ANNEXE I -
AUDITION DE MME BRIGITTE GIRARDIN
Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi du mercredi 17 novembre 2005, la commission a entendu Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie , sur les crédits pour 2006 du programme « Solidarité avec les pays en développement » de la mission interministérielle « Aide publique au développement ».
Mme Brigitte Girardin , ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie , a rappelé que depuis 2002, le développement des pays du Sud constituait une priorité centrale du gouvernement, le Président de la République ayant fixé des objectifs ambitieux.
Ainsi, l'aide publique au développement sera portée à 0,5 % de notre revenu national brut en 2007 en vue d'atteindre les 0,7 % en 2012. Pour 2006, le projet de loi de finances est construit sur un objectif de 0,47 %, soit 8,2 milliards d'euros.
Mme Brigitte Girardin , se référant au sommet des Nations unies de septembre dernier, a précisé que la communauté internationale se rangeait désormais derrière cet objectif d'augmentation de l'aide, comme cela a été confirmé en juillet dernier lors du G8 de Gleneagles, tout comme elle partage l'approche française sur les buts ultimes de l'aide, les Objectifs du Millénaire pour le développement, qui visent à réduire la pauvreté de moitié dans le monde d'ici à 2015, ainsi que sur l'accent à mettre sur l'Afrique, continent qui ne bénéficie pas assez des effets positifs de la mondialisation.
La ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie a indiqué que la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) se traduisait par deux innovations : la création d'une mission budgétaire « Aide publique au développement » regroupant des crédits des ministères des affaires étrangères et de l'économie, des finances et de l'industrie ; la réalisation d'un document intitulé « Politique française en faveur du développement », qui vise à clarifier les objectifs de notre aide, à savoir la mise en oeuvre des objectifs du Millénaire, la promotion du développement à travers les idées et le savoir-faire français et une gestion plus efficiente de l'aide publique au développement. Ce document comporte, comme le souhaitait le Parlement, un tableau établissant le lien entre les crédits budgétaires votés et le chiffre déclaré pour notre aide publique au développement, en l'occurrence 0,47 % du revenu national brut pour 2006.
S'agissant des crédits de la mission « Aide publique au développement », ils connaîtront en 2006 une augmentation sensible de 200 millions d'euros, soit 7 %.
Comme les années précédentes, la majeure partie de cet accroissement bénéficiera à nos engagements multilatéraux, notamment à travers les Nations unies et la Banque mondiale. La décision de porter notre contribution au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose, et le paludisme, de 150 millions d'euros en 2005 à 300 millions d'euros en 2007, fait de la France le premier contributeur mondial à ce Fonds, devant les Etats-Unis. La France est également depuis janvier le premier contributeur au Fonds africain de développement, tout comme elle est aussi le premier contributeur au Fonds européen de développement.
Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie, a considéré que le recours à l'aide multilatérale permettait d'obtenir des résultats tangibles sur le terrain. Ainsi, en ce qui concerne la lutte contre le Sida, le nombre de malades sous traitement anti-rétroviraux, quasi nul il y a quelques années pour le monde en développement, est passé à 1,6 million grâce au Fonds mondial.
L'aide bilatérale n'est pas pour autant oubliée. Les autorisations d'engagement pour les projets bilatéraux, essentiellement le Fonds de solidarité prioritaire et les concours sous forme de dons de l'Agence française de développement, qui étaient de 300 millions d'euros en 2002, atteindront 450 millions d'euros en 2006. Les prêts de l'Agence française de développement passeront pour leur part de 370 millions d'euros en 2002 à plus de 1.200 millions d'euros en 2006. En quatre ans, le volume des projets bilatéraux lancés aura ainsi été multiplié par 2,5.
La ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie a ensuite souligné la nécessité de renforcer l'efficacité de l'aide. Elle a précisé que les charges de personnel diminueraient, ce qui libèrera près de 50 millions d'euros pour des projets.
Mme Brigitte Girardin a estimé que cet effort devrait être poursuivi, la France disposant dans ce domaine d'une marge de manoeuvre plus limitée que ses voisins britanniques ou allemands, alors même que ceux-ci consacrent une part plus faible de leur richesse nationale à l'aide au développement.
La ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie a souligné que, parallèlement, la prévisibilité de notre aide devait être renforcée, ce qui passera par une augmentation des volumes d'autorisations d'engagement. Elle a mentionné les progrès permis par le regroupement des crédits relatifs à l'aide alimentaire sur le budget du ministère des affaires étrangères. Ainsi, en 2005, 60 % de celle-ci a été achetée dans l'environnement régional, contre seulement 30 % en 2004. Des coûts de transports inutiles ont pu être économisés, tout en aidant davantage ces pays.
Mme Brigitte Girardin a estimé, qu'au-delà d'une efficacité accrue, ce déliement de notre aide alimentaire permettait d'en éliminer les effets négatifs pour les économies des pays bénéficiaires. Elle a tenu à souligner cet impact positif au moment où la politique agricole commune de l'Union européenne est critiquée par des pays qui déversent leurs excédents alimentaires sous forme d'aide dans les pays les plus pauvres ou qui dépriment leurs cours mondiaux du coton par des exportations massivement subventionnées.
Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie, a indiqué que dans un objectif d'efficacité, notre dispositif d'aide publique avait connu depuis 2004 une réforme importante visant à améliorer le pilotage stratégique de l'aide, sous la coordination du ministre en charge de la Coopération, ainsi que la lisibilité de notre action en confiant la mise en oeuvre des projets à l'Agence française de développement sur la base d'instructions précises de l'Etat.
Elle a précisé qu'elle réunissait régulièrement les ministères concernés dans le cadre d'une conférence d'orientation stratégique et de programmation, et qu'étaient également mis en place dans chaque pays des documents-cadres de partenariat constituant de véritables plans d'action conclus entre la France et les pays aidés, assortis d'engagements mutuels pour une période de trois à cinq ans. Ces documents doivent respecter quatre priorités : une meilleure lisibilité sur le terrain en mettant notamment un accent sur la francophonie ou la lutte contre l'immigration clandestine ; une plus grande cohérence, afin de rendre nos projets plus percutants et d'être chef de file dans nos domaines d'intervention ; une meilleure coordination avec le pays aidé, avec les autres intervenants français comme les collectivités territoriales, les entreprises ou les ONG et avec les autres bailleurs de fonds internationaux, en particulier les Européens ; enfin une plus grande prévisibilité, afin d'inscrire notre action dans la durée de trois ou cinq ans.
En conclusion, Mme Brigitte Girardin , ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie , a évoqué les sources innovantes de financement, comme la Facilité financière internationale pour la vaccination. Par ailleurs, la mise en place d'une contribution de solidarité sur les billets d'avion est engagée. Au mois de septembre, à l'ONU, 79 pays se sont engagés sur une déclaration mentionnant cette contribution proposée depuis près de deux ans par le Président de la République. Trois pays, la France, le Royaume-Uni et le Chili, sont prêts à appliquer immédiatement un tel dispositif, que la France souhaite affecter en priorité au secteur de la santé. L'adoption du dispositif législatif correspondant sera un atout pour convaincre d'autres pays lors de la conférence ministérielle que le Président de la République a lancée pour les 28 février et 1 er mars prochains.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga a souligné l'importance, pour l'image de la France, d'une forte présence dans l'aide publique internationale, mais s'est inquiétée de l'aspect un peu trop technocratique, sur le terrain, des programmes de l'ONU et des modalités de fonctionnement de l'Agence française pour le développement (AFD) dans les domaines de l'éducation et de la santé. Elle a indiqué que les baisses actuelles de charges de personnels impliquaient à terme une forte augmentation de ces coûts, en rendant indispensable le recours à une expertise technique privée plus onéreuse et avaient également pour conséquence une perte de savoir-faire dans l'ingénierie éducative et le développement rural. Elle a regretté que la francophonie, et en particulier l'alphabétisation pratique, ne fassent pas partie des préoccupations de l'AFD.
M. Serge Vinçon, président , a demandé des précisions sur la part du budget d'aide publique au développement correspondant au montant de l'annulation de la dette irakienne et sur l'état des négociations relatives au prochain Fonds européen de développement (FED).
