B. LA PRIORITÉ « DÉVELOPPEMENT DES USAGES ET CONTENUS INNOVANTS »

Si l'établissement d'un réseau d'infrastructures numériques apportant le très haut débit sur l'ensemble du territoire est indispensable à la transition vers une réelle société de la connaissance et de l'innovation, la création de services permettant d'alimenter ces réseaux n'en a pas moins d'importance. En effet, contenants et contenus interagissent et s'interpénètrent : l'existence de « tuyaux » est aussi indispensable à la consommation de services numériques, que l'offre de ces derniers conditionne le développement des premiers.

Or, la part de recherche et d'innovation intégrée dans les contenus numériques est sans doute aussi élevée que celle des infrastructures de réseaux, et les risques associés à leur commercialisation aussi grands. De plus, le tissu d'entreprises spécialisées dans ces services est particulièrement riche en PME, dont la surface financière et les capacités de recherche et développement sont nécessairement réduites.

Ces considérations légitiment, là encore, une intervention des pouvoirs publics pour amorcer et accompagner l'initiative privée à court et moyen termes. C'est en ce sens que le FSN mobilisera 2,5 milliards d'euros pour favoriser le développement des usages, services et contenus numériques au travers de quatre principaux axes.

1. Le développement de l'« informatique dans les nuages »

QU'EST CE QUE L'« INFORMATIQUE DANS LES NUAGES » ?

Le terme d'« informatique dans les nuages », cloud computing en anglais, trouve son origine dans la schématisation par les architectes de réseau d'Internet sous forme de nuage dans leurs croquis, évoquant l'interconnexion d'une quantité illimitée d'utilisateurs.

La notion s'est depuis affinée pour désigner l'utilisation des capacités de stockage et de calcul d'ordinateurs distants les uns des autres et reliés par un réseau tel Internet. Concrètement, le cloud computing permet aux utilisateurs - particuliers, administrations ou entreprises - de s'épargner le stockage ou l'enregistrement de données et logiciels sur leurs propres ordinateurs, dès lors que ceux-ci ont été « virtualisés » au sein de serveurs distants interconnectés accessibles le plus souvent par un navigateur web.

Cette évolution a pu être comparée à celle qu'a connue le secteur de l'électricité. Les entreprises, qui à l'origine possédaient chacune des mini centrales de production électrique, les ont abandonnées au fur et à mesure qu'elles ont pu satisfaire leurs besoins énergétiques en s'approvisionnant auprès de grandes compagnies spécialisées dans la production d'électricité.

Les avantages sont évidents pour les utilisateurs. La mutualisation des matériels et logiciels informatiques permet de réduire les coûts d'équipement des particuliers et entreprises. Les économies d'échelle ainsi réalisées iraient de 20 à 80 % des coûts originels et seraient d'autant plus intéressantes pour l'opérateur qu'il est de taille réduite.

Les systèmes sont optimisés par de puissants logiciels de façon à pouvoir réallouer en permanence les capacités de calcul et de stockage non utilisées. Ils se distinguent à cet égard des « simples » centres de données, ou data center , qui se « contentent » d'accumuler des informations numériques sans les gérer de façon réellement optimisée.

Par ailleurs, l'accessibilité aux données est renforcée puisqu'un simple point de connexion Internet est suffisant, sans qu'il soit nécessaire de s'encombrer des supports physiques de stockage (ordinateurs, disques durs portatifs, clés USB, CDRom ou DVD ...). Enfin, l'évolutivité du système est assurée par l'hébergeur, et non par l'utilisateur, qui n'a donc plus à s'en préoccuper.

L'« informatique dans les nuages » est aujourd'hui couramment utilisé par les particuliers, qui y ont par exemple recours pour la gestion en ligne de leurs courriels, de leurs photos ou même de documents de toutes sortes. Des entreprises de services informatiques leur proposent ainsi l'hébergement, gratuit ou contre rémunération, de quantités généralement limitées de données sur leurs serveurs.

Si cette technique est amenée à se développer rapidement dans le secteur professionnel, peu d'entreprises y ont en revanche recours. Selon une étude réalisée en 2009 32 ( * ) , moins de 10 % de celles interrogées indiquaient l'utiliser pour l'hébergement de leurs infrastructures et applications informatiques.

Certes, les atouts du cloud computing sont majeurs et devraient motiver son développement rapide. Il devra cependant pour ce faire surpasser plusieurs obstacles concernant sa sécurisation et son financement, ce à quoi tente de répondre le présent texte.

Le problème principal de l'« informatique dans les nuages » réside dans la sécurisation de l'accès aux données sur les serveurs en ligne. Si leur numérisation et leur mise en ligne les rend virtuelles, elles n'en sont pas moins présentes sur des supports physiques que sont des racks de traitement et stockage rassemblés dans les bâtiments climatisés des sociétés les hébergeant.

Or, l'ensemble de ces entreprises est aujourd'hui essentiellement américain, qu'il s'agisse de Salesforce, Amazon 33 ( * ) , Google 34 ( * ) , IBM ou Microsoft. Fin juillet 2008, Intel, Hewlett Packard et Yahoo ! ont constitué un partenariat afin de promouvoir la recherche en ce domaine. Et les pouvoirs publics soutiennent cet engouement : ainsi, la loi de finances américaine pour 2009 contenait des crédits destinés au cloud computing .

