C. LES QUESTIONS EN SUSPENS

1. Une question fondamentale pour l'avenir du programme et, au-delà, pour la protection des droits et libertés : quel périmètre d'intervention pour le futur Défenseur des droits ?

Rappelons que la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 a créé, en son article 41, un nouvel article 71-1 de la Constitution instituant un Défenseur des droits :

«  Art. 71-1.-Le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l'État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d'une mission de service public, ou à l'égard duquel la loi organique lui attribue des compétences.

« Il peut être saisi, dans les conditions prévues par la loi organique, par toute personne s'estimant lésée par le fonctionnement d'un service public ou d'un organisme visé au premier alinéa. Il peut se saisir d'office.

« La loi organique définit les attributions et les modalités d'intervention du Défenseur des droits. Elle détermine les conditions dans lesquelles il peut être assisté par un collège pour l'exercice de certaines de ses attributions.

« Le Défenseur des droits est nommé par le Président de la République pour un mandat de six ans non renouvelable, après application de la procédure prévue au dernier alinéa de l'article 13. Ses fonctions sont incompatibles avec celles de membre du Gouvernement et de membre du Parlement. Les autres incompatibilités sont fixées par la loi organique.

« Le Défenseur des droits rend compte de son activité au Président de la République et au Parlement. »

Poursuivant la réflexion engagée à travers le cycle d'auditions des autorités en charge de la protection des droits et liberté (2007-2008), votre rapporteur a consulté toutes les autorités administratives indépendantes relevant du programme ainsi que le Défenseur des enfants, afin de connaître leur position sur le champ de compétence du futur Défenseur des droits. Cette démarche paraissait d'autant plus nécessaire que le Parlement devrait être appelé, dans les prochains mois, à se prononcer sur le projet de loi organique définissant les attributions et les modalités d'intervention du Défenseur des droits, ainsi que, ultérieurement, sur le choix du titulaire de la fonction.

Rappelons, à cet égard, que la loi constitutionnelle se borne à indiquer, en son article 34, que le nouvel article 71-1 de la Constitution instituant le Défenseur des droits entre en vigueur dans les conditions fixées par la loi organique nécessaire à son application 9 ( * ) .

Interrogé par votre rapporteur sur le champ de compétence envisagé pour le Défenseur des droits et le calendrier prévisionnel d'examen du texte par le Parlement, le Gouvernement a répondu, sans plus de précisions , d'une part, que le « projet de loi organique est en cours d'élaboration » , d'autre part, que « s'il est possible de considérer d'ores et déjà que les domaines d'intervention du Médiateur de la République, de la CNDS, voire du Défenseur des Enfants sont susceptibles de constituer le socle du champ du Défenseur des Droits, des questions se posent encore sur la HALDE par exemple ». Il apparaît donc manifestement que les intentions du Gouvernement demeurent encore floues , ce qui justifie d'autant plus la réflexion engagée par le présent rapport.

a) Un point qui ne fait pas débat : l'évolution du Médiateur de la République en Défenseur des droits et le renforcement de ses pouvoirs

Le Gouvernement a précisé, lors de l'examen du projet de loi constitutionnelle précité devant le Parlement, que le Défenseur des droits se substituerait au Médiateur de la République.

Interrogé par votre rapporteur sur la création annoncée du Défenseur des droits, M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, a indiqué qu'il avait lui-même appelé de ses voeux une telle évolution lors de l'audition devant le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la V ème République (ci-après dénommé « comité Balladur »), et ce, compte tenu des pouvoirs reconnus à nombre d'Ombudsmans européens.

Le Médiateur a en effet précisé que la constitutionnalisation de son institution n'était pas une fin en soi et qu'elle n'avait de sens que si elle s'inscrivait dans une démarche d'approfondissement de ses attributions , citant, de manière non exhaustive, un « véritable pouvoir d'inspection », un « véritable pouvoir de sanction administrative », « le renforcement du pouvoir d'injonction », « le renforcement de la recommandation en équité » et la « capacité de demande d'avis du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel ».

Le Gouvernement semble souscrire à cette analyse, puisqu'il a évoqué, lors des débats parlementaires sur le projet de loi constitutionnelle, un Défenseur doté « d'une autorité morale et de pouvoirs renforcés » par rapport à ceux actuellement dévolus au Médiateur.

b) Approfondissement implique-t-il élargissement ?

