EXPOSÉ GÉNÉRAL
La télévision tient une place particulière dans la vie de nos contemporains : c'est sans doute l'un des objets qui symbolise le mieux la modernité.
Mais en France, en plus de cette dimension sociale, s'ajoute une dimension politique particulière qui rend toute réforme profonde de l'audiovisuel délicate.
Déjà la loi du 30 septembre 1986, qui est encore le socle juridique fondamental de la télévision, avait dû être adoptée en recourant à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution (le Gouvernement engageant alors sa responsabilité devant l'Assemblée nationale).
Cette dimension éminemment politique s'explique par le fait qu'en France, la télévision est la pierre angulaire de la diversité et de l'exception culturelle française, grâce à un double mécanisme :
• la mise à disposition gratuite du domaine
public hertzien au bénéfice des chaînes de
télévision ;
• en contrepartie, des obligations de production et
la contribution au financement de la création qui est proportionnelle au
chiffre d'affaires.
Sans ces mécanismes, la France n'aurait sans doute pas l'une des toutes premières industries audiovisuelle et cinématographique du monde ! Mais une nouvelle ère s'ouvre pour l'audiovisuel.
I. LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE BOULEVERSE RADICALEMENT L'ÉCOSYSTÈME AUDIOVISUEL FRANÇAIS
La réforme du paysage audiovisuel français que propose le présent projet de loi n'est pas le fruit du hasard, mais constitue une réponse à une nouvelle donne, inédite dans l'histoire de la télévision.
En réalité, les grands médias audiovisuels sont profondément et durablement déstabilisés par un triple choc :
• le choc technologique de la convergence
numérique, d'abord : avec la multiplication des écrans, la
télévision n'a plus le monopole de l'image ; ensuite, avec
la multiplication des canaux de distribution, la diffusion hertzienne
traditionnelle n'a plus le monopole de la distribution programmée et
pourrait même devenir minoritaire dans le mode de réception de la
télévision (de plus en plus reçue par ADSL, par le
câble et bientôt la fibre) ;
• le choc des nouveaux usages, ensuite : la
télévision était familiale, elle devient de plus en plus
personnelle ; la télévision était une activité
sédentaire, elle devient mobile ; surtout, le
téléspectateur, qui avait déjà acquis la
liberté de « zapper », est désormais libre de
sa programmation (la télévision devient une
télévision à la demande,
délinéarisée). Mieux, l'individu prend le contrôle
de la programmation et devient même son propre producteur d'images, ce
que Jean d'Arcy
1
(
*
)
avait
prédit en novembre 1969 en parlant de la capacité des individus
à choisir les images qu'ils désirent recevoir ;
• le choc économique, enfin : la
démultiplication de l'offre -TNT, satellite, Internet- et des nouveaux
médias a entraîné une hyper fragmentation des audiences et
donc des ressources publicitaires : le chiffre d'affaires des
chaînes historiques diminue sous l'effet de l'explosion de l'offre et, en
quelques années, ces chaînes ont perdu plus du quart de leur
audience. A l'inverse, l'audience des nouvelles chaînes de la TNT
gratuites a quasiment doublé en un an.
Un nouvel ordre audiovisuel est en train d'émerger, dont il est inutile de se réjouir ou de se lamenter. Tout juste peut-on remarquer que ces évolutions sont en parfaite affinité avec l'individualisme démocratique. Mais elles remettent tout en question.
* 1 Alors responsable de l'Office de Radiodiffusion-Télévision Française.