M. Jacques Pelletier a demandé quelle était la part de l'ensemble des annulations de dettes dans le budget d'aide au développement, quel était le nombre d'assistants techniques prévus pour 2006 et quelle serait l'éventuelle augmentation de notre subvention au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Il a regretté que l'île Maurice, mais surtout la Zambie, ne fassent pas partie de la Zone de solidarité prioritaire, empêchant l'intervention de l'AFD dans ces pays.
Mme Hélène Luc a souhaité connaître la date de mise en oeuvre de l'imputation de la contribution de solidarité sur les billets d'avions. Elle a souligné l'indispensable effort à fournir en matière de bourses d'études pour favoriser le développement de la langue française à l'étranger. Elle s'est inquiétée de l'éventuelle lourdeur de fonctionnement de l'AFD et a souhaité des précisions sur le concours de l'Etat français au fonctionnement de l'hôpital « Mère-enfant » de Kaboul.
M. Michel Guerry a demandé quel rapport on pouvait établir entre les 300 millions d'euros consacrés à la lutte contre le Sida et le nombre de personnes, 1,2 million traitées par trithérapie, et a souhaité connaître les principaux pays bénéficiaires de l'aide française contre cette maladie.
Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie , se disant optimiste sur les effets positifs à attendre de la mise en oeuvre progressive de la réforme du dispositif de coopération, a apporté les éléments de réponse suivants :
- l'AFD, opérateur pivot de l'aide au développement, a pour rôle de mettre en oeuvre les décisions du gouvernement en la matière, pour lesquelles le ministère délégué à la coopération exerce une fonction de pilotage et qui exerce sur l'Agence une tutelle vigilante ;
- les documents cadres de partenariat pourront mentionner les domaines de l'éducation et de la santé, secteurs nouveaux d'intervention ; une attention particulière sera portée à ce que ces secteurs bénéficient de l'assistance technique nécessaire ;
- le recours aux canaux de l'aide multilatérale est indispensable, afin en particulier de rendre plus efficace, par une coordination des financements, la lutte contre les grandes pandémies ;
- l'Agence française pour le développement peut agir en faveur de l'alphabétisation, si sa tutelle le lui demande ;
- 80 % de l'aide française sont concentrés sur les trois secteurs prioritaires définis dans chacun des documents cadres de partenariat, mais 20 % peuvent être alloués aux autres secteurs ;
- le document-cadre de partenariat concerne les cinq années à venir, ce qui accroît la lisibilité de notre action. Celle-ci s'appuie sur les aides bilatérales, multilatérales, européennes, sur les organisations non gouvernementales et la coopération décentralisée. Le secteur privé doit également être impliqué ;
- l'impact de la remise de la dette irakienne sur l'aide publique au développement a été étalé sur une période de quatre ans : 500 millions d'euros en 2005, 200 en 2006, 550 en 2007 et 570 en 2008, les chiffres de ces deux dernières années étant susceptibles de varier, notamment en fonction du taux de change ;
- la participation française au FED s'élève à 25 %, contre 16 % si elle était établie selon la clé de répartition budgétaire, mais le principe d'une budgétisation de cette participation ne réunit guère de consensus auprès de nos partenaires ;
- les annulations de dettes s'élèvent, pour 2006, à 1,9 milliard d'euros, soit environ 25 % de notre aide publique au développement (8,2 Md€) ;
- en ce qui concerne les effectifs d'assistants techniques, 92 postes ont été transférés à l'AFD. L'objectif est de maintenir en 2006 le niveau atteint en 2005 et d'affecter 1.318 postes au programme « Solidarité » et 230 au programme « Environnement ». Nos partenaires africains souhaiteraient une augmentation de ces effectifs, mais il est préférable de s'orienter vers une formation des populations locales, plutôt que d'en revenir à une coopération de substitution qui contredit la nécessité d'une appropriation de l'aide par ses bénéficiaires. Par ailleurs, dans des domaines tels que la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption, l'assistance technique, si elle est sans doute moins visible, n'en est pas moins réellement efficace et saluée par les partenaires. La rationalisation des charges de personnel a aussi permis de reporter 50 millions d'euros au profit de l'aide-projets. Le recours aux missions de courte durée est également apprécié, en particulier dans le cadre du Groupement d'intérêt public France Coopération Internationale ;