Cet approfondissement « vertical » des missions du Médiateur va-t-il s'accompagner d'un élargissement « horizontal » de son périmètre d'intervention ? Autrement dit, de quelles instances , en dehors du Médiateur, le Défenseur des droits a-t-il vocation à reprendre les attributions ? Quels sont les avantages attendus de la réforme, que ce soit en termes de protection des droits et libertés ou d'économies budgétaires ?

Ces questions ont été posées par votre rapporteur à l'ensemble des autorités administratives indépendantes (AAI) figurant dans le programme « Protection des droits et libertés » ainsi qu'au Défenseur des enfants , dont les crédits relèvent, assez étonnamment, d'une autre mission (voir infra).

Il en ressort que, sans surprise, le Médiateur de la République, après avoir souligné « la particularité française d'avoir un très grand nombre AAI alors que ses homologues européens recouvrent des fonctions diverses », considère comme « logique », tant pour des « raisons budgétaires », que pour des « raisons de cohérence juridique », de « raisonner à périmètre large (Médiateur de la République, CADA, HALDE, Contrôleur général des lieux privatifs de liberté, CNDS, mais aussi Défenseur des enfants, voire CNIL... ) ». Il nuance toutefois son propos en relevant, d'une part, qu'il n'a pas de « position arrêtée » quant au périmètre qui devrait être retenu pour le futur Défenseur des droits, d'autre part, qu'il n'est pas « si facile » de procéder à l'unification de l'ensemble des instances citées.

1. Les points de consensus

* Les instances du programme « Protection des droits et libertés » qui sont, par nature, hors du champ de compétence du futur Défenseur des droits

Cinq AAI ont répondu qu'elles n'avaient pas vocation à fusionner au sein du futur Défenseur des droits .

Votre commission juge qu'une telle perspective serait, en effet, difficile et peu justifiée .

- La Commission consultative du secret de la Défense nationale

La Commission consultative du secret de la Défense nationale a répondu, fort logiquement, que « n'étant saisie que par des juridictions et sur des questions de déclassification, elle ne pouvait intégrer le Défenseur des droits et que d'ailleurs cette hypothèse n'avait même jamais été soulevée » .

- Le Comité consultatif national d'éthique

De même, le comité consultatif national d'éthique a répondu que disposant d'une compétence d'ordre général pour formuler des avis ou recommandations sur les questions de bioéthique, il n'avait pas « vocation à intégrer le futur Défenseur des droits , qui, aux termes de l'article 71-1 de la Constitution, peut être saisi par toute personne s'estimant lésée par le fonctionnement d'un organisme public ou privé ». Non seulement, le comité ne peut être saisi que par un nombre restreint d'instances (le Président de la République, les Présidents des Assemblées parlementaires, les membres du gouvernement, un établissement d'enseignement supérieur, un établissement public et une fondation reconnue d'utilité publique ayant pour activité principale la recherche, le développement technologique ou la promotion et la protection de la santé), mais en plus il se prononce sur des questions non nécessairement liées à des plaintes de personnes.

- La Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité

La Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, qui vérifie la légalité des autorisations d'interception accordées par le ministère de l'intérieur, n'est pas, par nature, concernée par la création du Défenseur des droits.

- Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA)

Le CSA a considéré, à juste titre, qu'en tant qu'autorité de régulation tournée vers le secteur économique, il n'était que « très peu concerné par la création du Défenseur des droits »

- La Commission nationale consultative des droits de l'homme

Enfin, la Commission nationale consultative des droits de l'homme, commission consultative dont les missions sont tournées vers le Gouvernement et le Parlement, n'a naturellement pas vocation à rejoindre le Défenseur des droits.

* Un point de consensus fort : attendre la fin du mandat du Contrôleur général des lieux de privation de liberté s'il fallait envisager une fusion avec le Défenseur des droits

Si le Comité Balladur a estimé que le Défenseur des droits avait vocation à reprendre tout ou partie des attributions du Contrôleur général des lieux de privation de liberté , position reprise par l'exposé des motifs du projet de loi de révision constitutionnelle, déposé à l'Assemblée nationale le 23 avril 2008, votre commission des lois, qui s'est réunie le 29 mai 2008 afin de donner son avis sur la candidature de M. Jean-Marie Delarue aux fonctions de Contrôleur général, a unanimement exprimé sa volonté de maintenir l' autonomie de cette institution, au moins jusqu'au terme du premier mandat de six ans du Contrôleur .

