établissement public des espaces naturels protégés sera examinée afin de favoriser l'atteinte des objectifs politiques de protection de la biodiversité sur lesquels la France s'est engagée, de donner un cadre cohérent aux politiques de protection conduites par les différents acteurs sur tout le territoire et d'améliorer les synergies entre ces acteurs ».

La Cour des Comptes a, pour sa part, considéré opportun, dans son référé relatif à l'établissement public Parcs nationaux de France, d'envisager le rapprochement de PNF avec d'autres établissements ayant pour objet la préservation de l'environnement (Conservatoire du littoral, AAMP), afin de favoriser des synergies et de dégager ainsi des économies. En réponse, le ministère a indiqué que des réflexions étaient en cours sur la création d'une « Agence de la nature », dont le but serait d'assurer une meilleure coordination entre les différentes structures chargées de la gestion des espaces naturels.

Enfin, le Gouvernement a déposé, dans le cadre du projet de loi portant engagement national pour l'environnement 44 ( * ) un amendement indiquant qu'« afin d'accroître la lisibilité, la complémentarité et la cohérence des actions de préservation de la biodiversité menées tant par les acteurs publics que par les acteurs privés ou associatifs, une instance de gouvernance et de pilotage, ayant pour mission de contribuer à définir les objectifs à atteindre dans ce domaine et les programmes d'actions correspondants, est instituée avant le 31 décembre 2010 ».

Votre rapporteur pour avis relève que la proposition de créer une Agence de la nature a donc été formulée à plusieurs reprises et dans des cadres relativement différents. Si le constat est donc partagé, il n'est pas certain que les solutions envisagées soient les mêmes. Le constat, simple, est celui de la complexité assez effarante de l'organisation actuelle en matière de biodiversité .

Ainsi, pas moins de 45 organismes sous tutelle ou agréés et financés par l'État interviennent dans le domaine de la biodiversité, dont 21 établissements publics administratifs. S'y ajoutent 45 parcs naturels régionaux, 164 réserves naturelles nationales, 160 réserves naturelles régionales, 21 conservatoires régionaux des espaces naturels, 8 conservatoires départementaux et les organisations qui gèrent les espaces sensibles des départements.

Le rapport précité du Conseil général de l'environnement et du développement estime en conséquence que cette organisation ne permet pas de relever les défis à venir en matière de biodiversité :

- la coordination des différents intervenants exigée par la réalisation des objectifs du Grenelle, notamment la trame verte et bleue, n'est pas assurée ;

- les interventions publiques n'intègrent pas suffisamment l'objectif de protection de la biodiversité.

En outre, cette organisation ne met pas la France en mesure de respecter les obligations de résultat fixées par les directives européennes , les financements sont inégalement répartis, l'action répressive est insuffisante et, enfin, la mutualisation des fonctions support entre les organismes reste limitée.

S'agissant des préconisations , le rapport écarte plusieurs idées, comme le regroupement de tout ou partie des organismes compétents pour la protection des espaces remarquables ou encore la création d'une agence fusionnant l'ensemble des organismes d'État travaillant sur la biodiversité. Il suggère plutôt la création d'une agence chargée simplement du pilotage de l'ensemble du réseau oeuvrant pour la biodiversité , qui exercerait ses fonctions sous la tutelle de la direction de l'eau et de la biodiversité et sous le contrôle d'instances associant les acteurs non étatiques de la biodiversité.

Quant aux intentions du Gouvernement , elles peuvent être déduites de l'exposé des motifs de l'amendement au projet de loi ENE :

- permettre la mobilisation et le dialogue des acteurs pour atteindre les objectifs de préservation de la biodiversité, compte tenu de la « complexité du fonctionnement des écosystèmes et de l'interaction des différentes initiatives publiques, associatives ou privées » ;

- renforcer l'appropriation par les citoyens des enjeux attachés à la biodiversité ;

- mettre en place un nouveau dispositif de gouvernance ;

- renforcer les compétences en matière de connaissance de la biodiversité.

Lors de son audition devant la commission, la secrétaire d'État à l'Écologie, Mme Chantal Jouanno, a indiqué que des consultations étaient en cours et pourraient déboucher sur une proposition de loi l'année prochaine .

Votre commission pour avis souhaite être associée à cette réflexion . En effet, il convient d'être attentif, d'une part, à ce que cette création n'aboutisse pas à complexifier encore davantage le paysage institutionnel, en ne faisant qu'ajouter un organisme supplémentaire à côté des autres. Votre rapporteur pour avis rappelle à cet égard qu'a déjà été créée, en mars 2008, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, avec pour mission de « favoriser le développement, le soutien et l'animation des activités de recherche sur la biodiversité et leur valorisation ». En outre, l'article 25 de la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement prévoit la création d'un observatoire national de la biodiversité, qui est encore à l'état de projet. Il faudra donc également veiller à ce qu'une telle création ne représente pas un coût supplémentaire : pour éviter cela, elle doit s'accompagner d'une réelle mutualisation des fonctions supports entre les différents organismes existants. Enfin, si la gouvernance en matière de biodiversité est réformée, les élus locaux doivent y prendre une très large part car ils sont concernés au premier chef par cette problématique, notamment dans la perspective de la mise en oeuvre de la trame verte et bleue.

Votre rapporteur pour avis souligne, à ce sujet, qu'il ressort du rapport précité que l'effort des collectivités territoriales en faveur de la biodiversité et des paysages est très nettement supérieur à celui de l'État , comme le montre le tableau suivant : il représente 52 % du total contre 14,4 % pour l'État.

État

Collectivités territoriales

Entreprises

Ménages

Europe

Total

223

805

395

77

44

1 544

(Unité : millions d'euros)

Source : Mission sur l'évolution de l'organisation des opérateurs publics en matière de protection de la nature, Conseil général de l'environnement et du développement durable, juillet 2010.


* 43 Les débats ont illustré la diversité des enjeux sous-jacents à la création d'une telle agence : « Le projet d'agence a soulevé un grand intérêt de la part des participants, avec toutefois des prises de positions contrastées. Les représentants des syndicats d'employés, réservés sur la proposition, ont souligné la question d'articulation avec les services déconcentrés de l'État et insisté sur la nécessité de conserver les moyens financiers et humains et le statut des personnels. Les associations, particulièrement favorables à cette proposition, y voient notamment un moyen de transparence, d'efficacité et de partenariat renforcé. Les collectivités, dans la mesure où des filières écorégionales sont développées, y voient l'intérêt d'un guichet unique (ainsi que le collège employeurs), d'une expertise et d'une capacité gestionnaire renforcée. Le collège État a mis en avant l'intérêt d'une telle mesure mais souligné la difficulté des réformes institutionnelles sous-jacentes et les lourdeurs possibles d'une « très grande agence de la nature ». La proposition d'une mission parlementaire a naturellement recueilli le consensus ».

* 44 Article 123 de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement.

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