III. LE LOGEMENT
Les moyens consacrés à la politique du logement, qui sont ceux de l'ancienne « ligne budgétaire unique » (LBU) gérée depuis 1998 par le ministère chargé de l'outre-mer, figurent à l'action 01 du programme 123 « Conditions de vie outre-mer ».
Votre rapporteur pour avis avait consacré l'an dernier son avis sur le budget 2006 à la politique du logement outre-mer, qui doit, comme celle de l'emploi, faire face à des difficultés spécifiques :
- l'insuffisance de l'offre, en particulier dans le secteur du logement social et très social, qui reste inadaptée à l'augmentation continue de la demande résultant de la croissance démographique, de la « décohabitation », du vieillissement de la population (aux Antilles) et de la pression migratoire ;
- l'importance de l'habitat insalubre et la prolifération de « l'habitat spontané » ;
- les risques sismiques et climatiques ;
- la rareté et la cherté du foncier, dues à des contraintes physiques mais aussi aux effets pervers de la défiscalisation.
Depuis, le rapport de la mission d'audit de modernisation sur la politique du logement social outre-mer mandatée par le ministère de l'économie et des finances et le contrôle budgétaire de l'efficacité des politiques du logement outre-mer effectuée par le rapporteur spécial de la commission des Finances du Sénat, notre collègue Henri Torre, ont révélé toute la gravité de la situation.
Pour le court terme, votre rapporteur pour avis constate, avec regret, que face à un constat accablant, les réponses apportées par le projet de budget, en dépit des mesures supplémentaires annoncées par le Premier ministre lors de son récent déplacement en Guadeloupe, ne paraissent pas être à la mesure du problème.
A plus long terme, les solutions envisagées ne sont pas non plus très convaincantes.
A. LE CONSTAT DRESSÉ PAR LA MISSION D'AUDIT SUR LE LOGEMENT SOCIAL
La mission d'audit de modernisation sur la politique du logement social outre-mer a dressé un constat accablant de la gestion des crédits de la LBU et des effets pervers de la défiscalisation des investissements dans le secteur du logement. Elle propose en outre une évaluation du besoin de financement public du logement social qui s'écarte assez largement des moyens actuels.
1. La gestion des moyens budgétaires
Le rapport de la mission porte un jugement sévère, qui confirme d'ailleurs les analyses des élus d'outre-mer, sur la gestion de la contrainte budgétaire « par la réduction drastique des seuls crédits de paiement ». Il relève que la méthode suivie, qui consiste à « faire le grand écart » entre un niveau élevé des autorisations d'engagement, censé satisfaire l'outre-mer, et un niveau insuffisant de crédits de paiement, qui satisfait la direction du budget, « ne saurait tenir lieu de politique ».
La mission constate qu'il en est résulté un reste à payer sur le total des opérations en cours qu'elle a chiffré, au 31 décembre 2005, à près de 800 millions d'euros. Sur la base de cette estimation, elle évalue à un montant de l'ordre de 450 à 500 millions d'euros par an les financements à trouver sur les trois années 2006, 2007 et 2008.
Quant au retard de paiement, c'est-à-dire les factures reçues et validées mais non payées, son montant était estimé à la même date à 60 millions d'euros par le ministère de l'outre-mer. Selon les chiffres donnés par le Premier ministre en Guadeloupe, il atteindrait 113 millions d'euros au 31 décembre 2006.
La mission insiste sur les difficultés que crée la dette de l'Etat pour les opérateurs et le BTP, notamment pour « les petites entreprises et artisans employés à la réhabilitation de logements individuels et les structures associatives » et souligne que « le crédit de l'État s'en trouve gravement affecté ». Elle estime donc nécessaire un règlement sans délai de la dette fournisseur de l'Etat.
2. Les effets pervers de la défiscalisation
La mission d'audit note que « les dispositifs de défiscalisation, s'ils ont incontestablement permis de créer des emplois, n'ont, à ce jour, pas permis de produire du logement social », ce qui n'est pas surprenant, et qu'ils ont « engendré des effets défavorables sur le marché du logement ».