Lors de cette audition, M. Jean-Marie Delarue s'est lui-aussi déclaré hostile, pour le présent, à une fusion avec le Défenseur des droits, rappelant que le Contrôleur général avait été institué en 2007 à l'issue d'un débat approfondi, que les engagements internationaux de la France militaient en faveur d'un mécanisme de contrôle autonome et, enfin, que l'état de délabrement des prisons françaises, notamment décrit par le Sénat, requérait un traitement particulier 10 ( * ) .

Cette position « autonomiste » a finalement été approuvée par Mme Rachida Dati, garde des sceaux, lors de son audition par votre commission des lois le 3 juin 2008 sur le projet de loi constitutionnelle 11 ( * ) , puis confirmée dans une récente réponse à une question écrite posée par le député M. Michel Zumkeller 12 ( * ) .

D'une manière générale, le Gouvernement a fait part à votre rapporteur de son intention d'adopter une démarche « séquentielle et pragmatique », la loi organique pouvant « retenir dans un premier temps un périmètre relativement restreint pour l'adapter ensuite au vu de la pratique ».

* Un point, semble-t-il, déjà arbitré par le Gouvernement : l'intégration de la CNDS dans le Défenseur des droits

Outre le Médiateur de la République et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, l'exposé des motifs du projet de loi de révision constitutionnelle citait la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) parmi les instances susceptibles d'être intégrées au sein du futur Défenseur des droits.

Cette perspective appelle de fortes réserves de la part de son Président M. Roger Beauvois.

Entendu par votre commission le 16 avril dernier, ce dernier avait plaidé pour le maintien des différentes instances de défense des droits fondamentaux compte tenu de leur expérience et de leur savoir-faire , ajoutant que la disparition de la CNDS, reconnue par la Cour européenne des droits de l'Homme, serait mal perçue à l'étranger.

Votre rapporteur a tenu à ce que la CNDS indique si elle maintenait, six mois plus tard, cette position et que, le cas échéant, elle l'explicite davantage .

Tout en soulignant que la création d'un Défenseur des droits ne pouvait que « recevoir l'approbation de la CNDS », cette dernière a exprimé les préventions suivantes :

- la disparition de la CNDS et des missions qu'elle exerce constituerait une « régression inadmissible » tant sa mise en place, décidée par le législateur en 2000, a constitué une « avancée certaine pour la garantie des droits des citoyens, l'amélioration des rapports entre ceux-ci et les forces de sécurité, le respect par la France des obligations nées de l'adoption de normes internationales et en particulier de la convention européenne des droits de l'homme » ;

- si la CNDS a souligné, pour s'en réjouir, que ce premier scénario n'était pas envisagé, elle a exprimé la crainte que l'organe appelé à la remplacer ne présentât pas les mêmes garanties d'indépendance, de compétence, de pluridisciplinarité et de transparence , faisant tout d'abord valoir que l'indépendance était assurée par le mode de désignation des membres qui, outre des parlementaires (dont votre rapporteur), appartiennent aux trois plus hautes juridictions de l'Etat, ces membres de droit cooptant les six autres. « Ainsi sont réunies des personnalités qui, par leur statut et par la manière dont elles ont été nommées, ne sont soumises qu'à leur conscience » soutient la commission. Quant à sa compétence , elle résulte du choix de ses membres, ceux-ci ayant à la fois la connaissance des droits des citoyens ainsi que des règles applicables aux forces de sécurité et au fonctionnement de celles-ci. Par ailleurs, la pluridisciplinarité de la Commission, actuellement composée de parlementaires, de juristes, d'un professeur de médecine légale, d'un avocat, de professeurs d'université, d'un ancien haut responsable des services de police, est également un gage important de son efficacité. Enfin la publication des avis et recommandations avec les réponses des ministres concernés apporte la transparence et l'information des citoyens auxquelles une autorité administrative indépendante doit être tenue, conclut la CNDS.

