B. UNE PROBLÉMATIQUE QUI NE RELÈVE PAS PRIORITAIREMENT DES SYSTÈMES DE RETRAITE
Tout en reconnaissant que le débat sur la pénibilité soulève des questions importantes, votre rapporteur pour avis s'interroge sur son interaction avec le débat sur l'avenir de notre système de retraites . La problématique de la pénibilité ne relève en effet pas prioritairement des systèmes de retraite, mais davantage des conditions de travail.
L'orientation des mesures proposées par le présent projet de loi, considérablement enrichies par nos collègues députés, en atteste d'ailleurs indirectement : l'accent est mis sur la prévention et la santé au travail ; la prise en compte de la pénibilité dans le calcul des droits à la retraite est partielle ; son financement sera assuré par la branche accidents du travail - maladies professionnelles , par le biais des cotisations employeurs AT-MP.
1. La meilleure façon de lutter contre la pénibilité : la prévention et l'amélioration des conditions de travail
Le présent projet de loi présente, tout d'abord, un grand nombre de dispositions relatives à la traçabilité des expositions aux facteurs de pénibilité , à la prévention de celle-ci, ainsi qu'à l'amélioration des conditions de travail.
Votre rapporteur pour avis est favorable globalement à l'ensemble de ces mesures, la prévention et l'amélioration des conditions de travail constituant un des meilleurs leviers de lutte contre la pénibilité.
a) La traçabilité (article 25)
Dans le but de mettre en oeuvre un suivi médical renforcé des salariés, l' article 25 du présent projet :
- d'une part, consacre au niveau législatif l'existence du « dossier médical de santé au travail » qui contiendra des informations relatives à l'état de santé du travailleur et aux conséquences induites par les expositions auxquelles il a été soumis ;
- d'autre part, crée un document servant de support à l'information (des fiches individuelles) sur les risques professionnels et de pénibilité auxquels les salariés sont exposés. La pénibilité est définie, dans ce cadre, comme des « contraintes physiques marquées, un environnement physique agressif ou des rythmes de travail susceptibles de laisser des traces durables identifiables et irréversibles » . Ce document peut être transmis à la famille du salarié décédé.
b) L'obligation de l'employeur de mener des actions de prévention, l'élargissement du rôle du CHSCT, la mise en place de sanctions (articles 25 bis, 25 ter et 27 sexies)
Au titre de la prévention, l' article 25 bis du présent projet de loi (introduit à l'initiative de notre collègue député Francis Vercamer) élargit les actions de prévention devant être menées par l'employeur pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, à la pénibilité au travail.
L' article 25 ter (introduit à l'initiative de notre collègue député Francis Vercamer) élargit, quant à lui, les missions du Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) à l'analyse des facteurs de pénibilité.
Contrepartie de cette nouvelle responsabilité, l' article 27 sexies (introduit à l'initiative du Gouvernement) prévoit la mise en place d'une pénalité de 1 % de la masse salariale, applicable aux entreprises de plus de 50 salariés lorsqu'elles ne sont pas couvertes par un accord ou un plan d'action relatif à la prévention de la pénibilité.
