2. ... mais qui restait largement inachevée

Tout en approuvant la mise en oeuvre de ces mesures d'équité, votre commission avait déjà eu l'occasion, depuis 2007, d'en souligner toutes les limites. Celles-ci ont d'ailleurs fait l'objet de critiques récurrentes, émanant tant de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) que des juridictions administratives ou de la Cour des comptes 27 ( * ) , avant d'être finalement déclarées inconstitutionnelles par le Conseil constitutionnel.

Ainsi la Halde a jugé, dès octobre 2006 28 ( * ) , que certaines différences de traitement « discriminatoires » subsistaient puisqu'étaient notamment exclues du principe de la décristallisation les pensions civiles et militaires de retraite des anciens fonctionnaires et militaires de l'ex-empire colonial français et les pensions de réversion servies à leurs ayants-droit.

En octobre 2008, deux jugements du tribunal administratif de Bordeaux ont imposé la revalorisation complète de la pension militaire de retraite d'un ressortissant marocain résidant en France sur le fondement de l'accord euro-méditerranéen interdisant « toute discrimination fondée sur la nationalité » pour ce qui concerne « les pensions d'invalidité [ou] de vieillesse » .

Dans son rapport public annuel 2010, la Cour des comptes, constatant « que les évolutions intervenues depuis 2002 n'ont pas suffisamment amélioré la lisibilité du régime ni réglé de manière déterminante les problèmes persistants en matière d'égalité de traitement », en appelle à la « réintégration intégrale des pensions cristallisées dans le droit commun des pensions ».

Mais c'est bien la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2010 29 ( * ) qui, en déclarant contraires à la Constitution , sur le fondement du principe d'égalité, les mesures de décristallisation, contraint aujourd'hui le législateur à agir. Cette décision est historique à plus d'un titre :

- d'abord parce qu'il s'agit de la première mise en oeuvre de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité (QPC) issue de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, et qu'elle a du reste conclu à la non-conformité à la Constitution des dispositions contestées ;

- surtout parce que, mettant un terme à plus d'un demi-siècle d'inéquité, elle permet enfin la juste reconnaissance de la Nation envers tous ceux qui sont venus combattre pour la défendre et qu'il s'en suivra une amélioration très substantielle du niveau de vie des intéressés ; l'avocat des requérants, dans l'affaire Consorts L. , faisait ainsi état du cas d'un sergent marocain dont l'indemnité annuelle s'élève, en l'état du droit actuel, à 612 euros alors qu'un sergent français ayant les mêmes états de service peut prétendre à une pension d'ancien combattant de 7 512 euros.

Dès lors, le Conseil constitutionnel a jugé inconstitutionnelles les mesures de décristallisation introduites en 1981, 2002 et 2007 au motif qu'elles instituaient une différence de traitement contraire au principe d'égalité parce qu'assise sur le seul critère de la nationalité. Dans la mesure où cette triple abrogation aurait, paradoxalement, placé les titulaires étrangers de pensions dans la situation encore plus inégalitaire régie par les dispositions antérieures, notamment de 1958 et 1959, le Conseil a repoussé au 1 er janvier 2011 la date d'entrée en vigueur de sa décision, laissant ainsi au législateur le temps d'intervenir.


* 27 « La décristallisation des pensions des anciens combattants issus de territoires anciennement sous la souveraineté française : une égalité de traitement trop longtemps retardée », dans son rapport public annuel 2010 (février 2010).

* 28 Délibérations n os 2006-217 du 9 octobre 2006, 2007-44 du 5 mars 2007 et 2008-55 du 31 mars 2008.

* 29 CC, n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010, Consorts L.

Page mise à jour le

Partager cette page