Relayant ces mêmes inquiétudes, le député M. Michel Zumkeller, dans la question écrite précitée, s'est demandé si « l'intégration de plusieurs services dotés d'objectifs et de contraintes divers ne risquait pas de noyer l'efficacité et la visibilité » de la CNDS. En réponse, la garde des sceaux a rappelé que la loi constitutionnelle avait prévu que le Défenseur puisse être assisté d'un collège pour l'exercice de certaines attributions et qu'en conséquence, la mise en place d'un collège composé de personnes ayant des compétences particulières dans le domaine de la sécurité permettrait de pallier les risques invoqués.

2. Les points encore en débat

S'il semble acquis que le Gouvernement envisage de proposer au législateur organique de regrouper, au sein du futur Défenseur des droits, le Médiateur de la République et la CNDS, il apparaît plus hésitant sur la question de l'intégration de quatre autres autorités administratives indépendantes : la HALDE, la CNIL, la CADA et le Défenseur de enfants , autorités qui ont manifesté auprès de votre rapporteur de vives inquiétudes quant à la réforme à venir. Elles peuvent s'articuler autour de quatre idées essentielles ;

- la crainte de perte d' indépendance , l'autorité se transformant en « service » ou « département » sous le contrôle hiérarchique du Défenseur des droits ;

- la crainte d'une dégradation de leur visibilité et de leur notoriété , tant à l'égard des réclamants que de leurs partenaires européens, voire mondiaux. En effet, les quatre AAI susmentionnées ont souligné que leur intégration dans une grande administration contrarierait les efforts qu'elles ont déployés ces dernières années, d'une part, pour mieux faire connaître leur rôle et leur mission auprès du public, d'autre part, pour participer à des travaux de réflexion et d'harmonisation avec leurs homologues européens, voire extraeuropéens ;

- la crainte d'un alourdissement de la procédure , alors que ces autorités sont actuellement des structures légères, jouissant d'une forte réactivité ;

- la crainte d'une dilution de leur savoir-faire et de leurs compétences dans un ensemble généraliste ; en particulier, la CNIL, la HALDE et la CADA ont mis en avant la nature quasi-juridictionnelle de certaines procédures applicables devant elles, la HALDE et la CNIL ayant, en outre, souligné leur spécificité consistant à intervenir principalement dans le secteur privé .

La HALDE, la CNIL, la CADA et le Défenseur des enfants ont même contesté que la création d'un Défenseur des droits aux compétences larges puisse conduire à des économies budgétaires (par exemple par la mutualisation des moyens humains, matériels et immobiliers) ou à un meilleur service rendus aux usagers par la simplification du paysage administratif et un meilleur aiguillage des demandes. Sur le premier point, elles ont considéré que la modestie de leurs moyens et la spécificité de leurs missions n'offraient guère de perspectives de mutualisation. Sur le second, elles ont estimé être aujourd'hui bien connues du grand public et n'avoir aucune difficulté ni à se renvoyer mutuellement les réclamations adressées par erreur, ni à se rencontrer régulièrement pour échanger sur des sujets d'intérêt commun 13 ( * ) .

Sans prendre position, à ce stade, sur le périmètre exact du futur Défenseur des droits, votre commission objecte :

- que la création de plusieurs collèges chargés d'assister le Défenseur des droits dans l'exercice de certaines compétences peut constituer une réponse aux inquiétudes exprimées, à condition qu'elle préserve bien la spécificité et l'indépendance de chacune des autorités regroupées ;

- que l'usager est souvent dérouté par la profusion des instances en charge de la protection des droits en France, profusion que notre commission a de longue date déplorée ;

Votre commission reconnaît néanmoins :

- que le regroupement de certaines autorités administratives est une tâche particulièrement délicate compte tenu de la diversité des missions qui leur sont confiées ;

- que les avantages attendus en termes de mutualisation et d'amélioration de la protection des droits ne sont pas évidents . A cet égard, votre rapporteur s'étonne que le Gouvernement, interrogé sur les avantages qu'il escompte de la réforme, se soit contenté d'une réponse incantatoire : « Précisément, le Défenseur des Droits devrait avoir vocation à rassembler des domaines d'intervention gérés actuellement par des entités distinctes, dont on doit attendre des économies en terme de moyens, mais tout autant une amélioration de l'efficacité de son intervention au service du citoyen et de l'exercice de ses droits . » ;

