N° 283

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 février 2010

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , de finances rectificative pour 2010 ,

Par M. Bruno RETAILLEAU,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Paul Emorine , président ; MM. Gérard César, Gérard Cornu, Pierre Hérisson, Daniel Raoul, Mme Odette Herviaux, MM. Marcel Deneux, Daniel Marsin, Gérard Le Cam , vice-présidents ; M. Dominique Braye, Mme Élisabeth Lamure, MM. Bruno Sido, Thierry Repentin, Paul Raoult, Daniel Soulage, Bruno Retailleau , secrétaires ; MM. Pierre André, Serge Andreoni, Gérard Bailly, Michel Bécot, Joël Billard, Claude Biwer, Jean Bizet, Yannick Botrel, Martial Bourquin, Jean Boyer, Jean-Pierre Caffet, Yves Chastan, Alain Chatillon, Roland Courteau, Jean-Claude Danglot, Philippe Darniche, Marc Daunis, Denis Detcheverry, Mme Évelyne Didier, MM. Philippe Dominati, Michel Doublet, Daniel Dubois, Alain Fauconnier, François Fortassin, Alain Fouché, Francis Grignon, Didier Guillaume, Michel Houel, Alain Houpert, Mme Christiane Hummel, M. Benoît Huré, Mme Bariza Khiari, MM. Daniel Laurent, Jean-François Le Grand, Philippe Leroy, Claude Lise, Roger Madec, Michel Magras, Hervé Maurey, Jean-Claude Merceron, Jean-Jacques Mirassou, Jacques Muller, Robert Navarro, Louis Nègre, Mmes Renée Nicoux, Jacqueline Panis, MM. Jean-Marc Pastor, Georges Patient, François Patriat, Philippe Paul, Jackie Pierre, Rémy Pointereau, Ladislas Poniatowski, Marcel Rainaud, Charles Revet, Roland Ries, Mmes Mireille Schurch, Esther Sittler, Odette Terrade, MM. Michel Teston, Robert Tropeano, Raymond Vall.

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) :

2239 , 2268 et T.A. 413

Sénat :

276 , 278 et 284 (2009-2010)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La France, qui demeure la cinquième puissance économique au monde, possède de multiples atouts pour conserver et même accroître son rang dans la compétition internationale. Elle n'en présente pas moins certaines faiblesses structurelles dont les effets sur notre économie, aggravés par la crise actuelle, pourraient s'avérer menaçants pour notre modèle social.

Le monde, en effet, a formidablement changé au cours des dernières décennies sans que notre pays ait toujours su évoluer en conséquence. L'arrivée de nouveaux acteurs sur les marchés a considérablement accru la concurrence internationale dans l'appropriation de la valeur ajoutée. Dans le même temps, une économie de l'immatériel, valorisant la connaissance, le savoir-faire et la durabilité, s'est progressivement mise en place.

Face à ces changements, les États occidentaux, qui ont créé leurs richesses sur une économie de type essentiellement industrielle, ont dû réviser leurs modèles de développement et ajuster leurs facteurs de production. Handicapée par une certaine inertie au changement, la France n'a pas su totalement réorienter son système de production vers les secteurs et procédés qui feront demain la richesse des nations.

Un tel constat est à la base des travaux de la commission Investir pour l'avenir 1 ( * ) mise en place à la suite de l'annonce faite par le Président de la République, lors de son discours devant le Parlement réuni en Congrès le 22 juin 2009, d'une réflexion sur « nos priorités nationales » et la « mise en place d'un emprunt pour les financer ».

Constituée au mois d'août 2009, cette commission, présidée par MM. Alain Juppé et Michel Rocard, préconise, de façon très générale, de « nous engager dans la transition vers le modèle de développement de demain, un modèle de développement durable fondé à la fois sur la matière grise et l'économie verte ». A cette fin, elle recommande la mise en oeuvre de sept priorités stratégiques correspondant à un investissement de l'État de 35 milliards d'euros tourné vers l'innovation.

L'essentiel des propositions de la commission a été repris par le Chef de l'État lors d'une conférence de presse tenue le 14 décembre 2009, où a été annoncé un « grand emprunt » national d'un montant équivalent, visant à mettre notre économie sur la voie d'une croissance durable. Le présent texte a pour objet d'en prévoir la mise en oeuvre juridique et financière.

Votre commission s'en est saisie pour avis concernant les aspects économiques. Ceux-ci recouvrent les mesures en faveur de l'industrie et des petites et moyennes entreprises (PME), du développement durable et de l'économie numérique, qui font l'objet d'autant de programmes budgétaires. Après avoir situé le cadre général dans lequel s'inscrit le « grand emprunt », le présent rapport pour avis analyse successivement les trois programmes précités.

I. LE CADRE GÉNÉRAL DU COLLECTIF BUDGÉTAIRE

Opération exceptionnelle de mobilisation de crédits en vue de remettre notre pays sur le chemin d'une croissance innovante, riche en emplois et durable, le « grand emprunt » fait appel à des modalités originales de gestion des fonds qui devraient permettre de minimiser son impact sur les finances publiques.

