B. DES RÉFORMES DE LA FISCALITÉ LOCALE QUI RÉDUISENT LES MARGES DE MANoeUVRE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

1. Une réforme de la taxe professionnelle justifiée mais qui pénalise les collectivités territoriales

a) Une réforme nécessaire

Afin de proportionner le montant de la taxe professionnelle acquittée par les entreprises à leur capacité contributive, la cotisation de taxe professionnelle est plafonnée, en fonction du chiffre d'affaires de l'entreprise, à 3,5 %, 3,8 % ou 4 % de la valeur ajoutée.

Le plafonnement n'est pas calculé par rapport à la cotisation de taxe professionnelle réellement acquittée mais par rapport à une cotisation de référence calculée à partir des taux en vigueur en 1995. Ce dégrèvement est plafonné à 76,25 millions d'euros.

Le montant du dégrèvement ainsi calculé est entièrement pris en charge par l'État. La part de cotisation induite par les augmentations des taux d'imposition depuis 1995 reste à la charge des entreprises.

Par ailleurs, le dégrèvement pour investissement nouveau institué par la loi de soutien à la consommation et à l'investissement du 9 août 2004 puis prorogé par la loi de finances pour 2005 afin de libérer la capacité d'investissement des entreprises ne s'applique qu'aux investissements productifs réalisés jusqu'au 31 décembre 2005.

Dans son rapport, remis au Premier ministre en décembre 2004, la Commission présidée par M. Olivier Fouquet a longuement détaillé les dysfonctionnements du système actuel.

Les entreprises fortement capitalistiques subissent une charge excessive au regard de leur capacité contributive . Compte tenu du mode de calcul du plafonnement en fonction des taux de 1995 (pour plusieurs centaines d'entreprises), la charge fiscale réelle représente aujourd'hui 10 % ou plus de la valeur ajoutée.

Les taux de taxe professionnelle ont globalement augmenté de 1,5 point en cinq ans, le taux moyen passant de 22,6 % en 1998 à 24 % en 2003. Ces augmentations ont conduit à alourdir la charge fiscale pesant sur les entreprises mais aussi à augmenter la participation financière de l'État à travers le dégrèvement au titre du plafonnement en fonction de la valeur ajoutée : l'État assume aujourd'hui 34 % du produit global de taxe professionnelle perçu par les collectivités. Cet impôt perd donc progressivement son caractère local.

Enfin, en taxant les immobilisations dès leur mise en oeuvre, elle pénalise les investissements avant même qu'ils soient productifs. Ceci est non seulement pénalisant pour les entreprises qui investissent mais constitue aussi un facteur d'affaiblissement de l'attractivité du territoire français.

b) Les conclusions de la « commission Fouquet »

Dans la mesure où les inconvénients du régime actuel sont essentiellement occasionnés par la taxation des équipements et biens mobiliers, la « commission Fouquet » proposait la suppression de cet élément d'assiette. En revanche, elle proposait de conserver l'élément de l'assiette constitué par la valeur locative foncière, qui assure un lien direct entre la localisation physique des entreprises et l'imposition. La taxe professionnelle aurait ainsi pu être remplacée par deux impositions distinctes : une imposition assise sur la valeur ajoutée , et une imposition assise sur les valeurs locatives foncières .

Afin de restaurer un lien fiscal fort entre territoires et entreprises, il était indispensable que la nouvelle assiette d'imposition soit entièrement localisable sur le territoire de chaque collectivité territoriale. Cette contrainte impliquait que la valeur ajoutée, qui est calculée au niveau de l'entreprise, soit ventilée entre les différents établissements en fonction d'une clé de répartition complexe définie par référence à des éléments représentatifs et localisés des facteurs de production tels que la valeur locative foncière et les effectifs.

S'agissant des taux, les collectivités territoriales ont souhaité pouvoir continuer à voter un taux local d'imposition afin de conserver la maîtrise du niveau de leurs ressources fiscales. La commission proposait donc que le taux de l'imposition assise sur la valeur ajoutée soit fixé par chaque collectivité dans les limites d'un taux plancher et d'un taux plafond, cette fourchette étant décidée au niveau national et fixée pour chaque niveau de collectivité. Cet encadrement national des taux d'imposition (« tunnellisation ») est apparu nécessaire afin de limiter les écarts de taux entre territoires et d'éviter l'apparition, localement, de situations de surimposition ou de sous-imposition.