c) La redéfinition des services de santé au travail et leur gouvernance (articles 25 quater à 25 duodecies, 26 ter, 26 quater et 27 bis A)
Quant aux articles 25 quater à 25 duodecies, 26 ter, 26 quater et 27 bis A , ils redéfinissent le champ de compétence et la gouvernance des services de santé au travail :
- l' article 25 quater (introduit à l'initiative du Gouvernement) redéfinit ainsi les missions des services de santé au travail et précise que ces missions sont assurées par une équipe pluridisciplinaire de santé au travail, composée au moins de médecins du travail, d'intervenants en prévention des risques professionnels, d'infirmiers et, le cas échéant, d'assistants des services de santé au travail. L' article 27 bis A (introduit à l'initiative de notre collègue député Francis Vercamer) confirme la mission des services de santé dans le code du travail ;
- l' article 25 quinquies (introduit à l'initiative de notre collègue député Guy Lefrand) précise que les services de santé au travail peuvent engager « une démarche qualité », selon des modalités fixées par décret. Votre rapporteur pour avis s'interroge sur le nécessité de préciser cet élément au niveau législatif ;
- l' article 25 sexies (introduit à l'initiative de notre collègue député Guy Lefrand) organise une gouvernance paritaire des services de santé au travail interentreprises. L' article 25 septies (également introduit à l'initiative de notre collègue député Guy Lefrand) prévoit notamment que le service de santé au travail interentreprises élabore, au sein d'une commission de projet, un projet de service pluriannuel qui définit les priorités d'action du service. Ce projet s'inscrit dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens conclu entre le service, les autorités administratives et les organismes de sécurité sociale ;
- l' article 25 octies (introduit à l'initiative de notre collègue Denis Jacquat) ouvre la possibilité à un accord de branche étendu de déterminer des modalités particulières d'organisation et de choix du service de santé au travail pour certaines professions (artistes et techniciens intermittents du spectacle, mannequins). De même, l' article 25 duodecies (également introduit à l'initiative de notre collègue Denis Jacquat) renvoie à un décret le soin de fixer les règles applicables en matière d'organisation, de choix et de financement des services de santé au travail, ainsi que de surveillance de l'état de santé au travail, d'un certain nombre de travailleurs (salariés temporaires, stagiaires de la formation professionnelle, travailleurs des associations intermédiaires) ;
- l' article 25 nonies (introduit à l'initiative de notre collègue député Guy Lefrand) prévoit, quant à lui, que toute convention intervenant directement, ou par personne interposée, entre le service de santé au travail et son président, son directeur général, l'un de ses directeurs généraux délégués ou l'un de ses administrateurs doit être soumise à l'autorisation préalable du conseil d'administration ;
- l' article 25 decies (introduit à l'initiative de notre collègue député Guy Lefrand) ouvre la possibilité pour un interne de la spécialité d'être recruté par un service de santé au travail à titre temporaire ;
- l' article 25 undecies (également introduit à l'initiative de notre collègue député Guy Lefrand) consacre enfin l'existence et le rôle du directeur du service de santé au travail interentreprises qui « organise, sous l'autorité du président, les actions définies par le conseil d'administration » . Le directeur est garant de l'indépendance du médecin du travail.
Les articles 26 ter et 26 quater (introduits à l'initiative de notre collègue député Guy Lefrand) prévoient, quant à eux, la remise de deux rapports au Parlement : une étude comparative des systèmes de santé au travail dans le monde et un état des lieux des pratiques de certification en Europe des activités de suivi de la santé au travail.
d) L'aménagement des conditions de travail (articles 27 bis et 27 ter A)
Les articles 27 bis et 27 ter A (introduits à l'initiative de notre collègue député Pierre Méhaignerie et sous-amendé, pour le second, par le Gouvernement) portent, quant à eux, sur l'aménagement des conditions de travail. Si l' article 27 bis propose qu'un salarié puisse utiliser son compte-épargne-temps pour cesser de manière progressive son activité, l' article 27 ter A prévoit l'aménagement des conditions de travail des salariés occupés à des travaux pénibles.
Il crée, à titre expérimental, un dispositif destiné à constituer un cadre pour la conclusion, par les branches professionnelles, d'accords collectifs d'allégements ou de compensation de la charge de travail des salariés occupés à des travaux pénibles :
- l'allégement de la charge de travail pourrait prendre la forme d'un passage à temps partiel ou de l'exercice d'une mission de tutorat ;
- la compensation de la charge de travail pourrait, elle, prendre la forme d'un versement de primes ou d'une attribution de journées supplémentaires de repos ou de congés.
A l'initiative du Gouvernement, a été ajoutée la précision selon laquelle ce fond de soutien à la pénibilité est en partie financé par une dotation de l'Etat et une dotation de la branche AT-MP . Selon les informations transmises à votre rapporteur pour avis, les dotations prévisionnelles de ce fonds ne sont pas encore déterminées.