- les fonds français d'aide au développement transitant par les Nations unies ne se sont élevés ces dernières années qu'à 2 %, contre une moyenne des pays OCDE de 7 %. Cette contribution, à la demande du Président de la République, doublera d'ici à 2007, afin d'intensifier notre coopération avec cet organisme qui joue un rôle central ;
- la Zambie et l'Ile Maurice ne font pas partie de la zone de solidarité prioritaire (ZSP) et l'AFD ne peut donc opérer dans ces pays. Le souci de la France est actuellement de concentrer les bénéfices du classement en ZSP sur les pays les plus démunis ;
- la France mettra en place, dès 2006, l'imputation de la contribution de solidarité sur les billets d'avions, dans le cadre des financements innovants pour le développement. Avec le Chili, le Royaume-Uni et le Brésil, une réunion internationale se tiendra à Paris fin février pour inciter d'autres pays à participer à cette action. Les besoins financiers pour le développement s'élèvent en effet chaque année à 50 milliards de dollars, dont 25 pour l'Afrique, et les financements publics traditionnels ne peuvent suffire. La taxe sur les billets d'avions est une solution intéressante, par sa simplicité, la stabilité et la prévisibilité des ressources qu'elle permet de dégager ;
- l'utilisation de la langue française à l'étranger est un élément important de notre influence extérieure et la demande est forte dans de nombreux pays pour la création d'écoles à cette fin et pour la formation d'enseignants. Il faut veiller à répondre à cette demande, sans s'engager dans une nouvelle coopération de substitution. A cet égard, le recours accru aux bourses est un outil pertinent ;
- l'AFD agit sous la tutelle vigilante du ministère délégué à la coopération en recourant aux différents instruments existants : les documents-cadres de partenariat, les 7 secteurs stratégiques d'intervention retenus par la conférence d'orientation stratégique et de programmation, et les contrats d'objectifs en cours de négociation avec le ministère des affaires étrangères et avec le ministère des finances ;
- la France a déjà mobilisé 10 millions d'euros pour le Pakistan, auxquels s'ajoute sa contribution logistique dans le cadre de l'OTAN. Une réflexion est engagée pour mobiliser l'AFD pour la phase de reconstruction ;
- l'hôpital « Mère-enfant » de Kaboul va être inauguré prochainement et sera en mesure de fonctionner normalement ;
- la contribution française à la lutte contre le Sida va passer de 150 à 300 millions d'euros. Au total 640 millions de dollars seront versés en 2006-2007 au Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme. L'objectif est de doter ce fonds de 7 milliards de dollars, contre 4 milliards actuellement, montant qui permet de poursuivre les programmes en cours, mais pas d'entreprendre d'actions nouvelles. Sur les 6 millions de personnes qui ont actuellement besoin d'un traitement contre le Sida, 3 millions vivent en Afrique. Ainsi, en République centrafricaine, 1 million d'habitants ont disparu, l'espérance de vie est tombée à 39 ans, et 30 % des fonctionnaires sont atteints de cette maladie. Dans ces conditions, aucune stratégie de développement n'est possible.
Mme Paulette Brisepierre, évoquant les contrats de désendettement-développement, a réaffirmé son souhait que ce type d'aide soit conditionné au respect par les gouvernements bénéficiaires de leurs engagements envers nos compatriotes pour le versement de leurs retraites.
M. Robert Del Picchia a souligné que le terme de « taxe » sur les billets d'avions était souvent mal compris, notamment par les pays nordiques. Il a rappelé que l'Union européenne avait besoin, elle aussi, d'assistants techniques, ce qui devrait constituer une opportunité pour les assistants techniques français expérimentés. Il a indiqué par ailleurs que le Sénat venait de signer un accord de coopération avec le PNUD pour favoriser la bonne gouvernance et la démocratie.
Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie , s'associant au souci de Mme Paulette Brisepierre , a indiqué que la France ne ménageait pas ses efforts pour obtenir le respect des engagements pris par les pays bénéficiaires des contrats de désendettement-développement.
Elle a indiqué que c'est l'appellation de « contribution de solidarité sur les billets d'avions » qui avait été retenue pour ce système de financement innovant du développement. Au sujet des assistants techniques européens ou multilatéraux, le ministre a rappelé que la France proposait des candidats rémunérés sur des financements multilatéraux, et que les chiffres qu'elle avait cités ne concernaient que les assistants techniques rémunérés directement sur les crédits du ministère.