La commission proposait une mise en oeuvre très progressive de la réforme, sur une période de 10 ans, afin de lisser son impact sur la charge fiscale supportée par les entreprises.

Pour les collectivités territoriales, une contrainte forte devait être respectée : chacune devait disposer après la réforme d'un montant de ressources équivalent, toutes choses égales par ailleurs, à celui dont elle disposait avant la réforme. Or, dans la mesure où la mise en oeuvre de la réforme se traduirait par d'importants transferts de base imposable entre collectivités, principalement du fait du changement d'assiette, la commission proposait de mettre en place un mécanisme complexe de compensation permettant de neutraliser les pertes de produit de toutes les collectivités perdantes.

Les principales difficultés posées par cette réforme sont les suivants :

- la réintroduction des salaires dans l'assiette de l'impôt par le biais de la valeur ajoutée pourrait pénaliser l'emploi ;

- la complexité du mécanisme de « tunnellisation » des taux et les effets pervers qu'il engendrerait ;

- le grand nombre d'entreprises « perdantes ». Le scénario retenu par la « commission Fouquet » aurait engendré d'importants transferts financiers entre secteurs économiques au détriment des services. 540.000 entreprises auraient vu leur cotisation augmenter de plus de 10 %. 400.000 entreprises auraient risqué de voir leur cotisation augmenter de plus de 50 %.

Compte tenu de ces éléments, une réforme d'une telle ampleur n'aurait pu être mise en oeuvre que si elle avait fait l'objet d'un large consensus. Le Gouvernement a constaté que tel n'était pas le cas.

c) La réforme proposée

Conformément au souhait du Président de la République, l'article 67 du projet de loi de finances pour 2006 tend à réformer la taxe professionnelle pour atteindre, selon le Gouvernement, un triple objectif :

- assurer à toutes les entreprises un niveau de cotisation en rapport avec leurs capacités contributives ;

- « responsabiliser » les collectivités locales en refaisant de la taxe professionnelle un impôt local ;

- alléger durablement la charge pesant sur les entreprises qui investissent.

Pour mieux tenir compte des capacités contributives des entreprises, le projet de loi prévoit de rendre effectif le mécanisme de plafonnement en fonction de la valeur ajoutée.

Désormais, quel que soit leur chiffre d'affaires, les entreprises seraient assurées que le montant de leur cotisation de taxe professionnelle, calculée sur le taux de l'année courante, n'excède pas 3,5 % de leur valeur ajoutée . Le plafond de 76,25 millions d'euros resterait inchangé.

L'Etat financerait la part du dégrèvement correspondant à la différence entre la cotisation de taxe professionnelle, telle qu'elle découlerait des taux applicables en 2004, et 3,5 % de la valeur ajoutée.

Environ 155 000 entreprises, aujourd'hui plafonnées en fonction de la valeur ajoutée, bénéficieraient de cette mesure. Environ 50.000 nouvelles entreprises pourraient en bénéficier à l'avenir. L'allégement de charge fiscale correspondant serait de 1,4 milliard d'euros.

Afin d'associer les collectivités territoriales et leurs établissements publics de coopération intercommunale au principe de limitation de l'impôt, y compris local, aux facultés contributives des entreprises, il est proposé qu'elles prennent à leur charge la part du dégrèvement correspondant aux hausses de taux depuis 2004.

Concrètement, en cas de hausse des taux, elles bénéficieraient du supplément de recette au titre des entreprises non plafonnées mais pas au titre des entreprises plafonnées.

Les collectivités continueraient évidemment à bénéficier du dynamisme des bases d'imposition des entreprises implantées sur leur territoire.

Enfin, pour encourager les entreprises à renouveler leurs investissements productifs, le projet de loi de finances prévoit de pérenniser le dégrèvement pour investissement nouveau pour toutes les immobilisations neuves éligibles à l'amortissement dégressif créées ou acquises à compter du 1 er janvier 2006 . Le dégrèvement s'appliquerait désormais pendant trois ans à hauteur de 100 % de la valeur du bien la première année, 2/3 la deuxième année et 1/3 la troisième année.