Son efficacité sera toutefois liée à l'adoption de principes de bonne gouvernance associant l'ensemble des acteurs de façon transversale, tout en assurant un suivi et une évaluation pertinents.

A. UNE MOBILISATION SANS PRÉCÉDENT POUR DYNAMISER UNE ÉCONOMIE « VERTE ET GRISE »

1. La France peine à retrouver un fort potentiel de croissance

La crise économique mondiale a largement affecté notre pays, même s'il a plutôt mieux résisté que l'ensemble de ses partenaires d'un niveau de développement équivalent. Ce choc systémique a appauvri nombre de nos entreprises et fragilisé leurs structures de financement, réduisant d'autant leur capacité à investir et à innover. Ces effets négatifs se font tout particulièrement ressentir dans le domaine des technologies d'avenir, encore émergentes et nécessitant des prises de risques importantes, pour un retour sur investissement pouvant être long.

Sur le plus long terme, la France a accumulé un certain nombre de handicaps bridant sa productivité et son dynamisme. Le projet de loi de finances pour 2010 soulignait ainsi que la croissance potentielle de notre économie, qui était de 2,1 % par an en moyenne entre 1998 et 2009, retomberait à 1,7 % entre 2009 et 2013, chiffre que l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) réduit même à 1,4 % pour la période 2011-2017.

Le ralentissement des gains de productivité horaire moyenne en France depuis le milieu des années 70 explique une grande partie de ce constat. Sur la période 1980-1990, cette productivité se serait améliorée de 3 % par an. Sur la période 2001-2007, elle a augmenté de seulement 1,5 % chaque année. C'est donc le moteur principal de la croissance qui semble s'être grippé.

Notre insuffisante propension à investir et à innover constitue le premier facteur explicatif de cette atonie de la croissance. Dans sa contribution aux travaux de la commission pour la libération de la croissance française 2 ( * ) , l'OCDE jugeait en 2007 que notre pays faisait preuve d'une faible capacité d'innovation. Cet état de fait est à mettre en corrélation avec la faiblesse de l'investissement national en recherche et développement. Ainsi que le montre le graphique ci-dessous, l'effort global de notre pays en ce domaine en part de PIB, reste inférieur à la moyenne de l'OCDE et bien en deçà de l'objectif de 3 % en 2010 fixé par la stratégie de Lisbonne.

Plus inquiétante peut-être est la répartition de l'effort de recherche et développement entre la sphère publique et l'initiative privée. « En France, l'effort public de recherche atteint un niveau relativement élevé, mais (celui) des entreprises y est, en revanche, comparativement plus faible », relevait ainsi un rapport du Sénat 3 ( * ) , qui ajoutait que « le fait que la France soit un des pays de l'OCDE où la part de recherche et développement financée par l'État est la plus élevée trouve un élément d'explication dans la mesure où la recherche publique y intervient dans des domaines spécifiques : défense, énergie nucléaire, espace et aéronautique ».

Or, la part de la recherche privée ne semble pas appelée à croître substantiellement dans un proche avenir. Ainsi, en 2008, la France a vu les dépenses de recherche et développement de ses entreprises croître de 0,7 % seulement, ce qui place notre pays en avant-dernière position à l'échelle européenne, loin derrière les leaders en ce domaine (Allemagne et Royaume-Uni, avec respectivement + 11,2 % et + 8 %). Pour l'année 2009, les perspectives sont plus sombres encore : les entreprises déclarant leur budget de recherche et développement trimestriel l'ont globalement réduit de 7,4 % durant le premier trimestre.

D'autre part, si notre pays possède des atouts en matière de recherche fondamentale, la valorisation de cette dernière, mesurée notamment par le nombre de brevets déposés, reste insuffisante. Ainsi, 40 brevets par million d'habitants sont déposés en France chaque année, contre 60 en Allemagne ou 100 au Japon. Et les profits financiers que notre pays retire, en bout de chaîne, de sa recherche théorique sont inférieurs à ceux de ses partenaires et concurrents.

Enfin, notre pays souffre d'une insuffisante fluidité dans la chaîne de création de valeur, allant de la découverte scientifique à son application industrielle. Ainsi que le relève la commission Investir pour l'avenir , « trop souvent la phase de pré-industrialisation, de la preuve de concept jusqu'à la première série, bute sur un manque de financement pour des plates-formes technologiques mutualisées ou des démonstrateurs ».

* 1 Investir pour l'avenir - Priorités stratégiques d'investissement et emprunt national , rapport au Président de la République, novembre 2009.

* 2 Appelée également « commission Attali », du nom de son président Jacques Attali, cette commission avait été chargée par le Président de la République de rédiger un rapport fournissant des recommandations et des propositions afin de relancer la croissance économique de la France, qu'elle avait rendu le 23 janvier 2008.

* 3 Recherche et innovation en France : surmonter nos handicaps au service de la croissance ; rapport d'information n° 392 (2007-2008) de MM. Joseph Kergueris et Claude Saunier, fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification, déposé le 11 juin 2008.

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