- enfin que l'objectif, poursuivi par la création du Défenseur des droits, d'améliorer la protection des droits des usagers, risque de n'être pleinement satisfait que si la réforme s'accompagne, à l'instar de ce qui est envisagé pour le Médiateur de la République, d'un renforcement des moyens juridiques, humains et financiers des autorités regroupées. Votre rapporteur est ainsi sensible à l'analyse que lui a livrée la Commission nationale consultative des droits de l'homme : « en réalité, aujourd'hui, plus que la diversité des instances de protection des droits, c'est leurs moyens insuffisants qui grèvent leur fonctionnement ».

* La question de la HALDE

Le comité Balladur a considéré que le Défenseur des droits avait vocation à reprendre tout ou partie des attributions de la HALDE et de la CNIL .

Initialement, le projet de loi constitutionnelle paraissait pourtant exclure ces deux autorités du champ de compétence du futur Défenseur des droits en prévoyant que ce dernier ne pouvait être saisi que de réclamations mettant en cause le fonctionnement du service public .

Toutefois, à l'initiative de votre commission, le texte proposé par le projet de loi pour l'article 71-1 de la Constitution a été complété pour « garder la possibilité de regrouper, au sein de ce Défenseur, des autorités administratives indépendantes compétentes non seulement à l'égard du service public, mais aussi à l'égard du secteur privé. » 14 ( * )

La HALDE peut donc juridiquement rejoindre le futur Défenseur des droits. Elle s'est toutefois opposée à une telle évolution , au travers de trois arguments principaux :

- en premier lieu, elle a craint, comme la CNDS, que son rattachement au Défenseur des droits ne conduise à une « dilution de sa spécialisation » ;

- elle a par ailleurs fait valoir qu'elle exerçait 70 % de son activité (traitement des réclamations et actions de promotion de l'égalité) en direction du secteur privé alors que le Défenseur des droits a surtout vocation, a-t-elle observé, à intervenir dans la sphère publique ;

- enfin, elle a mis en avant la compétence, acquise par la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances, de prononcer une sanction transactionnelle , expliquant que, dans ce cadre, la HALDE pouvait conduire une enquête, retenir une qualification pénale, proposer une amende et, en cas d'accord entre les deux parties, demander au ministère public d'homologuer la transaction. La HALDE a estimé que cette compétence particulière militait en faveur d'une autonomie de l'institution .

* La question de la CNIL

Comme la HALDE, la CNIL qui pourrait, au terme de la rédaction finalement retenue pour l'article 71-1 de la Constitution, rejoindre le futur Défenseur des droits, s'est opposée à une telle perspective .

M. Alex Türk, président de la CNIL, a présenté comme une « évidence » que sa commission ne pouvait pas être concernée par la création du Défenseur des droits, et ce pour quatre raisons essentielles :

- en premier lieu, l'existence d'une instance indépendante chargée spécifiquement d'assurer la protection des données est une exigence communautaire , qui résulte de la directive n° 95/46 du 24 octobre 1995 inspirée, d'ailleurs, très largement du modèle français. La CNIL souligne d'ailleurs que les 27 autorités indépendantes que compte l'Union européenne sont exclusivement dédiées à la protection des données , à l'exception des CNIL allemandes et britanniques qui exercent également la mission dévolue, en France, à la CADA, et ajoute qu'aucune d'entre elles n'est placée sous la tutelle, ni absorbée, par l'autorité de médiation lorsqu'elle existe (Défenseur du peuple espagnol ou ombudsman suédois) ;

- en second lieu, le « démantèlement » de la CNIL mettrait à mal sa visibilité et sa notoriété acquises auprès de ses partenaires francophones et européens, étant rappelé que la CNIL est membre de l'organisation des « CNIL européennes » (M. Alex Türk vient même d'en être nommé Président en avril dernier) et de l'association francophone des autorités de protection des données ;

- par ailleurs, la CNIL consacre aujourd'hui l'essentiel de son travail à des actions de régulation dans le secteur privé 15 ( * ) , ce qui ne lui paraît guère conforme à l'esprit dans lequel devra travailler le futur Défenseur des droits ;

- enfin, depuis février 2008, le Conseil d'État a admis que la CNIL avait, depuis la loi du 6 août 2004, un véritable rôle juridictionnel dans le cadre de sa formation restreinte 16 ( * ) , tandis que le Défenseur des droits est appelé à jouer essentiellement un rôle de Médiation.