Le retard de notre pays et, plus globalement, de l'Europe 35 ( * ) en la matière en fait un réel enjeu de souveraineté . Le fait d'avoir ses données stockées sur des serveurs étrangers ou de pays tiers n'est en effet pas sans conséquences potentielles sur leur degré de sécurisation, en particulier pour les plus sensibles, qu'elles soient de nature personnelle ou qu'elles relèvent de la confidentialité politique ou du secret industriel.

Si cet enjeu est aujourd'hui bien identifié, y répondre pose de nouveaux problèmes en termes de financement. En effet, les investissements matériels à consentir pour créer une plateforme de cloud computing de taille critique se chiffrent en centaines de millions d'euros. De plus, des dépenses de recherche et développement extrêmement importantes sont indispensables pour garantir l'avance technologique des systèmes. Les sommes en jeu sont excessivement élevées pour ne pouvoir dépendre que d'acteurs isolés, mais aussi que de l'initiative privée. Dès lors, une mutualisation des efforts et un soutien des pouvoirs publics sont indispensables pour assurer le décollage des projets.

C'est dans cet objectif que le projet de loi prévoit l'intervention du FSN pour un montant - non précisé dans le projet de loi - qui devrait atteindre 600 ou 700 millions d'euros environ et revêtirait deux formes distinctes :

- très majoritairement, par des prises de participation et/ou des prêts dans une société privée à capitaux mixtes publics-privés chargée de concevoir, construire et exploiter une infrastructure de cloud computing composée de grandes centrales numériques de calcul et de stockage. La rémunération de cette société sera assurée par les utilisateurs de l'infrastructure, qu'il s'agisse de fournisseurs de logiciels en mode software as a service 36 ( * ) ou d'entreprises ou d'administrations l'utilisant pour leurs besoins propres de calcul ou de stockage.

L'objectif est de développer, par un partenariat public-privé, une infrastructure de cloud computing qui soit en mesure de constituer rapidement une alternative française et européenne dans un secteur encore en devenir, où les leaders de demain émergent dès maintenant et où, outre les États-Unis, la menace d'une concurrence chinoise se fait déjà sentir. Une concentration rapide des plateformes existantes étant anticipée, il importe que notre pays parvienne à se hisser parmi les quatre ou cinq acteurs principaux du secteur.

Il existe déjà en ce domaine un projet d'ampleur que l'enveloppe mobilisée par le « grand emprunt » devrait en fait soutenir. Un consortium a ainsi été initié entre les entreprises Dassault, Thalès et Orange, spécialisées respectivement dans les technologies liées aux logiciels, à la sécurité et aux réseaux . Selon les personnes auditionnées par votre rapporteur pour avis, une répartition tripartite et égalitaire des financements entre les sociétés prenant part au consortium (soit les trois d'origine auxquelles s'adjoindraient quelques autres), l'État et les acteurs financiers, serait opportune. L'enveloppe globale devrait, selon elles, s'élever à 2,5 milliards d'euros sur cinq ans ;

- pour le solde, par des subventions et avances remboursables dans des appels à projets de recherche et développement en liaison avec les ministères chargés de l'industrie et de la recherche et dédiés aux thématiques de l'« informatique en nuage » et du calcul intensif.

En effet, de lourds investissements seront indispensables, outre pour la mise au point de la plateforme de cloud computing , en vue de perfectionner les logiciels assurant son exploitation ainsi que les puissants calculateurs la faisant fonctionner. Ces derniers instruments, dits de « calcul intensif », sont d'ailleurs amenés à prendre une place prédominante, au-delà du seul cloud computing , pour la mise au point d'applications de très haute technologie dans les champs scientifiques, militaires ou industriels. La modélisation et la simulation numériques qu'ils rendent possibles permettent en effet de réduire substantiellement les phases de conception et d'expérimentation de systèmes complexes à très haute valeur ajoutée.

On notera qu'un programme « calcul intensif et simulation », qui a pour objectif de développer le calcul intensif et la simulation numérique et de promouvoir leur utilisation dans les activités de recherche, dont la mise en oeuvre a été confiée au CEA, a été lancé depuis plusieurs années par l'Agence nationale pour la recherche (ANR), et qu'il conviendrait donc d'en coordonner le contenu avec les projets retenus par le « grand emprunt ».

* 32 Approches d'hébergement avec le cloud computing et la virtualisation, 2009-2011, MARKESS International.

* 33 Qui a investi 2 milliards de dollars par an sur les deux dernières années.

* 34 Qui a investi quant à lui un milliard de dollars par an.

* 35 La Grande-Bretagne projette cependant de développer une plateforme de cloud computing.

* 36 Souvent associé au cloud computing , le software as a service (Saas) est un mode spécifique de consommation des applications : celles-ci sont utilisées et payées à la demande, par minute de consommation par exemple, et non plus acquises une fois pour toutes par l'achat de licences.

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