IV. LE SECTEUR « NUMÉRIQUE »

Représentant plus du quart de la croissance et 40 % des gains de productivité, le secteur numérique est, selon les termes retenus par la commission Investir pour l'avenir , « au coeur du progrès économique et technologique ». Ce constat, désormais très largement partagé, l'a conduit à consacrer le septième de ses axes de développement à la « société numérique ».

Afin de favoriser et d'accélérer l'avènement de cette « société de la connaissance », la commission a identifié deux leviers d'action distincts :

- d'une part, les infrastructures informatiques et les réseaux de télécommunication , qui constituent « l'indispensable substrat des échanges d'information et du développement des services numériques ». La commission a préconisé de mobiliser deux milliards d'euros en vue de soutenir la couverture du territoire en réseau très haut débit, chiffre qui a été repris et validé par le présent projet de loi. Ce dernier retient ainsi les préconisations de votre rapporteur pour avis, qui avait clairement suggéré lors de l'examen de la loi relative à la lutte contre la fracture numérique de recourir à cet instrument financier 27 ( * ) ;

- d'autre part, les services et les contenus, qui constituent la « finalité même de l'économie numérique » et représentent des « leviers puissants de modernisation et de compétitivité des entreprises ». La commission a proposé de dégager une enveloppe d'également deux milliards d'euros en vue de soutenir le développement de ce secteur d'activité, chiffre qui a été porté à 2,5 milliards d'euros par le présent projet de loi.

Celui-ci, qui relève dans son exposé des motifs que l'investissement dans le secteur des TIC a contribué durant la période 2001-2005 à 60 % de la croissance française et que le sous-investissement de notre pays en ce domaine explique 60 % de notre écart de croissance avec les États-Unis depuis 2000, reprend cette architecture générale au sein du programme « Développement de l'économie numérique ».

La dotation de 4,5 milliards d'euros qui y est mobilisée sera versée à un fonds spécialement créé, intitulé Fonds national pour la société numérique (FSN). La gestion de cet opérateur sera confiée à la CDC - qui ne sera pas impliquée dans le choix des projets financés - par un contrat signé par le Premier ministre après avis du CGI. Sa gouvernance stratégique relèvera, là aussi, du chef du Gouvernement via ledit commissaire général. Y seront associés le secrétariat d'État chargé du développement de l'économie numérique et les ministères chargés de la culture, de l'industrie, de l'enseignement supérieur, de la recherche, de la santé, de la défense, de l'économie, de l'écologie, de l'aménagement du territoire et du budget.

A. LA PRIORITÉ « EQUIPEMENT DE LA F RANCE EN TRÈS HAUT DÉBIT »

Le développement d'un réseau de très haut débit 28 ( * ) sur l'ensemble du territoire national, en tant qu'il permettra d'améliorer la compétitivité de nos entreprises et de « désenclaver numériquement » les territoires les plus ruraux, constitue un défi majeur pour notre pays dans les années à venir. Ce réseau doit en effet permettre à chaque opérateur économique et à chaque habitant d'accéder aux nouveaux usages du numérique, tels que la navigation sur l'Internet 3.0, le téléchargement de fichiers lourds, la visualisation de la télévision en haute définition ou en relief ...

La fibre optique, qui offre aujourd'hui des débits dépassant les 100 Mbit/s par abonné sans dégradation du signal, mais présente des capacités physiques permettant d'envisager un débit quasiment illimité dans les années à venir, en constitue le principal vecteur. De la même façon que le chemin de fer, l'électricité ou le téléphone par le passé, son déploiement va conditionner la vitalité et l'attractivité de notre pays pour les années et les décennies à venir.

Cependant, le coût de la couverture numérique de notre territoire en très haut débit est excessivement élevé, nécessitant des investissements de l'ordre de 30 à 40 milliards d'euros selon les estimations. La seule initiative privée ne sera donc pas en mesure d'y pourvoir, du moins en dehors des zones les plus densément peuplées, où le retour sur investissement est à peu près garanti.

Or, le déploiement du très haut débit est source d'externalités positives pour notre économie et notre société, en tant qu'il est facteur de croissance, d'emploi, de lien social et, plus largement, de maximisation du bien-être collectif. Ce constat justifie pleinement une action structurante des pouvoirs publics qui, par des mécanismes financiers, doivent inciter les acteurs privés à investir dans des territoires qu'ils auraient naturellement délaissés au regard de la pure rationalité économique.