* La question du Défenseur des enfants

Dans ses conclusions, le comité Balladur cite le Défenseur des enfants au nombre des autorités susceptible de rejoindre le futur Défenseur des droits.

Lors de son audition par votre commission, Mme Dominique Versini, Défenseure des enfants, a indiqué ignorer les intentions du Gouvernement quant au périmètre de compétence du futur Défenseur des droits, mais a jugé impératif qu'en tout état de cause cette création préserve l'indépendance, la spécificité, la visibilité et la souplesse de fonctionnement du Défenseur des enfants .

Répondant au questionnaire adressé par votre rapporteur, elle a, en particulier, insisté sur la spécificité propre à la défense des droits des enfants, soulignant que la plupart des grands pays d'Europe disposent d'une institution spécialisée dans la défense des droits des enfants , distincte du Médiateur, de l'Ombudsman ou du Défenseur du Peuple ou des Citoyens. Il en est ainsi dans la plupart des pays parmi les plus avancés en matière de droits de l'enfant comme la Belgique, le Luxembourg, le Danemark ou l'Islande. Elle a par ailleurs rappelé les termes de l'observation formulée le 15 novembre 2002 par le Comité des droits de l'enfant des Nations Unies :

« Des raisons supplémentaires existent de veiller à ce que les droits fondamentaux des enfants bénéficient d'une attention spéciale. À leur nombre figurent les faits suivants : l'état de développement des enfants les rend particulièrement vulnérables aux violations des droits de l'homme; leurs opinions sont rarement prises en considération; la plupart des enfants ne votent pas et ne peuvent jouer de rôle significatif dans le processus politique déterminant l'action du Gouvernement dans le domaine des droits de l'homme; les enfants éprouvent de grandes difficultés à recourir au système judiciaire pour protéger leurs droits ou obtenir réparation en cas de violation de leurs droits; l'accès des enfants aux organismes susceptibles de protéger leurs droits est en général limité. »

Mme Dominique Versini a également mis en avant la nécessité de préserver tant l'indépendance que la visibilité internationale de l'institution , expliquant que les principes de Paris, adoptés par l'ONU en 1993, exigeaient une stricte indépendance des Médiateurs pour enfants, et qu'à ce titre, le réseau européen des Médiateurs pour enfants ENOC (European Network of Ombudspersons for Children), dont fait actuellement partie le Défenseur des enfants, excluait les instances de protection des enfants ne présentant pas des garanties d'indépendance suffisantes, telles que le Commissaire anglais pour les enfants.

Par ailleurs, votre rapporteur considère que, quelle que soit la décision prise par le législateur organique sur la question du rattachement du Défenseur des enfants au Défenseur des droits, l'actuelle affectation budgétaire du Défenseur des enfants à la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » constitue une anomalie et souhaite, en conséquence, que le Gouvernement modifie l'année prochaine la maquette budgétaire sur ce point . Il rappelle, à cet égard, que la loi n° 2000-196 du 6 mars 2000 instituant un Défenseur des enfants avait initialement prévu, en son article 12, l'inscription des crédits de l'institution au budget du Premier ministre , comme les autres autorités administratives indépendantes en charge de la protection des droits, mais que le gouvernement avait considéré, lors de l'entrée en vigueur de la LOLF (projet de loi de finances pour 2005), que la Défenseure des enfants mettait en oeuvre une action « se rattachant au programme du ministère des affaires sociales et de la famille ».

* La question de la CADA

La CADA a indiqué que la perspective d'un rapprochement avec le Défenseur des droits soulevait des objections de plusieurs ordres .

Elle a tout d'abord rappelé qu'elle avait compétence pour rendre un avis sur le caractère communicable ou non d'un document administratif et n'était, en conséquence, pas chargée, comme le futur Défenseur des droits, de régler les litiges soulevés par des personnes « s'estimant lésées par le fonctionnement d'un service public ». Votre rapporteur est peu sensible à ce premier argument : en effet, l'usager ne saisit la CADA que parce qu'il s'est vu opposer un refus de communication d'un document par une administration ; à ce titre on peut tout à fait considérer qu'il s'estime « lésé par le fonctionnement d'un service public ».

