IV. POUR UN RENFORCEMENT DE L'ÉVALUATION DES RÉSULTATS
Lors de la rédaction du document-cadre de coopération au développement, votre commission avait regretté que les auteurs du document définissent la stratégie française de coopération pour les années à venir en faisant l'économie d'un retour sur les objectifs que se sont fixés les pouvoirs publics dans ce domaine depuis des années.
Les différents CICID ont adopté de nombreux objectifs que le document-cadre reprend assez largement et dont il serait utile de faire le bilan.
Il serait de bonne méthode de faire un bilan des stratégies passées, pour vérifier si les objectifs ont été atteints.
Un bilan permettrait également de comprendre les raisons pour lesquelles, le cas échéant, ils ne l'ont pas été et enfin pour réévaluer leur pertinence.
Lors de la présentation du document-cadre, le ministre des affaires étrangères, interrogé sur l'absence d'évaluation des politiques menées, a souligné que celle-ci était « difficile ».
Les rapporteurs du budget de l'aide au développement qui ont, sur ce thème de l'évaluation, procédé à de nombreuses auditions ne peuvent que partager ce sentiment.
Mais, comme l'a souligné M. François Bourguignon, ancien chef économiste de la Banque mondiale, lors de la table ronde du 12 mai 2010 : « L'évaluation est l'une des préoccupations majeures que le document-cadre doit prendre en compte ».
Certes, asseoir notre stratégie sur une évaluation suppose un travail important et de nombreux défis :
- un défi de capacité tout d'abord. Pour dépasser le simple recensement des politiques et s'engager dans l'analyse des « réalisations » et de leurs « impacts » réels, la production d'une information systématisée sur les résultats implique la mobilisation de moyens importants autour de la collecte de données et de leur analyse, mais aussi le renforcement d'une articulation étroite avec les pays partenaires dans le suivi des projets, des aides programmes et des aides budgétaires.
- des défis méthodologiques ensuite : les acteurs nationaux peuvent-ils s'attribuer des résultats de développement qui, de fait, sont collectifs, issus de projets et de programmes par nature pluri-acteurs ?
- le défi de l'agrégation des résultats enfin : la présentation de résultats agrégés permet-elle de rendre compte de la diversité des contextes et de donner à voir les facteurs de succès ou d'échec des opérations menées ?
Ces défis sont réels. Ils ne sont pas nouveaux. Ils sont, pour une part, communs à beaucoup de politiques publiques. De ce point de vue, on ne pourrait pas imaginer que la politique d'aide au développement soit la seule politique publique qui ne soit pas, par nature, évaluable. Ce n'est d'ailleurs pas le cas.
Les moyens d'évaluation existent. Ils ont été perfectionnés et doivent être utilisés pour éclairer la conduite du changement et l'amélioration de notre outil de coopération.
Dans le domaine international, le système de Revue par les Pairs, initié par le Comité d'aide au développement au sein de l'OCDE, fait un travail important.
Au niveau national, trois entités administratives à l'AFD, au ministère des finances et au ministère des affaires étrangères et européennes, effectuent des évaluations de qualité selon des méthodologies qui ont été affinées et formalisées avec le temps.
La direction générale du Trésor, sous l'impulsion de l'unité d'évaluation des activités de développement, a notamment effectué un travail de méthodologie remarquable et des évaluations remarquées. Le champ d'application de ces évaluations s'est, en outre, élargi et ne concerne plus seulement des projets ponctuels, des instruments, des institutions mais également des secteurs, des pays ou des politiques.
Sans doute ces organismes d'évaluation devraient être renforcés, plus coordonnés, plus sollicités sur des sujets plus larges et plus stratégiques qui permettent d'avoir des vues plus globales et de traduire ces évaluations en préceptes stratégiques.
La question est donc tout autant la difficulté de l'évaluation que la difficulté d'intégrer l'évaluation au processus politique et à prendre en compte cette évaluation dans la conduite de l'aide au développement.
Comme l'a souligné l'économiste Esther Duflo dans sa leçon inaugurale au Collège de France sur l'aide au développement : « Les erreurs de diagnostic des économistes, des organisations internationales et des gouvernements sont fréquentes. Elles ne sauraient justifier l'inactivité, mais rendent au contraire les évaluations rigoureuses nécessaires. Celles-ci permettent de tirer des leçons des expériences passées. Or force est de constater qu'aujourd'hui encore la grande majorité des interventions ne sont pas évaluées, soit que leurs promoteurs craignent la révélation d'effets nuls ou moins importants que ce qu'ils escomptaient, soit que la mise en oeuvre d'évaluations rigoureuses soit perçue comme trop difficile. » 27 ( * )
De ce point de vue, votre commission se félicite que le document-cadre souligne que : « Mesurer la qualité des interventions menées et apprécier leurs résultats est indispensable. Il s'agit d'une exigence démocratique à l'égard du Parlement et des citoyens français comme des populations et des autorités des pays bénéficiaires. Cette analyse des résultats est également nécessaire pour améliorer la pertinence et l'efficacité des opérations conduites, responsabiliser les acteurs chargés de leur mise en oeuvre et permettre de capitaliser sur les expériences passées ».
Elle souhaite qu'au-delà ces considérations générales, des mesures concrètes et des évaluations effectives soient engagées. Elle prend note que le document-cadre prévoit que des indicateurs synthétiques sur les résultats prévus et obtenus seront mis au point : « Un tableau d'indicateurs rendant compte des effets attendus des programmes financés au niveau bilatéral, communautaire et multilatéral et fournissant une appréciation sur les résultats obtenus à l'issue de leur mise en oeuvre, sera mis en place et permettra de communiquer de façon simple et explicite sur l'action du gouvernement ».
Elle se félicite qu'un rapport d'ensemble sur la mise en oeuvre de la politique française de coopération au développement soit remis au Parlement tous les deux ans.
Elle souhaite sur ce point que ses services soient associés à ces diverses formes d'évaluation.
Elle souhaiterait en outre que les commissions compétentes du Parlement en matière d'aide au développement puissent, dans le cadre de leur activité de contrôle, demander le concours des organismes chargés des évaluations de la politique d'aide au développement dans les ministères et les organismes compétents pour procéder à des évaluations.
* 27 Expérience, science et lutte contre la pauvreté- Esther Duflo. Leçons inaugurales du Collège de France Paris, Collège de France/Fayard, 2009