Elle remarque que la défiscalisation bénéficiant aux personnes physiques (réduction de l'impôt sur le revenu) permet le financement de tous les types de logements, mais qu'elle s'est orientée principalement vers les secteurs intermédiaire et libre. Quant à la défiscalisation bénéficiant aux sociétés, elle ne concerne que le secteur intermédiaire mais porte sur un volume d'investissement beaucoup plus faible.
Tout en soulignant la difficulté d'évaluer les effets de la défiscalisation sur l'impôt sur le revenu, qui n'est que rarement soumise à un accord préalable et qui ne fait par ailleurs l'objet d'aucun enregistrement statistique, la mission considère que les opérations de défiscalisation créent « un effet d'éviction majeur » à l'égard des opérations de logement social :
- en contribuant à la raréfaction du foncier et à son renchérissement ;
- en mobilisant les entreprises du BTP, qui « ne répondent plus que difficilement aux appels d'offres des opérateurs sociaux ».
Au total, tout en reconnaissant que l'investissement défiscalisé dans le secteur du logement a pu, à La Réunion par exemple, avoir, comme le « Robien » en métropole, un effet sur la stabilisation du niveau des loyers, la mission conclut que cet investissement, plus coûteux au demeurant pour l'Etat que la dépense budgétaire, « relève davantage d'un comportement patrimonial, porté par des investisseurs et des promoteurs métropolitains ou ultramarins, que d'un objectif de développement d'un parc de logements adaptés aux besoins des DOM ».
3. L'évaluation des besoins de financement
La mission relève la nécessité d'une évaluation plus précise des besoins, cette évaluation variant entre 50 et 90.000 logements 6 ( * ) .
En se fondant sur le taux de logements sociaux par habitant qui devrait résulter en métropole de l'application du plan de cohésion sociale, soit environ 7.500 logements locatifs sociaux pour 100.000 habitants, la mission estime qu'il faudrait, pour atteindre le même ratio dans les DOM (où il est actuellement environ d'environ 6.000/100.000), accroître le parc de 27.000 logements, sachant que ce chiffre est inférieur aux besoins, en raison de la forte proportion de la population des DOM pouvant prétendre à un logement social. Mais le rythme annuel moyen de production a été, sur les six dernières années, d'environ 4.200 logements autorisés.
En tenant compte d'une extension outre-mer du plan de cohésion sociale, elle parvient à une estimation d'un besoin de financement public annuel de 307 millions d'euros sur cinq ans, soit 37 millions de plus que les moyens d'engagement en 2005 et 2006, en se fondant sur les hypothèses suivantes :
- la production annuelle de 5.400 logements locatifs sociaux environ, permettant de réaliser sur cinq ans l'extension aux DOM et à Mayotte du volet logement du plan de cohésion sociale ;
- la production annuelle de 1.650 logements en accession sociale et la réhabilitation de 5.000 autres logements ;
- la prise en charge d'une aide à la surcharge foncière.
Le tableau ci-après résume ces estimations.
EVALUATION DES BESOINS DE FINANCEMENT ANNUELS D'UN PLAN
DE COHÉSION
SOCIALE ÉTENDU AUX DOM (Y COMPRIS
MAYOTTE)
Nombre |
Aide publique moyenne nécessaire
|
Besoin de
|
|
Locatif social |
5 400 |
25 000 |
135 |
Accession sociale |
1 650 |
25 500 |
42 |
Réhabilitation : propriétaires occupants |
3 000 |
10 000 |
30 |
propriétaires privés-bailleurs |
1 000 |
15 000 |
15 |
parc social |
1 000 |
6 000 |
6 |
Intervention publique dans zones RHI |
/ |
/ |
25 |
Aide à la surcharge foncière des 5.400 logements locatifs sociaux |
5 400 |
10 000 |
54 |
TOTAL |
307 |
Source : mission d'audit de modernisation sur la politique du logement social outre-mer.
* 6 La mission cite aussi les réponses du ministère à des questionnaires parlementaires faisant état de la nécessité de produire 15.000 logements sociaux neufs par an, mais sans préciser sur quelle durée.