Compte tenu des hausses de taux observées en 2005, le montant à la charge des collectivités locales est estimé par le Gouvernement à 469 millions d'euros. Seules les collectivités qui auront maintenu leur taux 2007 au-dessus des taux 2004 acquitteraient un « ticket modérateur ».

Avant le vote de ses taux, la collectivité serait informée du pourcentage de ses bases d'imposition rattachées à des entreprises plafonnées l'avant-dernière année précédant celle de l'imposition. La refacturation partielle du plafonnement ne pourrait aller au-delà de ce pourcentage.

Cette réforme n'est pas sans susciter des difficultés. Comme l'a relevé le Comité des finances locales en septembre 2005, la moitié des bases relèvent d'ores et déjà d'entreprises plafonnées . Or, la répartition de ces entreprises est très inégale : si un territoire dispose de beaucoup d'entreprises industrielles, alors, il présente un pourcentage très important de bases plafonnées.

La commission des Finances de l'Assemblée nationale a proposé de retenir comme taux de référence les taux de taxe professionnelle de l'année 2005 et non ceux de l'année 2004 . Ce choix est justifié : en votant leurs taux au début de l'année 2005, les collectivités territoriales ne connaissaient pas encore les modalités de la réforme.

2. La création d'un « bouclier fiscal »

Le projet de loi de finances pour 2006 tend à poser le principe selon lequel les impôts directs payés par un contribuable ne peuvent être supérieurs à 60 % de ses revenus .

Les impôts retenus seraient l'impôt sur le revenu (y compris le prélèvement libératoire), l'impôt de solidarité sur la fortune ainsi que la taxe d'habitation et la taxe foncière afférentes à l'habitation principale, une fois ces impôts régulièrement payés.

Les prélèvements sociaux (CSG, CRDS...), qui viennent largement en substitution des cotisations sociales, et la fiscalité locale sur les résidences secondaires dont l'existence et le nombre relèvent du libre choix du contribuable, n'entreraient pas dans le champ de la mesure.

Les revenus à prendre en compte s'entendraient de l'ensemble des revenus perçus par le contribuable l'année précédant celle du paiement des impôts, qu'ils soient actuellement déclarés ou non déclarés, à l'exception de certaines allocations (allocation familiale ; allocation adulte handicapé ; allocation parent isolé ; etc.) et de certaines plus-values exonérées (plus-values immobilières).

Le droit à restitution serait exercé sur demande du contribuable et se traduirait, dans un premier temps, par un reversement effectif des sommes indûment prélevées.

La restitution accordée au contribuable serait ensuite prise en charge par l'Etat et les collectivités territoriales en proportion du montant des impôts revenant à chacun d'eux.

La « refacturation » aux collectivités territoriales interviendrait deux années après le versement de la restitution afin de laisser le temps à celles-ci d'intégrer le coût dans leurs prévisions budgétaires.

Le droit à restitution pourrait être exercé pour la première fois début 2007 au titre des impôts payés en 2006. L'impôt sur le revenu payé en 2006 (revenus 2005), l'impôt de solidarité sur la fortune 2006, la taxe foncière et la taxe d'habitation 2006 afférentes à l'habitation principale seraient comparés aux revenus perçus en 2005.

La mesure s'appliquerait à environ 93.000 contribuables. Selon les estimations du Gouvernement, plus de 85 % d'entre eux figurent parmi les 10 % de contribuables dont le revenu est le plus faible (dont le revenu annuel déclaré n'excède pas, pour les revenus imposés comme des salaires, 7 400 €). Le coût serait de 358 millions d'euros pour l'État et de 43 millions d'euros pour les collectivités territoriales .

Le mécanisme de refacturation implique ainsi une perte moyenne de produit fiscal d'environ 1.000 euros par collectivité ; essentiel sur le plan des principes, ce mécanisme n'est pas un enjeu réel pour le niveau de ressources des collectivités.

