II. LE DIVIDENDE NUMÉRIQUE, UN BIEN PUBLIC STRATÉGIQUE DONT L'AFFECTATION MÉRITE D'ÊTRE ENCADRÉE
La diffusion numérique, qui repose sur la transmission des images et des sons selon un mode binaire -0 ou 1-, est moins consommatrice en fréquences que la diffusion analogique. Ainsi, alors que la diffusion de chaque chaîne de télévision en analogique exige une fréquence, une même fréquence permettra, en numérique, la diffusion de six chaînes de télévision, en définition standard et selon les normes de compression les plus couramment utilisées -Mpeg 2-. Cette avancée technologique est particulièrement importante dans la mesure où le spectre radioélectrique constitue, par nature, une ressource limitée, et qu'il fait en outre, notamment sur la bande UHF concernée, l'objet d'une demande croissante.
La Télévision numérique terrestre induira donc une meilleure utilisation du spectre et l'extinction de la diffusion analogique permettra, à terme, de dégager une ressource supplémentaire en fréquences, communément appelée « dividende numérique ».
Ce dividende numérique convoité reste toutefois difficile à appréhender, et vos rapporteurs pour avis ont pu, au cours des auditions, avoir le sentiment que son évaluation par les différents acteurs pouvait aller du simple au double. Si l'on peut le regretter, ce flottement autour de la taille du dividende numérique semble inévitable pour plusieurs raisons.
A. UN DIVIDENDE NUMÉRIQUE DIFFICILE À ESTIMER
Pour mieux cerner le dividende, il convient d'abord de se fonder sur les résultats de la Conférence de Genève qui s'est tenue en juin 2006 pour organiser au plan international le paysage de la diffusion hertzienne le jour où l'analogique aura disparu. En effet, les fréquences ignorent les frontières puisque leur capacité de brouillage rayonne jusqu'à 200 kilomètres, ce qui signifie qu'elles brouillent quatre fois plus loin qu'elles ne couvrent (en mer, où aucun obstacle ne freine la propagation des ondes, ce rapport entre couverture et brouillage peut même être de dix). Pour notre pays, les « frontières hertziennes » résultent de coordinations bilatérales, canal par canal, puissance par puissance, avec une vingtaine d'autres Etats souverains.
1. De 7 ou 8 couches de couverture hertzienne nationale identifiées à Genève en juin 2006...
L'Union internationale des Télécommunications (UIT) organise, pour des sujets dont l'application peut être clairement limitée à une partie seulement de la Terre, des conférences dites conférences régionales des radiocommunications (CRR). Ces conférences élaborent des plans d'utilisation des fréquences dont l'objectif est de définir de façon équitable les ressources spectrales attribuées à chaque pays.
Dans ce cadre, avait été décidé en 1961, à Stockholm, un plan de radiodiffusion télévisuelle et sonore pour la zone européenne . Cet accord de Stockholm reposait sur la technologie de l'époque (normes PAL et SECAM) et préparait l'avènement de la télévision en couleurs. Il a autorisé, pendant 45 ans, le déploiement, dans chacun des pays d'Europe de l'Ouest, de trois réseaux nationaux cohérents pour une couverture géographique complète (99 % de la population) : ces trois « couches » de couverture hertzienne dans la bande UHF sont devenues les réseaux de TF1, France 2 et France 3. Sa souplesse a également permis, grâce à des coordinations régulières, d'ajouter des réseaux supplémentaires aux réseaux initiaux : ainsi, en France, deux réseaux supplémentaires (France5/Arte et M6) ont été ajoutés dans la bande UHF avec, toutefois, des restrictions importantes aux frontières. L'accord de Stockholm a néanmoins dû être adapté en 1997 aux nouvelles caractéristiques techniques de la norme européenne DVB-T retenue pour la Télévision numérique de terre. Mais il a ensuite rapidement montré ses limites en raison des nouvelles planifications que permet la norme DVB-T, notamment le déploiement de réseaux isosynchrones (SFN).
C'est pourquoi sa révision a été décidée en 2002. En mai 2004, la première session d'une nouvelle conférence régionale des radiocommunications chargée de planifier l'usage des bandes de fréquences III (actuellement utilisée principalement pour le réseau de diffusion de Canal+), IV et V (dites aussi « bande UHF », utilisées pour les autres chaînes analogiques et pour la TNT) a précisé les critères techniques pour la planification et les scénarios de transition de l'analogique au numérique. La seconde session, tenue à Genève en juin 2006 , a approuvé le nouveau plan de fréquences pour le service de radiodiffusion numérique de Terre, qui prend la forme d'un immense puzzle avec des accords réciproques pour 78.000 fréquences au total, dont 2.113 pour la France.
La France y a obtenu, dans la bande UHF, sept couches DVB-T de couverture complète du territoire, et une huitième couche à 80 % (des zones au voisinage des frontières du nord-est n'ayant pu être pourvues). Six couches sont principalement planifiées pour assurer une réception fixe, les autres devant être en réception mobile.
Chacune de ces couches permettra la diffusion d'un multiplex -transport de plusieurs signaux sur la même fréquence- selon la norme de modulation DVB-T sur l'ensemble de la France. Sept ou huit multiplex sont donc assurément identifiés comme constituant le dividende numérique. Mais ce n'est évidemment qu'à l'arrêt complet de l'émission analogique que les ressources promises par la conférence de Genève se libèreront.