C'est ainsi que le projet de loi, reprenant et affinant les propositions de la commission Investir pour l'avenir , mobilise deux milliards d'euros pour la couverture numérique du territoire en très haut débit. Quatre zones et autant de modes d'intervention des différents acteurs peuvent être distingués dans ce cadre :

- dans les zones dites « denses », les travaux de génie civil nécessaires pour desservir un nouvel abonné au très haut débit sont relativement réduits. En effet, les immeubles, qui forment un tissu urbain plus ou moins continu, regroupent souvent un grand nombre de logements.

Il y est donc économiquement viable pour plusieurs opérateurs de déployer leurs propres réseaux, notamment sous forme de fibre optique jusqu'à l'abonné (FTTH). Dès lors, l'intervention publique n'y est pas nécessaire et le libre jeu du marché devrait permettre à lui seul de déployer un réseau couvrant l'ensemble des lieux d'habitation.

Afin de délimiter précisément cette première zone, l'ARCEP a établi une liste de 148 communes (grandes métropoles) représentant 5 millions de foyers, calculée à partir de la densité et du nombre d'immeubles. L'autorité de régulation a par ailleurs édicté des règles communes à l'ensemble des opérateurs fixant le cadre à respecter pour pouvoir intervenir au sein de cette première zone, en validant notamment le modèle multifibres 29 ( * ) ;

- dans les zones moyennement denses , où l'habitat est plus diffus mais relativement regroupé, les opérateurs n'auront généralement pas les moyens d'installer plusieurs réseaux de fibre optique. Dès lors, et comme votre rapporteur pour avis le préconisait lors de l'instruction de la loi relative à la lutte contre la fracture numérique, la couverture de ces zones devra passer par un modèle coopératif fondé sur le co-investissement des opérateurs, la mutualisation du réseau et l'engagement des pouvoirs publics.

C'est bien la solution retenue par le projet de loi, qui prévoit l'intervention du FSN sous forme de prêts à hauteur d'un milliard d'euros. Ils seront attribués au moyen d'appels à projets à des exploitants de réseaux, afin de favoriser une mutualisation des investissements. L'engagement public, qui visera un effet de levier de 1 à 2 sur l'investissement privé selon l'exposé des motifs du projet de loi, devrait permettre d'amorcer et soutenir les projets des opérateurs.

Les sommes accordées par le FSN dans ces zones moyennement denses, il est important de le souligner, ne correspondront pas à des subventions publiques. De plus, l'opérateur agira en « investisseur avisé », c'est-à-dire en sélectionnant des projets rentables et en ne favorisant pas un acteur plutôt qu'un autre. Son intervention présentera à ce titre d'importants avantages. Ainsi, il viendra en appui des politiques publiques et pourra donc prendre en compte des choix d'aménagement du territoire. De plus, il apportera, par l'intermédiaire de la CDC, son expérience dans l'investissement au profit de projets structurants pour le territoire.

Selon les informations recueillies par votre rapporteur pour avis, les appels à candidature pour l'attribution de prêts dans le cadre de la zone 2, qui interviendront peu après la publication par le régulateur courant mai ou juin du cadre règlementaire, présenteront un double critère de co-investissement 30 ( * ) et de projet de couverture suffisamment exhaustive sur une zone donnée.

Si les formes sous lesquelles s'engageront les opérateurs sur cette zone intermédiaire restent encore floues, la solution du co-investissement à deux ou plus devrait donc être privilégiée. Les propos tenus à votre rapporteur pour avis lors des auditions, mais également l'expérience récente initiée par deux opérateurs, semblent aller en ce sens. Un accord de ce type a ainsi été signé à la mi-janvier entre Orange et SFR dans ces zones moyennement denses, probablement sous l'égide d'un groupe commun. Les deux opérateurs s'y sont engagés à construire, pour une zone de 100 à 1 000 logements, chacun un réseau relié à un point de mutualisation à partir duquel un seul opérateur déploiera la fibre optique vers les foyers. Les autres opérateurs auront la possibilité de louer ce réseau afin de commercialiser leurs offres, mais également de co-investir dans le groupe commun ainsi formé. Une expérimentation en ce sens est prévue dans deux villes d'Ile-de-France 31 ( * ) .