3. Un allègement de la taxe foncière sur les propriétés non bâties en faveur des terres agricoles

Depuis 1996, les terrains à usage agricole bénéficient d'une exonération totale des parts départementale et régionale de la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB), mais restent imposables à cette taxe pour les parts communale et intercommunale, sauf si ces propriétés bénéficient d'une exonération expressément prévue par la loi.

Par ailleurs, le code rural prévoit que les dépenses afférentes aux voies communales et aux chemins ruraux sont supportées par le preneur qui doit payer au propriétaire une fraction du montant global de la TFPNB portant sur les biens pris à bail. À défaut d'accord amiable entre les parties, cette fraction est fixée à 20 %.

Conformément aux annonces du Président de la République visant à alléger les charges pesant sur les exploitants agricoles et donc à accorder une baisse des coûts en faveur des agriculteurs, le projet de loi de finances prévoit d'instituer une exonération de la TFPNB à concurrence de 20 % pour les terrains à usage agricole .

La TFPNB étant établie au nom du propriétaire de la parcelle, il est prévu de modifier le code rural afin que cet allégement soit rétrocédé par le bailleur au preneur pour les terrains pris à bail. Ainsi, et conformément à l'objectif poursuivi, l'allégement accordé bénéficie à l'exploitant, qu'il soit propriétaire ou locataire des terrains agricoles.

Pour préserver les ressources des collectivités concernées, cette exonération donnerait lieu à une compensation versée par l'État aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre pour un coût estimé à 140 millions d'euros en 2006 .

4. La nécessité d'une réforme d'ensemble de la fiscalité locale

Votre commission des Lois estime que l'autonomie fiscale constitue non seulement un facteur d'efficacité de la gestion des collectivités territoriales mais surtout un fondement de la démocratie locale .

Selon un processus inexorable, faute de réformer les bases de l'impôt local, sa suppression graduelle est mise en oeuvre. L'Etat commence par accorder des allègements aux contribuables qu'il compense aux collectivités à travers la procédure du dégrèvement. Puis il accorde des exonérations qui annoncent l'extinction progressive de l'impôt local.

Il en résulte également une charge incompressible pour le budget de l'Etat, ainsi qu'une modification de la structure des concours de l'Etat aux collectivités locales.

Comme l'a souligné la mission d'information du Sénat sur la décentralisation, la réforme de la fiscalité locale suppose, tout d'abord, de réviser les bases des impôts . L'assiette de l'impôt local a vieilli ; elle est à l'origine de nombreuses inégalités, entre les citoyens comme entre les collectivités, et fausse les mécanismes de la péréquation dont elle détermine largement les critères. L'existence de bases d'imposition justes et régulièrement actualisées permettrait, au contraire, de maintenir durablement une fiscalité locale vivante et de réduire les charges incompressibles pesant sur le budget de l'Etat. En la matière, si l'hypothèse du transfert aux communes de la possibilité de réviser les bases locatives paraît séduisante, il convient d'en mesurer toute la complexité, dès lors que les impôts locaux sont partagés entre plusieurs niveaux de collectivités locales.

La simplification des impôts semble également une nécessité . La fiscalité locale est caractérisée par une grande complexité, en raison notamment du partage du produit des impositions entre plusieurs niveaux de collectivités.

L'idée d'une spécialisation des impôts locaux, reprise à son compte par la Commission pour l'avenir de la décentralisation, doit être examinée avec prudence. Appliquée de manière stricte, elle ferait dépendre les ressources d'un niveau de collectivité d'une seule base fiscale, ce qui pourrait compromettre leur stabilité. Par ailleurs, les propositions généralement avancées de répartition des impôts existants entre niveaux de collectivités ne semblent pas compatibles avec le maintien de leurs ressources actuelles.

La spécialisation « de fait », par le biais de mécanismes tels que la taxe professionnelle unique, sur la base de l'adhésion libre des communes, semble à la fois plus souple et plus opérationnelle. De même, l'affectation au profit de certaines collectivités d'impôts spécifiques pourrait les conduire à ne plus souhaiter percevoir l'un des impôts existants.

*

* *

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « relations avec les collectivités territoriales » et du compte de concours financiers « avances aux collectivités territoriales ».

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page