Le reste de l'argumentation de la CADA apparait plus convaincant . Elle est fondée sur deux idées principales : la spécificité de sa mission et sa forte réactivité :

En premier lieu, l'accès aux documents administratifs est régi par de nombreux textes , auxquels ont été ajoutés récemment ceux relatifs à l'environnement et à la sûreté nucléaire, pour lesquels la CADA est également compétente pour se prononcer. En outre, l'ordonnance du 6 juin 2005 confère à la CADA un pouvoir de sanction en cas de réutilisation des informations publiques non conforme aux conditions fixées par la loi ou par la licence accordée en application de celle-ci. Comme la CNIL, la CADA a estimé que ce pouvoir de sanction, qui met en oeuvre une procédure quasi-juridictionnelle , ne pourrait pas être exercé par le Défenseur des droits.

En second lieu, la CADA a fait valoir qu'elle était petite structure administrative réactive et efficace . Son délai d'intervention, de l'ordre de 35 jours, particulièrement court par rapport aux procédures administratives ou contentieuses habituelles, est une garantie essentielle pour l'exercice du droit d'accès aux documents administratifs, car le retard pris dans la communication d'un document peut en réduire considérablement l'intérêt. Or, la CADA craint que son rattachement au Défenseur des droits ne mette à mal sa réactivité.

* 9 La date butoir du 1 er mars 2009, qui concerne de nombreuses dispositions de la réforme constitutionnelle, ne lui est donc pas applicable.

* 10 Le compte-rendu de l'audition de M. Jean-Marie Delarue est disponible sur Internet : http://www.senat.fr/bulletin/20080526/lois.html#toc13 .

* 11 Le compte-rendu de l'audition de Mme Rachida Dati est disponible sur Internet : http://www.senat.fr/bulletin/20080602/lois.html#toc4 .

* 12 Question n° 26236 posée le 1 er juillet 2008 par M. Michel Zumkeller au ministère de la justice ; réponse de ce dernier le 21 octobre 2008. La question et la réponse sont disponibles sur Internet : http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-26236QE.htm .

* 13 Ainsi le Défenseur des enfants rencontre une fois par an le Médiateur de la République et la HALDE.

* 14 L'amendement précisait que le Défenseur pouvait être saisi de réclamations mettant en cause non seulement le fonctionnement du service public mais également de demandes relatives aux organismes à l'égard desquels la loi organique lui reconnaîtra des compétences (cf page 48 du rapport n° 387 (2007-2008) de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois, déposé le 11 juin 2008, sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République).

* 15 La CNIL estime à 70 % la part de son activité tournée vers le secteur privé, ce chiffre étant appelé à progresser avec la publication attendue du décret sur la labellisation.

* 16 Lors de son audition, M. Alex Türk, président de la CNIL, a présenté le rôle dévolu à la formation restreinte qu'il préside. Composée de six membres de la CNIL, elle peut infliger des sanctions financières, les rendre publiques, ordonner leur insertion dans la presse en cas de mauvaise foi du contrevenant, ordonner la suspension du traitement et retirer son autorisation. Depuis l'entrée en vigueur progressive de ces nouveaux pouvoirs, elle a prononcé près de 20 sanctions et 300.000 euros d'amende au total. La procédure suivie devant la formation restreinte est contradictoire et, conformément aux règles du procès équitable issues de la jurisprudence du Conseil d'Etat et de la Convention européenne des droits de l'homme, le rapporteur ne participe pas au délibéré, qui est secret. Désormais conscientes des enjeux, les personnes mises en cause se font désormais, de manière quasi systématique, assister d'avocats, dont nombre d'entre eux viennent plaider en robe. Enfin, a-t-il précisé, les décisions de sanction de la CNIL peuvent faire l'objet d'un recours de plein contentieux devant le Conseil d'Etat, qui a reconnu en février 2008 le caractère juridictionnel de la CNIL et aura à connaître de cinq décisions de cette dernière dans les prochains mois.

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