B. LA PRISE EN COMPTE DE L'IMPACT DES NORMES SUR LES BUDGETS DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
1. Une prise en compte récente
La question de l'impact des contraintes normatives sur les dépenses des collectivités territoriales , déjà abordée par le rapport rendu par M. Pierre Richard en décembre 2006 11 ( * ) , a constitué l'un des thèmes principaux explorés par le groupe de travail présidé par notre collègue Alain Lambert , lequel a rendu son rapport en décembre 2007.
Ce dernier distingue deux types de normes : les normes techniques et les normes issues de l'activité législative et réglementaire de l'Etat.
Ainsi, l'activité législative et réglementaire de l'Etat au sens large , « excessive et parfois incohérente, notamment dans le domaine des compétences transférées, induit souvent des conséquences sur l'action des collectivités locales en termes de coûts, de procédures et d'organisation » .
En ce qui concerne les normes techniques, selon la typologie adoptée par le rapport de M. Pierre Richard, il y a lieu de distinguer :
- les règles techniques de portée obligatoire. D'origine nationale ou communautaire, elles sont prévues par des textes législatifs ou réglementaires ;
- les normes professionnelles, qui n'ont qu'une valeur indicative. Elles sont adoptées au sein des instances de normalisation (pour l'essentiel, l'AFNOR) et sont issues en grande partie de travaux supra nationaux (au sein du comité européen de normalisation ou de l' International Standard Organisation ) ;
- les règlements techniques discrétionnaires, émanant par exemple des fédérations sportives ou des organismes publics et parapublics financeurs, notamment dans le domaine de l'environnement.
La plupart des domaines d'action des collectivités locales sont touchés par la normalisation : eau, déchets, environnement, voirie, bâtiments, sécurité incendie, équipement scolaires, etc.
Pour le groupe de travail présidé par notre collègue Alain Lambert , « les conséquences [de l'« inflation normative » subie par les collectivités territoriales] en sont une multiplication des contraintes sans évaluation de leur bilan coût / avantage et un surcoût accentué par le fait que les financeurs n'ont pas ou peu de prise sur les décisions . Par exemple :
- en matière d'environnement, les contraintes et coûts associés se succèdent aussi bien sur le traitement des déchets (doublement des coûts de traitement entre 1992 et 2002 liés à la restriction des mises en décharge puis aux mises aux normes des incinérateurs pour fin 2005) que sur l'eau et l'assainissement ;
- en matière sociale, les lourdes interrogations - qui se font jour sur la capacité collective à faire face aux coûts induits par de nouveaux droits opposables ou de nouvelles obligations d'accessibilité (cf. loi handicap), dont une grande partie pèsent sur les collectivités locales - illustrent les failles des processus de décisions actuels ;
- en matière sanitaire et de sécurité alimentaire, les obligations normatives récentes induisent des surcoûts considérables, notamment pour les petites communes ».
Ce constat a conduit le groupe de travail à formuler une série de recommandations destinées à la fois à améliorer l'association des collectivités locales à la production réglementaire de l'Etat (dans une logique de régulation du « flux ») et à réexaminer le « stock » des règles techniques.
2. La mise en place de la commission consultative d'évaluation des normes (CCEN)
Comme le souligne le rapport d'Alain Lambert, « il est indispensable d'instaurer une discipline dans l'activité réglementaire de l'Etat dans le domaine des compétences des collectivités locales, y compris quand l'Etat choisit par voie réglementaire de rendre obligatoires des normes professionnelles. A l'heure actuelle, seuls les projets de décret à caractère financier sont soumis obligatoirement pour avis au CFL. La consultation des collectivités locales, systématique ou par pouvoir d'évocation, au sein du CFL ou d'un organe ad hoc pourrait être mise en place : c'est l'idée de la création d'une commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) avancée par le ministère de l'intérieur » .
Cette commission consultative d'évaluation des normes a été créée par l'article 97 de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 , au sein du comité des finances locales. Sa composition et son mode de fonctionnement ont été précisés par le décret n° 2008-994 du 22 septembre 2008. Ses membres ont été désignés le 25 septembre 2008 et elle a tenu sa première réunion le 9 octobre 2008 .
En vertu de l'article L. 1211-4-2 du code général des collectivités territoriales, la CCEN est composée de 22 représentants des administrations compétentes de l'Etat, du Parlement et des collectivités territoriales issus des membres titulaires du comité des finances locales. Parmi les représentants des collectivités locales figurent des représentants des communes, des départements, des régions et des établissements publics de coopération intercommunale.
La CCEN recevra communication de tous les projets ou propositions de réglementation nationale ou communautaire créant ou modifiant des normes imposées aux collectivités et à leurs établissements publics. Ses textes seront accompagnés d'un rapport de présentation et d'une fiche d'impact financier faisant apparaître les incidences financières directes et indirectes des mesures proposées pour les collectivités territoriales. La CCEN disposera d'un délai de cinq semaines (exceptionnellement ramené à 72 heures sur demande du Premier ministre), éventuellement reconductible, pour rendre, au vu de cette évaluation financière, son avis sur le texte dont elle sera saisie. Enfin, le président de la CCEN présentera chaque année au Comité des finances locales un bilan des travaux de cette instance, lequel sera communiqué aux membres de la commission consultative sur l'évaluation des charges (CCEC). En outre, la CCEN pourra être consultée sur tout projet de loi ou tout projet d'amendement du gouvernement concernant les collectivités territoriales, mais cette consultation est laissée à la discrétion du pouvoir exécutif.
La CCEN constitue ainsi désormais un acteur essentiel des relations entre l'Etat et les collectivités territoriales. Sa création va modifier sensiblement les pratiques des services administratifs qui doivent dorénavant intégrer l'impact sur les collectivités territoriales des normes produites, et ce dès leur adoption. En imposant des études d'impact financier systématiques, cette commission doit contribuer à limiter l'inflation normative et, ainsi, à mieux maîtriser les dépenses publiques.
Votre rapporteur ne peut que saluer la création de cette nouvelle instance de concertation, qui constitue la contrepartie indispensable de l'association plus étroite des collectivités territoriales à la maîtrise des finances publiques et à la responsabilisation accrue des acteurs locaux . Il souligne également que le rôle de cette nouvelle commission ne pourra que s'accroître avec l'entrée en vigueur des dispositions issues de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 : à partir du 1er mars 2009, l'article 39 de la Constitution disposera en effet que « la présentation des projets de loi déposés devant l'Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique » , laquelle pourrait rendre obligatoire la réalisation d'études d'impact préalablement à tout dépôt d'un projet de loi 12 ( * ) .
* 11 Solidarité et performance. Les enjeux de la maîtrise des dépenses publiques locales, Pierre Richard, décembre 2006.
* 12 Voir en ce sens les conclusions du rapport n°387 présenté le 11 juin 2008 par le président Jean-Jacques Hyest au nom de la commission des lois du Sénat.