Votre rapporteur pour avis tient toutefois à souligner une incertitude tenant à l'articulation des dispositions du présent projet de loi avec les déclarations de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État chargée de la prospective et du développement de l'économie numérique, voici quelques mois. Cette dernière a en effet présenté au Conseil des ministres du 6 mai 2009 le volet numérique du plan de relance, qui prévoit l'intervention de la CDC pour constituer un fonds de 750 millions d'euros en fonds propres destiné à financer des projets de développement du réseau fibre en zone 2. Or, aucune des personnes auditionnées par votre rapporteur pour avis n'a été en mesure d'indiquer de façon certaine si cette enveloppe de 750 millions d'euros se surajoutera, ou bien se substituera, à celle d'un milliard d'euros prévue par le présent texte ;

- dans les zones peu denses , caractérisées par la présence de très petites villes et d'espaces ruraux, l'initiative privée ne peut suffire à assurer l'équipement en fibre optique. En effet, le coût du raccordement d'un abonné potentiel y est supérieur, même en mutualisant les réseaux, au bénéfice qui en serait retiré. Dès lors, une intervention forte de la puissance publique est pleinement justifiée

Afin de pallier les carences de l'initiative privée, une intervention publique forte est donc nécessaire. Elle passe tout d'abord par une planification des territoires à couvrir, des investissements nécessaires et du rôle de chacun des acteurs. Le plan France Numérique 2012, repris en cela par la loi relative à la lutte contre la fracture numérique, encourage ainsi les collectivités à élaborer des SDTAN.

Mais cette intervention publique passe également et surtout par un soutien financier. C'est en ce sens que le projet de loi prévoit l'attribution par le FSN d'une enveloppe de 750 millions d'euros de subventions en zones peu denses. Elles seront affectées, selon l'exposé des motifs, à des projets d'initiative publique, par exemple sous forme de délégations de service public. Cette dernière procédure aura l'avantage de garantir l'existence d'un « bien de retour » demeurant dans le patrimoine de la personne publique concédante.

L'effet incitatif attendu est, toujours selon le projet de loi, de 1 à 2 sur les subventions des collectivités locales et de l'Union européenne, qui pourront intervenir en co-financement, ainsi que sur les investissements privés. Il est vrai que le montant des sommes à réunir est très élevé : d'après les estimations communiquées à votre rapporteur pour avis lors de l'instruction de la loi relative à la lutte contre la fracture numérique, le besoin de subvention serait de 5 à 10 milliards d'euros pour un coût total de 30 milliards environ, sous réserve que les taux d'intérêt soient bas et que soit instauré un mécanisme de péréquation.

Si les sommes allouées pour ces zones restent donc relativement faibles au regard des besoins de financement, elles auront cependant le mérite de créer un début de dynamique et d'amorcer les projets, et ceci concomitamment - et non ultérieurement - à l'effort de couverture en zone 2. Votre rapporteur pour avis estime impératif, dans la mise en oeuvre des appels à projet en zone 3, d'éviter tout « pilotage par le haut », qui risquerait de planifier le développement du réseau de très haut débit sans tenir compte de la diversité des situations locales. Il recommande de construire et lancer ces appels à projets à partir des territoires, en retenant comme taille minimale de maillage le département, par cohérence avec l'échelle retenue pour les SDTAN.

Votre rapporteur pour avis souligne par ailleurs la nécessité de mener de concert l'effort de couverture en très haut débit dans l'ensemble des zones définies, afin de ne pas créer de « laissés pour compte » de l'aménagement numérique. Il fait observer, à cet égard, que le recours à des technologies permettant la « montée en débit » des réseaux existants constitue une solution transitoire qu'il convient de soutenir dans la zone 3 - voire dans la zone 2 -, notamment par l'élaboration d'un cadre concurrentiel clair, équitable et adapté .

Votre rapporteur pour avis tient enfin, s'agissant de la zone 3, à faire part de ses interrogations quant à l'articulation entre le présent texte et la loi relative à la lutte contre la fracture numérique. Celle-ci prévoit en effet la constitution d'un fonds d'aménagement numérique des territoires, qui a pour mission de contribuer à la mise en oeuvre de schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique (STDAN) définis localement. Un comité national de gestion du fonds doit rassembler, à parts égales, les représentants de l'État, des opérateurs de communications électroniques et des syndicats mixtes d'aménagement numérique. Le fonds doit accorder des aides aux maîtres d'ouvrage des travaux prévus par les SDTAN, les décisions d'attribution des aides étant prises par les ministres chargés des finances et des communications électroniques. Or, il n'est pas fait référence à ce fonds dans le cadre du présent texte, qui n'évoque en la matière que le FSN. A cet égard, votre rapporteur pour avis souhaite vivement que l'enveloppe de 750 millions d'euros prévue en zone 3 abonde le fonds d'aménagement numérique des territoires et en respecte les principes de gestion ;

- enfin, dans les zones les plus reculées , l'idée même de déployer un réseau de fibre optique semble à écarter au nom de la rationalité économique et des principes d'usage de fonds publics.

Ces zones, qui se situent dans les milieux ruraux les plus enclavés ou en région de montagne, ne doivent pas pour autant être écartées de l'offre en très haut débit ; bien au contraire, leur développement harmonieux passera par leur irrigation en réseau numérique à forte bande passante. Si la fibre optique ne peut être retenue, le principe de neutralité et d'équivalence technologique commande de recourir à d'autres procédés techniques à même de fournir des débits équivalents. En attendant le déploiement d'un réseau LTE (long term evolution), soit la future norme de réseau mobile de quatrième génération (4G), une optimisation des vecteurs satellitaires semble devoir être recherchée.

Là encore cependant, l'importance des investissements à réaliser au regard de la population intéressée - 750 000 foyers environ, selon le projet de loi - légitiment une intervention incitative des pouvoirs publics. C'est en ce sens que le texte prévoit d'isoler 250 millions d'euros sous forme, pour moitié de subventions afin d'initier des appels à projet en recherche et développement, et pour l'autre moitié de prises de participation, directes ou indirectes, par le FSN dans le consortium d'exploitation bâti à cet effet sous forme de partenariat public-privé. Le coût total du projet, qui vise in fine à apporter le très haut débit aux 750 000 foyers précédemment évoqués d'ici cinq ans, serait de 500 millions d'euros selon l'exposé des motifs, dont une moitié serait donc financées sur fonds publics. Le projet MegaSat, porté par le Centre national d'études spatiales (CNES), y répond en visant à fournir une connexion Internet avec un débit de 50 - voire 100 - Mbits par seconde à 750 000 foyers concernés par les zones blanches.

On notera que le projet de loi assortit le programme « développement de l'économie numérique » d'un objectif ciblé de couverture de 70 % de la population nationale en très haut débit d'ici dix ans, et d'un indicateur adapté à la mesure de l'avancement de cet objectif.

L'opérateur satellite auditionné par votre rapporteur pour avis a fait état d'un projet de desserte de 500 000 foyers par la voie satellitaire offrant, pour 35 euros par mois -les frais d'équipement en parabole n'étant pas inclus-, une bande passante de 50 Mb/s en flux descendant et 10 en montant. Il a également attiré l'attention sur l'opportunité qu'il y aurait à privilégier le recours à une délégation de service public - qui permet, une fois l'opérateur sélectionné, de lui déléguer entièrement la gestion de l'activité - à un partenariat public-privé, qui contraindrait les pouvoirs à assurer une « interface » entre l'opérateur et les clients finaux ne relevant pas pleinement de leur compétence.

Votre rapporteur pour avis souscrit entièrement à la décision de soutenir le déploiement d'une offre satellitaire dans la mesure où elle constitue un complément irremplaçable à une offre plus massive que représente la fibre . Il souligne le caractère serré du calendrier prévu - 2014 -, du fait du délai - trois ans - nécessaire à la construction d'un satellite. Il fait également observer qu'il importera, au sein des SDTAN, de déterminer clairement quelles zones dépourvues de solution alternative à la connexion à un réseau de très haut débit seront éligibles à une telle offre satellitaire, afin d'éviter que celle-ci ne soit en partie utilisée par des foyers n'en ayant pas ou plus besoin.

* 27 En priorité, et aux côtés d'autres instruments tels que les fonds européens, la participation des collectivités territoriales ou encore le produit du « dividende numérique ».

* 28 Selon la définition de l'ARCEP, les offres très haut débit incluent un service d'accès à Internet avec un débit crête descendant supérieur à 50 Mbit/s et un débit crête remontant supérieur à 5 Mbit/s.

* 29 Selon lequel tout opérateur peut demander à l'opérateur d'immeuble (c'est-à-dire l'opérateur choisi par la co-propriété pour fibrer l'immeuble) de disposer d'une fibre supplémentaire dédiée pour chaque logement, moyennant un préfinancement de son installation et un co-financement de l'investissement initial.

* 30 Intimant au minimum l'engagement de l'opérateur candidat à co-investir avec un autre opérateur le désirant.

* 31 Palaiseau pour Orange et Bondy pour SFR.

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